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Chantage contre le roi du Maroc : déloyauté des enregistrements clandestins

Porte atteinte aux principes du procès équitable et de la loyauté des preuves la participation, même indirecte, de l’autorité publique à l’administration d’une preuve obtenue de façon illicite ou déloyale par une partie privée. 

par Sébastien Fucinile 22 septembre 2016

Dans le cadre de l’affaire très médiatisée du chantage contre le roi du Maroc qu’auraient commis deux journalistes qui envisageaient de publier un ouvrage critique sur la famille royale marocaine, la Cour de cassation s’est prononcée sur l’admissibilité des enregistrements clandestins réalisés par l’avocat du roi. Elle a affirmé, aux visas de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article préliminaire du code de procédure pénale, que « porte atteinte aux principes du procès équitable et de la loyauté des preuves la participation de l’autorité publique à l’administration d’une preuve obtenue de façon illicite ou déloyale par une partie privée ». La chambre criminelle a constaté que l’autorité publique « avait participé indirectement à l’obtention des enregistrements, par un particulier, sans le consentement des intéressés, de propos tenus par eux à titre privé ». Elle a, par conséquent, cassé l’arrêt de la chambre de l’instruction qui avait rejeté les requêtes en annulation de deux enregistrements réalisés dans le cadre de rencontres placées sous surveillance policière. Cette décision contribue à construire et à affiner les règles relatives à la loyauté de la preuve.

Le royaume du Maroc, par l’intermédiaire de son avocat, a dénoncé au procureur de la République des faits de chantage et d’extorsion qu’auraient commis deux journalistes en demandant une somme d’argent en contrepartie de la promesse de ne pas publier un nouveau livre critique sur le roi du Maroc. L’avocat du royaume avait joint à sa plainte un premier enregistrement clandestin dont la nullité n’a pas été demandée. Cependant, à la suite de cette plainte, deux rencontres, placées sous surveillance policière, ont été organisées, l’une le 21 août 2015 entre l’avocat du royaume et l’un des journalistes et l’autre le 27 août suivant, le lendemain de l’ouverture d’une information judiciaire, entre le même avocat et les deux journalistes. À l’issue de cette dernière rencontre, des sommes d’argent ont été remises aux journalistes et ils ont alors été interpellés. À l’issue de chacune de ces rencontres, l’avocat a remis aux enquêteurs des enregistrements clandestins. Plusieurs questions peuvent se poser, s’agissant de l’admissibilité de ces enregistrements mais aussi de la loyauté du stratagème policier dans son ensemble.

Il ne fait aucun doute, tout d’abord, qu’un tel moyen de preuve est illégal : les sonorisations ne sont possibles que dans les conditions prévues aux articles 706-96 et suivants du code de procédure pénale : avant la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, elles n’étaient possibles que dans le cadre d’une information judiciaire, et, même après cette loi, elles ne peuvent être ordonnées que pour des infractions relevant de la criminalité organisée. Les enregistrements en cause sont dès lors constitutifs d’une atteinte à la vie privée, réprimée par l’article 226-1 du code pénal.

Cependant, la Cour de cassation a développé toute une jurisprudence relative à l’admissibilité des preuves déloyales et illégales, en distinguant selon qu’elles émanent de l’autorité publique ou d’une partie privée. La chambre criminelle exige de la part de l’autorité publique le respect de la loyauté et de la légalité de la preuve (V. Cass., ch. réunies, 31 janv. 1888, S. 1889. 1. 241 ; Crim. 27 févr. 1996, n° 95-81.366, Bull. crim. n° 93 ; D. 1996. 346 , note C. Guéry ; RSC 1996. 689, obs. J.-P. Dintilhac ; 7 janv. 2014, n° 13-85.246, Bull. crim. n° 1 ; Dalloz actualité, 27 janv. 2014, obs. S. Fucini , note E. Vergès ; ibid. 264, entretien S. Detraz ; ibid. 1736, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2014. 194,...

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