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Centres de rétention : étrangers et policiers face au coronavirus

Alors que le contentieux de la liberté des personnes retenues en centre de rétention administratif est toujours actif, se pose la question de la nécessité de maintenir des personnes enfermées, dans des conditions sanitaires non optimales, et alors que plusieurs pays, dont l’Algérie et le Maroc, ont fermé leurs frontières et leur liaison aérienne.

par Julien Mucchiellile 19 mars 2020

Au premier jour du confinement sanitaire, mardi 17 mars, la cour d’appel de Rouen inaugurait la visioconférence pour le contentieux des libertés en droit des étrangers, qui fait partie des contentieux d’urgence maintenus en cette période de pandémie. Les avocats habituellement organisés en « défense massive », décident « au vu des circonstances », dit Me Vincent Souty, de n’y aller qu’à deux, avec Me Cécile Madeline. Première audience vidéo : un Soudanais apparaît à l’écran, dans une minuscule salle de type salle d’entretien avec avocat, entouré de près par deux fonctionnaires de police. Il ne parle pas français, le seul interprète disponible ne peut intervenir qu’au téléphone, qu’on place sous la vidéo, en haut-parleur, pour une « conf’call » judiciaire inédite. Le retenu suivant est arrivé menotté, en contact physique étroit avec les fonctionnaires qui Cl’escortent. « Ni les retenus, ni les fonctionnaires ne portaient de masques. Le policier avait même posé sa main sur le bras du retenu », rapporte Vincent Souty. « Le gouvernement demande à tout le monde de se confiner, et au centre de rétention administrative (CRA), ils se font des papouilles ! » ironise-t-il. « À un moment, on voyait quatre policiers et le retenu dans un tout petit espace », témoigne Cécile Madeline. 

Devant le juge des libertés et de la détention (JLD), les avocats ont déploré que « le préfet ait pris le risque sanitaire de placer M. (un ressortissant Algérien) en rétention, alors qu’il y a de forts risques de contamination au centre de Oissel », est-il écrit sur l’ordonnance. Puis, ils listent : au centre de rétention administrative de Oissel en Seine-Maritime (76), d’où ces retenus comparaissent, les occupants – ceux qui restent – sont livrés à eux-mêmes, sans consigne ni matériel. Les retenus dorment à six par chambre et se déplacent à leur gré à l’intérieur du centre. Les personnels de nettoyage et les associations qui offrent une assistance juridique aux personnes retenus ont exercé leur droit de retrait, mais la cantine fonctionne ; ainsi, tout le monde peut se réunir à table, dans le réfectoire du CRA. Ni les fonctionnaires de police, ni les retenus ni disposent de masque ou de gel hydroalcoolique, et les quantités de savon disponibles n’ont pas été augmentées. Ils ne disposent d’aucun mouchoir jetable, mais pour occuper les retenus, un baby-foot (qui n’est pas le divertissement idéal pour freiner la propagation d’un virus) a été mis à leur disposition.

Interrogé sur le manque de matériel, le ministère de l’Intérieur affirme que « les personnels policiers intervenant dans les CRA ont reçu en dotation des équipements de protection appropriés ». Mais le fait même que des ordonnances de prolongation de rétention et des appels de la préfecture soient intervenus ce week-end encore, interroge sur la stratégie adoptée en temps de crise, alors que l’administration, malgré le matériel qu’elle dit avoir mis à la disposition des fonctionnaires de Police, ne semble pas être à même de faire respecter les règles sanitaires indispensables à la limitation de la propagation du virus. Dans un communiqué commun, les organisations membres de l’observatoire de l’enfermement des étrangers, dont le syndicat de la magistrature, estiment que « leur [les retenus] libération immédiate est une exigence absolue, tant juridique que sanitaire ».

Sur ce point, le ministère de l’Intérieur explique que « seuls les étrangers en situation irrégulière qui ne présentent pas de symptômes évocateurs d’une infection par le covid-19 peuvent faire l’objet d’une procédure de placement en centre de rétention administrative (CRA). » Cette directive, en vigueur depuis mardi 17 mars, précise que « si lors de sa rétention, un étranger présente les symptômes évocateurs de l’infection par le covid-19, il est immédiatement placé en isolement dans une chambre simple et fait l’objet d’une évaluation médicale conduite par le médecin de l’unité médicale du CRA dans les meilleurs délais ».

Enfin, « si l’évaluation médicale conclut à une infection par le covid-19, la rétention est immédiatement levée de la rétention et se traduit soit par une assignation à résidence (s’il dispose d’un hébergement), soit par une prise en charge médicale. »

Le juge de la cour d’appel de Rouen a infirmé l’ordonnance de prolongation de rétention rendue le 14 mars. « Il apparaît en l’espèce que les consignes de sécurité, les mesures barrière recommandées pour lutter contre l’épidémie de coronavirus ne sont pas suffisamment respectées au centre de rétention administrative pour contrer la propagation de ce virus qualifié de pandémie mondiale », écrit-elle notamment. Les difficultés logistiques liées à la fermeture de frontières, d’aéroports sont également mentionnées, ainsi que les recommandations de l’OMS. En outre, la cour souligne qu’« éloigner M. […] alors que celui-ci vit en France, pays où le virus est actif et n’a pas atteint son développement maximum, alors qu’il est au centre de rétention où il a été noté que les mesures contre la contamination ne sont pas optimales, et même si M. était porteur sain, est un risque de faire rentrer le virus avec lui dans ce pays, de contaminer de nombreuses personnes et d’ainsi aider à la propagation du virus alors que toutes les mesures prises, y compris le confinement des personnes, ont un but contraire. » Tous les retenus de cette audience ont été libérés.

À Lyon, une JLD statuant sur la prolongation de la rétention d’un Albanais, a rendu une ordonnance semblable, en déclinant et détaillant tous les motifs qui la conduisaient à prendre cette décision. La juge rappelle la situation sanitaire, le manque de matériel dédié au tribunal pour assurer la sécurité de tous, les vaines tentatives de faire fonctionner la visioconférence, la non-adaptation des locaux, souvent exigus et ne permettant pas le respect des règles sanitaires. Elle juge, dans son ordonnance rendue mercredi, que tous ces éléments constituent des « circonstances insurmontables » et empêchent la tenue de l’audience.

Au CRA de Vincennes (qui est à Paris) et du Mesnil-Amelot (77), les conditions sanitaires sont semblables à celles du centre de Oissel. « La préfecture ne semble pas vouloir assumer la remise en liberté des personnes retenues », observe Me Patrick Berdugo. Seuls certains retenus ont été remis en liberté d’office, « ceux ressortissants de pays qui ont décidé la fermeture de leur espace aérien », explique Me Nayeli Magraner, qui représente un ressortissant colombien retenu au Mesnil-Amelot. Son client Mexicain a tenté, mercredi matin et sur papier libre, de déposer une DML au greffe du CRA, qui attend « un ordre de la préfecture », a-t-il été dit au retenu sans plus de précisions. En attendant d’éventuelles directives aux préfectures, c’est le juge qui libère les retenus. La cour d’appel de Paris, lundi 16 mars, a refusé le caractère suspensif de l’appel du parquet contre une ordonnance de mise en liberté rendue le 15 mars par le JLD et, le 17 mars, confirmé l’ordonnance du JLD. La plupart des décisions vont dans le même sens, mais pas toutes. Ainsi, mercredi 18 mars, la cour a maintenu un Malien en rétention au CRA de Vincennes (confirmant une ordonnance du JLD), estimant « qu’aucun cas de coronavirus n’a été dénoncé dans le centre de rétention administrative dans lequel se trouve l’intéressé, ledit centre comportant des unités dont, à la connaissance de la cour, le nombre de retenus par unité n’excède pas 50 personnes, lesdites personnes n’étant pas fixées dans une même pièce, par ailleurs, les vols pour le Mali ne sont pas, en l’état, suspendus ». Le fait qu’un test de dépistage du coronavirus n’ait été fait au CRA de Vincennes n’est pas mentionné dans la motivation de l’ordonnance. S’il est effectivement expulsé, le retenu sera placé en quatorzaine à son arrivée au Mali.

Au Mesnil-Amelot, il restait, mercredi à la mi-journée, environ 170 retenus répartis sur les deux centres. À Bordeaux, le CRA a été intégralement vidé de ses retenus mardi soir. « La Cimade nous a contacté, explique Victoire Tirol, avocate à Bordeaux, pour assister les personnes pour qui elle avait rédigé des DML. » La préfecture de la Gironde avait demandé la prolongation de la rétention de quatre personnes ; huit autres comparaissaient en raison d’une demande de mise en liberté de leur part. Dans la soirée, tous ont été libérés « Il convient de constater que cette situation de fait (la fermeture des liaisons aériennes, ndlr), instaurée pour une durée indéterminée, vide la mesure de rétention administrative, dont Monsieur fait l’objet, de toute perspective », est-il écrit dans l’une de ces décisions.

Le CRA de Bordeaux n’est pas resté longtemps vide. Dès mercredi, il a accueilli les six retenus du CRA d’Hendaye (qui a fermé) dont le JLD de Bayonne a refusé la mise en liberté, et deux du CRA de Mont-de-Marsan, dont la situation devrait être examinée par la cour d’appel de Bordeaux, qui pourrait tous les remettre en liberté.