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Chantiers de la justice : la transformation numérique, « cœur du réacteur »

Les cinq chantiers de la justice ont été présentés hier, à la Chancellerie.

par Marine Babonneaule 16 janvier 2018

Cela paraît une folie. Cinq rapports, rendus en un temps record, plus d’une centaine de propositions, autant de réformes potentielles. Hier, il y avait de quoi avoir le tournis en sortant de la Chancellerie après la présentation, par la garde des Sceaux et les auteurs des rapports, des pistes issues des cinq chantiers de la justice (V. notamment Dalloz actualité, 8 oct. 2017, art. T. Coustet isset(node/186975) ? node/186975 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>186975).

Le matin, à la Cour de cassation, le chef de l’État avait esquissé sa vision des réformes à venir (V. Dalloz actualité, 16 janv. 2018, art. T. Lefort isset(node/188641) ? node/188641 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188641). Place Vendôme, le monde judiciaire a reçu, en rafale, un vent de mesures, dont certaines seront mises en place au pas de charge. « Beaucoup a déjà été écrit (…) il faut maintenant lancer des réformes rapidement », a déclaré la ministre de la Justice Nicole Belloubet. Un plan de programmation pour la justice devra être présenté au parlement au printemps, à la suite de la phase de concertation, au moins en ce qui concerne les réformes numériques et pénales.

 

Note : les rapports des cinq chantiers de la justice seront traités exhaustivement cette semaine par la rédaction de Dalloz actualité

 

Transformation numérique : le chantier prioritaire

« C’est le cœur du réacteur, a estimé la garde des Sceaux ». La transformation numérique de la justice va déterminer la suite des autres réformes. « Sans elle, il n’y aura pas de transformation de la justice », a-t-elle ajouté, reprenant ainsi l’une des promesses de campagne d’Emmanuel Macron.

À la tête de ce chantier, le magistrat et ancien directeur des services judiciaires Jean-François Beynel et le secrétaire général de Bouygues Télécom, ex-maître des requêtes, Didier Casas. Le numérique ? « Une évidence », « une industrie lourde » au sein de la justice, « une affaire de gestion de flux » qui est déjà dans les tuyaux de la Chancellerie depuis des années mais dont le développement doit être accéléré. Pour Didier Casas, « la justice et le numérique, c’est le constat d’un paradoxe » : c’est à la fois le « foisonnement d’instruments numériques » et « une très grande attente d’une révolution numérique ».

Pour provoquer cette « révolution », les deux auteurs proposent « deux options fortes » parmi d’autres propositions : l’encouragement « très puissant » – mais pas obligatoire – à la médiation numérique qui pourrait être déléguée à des plateformes privées qui seront « un minimum » encadrées par l’État et une labellisation nécessaire.

Seconde proposition « forte », évoquée par d’autres binômes hier, la création d’un « dossier numérique unique », aussi bien au pénal qu’au civil. Selon Jean-François Beynel, l’idée n’est plus de passer par le papier ou même la numérisation : le numérique devient « natif ». Le dossier numérique unique, dans une procédure pénale, nécessitera une modification du code de procédure pénale avec un « débat lucide » sur le contrôle et les modalités de contrôle de la gestion de ces dossiers.

Le rapport évoque également « l’identité numérique », l’accès de la justice numérique aux plus démunis, etc. Nicole Belloubet arrêtera le plan de transformation numérique et « décidera de l’allocation des 530 millions qui y seront consacrés sur 5 ans », précise le document. Une première phase devra être terminée entre 2018-2019 : c’est le cas notamment de l’accès en ligne de l’état de la procédure pour les justiciables dès l’automne 2018 ou encore la saisine en ligne des juridictions civiles à la fin de l’année. « À l’horizon 2020, ce sont des procédures entièrement dématérialisées, dans le domaine pénal comme civil, le déploiement du numérique en détention, la consolidation des systèmes d’information, dont celui de la direction de la protection judiciaire, qui seront effectifs », annoncent les auteurs.

Carte judiciaire : « aucune cour d’appel ne sera fermée »

« Je comprends les inquiétudes, je regrette les polémiques », a déclaré la garde des Sceaux concernant le dossier de la carte judiciaire, devenu électrique au fil des semaines au sein de certains barreaux qui ont craint la disparition de tribunaux. Il n’était plus question, hier, de « carte » mais de « réseau des juridictions » (V. not., Dalloz actualité, 11 janv. 2018, art. T. Coustet isset(node/188534) ? node/188534 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188534).

L’adaptation était « nécessaire », a insisté la ministre avant d’ajouter : « Comment comprendre la transformation de l’ensemble du système sans adaptation du réseau des juridictions ? » L’épineux rapport a été confié aux anciens parlementaires Philippe Houillon et Dominique Raimbourg. « Il n’y aura ni fermeture ni dévitalisation d’un quelconque site », a immédiatement prévenu ce dernier, comme l’a fait la Chancellerie ces dernières semaines. « Toutes les cours d’appel sont maintenues avec à leur tête un premier président et un procureur général », précise d’emblée le dossier de presse. Qui répète quelques lignes plus tard : « aucune cour d’appel ne sera fermée ».

Parmi les propositions relatives aux cours d’appel : attribution à une cour d’appel par région administrative d’un rôle de coordination et d’animation régionale, mise en cohérence de l’organisation judiciaire avec l’échelon administratif régional sauf cas exceptionnel, concertation régionale pour la modification des ressorts géographiques afin d’accompagner cette mise en cohérence, répartition de compétences spécialisées entre toutes les cours d’appel de la région après concertation régionale, définition d’une procédure dite de « délestage » au plan régional – qui n’a pas plu à la présidente du Conseil national des barreaux, Christiane Féral-Schuhl qui l’a exprimé en direct sur Twitter –…

Concernant les tribunaux de première instance, il n’y aura pas plus de fermeture de sites afin de préserver une justice de proximité. Les anciens députés proposent de créer un tribunal de proximité et un tribunal judiciaire par département à la place des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance. Il pourra y avoir, dans certains cas, plusieurs tribunaux judiciaires dans un même département. Et les compétences entre ces juridictions seront réparties en fonction « d’un double principe proximité/spécialité ». Ce qui rejoint, en partie, certaines propositions du rapport sur la procédure civile.

Amélioration et simplification de la procédure civile : sauver la première instance

La justice de première instance est « complexe, peu efficace ». Elle « angoisse plus qu’elle ne rassure (…) elle est comme une justice à l’essai qui sera toujours suivie d’un recours », a cinglé le professeur Nicolas Molfessis en charge, avec la présidente du tribunal de grande instance Frédérique Agostini, du redoutable dossier sur la procédure civile. Tout cela est « trop long », « inachevé », « trop complexe » sans parler du retard technologique et numérique de cette justice. Comme en écho aux propositions précédentes, le rapport prône la sortie « de la démarche du papier » pour adopter « ab initio » la dématérialisation afin de « replacer le justiciable au cœur du processus ».

D’abord, la création d’un « tribunal judiciaire », sorte de juridiction unique recentrée sur la première instance, qui pourra à terme englober le tribunal de commerce et le conseil de prud’hommes. Murmures dans la salle. Puis, renforcer la collégialité, instituer l’acte de saisine numérique unique, favoriser le recours aux modes amiables de résolution des litiges (MARD) pour les litiges inférieurs à 5 000 € ou ceux liés à la consommation, extension progressive de la représentation obligatoire par l’avocat au-dessus de 5 000 €, instaurer une contribution au financement de la justice civile, assurer l’exécution de la décision… « Il faudra préserver, malgré le numérique, la singularité du recours au juge », « préserver l’oralité » et inciter plutôt qu’obliger de recourir aux MARD a néanmoins estimé Frédérique Agostini.

Peines de prison : la peine de probation fait son retour

Le matin, Emmanuel Macron a évoqué « le plan global » pour les prisons françaises. Hier après-midi, Nicole Belloubet n’a pas dit autre chose. « 2018 sera l’année des choix définitifs pour la construction des établissements pénitentiaires » afin de créer les 15 000 places de prison supplémentaires, annoncées par le chef de l’État lors de la campagne présidentielle.

Concernant plus spécifiquement le droit des peines, c’est l’un des chantiers « les plus délicats à traiter », a-t-elle déclaré, car il faut « écarter les fantasmes ». Selon elle, les propositions de l’ancien président de la chambre criminelle Bruno Cotte, déjà auteur en 2015 d’un rapport sur la refonte des peines, et de l’avocate Julia Minkowski sont « fortes ». Objectif : développer les peines de substitution.

Parmi les mesures proposées : en cas de peine d’emprisonnement ferme prononcé, permettre à la juridiction de jugement de prononcer soit un mandat de dépôt, soit un mandat de dépôt à effet différé, créer une peine de probation à la place des peines de sursis avec mise à l’épreuve et de contrainte pénale, créer un dossier unique de personnalité, créer un mécanisme de libération conditionnelle automatique des personnes détenues pour des peines criminelles aux 2/3 de leur peine sauf avis contraire du juge de l’application des peines, faire du placement sous surveillance électronique une peine autonome dont la durée devra être limitée à un an, interdire le prononcé de peines d’emprisonnement inférieures à un mois, prévoir l’exécution des peines inférieures à six mois sous le régime du placement sous surveillance électronique, de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur, restreindre le recours à la détention provisoire…