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CEDH : motivation d’un arrêt d’une cour d’assises spécialement composée

L’absence de motivation d’une décision rendue par une cour d’assises spécialement composée n’est pas contraire à la Convention dès lors que l’ordonnance de mise en accusation est très motivée et que les questions posées contiennent des indications précises sur la nature des faits reprochés au requérant. 

par Sébastien Fucinile 20 juin 2018

Par un arrêt rendu le 18 mai 2016, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est prononcée une nouvelle fois sur l’exigence de motivation des arrêts d’assises. Il s’agissait en l’espèce de poursuites pour trafic de stupéfiants en bande organisée, emportant la compétence de la cour d’assises spéciale, composée de magistrats professionnels uniquement (C. pr. pén., art. 706-27). L’arrêt de la cour d’assises, comme celui de la cour d’assises d’appel, n’avait pas fait l’objet d’une motivation, puisqu’il avait été rendu avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011. La CEDH a cependant constaté que « si l’ordonnance de mise en accusation avait une portée limitée, puisqu’elle intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès, la Cour constate néanmoins qu’elle était en l’espèce particulièrement motivée quant aux faits reprochés, présentant longuement et de manière très circonstanciée les évènements ». Elle a ensuite ajouté que les questions posées « contenaient des indications précises sur la nature des faits reprochés au requérant ». Elle a donc rejeté le grief tiré de l’atteinte à l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette position de la CEDH est désormais classique mais mérite quelques explications.

Même si l’article 6 de la Convention européenne ne le mentionne pas explicitement, il découle du droit au procès équitable l’obligation pour les tribunaux de motiver leurs décisions (CEDH 19 avr. 1994, Van den Hurk c. Pays-Bas, req. n° 16034/90, § 59, AJDA 1994. 511, chron. J.-F. Flauss ; ibid. 1995. 124, chron. J.-F. Flauss ). Pour autant, la CEDH fait preuve de souplesse s’agissant de la motivation par les juridictions composées d’un jury populaire. Elle estime ainsi que, lorsque les questions posées sont précises et non équivoques et permettent de compenser l’absence de motivation, l’article 6 de la Convention est respecté (CEDH, gr. ch., 16 nov. 2010, Taxquet c. Belgique, req. n° 926/05, § 90, D. 2011. 47, obs. O. Bachelet , note J.-F. Renucci ; ibid. 48, note J. Pradel ; Just. & cass. 2011. 241, étude C. Mathon ; AJ pénal 2011. 35, obs. C. Renaud-Duparc ; RSC 2011. 214, obs. J.-P. Marguénaud ; GAPP, 7e éd. 2011, n° 42). Cette position a conduit la CEDH à condamner la France lorsque les questions posées sont insuffisantes et ne permettent pas de comprendre la condamnation prononcée par la cour d’assises (CEDH 10 janv. 2013, Agnelet c. France, req. n° 61198/08, § 71, AJDA 2013. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2013. 615, et les obs. , note J.-F. Renucci ; AJ pénal 2013. 336, note C. Renaud-Duparc ; RSC 2013. 112, obs. J. Danet ; ibid. 158, obs. J.-P. Marguénaud ; v. aussi CEDH 24 févr. 2015, Magy c. Belgique, req. n° 43137/09, § 37).

La présence d’un jury populaire justifie ainsi pour la CEDH l’absence d’une motivation explicite, laquelle est cependant compensée, tout à la fois par une ordonnance de mise en accusation très étayée et par des questions suffisamment nombreuses et précises compte tenu des faits reprochés. On aurait alors pu penser qu’une telle position ne serait pas transposée pour un arrêt rendu par une cour d’assises spécialement composée, c’est-à-dire, conformément à l’article 696-8 du code de procédure pénale, composée uniquement de magistrats professionnels. Pourtant, dans un précédent arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme avait affirmé qu’« au regard des spécificités de cette procédure, largement similaire à celle d’une cour d’assises avec intervention d’un jury populaire, [il est pertinent] d’examiner le grief du requérant à la lumière des principes dégagés dans son arrêt Taxquet » (CEDH 19 déc. 2017, Ramda c. France, req. n° 78477/11, § 64, Dalloz actualité, 9 janv. 2018, obs. E. Autier ; AJ pénal 2018. 153, obs. S. Lavric ). La Cour européenne admet donc l’absence de motivation des arrêts rendus par les cours d’assises composées uniquement de magistrats professionnels, à la condition qu’une motivation très étayée apparaisse dans l’ordonnance de mise en accusation mais aussi et surtout que les questions posées aux magistrats contiennent « des indications précises sur la nature des faits reprochés au requérant ».

Il faut rappeler que la question de la motivation des arrêts d’assises ne se pose désormais en ces termes que pour les arrêts rendus avant le 1er janvier 2012. En effet, le législateur a instauré la motivation de la décision sur la culpabilité par la loi du 10 août 2011. L’article 365-1 du code de procédure pénale prévoit en effet, en cas de condamnation, une motivation consistant « dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises », motivation devant figurer dans un document annexé à la feuille des questions. Le législateur était intervenu alors même que le Conseil constitutionnel n’avait pas vu dans l’absence de motivation des arrêts d’assises un motif d’inconstitutionnalité (Cons. const. 1er avr. 2011, n° 2011-113/115 QPC, Dalloz actualité, 5 avr. 2011, obs. S. Lavric ; ibid. 1156, point de vue J.-B. Perrier ; ibid. 1158, chron. M. Huyette ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJ pénal 2011. 243, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions 2011. 361, obs. A. Cappello ; RSC 2011. 423, obs. J. Danet ). Mais très récemment, le Conseil constitutionnel a censuré l’absence d’obligation de motiver la peine prononcée découlant de l’article 365-1 du code de procédure pénale (Cons. const. 2 mars 2018, n° 2017-694 QPC, Dalloz actualité, 6 mars 2018, obs. D. Goetz , note A. Botton ; JCP 2018. 457, note H. Matsopoulou ; Dr. pénal 2018. Étude 9, obs. D. Guérin ; ibid. Comm. 72, obs. E. Bonis ; LPA 4 avr. 2018, n° 68, p. 9, note S. Fucini ; Gaz. Pal. 10 avr. 2018, p. 18, note M. Airiau). Si la déclaration d’inconstitutionnalité a été reportée au 1er mars 2019, le Conseil constitutionnel a imposé, pour les arrêts d’assises rendus à l’issue d’un procès ouvert après la date de la décision, la motivation, dans la feuille de motivation prévue par l’article 365-1, des principaux éléments ayant convaincu la cour dans le choix de la peine. Les exigences constitutionnelles, allant au-delà des exigences conventionnelles, conduisent désormais à imposer tout à la fois la motivation quant à la culpabilité et la motivation quant à la peine prononcée. Le contentieux sur la motivation des arrêts d’assises devant la Cour européenne des droits de l’homme devrait alors se tarir, sauf à ce qu’elle se prononce sur le caractère suffisant de la motivation.