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Chaufferie de la Défense : « Comme une cartomancienne, l’avocat général fait parler les morts »

Vingt-deux ans après les faits, la Cour d’appel de Versailles examinait jusqu’à jeudi les quarante tomes du dossier de « la chaufferie de la Défense », dans lequel elle avait, en 2021, annulé les poursuites. Le procès a donc fini par se tenir, en l’absence de plusieurs acteurs centraux de la procédure.

par Antoine Bloch, Journalistele 3 octobre 2023

« Une histoire passionnante de corruption, dans les Hauts-de-Seine, avec la Corse, la franc-maçonnerie, les communistes, le RPR… », résumera un avocat. En fait, plaidera le même dans la foulée, une somme de « calomnies » destinées à faire « diversion ».

Quoi qu’il en soit, ce dossier, resté à l’instruction, à Nanterre, durant dix-sept ans, quatre mois et onze jours, est une usine à gaz. Cette dernière a démarré avec un signalement de la Répression des fraudes (DDCCRF), autour des conditions d’attribution d’une délégation de service public (DSP) pour l’exploitation des réseaux de chaud et de froid de La Défense, premier quartier d’affaires d’Europe. Puis a été alimentée, notamment, par des soupçons d’abus de biens sociaux (ABS). Mais le délai « déraisonnable » écoulé entre la (première) ouverture d’information et l’ordonnance de règlement avait conduit le tribunal correctionnel de Nanterre à annuler l’ensemble des actes de la procédure, puis la Cour d’appel de Versailles, à annuler les poursuites… jusqu’à ce que la chambre criminelle n’impose qu’un procès se tienne.

Resté longtemps mis en examen (MEX), mais jamais prévenu, pour cause de décès, le personnage central est Charles Ceccaldi-Raynaud. Alors sénateur-maire de Puteaux, l’une des quatre communes sur lesquelles se dresse le quartier d’affaires, il était surtout président du syndicat mixte en charge du chauffage urbain (SICUDEF). Au crépuscule du siècle dernier, s’était posée la question du renouvellement de la concession de service public (CSP) dont bénéficiait une société (CLIMADEF).

Finalement, c’est une DSP qui a été attribuée à un groupement (ENERTHERM). Un groupement dont, pour faire simple, certains bénéficiaires économiques étaient aussi actionnaires ou dirigeants du concessionnaire sortant.

La procédure d’attribution avait à l’époque été critiquée par la DDCCRF, qui avait pointé une rupture d’égalité entre les concurrents et un manque de transparence. Pour ne citer qu’un exemple, des critères de pondération des offres avaient été introduits en cours de route, sans être portés à la connaissance des candidats. Un intermédiaire écarté avait dans la foulée nourri des soupçons de corruption. En procédure, Ceccaldi-Raynaud avait d’ailleurs lui-même évoqué « des valises », mais en avait rejeté la responsabilité sur sa fille, Joëlle, laquelle lui a depuis succédé à la mairie de Puteaux (et fut un temps témoin assistée). Manquent également dans le prétoire deux des dirigeants du groupement : Bernard Forterre, 85 ans, et Jean Bonnefont, quasiment 101 printemps, qui ne sont plus en mesure de comparaître pour cause de « déclin cognitif ».

Reste Antoine Benetti, ancien élu de Puteaux (et membre du SICUDEF), parti « pantoufler » dans l’une des sociétés actionnaires du concessionnaire sortant, avant d’apparaître dans le montage du délégataire choisi. Dans ce volet, il est prévenu des chefs de corruption et de recel de favoritisme. Il affirme n’être « jamais intervenu dans le processus de dévolution de la DSP », mais aussi que « tout le monde savait » que le concessionnaire sortant ne candidaterait pas ». Il faut dire que la période CLIMADEF avait été secouée par une explosion (mortelle), qui avait détruit la fameuse chaufferie.

Un avocat soulignera sur ce point que « tous les actionnaires de CLIMADEF étaient tellement certains que ça ne passerait jamais qu’ils ont tous déposé une offre concurrente ».

« C’est lui qui passait prendre l’argent »

Passons à Laurent Gimel. Cet ancien sous-marinier était alors l’époux de l’une des héritières d’un grand capitaine d’industrie. Accessoirement, il était aussi devenu le président de la holding familiale, laquelle avait alors investi dans le fameux groupement. À la barre, il confirme avoir...

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