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Article
Ce que le nouveau système européen des brevets pourrait changer pour les entreprises et leurs conseils
Ce que le nouveau système européen des brevets pourrait changer pour les entreprises et leurs conseils
L’avènement du nouveau système européen des brevets devrait amener, à plus ou moins long terme, les acteurs économiques à revisiter leur stratégie brevets en Europe. Éclairage.
par Miren Lartigue, Journalistele 3 mars 2022
Offrir la qualité du brevet européen délivré par l’Office européen des brevets (OEB) sur un espace géographique plus large grâce à l’effet unitaire, à un coût attractif et selon des procédures simplifiées, ainsi qu’une plus grande sécurité juridique grâce à une juridiction unique et spécialisée. Telle est l’ambition du nouveau système européen des brevets qui devrait voir le jour début 2023 (sur ce sujet, v. égal. Dalloz actualité, 1er mars 2022).
Réduire les coûts
La réduction des coûts liés à la protection des brevets pour les entreprises, et en particulier les PME, est un des objectifs de ce dispositif. Le coût du maintien en vigueur du nouveau brevet à effet unitaire correspondra au coût du maintien en vigueur d’un brevet européen classique dans quatre États membres de l’Union européenne. Dans la mesure où les brevets européens sont, en moyenne, validés dans quatre pays, le brevet unitaire ne sera véritablement avantageux pour ceux qui ont besoin de protéger une invention dans un grand nombre d’États membres. Mais le fait qu’il ne nécessite qu’une seule démarche, dans une seule langue, sera une source de réduction des coûts pour tous les demandeurs en termes de taxes d’enregistrement, de traduction et de représentation.
En ce qui concerne les frais de justice, l’entreprise qui souhaite attaquer une contrefaçon dans plusieurs pays de l’Union n’aura plus à engager de procédure dans chacune des juridictions concernées mais pourra choisir de se tourner vers la juridiction unifiée du brevet (JUB). Ce qui aura un impact à la baisse sur les honoraires d’avocats. Pour les frais de procédure, en revanche, la différence pourrait ne pas toujours être très sensible. Le dispositif retenu pour la JUB est en effet inspiré du système allemand, dans lequel les frais de justice sont payés par les justiciables. Une procédure devant la JUB coûtera donc plus cher que devant une juridiction française mais pas plus que devant une juridiction allemande, par exemple. Le système prévoit toutefois deux dispositifs pour les frais de justice : l’un pour les grandes entreprises et l’autre pour les PME (avec une aide financière). Reste que les litiges en matière de propriété industrielle sont toujours des contentieux lourds et onéreux et, en fonction des enjeux, le coût peut ne pas être un critère. Bon nombre d’entreprises choisissent ainsi de faire leurs procédures en Allemagne en raison de la qualité de la justice.
Brevets : « un système à la carte »
Pour les praticiens de la propriété intellectuelle (PI), « c’est un dispositif plus complexe parce qu’on rajoute un brevet unitaire et une juridiction unifiée en plus des brevets nationaux et européens, mais cela ajoute de nouvelles possibilités en termes de stratégie », relève Thierry Sueur, président du groupe brevets de Business Europe et du comité PI du MEDEF, ancien directeur de la PI d’Air Liquide et président de l’Union pour la juridiction unifiée du brevet (UJUB)*. Ce que propose le nouveau dispositif, « c’est un système à la carte », dit-il : « en fonction des besoins, certains vont opter pour le brevet unitaire et d’autres pour les brevets européens ». Et il devrait aussi intéresser « les entreprises américaines, chinoises, japonaises ou coréennes, pour qui il est plus simple de déposer un seul brevet unitaire pour couvrir l’Europe ». D’ailleurs, « lors de la création du brevet européen [en 1977], ce sont les Américains et les Chinois qui s’en sont emparés les premiers », rappelle-t-il.
La nécessite de « revisiter sa stratégie brevets »
Pour les entreprises et leurs conseils, les nouvelles possibilités offertes par ce dispositif vont nécessiter de « revisiter sa stratégie brevets », a expliqué Géraldine Guéry-Jacques, présidente de l’Association des spécialistes de propriété industrielle en industrie et directrice PI du groupe SEB, lors de la Conférence internationale sur la propriété intellectuelle organisée le 10 février dernier par l’INPI. Le brevet à effet unitaire « ne sera pas si nouveau » dans la mesure où « la qualité des brevets européens actuels est démontrée », mais « ce sera un choix supplémentaire concernant la couverture géographique ». Un choix qui « ne se fera pas au moment du dépôt mais au moment de la délivrance, soit trois ou quatre ans après le dépôt en moyenne, et, à ce moment-là, on en saura plus sur l’intérêt de ce brevet », a-t-elle relevé.
Comment adapter sa stratégie brevets à l’aune de ce futur système à la carte ? « Cela peut être très variable d’un domaine et d’une industrie à l’autre, avec des stratégies différentes au sein d’une même entreprise selon les brevets », répond Grégoire Triet, associé du cabinet d’avocats Taliens, spécialisé en droit de la propriété intellectuelle et des médias. Ainsi, « il peut être plus prudent de choisir des brevets classiques pour éviter d’être attaqué dans un pays où l’entreprise n’a pas d’enjeux à défendre », dit-il. Et, pendant un temps, le brevet européen classique offrira la possibilité d’aller devant une juridiction nationale plutôt que devant la JUB, afin de « limiter le risque de tout perdre d’un coup lors d’une action centralisée ».
Nouvelles règles, nouveaux délais… s’adapter à la procédure
Côté contentieux, les praticiens vont devoir s’approprier le règlement de procédure de la JUB, lequel emprunte à plusieurs traditions juridiques. C’est « un dispositif à tiroirs », dont les règles pourraient « être appliquées différemment en fonction des habitudes locales », poursuit Grégoire Triet. Autre particularité : la procédure devrait être plus rapide qu’en France, avec un juge rapporteur et des délais assez courts à chaque étape. Objectif : rendre la décision dans les douze mois. Un rythme inspiré du système britannique, plus coûteux en raison de la discovery, mais où la décision est rendue en huit mois en moyenne. Alors qu’en France, il est plus facile et fréquent de négocier les délais. Pour les avocats français, cela pourrait impliquer « de mobiliser beaucoup de ressources simultanément, il va falloir travailler un peu au rythme des fusions-acquisitions », estime l’avocat.
Faut-il s’attendre à une forme d’attentisme de la part des entreprises et de leurs conseils lors des débuts de la JUB ? « Oui, il est possible que certains préfèrent “attendre pour voir” », répond le président de l’UJUB, Thierry Sueur. Même si cette nouvelle juridiction ne va pas venir tout changer : « elle va réunir des juges européens qui se connaissent et ont déjà l’habitude d’échanger entre eux, et dont les jurisprudences ne sont pas foncièrement différentes même si elles ne sont toujours convergentes ». Quid du rythme imposé par la procédure ? « C’est un système moins souple sur les délais, il faut s’y habituer, c’est surtout une question d’organisation. »
La JUB, « il n’y a pas de question à se poser, il faut y aller »
Pour la présidente de l’Association des spécialistes de propriété industrielle en industrie, Géraldine Guéry-Jacques, il n’y a pas lieu d’hésiter face à cette nouvelle juridiction. « Ce sera l’unique système après la phase de transition [de sept ans, renouvelable une fois], donc il n’y a pas de question à se poser, il faut y aller, peut-être pas pour l’ensemble du portefeuille brevets, mais il faut adopter une posture “je teste et j’apprends”. » Ceci dit, il va falloir « élargir assez vite la couverture géographique » pour rendre le dispositif « plus attractif », a-t-elle souligné, en regrettant que tous les pays participants n’aient pas encore ratifié l’accord et que le Royaume-Uni soit exclu du dispositif. La JUB est « un magnifique outil » qui réunit « les meilleures pratiques nationales : je pense aux actions en contrefaçon et en validité mais aussi à la saisie-contrefaçon qui est très connue et reconnue en France, aux mesures et interdictions provisoires et aux moyens de protective letter ». Certes, c’est « un système plus complexe » et « il faudra dompter cet animal ». Mais « il y a une haute qualité des décisions qui est attendue de cette future juridiction et de ses juges spécialisés » et « je pense que le succès de la JUB, de par la qualité de ses décisions, assurera le succès du brevet unitaire ».
Une opportunité pour les praticiens français de la PI ?
L’entrée en vigueur de la JUB va également rebattre les cartes en termes de concurrence entre les praticiens européens de la PI. « Dans ce système, tous les avocats et conseils en propriété industrielle sont sur la même ligne de départ », rappelle Thierry Sueur. Et « une des raisons pour lesquelles les Français ont l’air de se mettre en ordre de marche est qu’ils ont plus à gagner que les Allemands ou les Anglo-Saxons », qui occupent déjà une place prépondérante sur ce marché. « Je pense que les praticiens français ont là une opportunité de récupérer plus de dossiers qu’ils n’en avaient auparavant. »
« Jusqu’à présent, chacun était maître chez soi, et ce sont les avocats français qui géraient les contentieux en France », explique Grégoire Triet. Avec la JUB, « en théorie, tout le monde pourra faire sa procédure partout. L’anglais sera inévitablement la première langue utilisée, avec l’allemand. Le français le sera moins parce que le français est beaucoup moins utilisé comme langue de dépôt des brevets européens et demain du brevet unitaire. Cela va ouvrir la concurrence dans des proportions qui sont difficiles à évaluer », estime l’avocat.
Un enjeu juridique, économique et géopolitique pour l’Europe
Reste l’objectif premier de la JUB qui est d’apporter de la cohérence dans l’application et l’interprétation du droit européen des brevets, de donner corps à une jurisprudence européenne harmonisée, et « ainsi assurer aux acteurs économiques une sécurité juridique en matière d’innovation technologique au sein d’un véritable marché unique européen », pointe Thierry Sueur.
Sur le plan économique, l’ambition est de créer « un marché technologique de la dimension des marchés mondiaux les plus importants », comme les États-Unis ou la Chine. Même limité aux seuls treize États membres qui ont ratifié l’accord pour l’instant, « c’est un marché de 10 000 milliards d’euros de PIB, un marché très significatif et qui va grossir » à mesure que les autres pays participants vont rejoindre le dispositif. L’entrée en vigueur du paquet brevet européen permettra « d’approcher l’Union européenne comme un marché unique en matière de propriété intellectuelle », poursuit-il. Y compris sur le plan géopolitique. « Alors qu’aujourd’hui, il y a toujours un moyen d’entrer sur le marché en passant par un pays ou un autre, demain, nous allons former un bloc vis-à-vis de nos concurrents. Et la possibilité d’interdire l’accès au marché européen grâce à un seul juge va changer le regard sur l’Europe. »
Sous réserve qu’un nouvel obstacle ne vienne à nouveau empêcher le projet d’aller jusqu’au bout.
* Créée en 2013, l’Union pour la juridiction unifiée du brevet (UJUB) réunit l’Association des amis du Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle, l’Association des avocats de propriété industrielle, l’Association des conseils en propriété industrielle, l’Association française des entreprises privées, l’Association française pour la protection de la propriété industrielle, le groupe français de l’Association pour la protection de la propriété intellectuelle, l’Association des praticiens européens des brevets, l’Association française des spécialistes en propriété industrielle de l’industrie, le comité français de la Chambre de commerce internationale, la Confédération des petites et moyennes entreprises, la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle, la Société française membre de la Licensing Executives Society International, le MEDEF et l’ordre des avocats à la cour de Paris.
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