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CEDH : procédure disciplinaire contre un magistrat s’étant exprimé sur une affaire en cours

Le changement d’affectation imposé par le Conseil supérieur des juges et des procureurs à un magistrat turc en raison de propos tenus publiquement sur une affaire pénale en cours a méconnu les articles 6, § 1 et 10 de la Convention, et l’utilisation faite dans la procédure disciplinaire d’éléments provenant d’une surveillance judiciaire a enfreint l’article 8. 

par Sabrina Lavricle 16 mars 2021

En 2009, une procédure disciplinaire fut engagée contre le requérant, qui exerçait alors les fonctions de procureur de la République près la Cour de cassation turque et présidait l’association de magistrats Yarsav. Il lui était reproché d’avoir, par ses agissements et ses déclarations aux médias (notamment dans le cadre du procès Ergenekon, du nom d’une organisation soupçonnée de se livrer à des activités visant à renverser par la force le gouvernement), porté atteinte à la dignité et à l’honneur de sa profession. En 2011, la formation compétente du Conseil supérieur des juges et des procureurs (CSJP) estima les faits avérés et décida de lui infliger la sanction de changement de lieu d’affectation. Pour ce faire, elle retint notamment qu’en visant directement les juges et les procureurs impliqués et en faisant des déclarations politiques illégales, le requérant s’était efforcé d’influer sur l’affaire pénale en cours, en tirant profit de son titre officiel et en cherchant à influencer l’opinion publique. En 2012, le requérant forma une demande de réexamen puis une demande de révision qui furent toutes deux rejetées. Il fut nommé à Istanbul en tant que juge, puis, une fois la sanction devenue définitive, il fut muté à Çankırı en juin de la même année. Par la suite, il formula une demande de rectification – qui fut rejetée – puis un réexamen qui fut finalement admis à la faveur de l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle instaurant ce recours, et la sanction disciplinaire initiale fut remplacée par un blâme. Dans le cadre de deux enquêtes pénales portant sur l’organisation Ergenekon, le téléphone du requérant fut mis sous surveillance pendant plus de six mois à l’issue desquels un non-lieu fut prononcé.

Le requérant saisit la Cour européenne des droits de l’homme d’une violation des articles 6, § 1, 10 et 8 de la Convention notamment, garantissant respectivement le droit à un procès équitable (lequel implique le droit d’accès à un juge), le droit à la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée.

Avant de se prononcer sur ces différents griefs, la Cour devait examiner deux exceptions préliminaires présentées par le gouvernement turc, lequel entendait déduire du remplacement de la sanction litigieuse par un blâme un abus du droit de recours et l’absence de qualité de victime du requérant. À cet égard, la Cour relève qu’« il n’est pas soutenu que l’allégement de la sanction initiale, qui constitue un fait nouveau intervenu après l’introduction de la présente requête, aurait entraîné rétroactivement l’effacement des conséquences de celle-ci » (§ 51), les charges disciplinaires demeurant inchangées et les griefs du requérant portant sur la sanction initiale, qui a bien été exécutée. Elle en déduit qu’il n’y a pas abus du droit de recours individuel. Par ailleurs, elle estime que le requérant a bien conservé sa qualité de « victime » dès lors que les autorités nationales n’ont ni reconnu ni réparé la violation...

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