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CEDH : expulsion collective d’étrangers contraire à la Convention

Selon la CEDH, constitue une expulsion collective d’étrangers contraire à la Convention, le renvoi immédiat vers le Maroc par l’Espagne d’un groupe de migrant sub-sahariens tentant de pénétrer sur son territoire.

par Elisabeth Autierle 17 octobre 2017

Le 13 août 2014, deux ressortissants de nationalités malienne et ivoirienne ainsi qu’un groupe de migrants sub-sahariens tentent de pénétrer sur le territoire espagnol en escaladant les clôtures entourant l’enclave de Melilla.

Appréhendés par la Guardia Civil, ils sont reconduits avec 75 à 80 autres migrants immédiatement vers le Maroc en faisant ni l’objet d’une procédure d’identification, ni la possibilité de s’exprimer sur leurs circonstances personnelles et d’être assistés par des avocats, médecins ou interprètes.

Dans ces circonstances, les deux ressortissants estiment avoir fait l’objet d’une expulsion collective contraire à la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH), dépourvue de toute base légale en l’absence de tout examen individualisé et d’assistance juridique, ils invoquent une violation de l’article 4 du protocole n° 4 à la Convention (interdiction d’expulsions collectives d’étrangers). De plus, en dénonçant leur impossibilité d’établir leur identité, faire valoir leurs circonstances individuelles et contester leur refoulement vers le Maroc devant les autorités nationales, ils allèguent une violation de l’article 13 de la Conv. EDH (droit à un recours effectif) combiné à l’article 4 du protocole n° 4 à la Convention.

Par son arrêt rendu le 3 octobre 2017, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) revient dans un premier temps sur les principes jurisprudentiels qu’elle a développés en matière d’expulsions collectives relatives à la violation de l’article 4 du protocole n° 4 à la Conv. EDH. En outre, la Cour souligne que la notion « d’expulsion collective » se réfère à « toute mesure contraignant des étrangers, en tant que groupe, à quitter un pays, sauf dans les cas où une telle mesure est prise à l’issue et sur la base d’un examen raisonnable et objectif de la situation particulière de chacun des étrangers qui forment le groupe » (CEDH 15 déc. 2016, Khlaifia et autres c/ Italie, n° 16483/12, §§ 237 s. ; D. 2017. 261, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ) et précise que la mise en œuvre de ces décisions joue un rôle évident dans l’appréciation du respect de l’article 4 du protocole n° 4 à la Conv. EDH (CEDH 3 juill. 2014, Géorgie c/ Russie (I), n° 13255/07, § 167, Dalloz actualité, 30 juill. 2014, obs. N. Nalepa isset(node/167941) ? node/167941 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>167941).

Aussi, elle réitère les garanties découlant de l’article 4 du protocole n°4 permettant notamment d’éviter que les États éloignent un groupe d’étrangers de leur territoire sans effectuer au préalable un examen de leur situation personnelle et la possibilité d’exposer leurs arguments s’opposant à une telle expulsion (CEDH 23 févr. 2012, Hirsi Jamaa et autres, n° 27765/09, § 184, AJDA 2012. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2013. 324, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; RFDA 2013. 576, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ).

En l’espèce, alors que le gouvernement espagnol conteste la qualification « d’expulsion collective d’étrangers » au sens de la Convention, la CEDH souligne que l’« expulsion s’entend d’un acte juridique ou d’un comportement attribuable à un État par lequel un étranger est contraint de quitter le territoire de cet État » (§ 103) et en conclut « qu’il ne fait pas de doute que les requérants, qui se trouvaient sous contrôle continu et exclusif des autorités espagnoles, ont été éloignés et renvoyés vers le Maroc contre leur gré, ce qui constitue clairement une « expulsion » au sens de l’article 4 du Protocole n° 4 » (§ 105). Enfin, les deux ressortissants ayant été refoulés avec un groupe de 75 à 80 migrants - mesure revêtant alors un caractère d’ordre général - la question des garanties suffisantes attestant une prise en compte réelle et différencier de la situation des personnes concernées ne peut se poser en l’espèce.

Dans un second temps, conformément à sa jurisprudence relative à l’appréciation du respect de l’article 13 de la Conv. EDH combiné à l’article 4 du protocole n° 4, la CEDH rappelle que le « recours exigé par cet article doit être effectif en pratique comme en droit » (Hirsi Jamaa et autres, préc., § 197, et Khlaifia et autres, préc., § 268). En l’espèce, en l’absence de toute procédure d’identification de la situation personnelle des ressortissants, la Cour établie un lien évident entre les expulsions collectives dont ils ont fait l’objet (violation de l’art. 4 du prot. n° 4) et leur privation d’accéder à une procédure nationale satisfaisant aux exigences de l’article 13 de la Convention. Ainsi, les circonstances de l’affaire et le caractère immédiat de leur expulsion de facto, suffisent à entraîner une violation de l’article 13 de la Convention combiné à l’article 4 du protocole n° 4.

Dans un contexte de crise migratoire, l’arrêt de ce jour ne représente que la 6e affaire où la CEDH a conclu à la violation de l’article 4 du protocole n° 4 à la Convention (CEDH 5 févr. 2002, Conka c/ Belgique, n° 51564/99, AJDA 2001. 1060, chron. J.-F. Flauss ; 23 févr. 2012, Hirsi Jamaa et autres c/ Italie, préc. ; 3 juill. 2014, Géorgie c/ Russie (I), préc. ; 20 déc. 2016, Berdzenishvili et autres et Shioshvili et autres c/ Russie, n° 19356/07 ; 21 oct. 2014, Sharifi et autres c/ Italie et Grèce, n° 16643/09, RTD eur. 2016. 343, obs. F. Benoît-Rohmer )

Si la Cour confirme son attachement aux « nouveaux défis » auxquels doivent faire face les États européens dans la gestion des flux migratoires dus au contexte de crise et aux récentes mutations sociale et politique intervenues dans certaines régions d’Afrique et du Moyen-Orient, elle réaffirme néanmoins leur interdiction de recourir à des pratiques incompatibles à la Convention et ses protocoles en la matière (§ 101).