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Chambre de l’instruction : exigence encadrée d’une notification du droit de se taire

Il se déduit de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme que la personne qui comparait devant la chambre de l’instruction, saisie de l’appel formé contre l’ordonnance du juge d’instruction le renvoyant devant une cour d’assises, doit être informé de son droit de se taire, la méconnaissance de cette obligation lui faisant nécessairement grief. 

par Sébastien Fucinile 6 juin 2019

Par un arrêt du 14 mai 2019, la chambre criminelle a étendu un peu plus le champ d’application du droit de se taire. Au visa de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle a affirmé que « la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction, saisie de l’appel formé contre l’ordonnance du juge d’instruction la renvoyant devant une cour d’assises, doit être informée de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ». Elle a ajouté que « la méconnaissance de l’obligation d’informer l’intéressé du droit de se taire lui fait nécessairement grief ». Au visa de cet attendu de principe, elle a ainsi cassé et annulé l’arrêt de la chambre de l’instruction qui avait ordonné la mise en accusation de l’intéressé et l’avait entendu sans lui avoir notifié le droit de se taire. Cet arrêt est particulièrement intéressant en ce que la notification du droit de se taire est exigée à peine de nullité par la chambre criminelle alors même que l’article 199 du code de procédure pénale ne prévoit pas la notification de ce droit à la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction. Des questions se posent alors sur la portée d’une telle exigence.

La chambre criminelle a ainsi affirmé que le droit de se taire devait, à peine de nullité, être notifié à la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction, lorsqu’elle est saisie de l’appel d’une ordonnance de renvoi devant une cour d’assises. L’article 199 du code de procédure pénale, qui régit le déroulement des débats devant la chambre de l’instruction, ne prévoit pas la notification d’un tel droit. Or, de nombreuses autres dispositions le prévoit, dans le cadre entre autres de l’audition libre (C. pr. pén., art. 61-1), de la garde à vue (C. pr. pén., art. 63-1), de l’interrogatoire de première comparution et des interrogatoires ultérieurs du mis en examen (C. pr. pén., art. 116), de l’audition du témoin assisté (C. pr. pén., art. 113-4), de la présentation au procureur de la République (C. pr. pén., art. 393), du jugement des délits (C. pr. pén., art. 406) et des crimes (C. pr. pén., art. 328) ou encore dans le cadre de la retenue pour violation du contrôle judiciaire (C. pr. pén., art. 141-4). Par renvoi aux dispositions applicables en première instance, la notification du droit de se taire s’impose également pour la chambre des appels correctionnels (C. pr. pén., art. 512, v. Crim. 8 juill. 2015, n° 14-85.699, Dalloz actualité, 29 juill. 2015, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2015. 555, obs. C. Porteron ). Mais le législateur n’a rien prévu de tel s’agissant de la comparution du mis en examen devant la chambre de l’instruction.

En l’espèce, le mis en examen, qui avait interjeté appel contre une ordonnance de mise en accusation, n’avait pas été informé de son droit de se taire lorsqu’il a comparu devant la chambre de l’instruction, aucun texte ne prévoyant la notification de ce droit devant la chambre de l’instruction. La Cour de cassation s’est exclusivement fondée sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme pour dire qu’une telle notification s’imposait. C’est en effet sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que la notification du droit de se taire s’est imposée. L’article 6 ne prévoit pas expressément le droit de se taire, contrairement à l’article 14, § 3, du pacte international des droits civils et politiques qui prévoit le droit de ne pas s’auto-incriminer. Mais la Cour a cependant eu l’occasion d’affirmer à maintes reprises que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination était au cœur de la notion de procès équitable et était donc protégé par l’article 6 (CEDH 8 févr. 1996, n° 18721/91, John Murray c/ Royaume-Uni ; 8 avr. 2004, n° 38544/97, Weh c/ Autriche ; 24 oct. 2013, n° 62880/11, Navone et autres c/ Monaco). La Cour a ainsi considéré que le droit de se taire doit en principe être signifié au suspect (CEDH 13 sept. 2016, n° 50541/08, Ibrahim c/ Royaume-Uni, § 273), même si elle a pu dire également que la présence d’un avocat pouvant informer le suspect de ce droit permet de respecter cette exigence (CEDH 14 oct. 2010, n° 1466/07, Brusco c/ France, § 54). L’article 6 imposant en principe la notification du droit de se taire à tout suspect entendu sur les faits qui lui sont reprochés, la Cour de cassation a considéré qu’une telle notification devait s’imposer au mis en examen entendu dans la cadre de l’appel d’une ordonnance de mise en accusation. En effet, la chambre de l’instruction, pour apprécier le renvoi de l’intéressé devant la cour d’assises, doit nécessairement s’interroger sur l’existence de charges suffisantes. Le mis en examen, qui peut alors être entendu sur les faits qui lui sont reprochés, doit recevoir notification de son droit de se taire pour respecter pleinement les exigences découlant du droit au procès équitable.

Il ne faut cependant pas généraliser l’affirmation qui a été faite par la chambre criminelle dans le présent arrêt : à bien lire l’arrêt, le droit de se taire ne devrait pas systématiquement s’imposer à la chambre de l’instruction qui entend le mis en examen. Dans son attendu de principe, elle a restreint cette exigence au cas de la chambre de l’instruction saisie de l’appel d’une ordonnance de renvoi devant une cour d’assises. Certes, cela ne signifie pas que la notification du droit de se taire ne s’imposera pas dans d’autres hypothèses semblables : elle devrait s’imposer de la même manière lorsque la chambre de l’instruction est saisie d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et, plus largement, dès lors que le mis en examen qui comparait devant la chambre de l’instruction est entendu sur les faits qui lui sont reprochés ou la nature des indices pesant sur lui. Mais il y a quelques mois, elle a refusé de dire que la notification du droit de se taire s’imposait à la chambre de l’instruction saisie de l’ordonnance du juge s’instruction ayant statué sur la restitution d’objets placés sous main de justice. Pour dire que le droit de se taire n’avait pas à être notifié, la chambre criminelle avait relevé qu’ « une telle limitation n’est pas contraire aux dispositions conventionnelles invoquées, l’audition du mis en examen ayant pour objet, non pas d’apprécier la nature des indices pesant sur lui, […] mais de déterminer si les conditions permettant de faire droit à la demande de restitution, prévues à l’article 99 du code de procédure pénale, sont caractérisées » (Crim. 19 déc. 2018, n° 18-84.303). Le débat sur la restitution d’objets placés sous main de justice ne doit pas conduire à entendre l’intéressé sur la nature des indices pesant sur lui, contrairement au débat qui a lieu lorsque la chambre de l’instruction est saisie de l’appel d’une ordonnance de renvoi. Le droit de se taire ne devra donc être notifié devant la chambre de l’instruction que lorsque l’audition du mis en examen a pour objet de l’entendre sur les indices qui pèsent sur lui. La chambre criminelle a en outre précisé qu’il s’agissait d’une irrégularité faisant nécessairement grief, de sorte que la présence de l’avocat n’est pas de nature à faire disparaître le grief.