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Cession de bail commercial et loi « activité professionnelle indépendante »

Aux termes de la réécriture partielle, l’article L. 145-16 du code de commerce par la loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail au bénéficiaire du transfert universel de son patrimoine professionnel sont réputées non écrites.

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante est venue réformer en profondeur le statut d’entrepreneur individuel dont les patrimoines personnel et professionnel sont désormais nettement distingués (C. com., art. L. 526-22, al. 2). En outre, grâce à un nouveau dispositif appelé « transfert universel du patrimoine professionnel » (C. com., art. L. 526-27 à L. 526-31), l’entrepreneur individuel peut céder l’intégralité de son patrimoine professionnel, qui est susceptible d’être composé d’un fonds de commerce ou d’un droit au bail commercial.

Une modification suscitée par la rédaction initiale du projet de loi

Lors de l’examen du texte au Parlement, M. Frassa, rapporteur au Sénat, a émis une réserve sur sa portée car il craignait que les règles protectrices de l’article L. 145-16 du code de commerce ne soient écartées. Pour rappel, cet article dispose que les clauses prohibant la cession d’un bail commercial avec un fonds de commerce sont réputées non écrites. À l’inverse, si aucun fonds n’est exploité, de telles clauses sont licites en vertu de l’article 1717 du code civil.

Or, dans le projet de loi initial déposé par le gouvernement, l’article L. 526-27 devait disposer que « ne sont pas applicables à la cession, à la transmission ou à l’apport en société du patrimoine professionnel d’un entrepreneur individuel les dispositions relatives à la transmission d’un fonds de commerce ou d’un bail commercial ». Très pertinemment, M. Frassa a fait remarquer dans son rapport que « l’intention du gouvernement est sans doute d’interdire au bailleur de s’opposer à la cession, afin de faciliter la transmission universelle du patrimoine professionnel. La rédaction proposée produit néanmoins un effet tout différent, puisqu’elle écarte l’application de règles protectrices pour le locataire, notamment celle qui prohibe les conventions tendant à lui interdire de céder son bail ».

M. Frassa a donc proposé la modification de l’article L. 145-16 du code de commerce pour que la prohibition des clauses relatives à la cession des baux commerciaux s’applique également au transfert universel de patrimoine professionnel. Le gouvernement a, semble-t-il, été convaincu par son argument et a émis un avis favorable à l’adoption de son amendement. Ainsi, l’alinéa 1er de l’article L. 145-16, qui entrera en vigueur le 15 mai 2022, est désormais rédigé en ces termes : « sont également réputées non écrites, quelle qu’en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu’il tient du présent chapitre à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise ou au bénéficiaire du transfert universel de son patrimoine professionnel ».

Une modification aux effets incertains

Que retenir de cette modification ?

• Premièrement, le régime des cessions de baux en dehors des transferts universels de patrimoine professionnel n’est pas modifié. Cela implique que les clauses interdisant la cession sont prohibées lorsqu’elles portent sur un bail où est exploité un fonds et qu’elles sont autorisées s’il n’y a pas de fonds. Par ailleurs, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation depuis 1958, les clauses aménageant les cessions sont autorisées (v. sur ce point Droit et pratique des baux commerciaux 2021/2022, Dalloz Action, n° 252.32).

• Deuxièmement, la règle est désormais claire : il ne peut être stipulé une clause interdisant de céder un bail commercial au bénéficiaire du transfert du patrimoine professionnel. En outre, bien que le nouvel article ne le dise pas, rien ne s’oppose, semble-t-il, à un aménagement conventionnel des cessions de baux commerciaux intervenant à l’occasion d’un transfert universel de patrimoine professionnel.

• Troisièmement, l’article L. 145-16 du code de commerce ne distingue pas selon que la transmission du droit au bail par un transfert universel de patrimoine professionnel se fait avec ou sans un fonds de commerce. Ainsi, la nouvelle rédaction pourrait avoir un effet quelque peu inattendu : les locataires n’exploitant pas un fonds de commerce pourraient céder leur bail commercial comportant une clause leur interdisant une telle cession en passant par la voie du transfert universel de patrimoine professionnel. Les juridictions seront sans doute amenées à trancher cette difficulté.

C’est que l’articulation entre les clauses relatives à la cession de bail et les clauses relatives au transfert universel de patrimoine n’est pas réglée par la loi. Or est-ce qu’une clause stipulée quant à la cession de bail s’appliquera nécessairement au transfert universel de patrimoine ? Par exemple, est-ce qu’une clause aménageant la cession de bail commercial avec fonds de commerce s’appliquera lors d’un transfert universel de patrimoine professionnel ? Intuitivement, il semble que cela devrait être le cas, mais le fait de distinguer les deux au sein même de l’article L. 145-16 pourrait amener des plaideurs à soutenir le contraire.

Conseil pratique : À l’avenir, il serait donc raisonnable de spécifier dans les contrats si les clauses relatives à la cession s’appliquent aux cessions de bail, aux transferts universels de patrimoine professionnel ou, comme cela sera voulu probablement par les bailleurs, aux deux.