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CEDH : condamnation de la France sur le fondement de l’article 2 de la Convention européenne

Sur le fondement d’une violation du volet procédural de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour européenne a condamné la France à verser 20 000 € pour dommage moral au requérant, blessé par arme à feu par un policier lors de son interpellation.

par Dorothée Goetzle 27 mai 2019

Durant la nuit du 8 mars 2000, un individu contactait les forces de l’ordre et leur indiquait que deux hommes menaçants avaient escaladé la façade de son immeuble et tentaient de cambrioler les appartements. Dès leur arrivée sur les lieux, les policiers prenaient contact avec cet informateur qui désignait deux hommes assis sur un banc comme étant les auteurs des faits. Durant l’interpellation de ces deux individus, un policier, acculé contre un grillage et menacé avec un couteau à cran d’arrêt, faisait, après plusieurs sommations, usage de son arme de service. La personne interpellée était blessée. Invoquant l’article 2 de la Convention européenne, cet individu se plaignait de la mise en danger de sa vie du fait de l’usage de la force dont il avait été victime. En outre, toujours sur ce fondement, il reprochait aux autorités de ne pas avoir mené une enquête effective au sujet des conditions dans lesquelles le policier avait fait usage de son arme. 

Ce n’est pas la première fois que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) se pose la question de la violation de l’article 2 alors que la victime alléguée d’une opération des forces de l’ordre n’est pas décédée des suites de l’usage d’une arme. La particularité de ces situations est que, comme en l’espèce, c’est par pur hasard que le requérant a eu la vie sauve, eu égard au degré et au type de force employée, étant précisé que la balle avait été tirée à bout portant. C’est donc sans surprise, compte tenu de la gravité des faits, que la Cour européenne considère que l’intéressé a été victime d’une conduite qui, par sa nature, a mis sa vie en danger, quand bien même il a survécu à ses blessures.

Dans cet arrêt, la première question à laquelle devait répondre la CEDH est de déterminer si, en l’espèce, la force utilisée pour permettre l’interpellation était « absolument nécessaire » et si elle avait un caractère strictement proportionné, compte tenu de la situation à laquelle était confronté le policier. Acculé contre un grillage et menacé avec un couteau par un individu agressif et fortement alcoolisé, le fonctionnaire de police pouvait raisonnablement penser qu’il n’avait d’autre solution que d’utiliser son arme pour neutraliser son agresseur. La Cour européenne reconnaît que, dans les circonstances dans lesquelles les faits se sont déroulés, le policier croyait honnêtement et sincèrement qu’il était nécessaire de recourir à l’usage de son arme. Ce faisant, la CEDH admet que le recours à la force contre le requérant procédait d’une intime conviction s’appuyant sur des raisons qui pouvaient paraître légitimes au moment des faits. Elle estime donc que l’usage de la force, aussi regrettable qu’il soit, n’a pas dépassé ce qui était « absolument nécessaire » pour « assurer la défense de toute personne contre la violence » et, notamment, « effectuer une arrestation régulière ».

En conséquence, et à l’unanimité, la Cour européenne considère qu’il n’y a pas eu violation du volet matériel de l’article 2 de la Convention.

Toutefois, et sans surprise, la CEDH ne se limite pas à cette seule approche matérielle de l’article 2 de la Convention européenne. Eu égard à son caractère fondamental, cette disposition emporte également une obligation procédurale de mener une enquête effective quant aux violations alléguées en leur volet matériel (CEDH 28 oct. 1998, req. n° 24760/94, Assenov et autres c. Bulgarie, § 101-106, Rec. CEDH 1998-VIII ; D. 1999. 266 , obs. P. Hennion ; RSC 1999. 384, obs. R. Koering-Joulin ). La dualité de cette disposition se justifie par des considérations pratiques évidentes. En effet, l’interdiction légale posée par l’article 2 aux agents de l’État de procéder à des homicides arbitraires serait en pratique inefficace s’il n’existait pas de procédure permettant de contrôler la légalité du recours à la force meurtrière par les autorités de l’État. C’est pourquoi l’obligation de protéger le droit à la vie combinée avec le devoir général incombant à l’État en vertu de l’article 1er de la Convention européenne de reconnaître à toute personne relevant de sa juridiction les droits et libertés définis dans la Convention implique et exige de mener une forme d’enquête officielle efficace lorsque le recours à la force, notamment par des agents de l’État, a entraîné mort d’homme (CEDH 27 juill. 1998, req. n° 21593/93, Güleç c. Turquie, RSC 1999. 384, obs. R. Koering-Joulin ) ou, comme c’est le cas en l’espèce, lorsque la force employée par le policier a mis la vie d’une personne en danger. En d’autres termes, il incombe en l’espèce à la Cour européenne de s’assurer que l’État a adopté une réaction adéquate – judiciaire ou autre – pour que le cadre législatif et administratif de protection du droit à la vie soit effectivement mis en œuvre et pour que, le cas échéant, les violations de ce droit soient réprimées et sanctionnées.

Or, en l’espèce, la Cour relève d’abord qu’en dépit des blessures dont souffrait le requérant, seule une enquête relative aux faits qui lui étaient reprochés était dans un premier temps diligentée. Ainsi, l’intéressé était cité devant le tribunal correctionnel pour violences volontaires sans incapacité totale de travail sur personne dépositaire de l’autorité publique avec usage d’une arme. Le tribunal prononçait la nullité de la procédure notamment en raison du caractère irrégulier de la saisie du couteau et de la notification tardive des droits du requérant lors de sa garde à vue. En ce qui concerne ensuite l’enquête relative aux blessures subies par le requérant, la CEDH déplore notamment l’absence d’expertise médicale complète de la victime et d’expertise balistique. Elle constate que c’est à l’initiative du requérant qu’une information judiciaire a pu être ouverte, plus de deux ans après les faits. Or, pour la Cour, les autorités auraient dû agir d’office (CEDH 4 oct. 2007, req. n° 58643/00, Gontcharouk c. Russie, § 67).

Aux yeux des juges de Strasbourg, les lacunes de la première enquête, relative aux faits reprochés au requérant, puis le retard avec lequel l’information sur les blessures subies par le requérant a été ouverte ont nécessairement eu des conséquences sur l’effectivité de la procédure. De plus, la CEDH souligne que la durée de l’instruction était « relativement longue » (huit ans).

En conséquence, et à l’unanimité, la Cour européenne des droits de l’homme considère qu’il y a eu violation du volet procédural de l’article 2 de la Convention.