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Cautionnement sous X ne vaut !

La lettre X de la formule légale de l’ancien article L. 341-2 du code de la consommation doit être remplacée, dans la mention manuscrite apposée par la caution, par le nom ou la dénomination sociale du débiteur garanti. En conséquence, le cautionnement doit être annulé si la mention indique seulement que la caution s’engage pour le bénéficiaire du crédit sans autre précision.

par Jean-Denis Pellierle 6 juin 2018

Le contentieux relatif aux mentions manuscrites en matière de cautionnement est fort bien nourri. En effet, les cautions n’hésitent pas à faire feu de tout bois pour tenter de faire annuler leur engagement. La chambre commerciale de la Cour de cassation a été amenée à se prononcer, une fois de plus, en la matière. En l’espèce, une société avait ouvert un compte courant auprès d’une banque. Le gérant de la société, qui s’était rendu caution solidaire des engagements de celle-ci envers la banque, à concurrence d’une certaine somme, avait porté la mention manuscrite suivante : « En me portant caution du bénéficiaire du crédit dans la limite de la somme de 1 495 000 € (quatre cent quatre vingt quinze mille euros, sic) couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la période de 60 mois, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si le bénéficiaire du crédit n’y satisfait pas lui-même. En renonçant au bénéfice de discussion défini à l’article 2298 du code civil et en m’obligeant solidairement avec le bénéficiaire du crédit, je m’engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu’il poursuive préalablement le bénéficiaire du crédit ». Assignée en paiement, la caution a invoqué la nullité du cautionnement.

Cette demande fut rejetée et la caution fut condamnée à payer à la banque la somme principale de 495 000 € (ce qui correspond à la somme indiquée en lettres et non à celle indiquée en chiffres), les juges du fond ayant retenu que l’identification du « bénéficiaire du crédit » figurant dans la mention manuscrite ressortait aisément de la lecture de la première page de l’acte, étant précisé que chaque page est numérotée et datée, et qu’étant gérant de la société, la caution ne pouvait pas ignorer la teneur de la convention de compte courant qu’elle avait signée une année plus tôt au nom et pour le compte de la société.

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Bastia le 12 août 2015 est cassé au visa de l’article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 : « Qu’en statuant ainsi, alors que la lettre X de la formule légale doit être remplacée, dans la mention manuscrite apposée par la caution, par le nom ou la dénomination sociale du débiteur garanti, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

La solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation. Si cette dernière assouplit volontiers sa position quant à la sanction du formalisme ad validitatem de l’ancien article L. 341-2 du code de la consommation, devenu l’article L. 331-1 depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 14 mars 2016 (v. en ce sens M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 6e éd., 2018, n° 259 ; M. Cabrillac, C. Mouly, S. Cabrillac et P. Pétel, op. cit., n° 130 ; comp. P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés. La publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, nos 117 s.), c’est généralement lorsque ni le sens ni la portée de l’engagement de la caution ne sont en cause (v. par ex. Com. 8 mars 2011, n° 10-10.699, Dalloz actualité, 14 mars 2011, obs. V. Avena-Robardet , note Y. Picod ; RTD civ. 2011. 375, obs. P. Crocq ; RTD com. 2011. 402, obs. D. Legeais , concernant la mention relative à la solidarité ; v. en dernier lieu Com. 20 sept. 2017, n° 12-18.364, RTD civ. 2018. 176, obs. P. Crocq ; note P. Simler, concernant l’identité du scripteur ; Civ. 1re, 22 sept. 2016, n° 15-19.543, Dalloz actualité, 5 oct. 2016, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 1996, obs. P. Crocq ; RDI 2016. 640, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ Contrat 2016. 497, obs. G. Mégret ; concernant l’irrégularité de l’emplacement de la signature), même si l’on peut relever certaines décisions ayant admis la validité du cautionnement en présence d’erreurs relatives au droit de gage général du créancier ainsi qu’aux intérêts, la garantie se trouvant alors amputée (Com. 1er oct. 2013, n° 12-20.278, Dalloz actualité, 9 oct. 2013, obs. V. Avena-Robardet , note M. Julienne et L. Andreu ; ibid. 2013. 2551, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou, F. Arbellot et J. Lecaroz ; ibid. 2014. 1610, obs. P. Crocq ; ibid. 2136, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD com. 2013. 791, obs. D. Legeais ; 27 mai 2014, n° 13-16.989, D. 2014. 2293 ; ibid. 2015. 1810, obs. P. Crocq ; RDI 2015. 29, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJCA 2015. 33, obs. Y. Picod ; RTD civ. 2015. 182, obs. P. Crocq ; ces deux derniers arrêts ayant considéré que l’omission des termes « mes biens » n’avait pour conséquence que de limiter le gage de la banque aux revenus de la caution et n’affectait pas la validité du cautionnement ; v. égal. Com. 4 nov. 2014, n° 13-24.706, Dalloz actualité, 24 nov. 2014, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2015. 1810, obs. P. Crocq ; RDI 2015. 29, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJCA 2015. 33, obs. Y. Picod ; RTD civ. 2015. 182, obs. P. Crocq , ayant considéré que l’omission du terme « intérêts » n’avait pour conséquence que de limiter l’étendue du cautionnement au principal de la dette sans en affecter la validité ; v. égal. Com. 14 mars 2018, n° 14-17.931, ayant considéré que l’omission du mot "principal" n’a pour conséquence que de limiter l’étendue du cautionnement aux accessoires de la dette, sans en affecter la validité »).

En revanche, dès lors que les éléments essentiels du cautionnement sont en cause, le couperet de la nullité tombe (il s’agit d’une nullité relative, v. Com. 5 févr. 2013, n° 12-11.720, Dalloz actualité, 21 févr. 2013, obs. V. Avena-Robardet , note R. Libchaber ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; Rev. sociétés 2013. 479, note D. Legeais ; JCP 2013. 440, P. Simler). Tel est le cas si le montant ou la durée de l’engagement sont en cause (v. par ex. pour la durée Com. 13 déc. 2017, n° 15-24.294, Dalloz actualité, 20 déc. 2017, obs. V. Brémond ; AJ Contrat 2018. 139, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2018. 179, obs. P. Crocq ; JCP 2018. 77, note J.-D. Pellier ; 9 févr. 2016, n° 14-18.721, D. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; 26 janv. 2016, n° 14-20.202, D. 2016. 1955, obs. P. Crocq ; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; Civ. 1re, 9 juill. 2015, n° 14-24.287, Dalloz actualité, 8 sept. 2015, obs. V. Avena-Robardet , note H. Kassoul ; ibid. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 1955, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2015. 916, obs. P. Crocq ; la Cour affirme clairement, dans ce dernier arrêt que la durée est « un élément essentiel permettant à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement » ; comp. Com. 31 janv. 2017, n° 15-15.890, Dalloz actualité, 15 févr. 2017, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 1996, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2017. 377, obs. H. Barbier ; ibid. 444, obs. P. Crocq , ayant admis la validité d’un cautionnement au sein duquel deux mentions manuscrites étaient contradictoires quant à la durée de l’engagement ; pour le montant de l’engagement, v. Chambéry, 10 mars 2015, n° 13/02734, concernant l’omission du montant de l’engagement ; Metz, 3 mars 2015, n° 15/00111, concernant l’omission des termes « la limite de »).

Tel est également le cas, comme l’illustre parfaitement l’arrêt sous commentaire, si l’identité du débiteur garanti ne ressort par clairement de la mention, quand bien même serait-elle explicite au regard du reste de l’acte et du contexte. Au demeurant, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’approuver une cour d’appel d’avoir « précisé qu’à l’évidence la lettre X figurant dans le texte doit être remplacée par la désignation du débiteur principal, puis retenu que les précisions concernant la désignation du débiteur, qui ne sont pas formellement interdites par l’article L. 341-2 du code de la consommation, ne modifient en rien la formule légale ni n’en rendent sa compréhension plus difficile pour la caution » (Com. 16 oct. 2012, n° 11-23.623, Dalloz actualité, 5 nov. 2012, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2013. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2420, obs. D. R. Martin et H. Synvet ). Cette dernière solution s’impose tant il est vrai que l’application à la lettre des exigences du code de la consommation conduirait à des absurdités (v. en ce sens A.-S. Barthez et D. Houtcieff, Traité de droit civil. Les sûretés personnelles, LGDJ, 2010, n° 548, relevant à juste titre qu’« il faudrait sinon admettre qu’elle interdit de remplacer la lettre “X” du modèle légal par le nom du débiteur ou encore qu’une faute d’orthographe suffit à anéantir la convention ! »). Encore faut-il, précisément, que la désignation du débiteur soit explicite, ce qui n’était pas le cas en l’occurrence. On ne peut néanmoins s’empêcher de trouver la présente solution quelque peu sévère à l’endroit du créancier, qui, il faut le rappeler, connaissait parfaitement l’identité du débiteur garanti puisqu’il en était le gérant !

Afin d’éviter les affres des mentions manuscrites, il est possible de conclure un cautionnement par acte authentique (pour un exemple original, v. Com. 14 juin 2017, n° 12-11.644, Dalloz actualité, 6 juill. 2017, obs. X. Delpech , note P. Bouathong ; ibid. 1996, obs. P. Crocq ; ibid. 2018. 259, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; AJ Contrat 2017. 344, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2017. 871, obs. H. Barbier ; ibid. 2018. 209, obs. P. Théry ; JCP 2017. 866, note P. Simler, concernant le cautionnement contenu dans un accord homologué judiciairement) ou par acte contresigné par avocat (V. J. – D. Pellier, De l’intérêt de l’acte authentique en matière de cautionnement, JCP 2015, 1069 ; v. égal. S. Cabrillac, Le cautionnement notarié, Dr. et patrimoine juill.-août 2008, p. 56 ; F. Gerchoun, Faut-il privilégier le cautionnement authentique ?, RLDC 2009. 31), puisque l’on sait que ces actes échappent à l’exigence de toute mention manuscrite (C. civ., art. 1369, al. 3, et 1374, al. 3).

Mais le salut des créanciers viendra peut-être du législateur. En effet, un avant-projet de réforme du droit des sûretés sous l’égide de l’Association Henri-Capitant, dévoilé en septembre 2017, prévoit d’abroger les dispositions du code de la consommation relatives aux mentions manuscrites et d’insérer au sein du code civil un article 2298 dont l’alinéa 1er disposerait que « la caution personne physique appose elle-même, à peine de nullité de son engagement, la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres » (comp. L. Andreu et J.-D. Pellier, « Les sûretés personnelles et la réforme du droit des obligations », in Les contrats spéciaux et la réforme du droit des obligations, LGDJ/Institut universitaire Varenne, 2017, p. 499, spéc. nos 27 et 35, proposant l’exigence d’une mention manuscrite pour tout garant personne physique s’engageant envers un créancier professionnel sur le modèle de l’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 et la suppression corrélative des mentions du code de la consommation ; G. Piette, Solutions pour mettre un terme au contentieux relatif aux mentions manuscrites dans le cautionnement, D. 2017. 1064 , proposant soit la suppression de ce formalisme, le devoir de mise en garde incombant au créancier étant suffisant, soit la réécriture des textes). Encore que la jurisprudence serait très certainement sollicitée quant à l’interprétation de cet éventuel futur texte…