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CEDH : quand les assureurs mènent l’enquête

La requête de deux époux ayant fait l’objet d’une surveillance, dans des lieux publics, par les détectives d’une assurance, et se plaignant ainsi d’une violation de leur droit au respect de la vie privée, est manifestement mal fondée.

par Nicolas Nalepale 4 février 2019

Assis côté passager, un résident suisse fut victime d’un accident de la circulation. S’ensuivirent, selon ses dires, plusieurs crises d’épilepsie et des douleurs au bras gauche. Il intenta partant deux actions en réparation à l’encontre des conducteurs et de leurs assureurs, ses revendications s’élevant tout de même à 1 777 353 €.

L’assureur de ce monsieur – lequel tenait à faire constater l’existence d’un tel dommage – mandata pour le surveiller une agence de détectives privés. Les opérations mises en œuvre dans ce cadre eurent toutes lieu en public et montrèrent in fine que l’intéressé pouvait, sans difficulté particulière, porter des charges ou encore astiquer sa voiture. De plus, son épouse apparaissait sur six photographies où elle demeurait difficilement identifiable.

À partir de là, les juridictions internes rejetèrent, d’un côté, les actions en responsabilité civile de l’assuré et, de l’autre, qu’il avait introduites avec sa femme pour atteinte à leur personnalité découlant de la surveillance en cause. Il ne leur restait qu’à saisir la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ou du droit au respect de la vie privée qu’il garantit.

Dans sa décision, la Cour européenne des droits (CEDH) note d’emblée que la relation existant entre cette assurance de responsabilité civile et son assuré relève du droit privé (v. a contrario CEDH 18 oct. 2016, req. n° 61838/10, Dr. soc. 2017. 355, étude G. Raimondi , où l’assureur est considéré comme une entité publique dont l’action est imputable à l’État). Ce n’est donc pas de l’ingérence d’un État dont il est ici question, mais plutôt des « obligations positives » qui pèsent sur lui et qui sont inhérentes à un respect effectif de la vie privée (ouverture de voies de recours spécifiques, contrôle de proportionnalité de l’atteinte quant au but poursuivi). Dès lors, un parallèle est établi avec une affaire similaire qui concernait déjà la Suisse (v. CEDH 28 juin 2001, req. n° 41953/98, Dalloz jurisprudence). Ce faisant, la Cour observe que « les juges nationaux ont fait une analyse approfondie des intérêts concurrents [en présence] » : en retenant notamment que « les investigations de l’assureur, effectuées à partir du domaine public et limitées à la constatation de la mobilité du requérant, visaient uniquement à préserver les droits patrimoniaux de l’assurance », ceux-ci ont pu en conclure que l’atteinte à la personnalité du requérant n’était pas illicite (§ 17). En ce qui concerne ensuite la requérante, la Cour européenne estime que « les informations éparses, recueillies par hasard et sans aucune pertinence pour l’investigation, étaient loin de constituer une collecte systématique ou permanente » (§ 18 ; v. encore entre autres CEDH, gr. ch., 4 déc. 2008, nos 30562/04 et 30566/04, Dalloz actualité, 17 déc. 2008, obs. M. Lena ; D. 2010. 604, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ pénal 2009. 81, obs. G. Roussel ; RFDA 2009. 741, étude S. Peyrou-Pistouley ; RSC 2009. 182, obs. J.-P. Marguénaud ). Il n’y a donc pas eu d’ingérence dans la vie privée de cette dernière. Et puisqu’« aucune apparence de violation de l’article 8 » n’est constatée, la Cour européenne à l’unanimité déclare la requête irrecevable (§ 19).

En France, ces opérations de surveillance et de filature diligentées par certains assureurs ne sont pas encadrées par la loi. Cependant, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de montrer comment elle aussi se livrait dans ce genre d’affaire à un contrôle de proportionnalité, au regard du but recherché, entre l’atteinte portée à la vie privée et les autres intérêts en présence – l’assureur ayant l’obligation d’agir dans l’intérêt de la collectivité des assurés (v. not. Civ. 1re, 22 sept. 2016, n° 15-24.015, D. 2017. 490, note B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia ; ibid. 2018. 259, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Just. & cass. 2017. 98, rapp. S. Canas ; ibid. 106, avis A. Ride ; RTD civ. 2016. 821, obs. J. Hauser ).