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Le « chef dépendant », ou comment sauver un chef non mentionné dans la déclaration d’appel

L’appel défère à la cour d’appel les chefs de jugement qu’il critique expressément, ainsi que ceux qui en dépendent, lesquels s’entendent de ceux qui sont la conséquences des chefs expressément critiqués. Il appartient à la cour d’appel de rechercher l’existence d’un lien de dépendance entre les chefs de jugement pour déterminer si le chef critiqué dépend d’un chef dévolu. Et si tel n’est pas le cas, la cour d’appel doit constater l’absence d’effet dévolutif, sans pouvoir prononcer l’irrecevabilité de la demande.

Dans un litige d’accident de personne, la victime agit contre les syndicats des copropriétaires et leurs assureurs, en responsabilité et en indemnisation de son préjudice.

Le tribunal écarte la responsabilité des syndicats des copropriétaires, mais retient un droit à indemnisation au regard de la loi du 5 juillet 1985, s’agissant d’un accident de la circulation. Il met hors de cause les assureurs, en leur qualité d’assureurs responsabilité civile immeuble et propriétaire d’immeuble des syndicats des copropriétaires.

La victime fait appel en le limitant à la mise hors de cause des assureurs des syndicats des copropriétaires.

Mais l’appelant conclut du chef de l’application de la loi de 1985 au litige, chef non mentionné sur la déclaration d’appel.

La cour d’appel de Besançon déclare irrecevables les demandes tendant à remettre en cause le régime juridique applicable au litige et les modalités de fixation des préjudices, et confirme en conséquence la mise hors de cause des assureurs.

L’arrêt d’appel est cassé.

La cour d’appel devait rechercher si le chef de la « responsabilité » n’était pas dévolu, en ce qu’il serait la conséquence du chef de la mise hors de cause.

Et si la dévolution n’a pas opéré de ce chef, la cour d’appel n’avait pas à prononcer une irrecevabilité, mais devait constater l’absence d’effet dévolutif.

La dévolution d’un chef non mentionné

Aux termes des articles 562 et 901, 4°, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément, contenus dans la déclaration d’appel, et de ceux qui en dépendent.

La dévolution est donc doublement encadrée : d’une part, par la déclaration qui mentionne les chefs critiqués et, d’autre part, par les conclusions qui ne peuvent aller au-delà des chefs mentionnés dans l’acte d’appel, et ne peuvent contenir des demandes mentionnées dans l’acte d’appel mais non susceptibles d’être critiqués.

Depuis la réécriture des articles 901 et 562, les avocats doivent faire preuve de vigilance quant à la rédaction de la déclaration d’appel, ce qui suppose de savoir ce qu’est un chef critiqué, et où il se niche. Et sur ce point, la Cour de cassation est peu diserte.

En pratique, l’habitude – que nous devons certainement à la circulaire du 4 août 2017 (Circ. 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile, modifié par le décret n° 2017-1227 du 2 août 2017, NOR : JUSC1721995C) – consiste à reprendre, pour tout ou partie, le dispositif du jugement.

Cela vaut ce que ça vaut, mais à ce jour, cette pratique, qui ne nous paraît pas toujours satisfaisante (Procédures d’appel, 2022-2023, Dalloz, coll. « Delmas express », n° 21.132, p. 94), n’a pas été sanctionnée par la Cour de cassation.

Dans cette affaire, la victime avait agi en responsabilité civile des syndicats des copropriétaires, et avait appelé à la cause les assureurs responsabilité civile.

La responsabilité civile des syndicats des copropriétaires est écartée, le tribunal retenant que le demandeur était victime d’un accident de la circulation, relevant en conséquence des dispositions de la loi de 1985.

Les assureurs responsabilité civile sont donc mis hors de cause.

C’est cette mise hors de cause qui est mentionnée comme chef critiqué sur la déclaration d’appel.

Comme le rappelle de manière habituelle la Cour de cassation, c’est l’acte d’appel et seule- ment l’acte d’appel qui fixe la dévolution de l’appel (v. not., Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, « seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement », Dalloz actualité, 17 fév. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 ; ibid. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry ; ibid. 458, obs. N. Cayrol ; 2 juill. 2020, n° 19-16.954 P, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero ).

En conséquence, si un chef n’est pas mentionné dans l’acte d’appel, il n’est pas dévolu à la cour d’appel qui n’en sera pas saisie.

Mais comme le prévoit l’article 562, un chef peut néanmoins saisir la cour d’appel, alors même qu’il n’est pas mentionné dans l’acte d’appel, s’il dépend du chef mentionné.

Et c’est sur ce « chef dépendant » du chef mentionné que la Cour de cassation donne des indications, sans pour autant nous en donner trop, de manière à conserver une partie du suspense pour les prochains épisodes.

Le « chef dépendant » d’un chef mentionné

Pour la Cour de cassation, les chefs qui dépendent des chefs mentionnés sont « ceux qui sont la conséquence des chefs du jugement expressément critiqués ».

Et la Cour de cassation d’ajouter que la cour d’appel devait rechercher ce lien de dépendance, tout en se gardant bien de dire si, en l’espèce, ce lien existait. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de lire entre les lignes.

En l’espèce, les assureurs avaient été mis hors de cause au motif qu’ils étaient assureurs responsabilité civile des syndicats.

L’appelant pouvait-il contester cette mise hors de cause sans contester ce faisant le principe de « responsabilité » (étant toutefois précisé que le loi de 1985 est une loi d’indemnisation, non de responsabilité) ?

Et effectivement, le lien de dépendance semble exister, car c’est bien parce que la responsabilité des syndicats est écartée que les assureurs responsabilité civile sont mis hors de cause.

Pour cette raison, même si l’appelant n’a pas mentionné le principe de responsabilité dans son acte d’appel, l’examen de la mise hors de cause suppose que soit tranchée au préalable la « responsabilité » applicable.

En l’espèce, l’appelant semble donc avoir sauvé son appel.

À l’instar des dispositifs des conclusions, les dispositifs des jugements peuvent parfois laisser à désirer.

Un jugement peut par exemple – et ce n’est pas un cas d’école – prononcer la condamnation au remboursement du prix de vente, au titre d’une résolution prononcée dans les motifs mais non reprise dans le dispositif. L’appelant qui reprend le dispositif du jugement mentionnera la condamnation au remboursement comme chef critiqué dans son acte d’appel, sans mentionner la résolution de la vente.

Au regard de cet arrêt de cassation, il pourrait être soutenu que le remboursement du prix de vente suppose la dévolution du chef de la résolution, « chef dépendant ».

Mais cela ne fonctionnera pas à tous les coups.

Si l’appelant se contente de mentionner les condamnations comme chef critiqué, sans mentionner le principe de responsabilité, le quantum ne présente pas un lien de dépendance. En effet, il est parfaitement possible de limiter son appel au seul quantum, sans vouloir discuter du principe de responsabilité, ou du droit à indemnisation. Il peut donc être dangereux de se limiter au dispositif du jugement, et de ne pas mentionner certains chefs (Procédures d’appel, 2022-2023, op. cit., n° 21.133, p. 95).

Il en ressort que cette notion de « chef dépendant » devra constituer une bouée de sauvetage, à invoquer lorsque l’appelant n’aura pas été suffisamment complet dans la mention des chefs critiqués.

Même s’il nage bien le chef, le mieux est d’éviter de tomber à l’eau, et d’être complet lors de la rédaction de l’acte d’appel, en mentionnant tous les chefs.

Et dans l’affaire ayant donné lieu au présent arrêt de cassation, l’appelant aurait été mieux inspiré s’il avait mentionné expressément que l’appel portait sur le régime de responsabilité applicable.

Indiquer le chef, mais dans quels termes ?

Les termes de l’arrêt suscitent une interrogation.

Il est précisé que le chef dépendant est « le régime de responsabilité applicable ».

Du fait d’une habitude généralisée, il ne vient à l’esprit d’aucun appelant de se dégager du dispositif du jugement, dont l’acte d’appel devient un copié-collé, avec tous les risques que cela comporte, ce qui engendre une déclaration d’appel parfois peu lisible.

Nous sommes d’avis, néanmoins, que l’appelant n’avait pas l’obligation de mentionner le chef critiqué de cette manière : « dit que la demande de M. [X] est fondée sur les articles 1 et suivants de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ».

Il aurait suffi à l’appelant de préciser ce chef comme « le régime de responsabilité applicable », pour qu’opère la dévolution (Procédures d’appel, 2022-2023, op. cit., n° 21.133, p. 95).

Ces termes sont au demeurant plus intelligibles.

Or, « la déclaration d’appel, laquelle est un acte de procédure se suffisant à lui seul » (Civ. 2e, 14 avr. 2022, n°20-22.497 NP ; 19 mai 2022, n° 21-12.267 NP ; 19 mai 2022, n° 21-13.642 NP ; 13 janv. 2022, n°20-17.516 P, D. 2022. 325 , note M. Barba ; ibid. 625, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2022. 63, obs. F. Eudier et D. D’Ambra ; Rev. prat. rec. 2022. 9, chron. D. Cholet, O. Cousin, M. Draillard, E. Jullien, F. Kieffer, O. Salati et C. Simon ), doit permettre à elle-seule de comprendre quelle est la portée de la dévolution opérée, ce qui suppose que les chefs critiqués soient correctement et précisément indiqués. Au demeurant, cela pose la question des formules sibyllines du style « déboute la partie de toutes ses demandes », sans précisions quant à ces demandes (Procédures d’appel, 2022-2023, op. cit., n° 21.133, p. 95).

Une absence d’effet dévolutif qui n’est pas une irrecevabilité

La cour d’appel, suivants en cela les intimés, avait déclaré irrecevables les demandes.

Mais si le doute avait été permis lors de l’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017, au regard de la jurisprudence antérieure (Civ. 3e, 15 mai 2002, n° 99-10.507 P), nous savons désormais que toute difficulté liée à l’effet dévolutif ne se traduit pas en terme d’irrecevabilité, mais d’absence d’effet dévolutif (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, préc. ; Procédures d’appel, 2022-2023, op. cit., n° 21.171, p. 109), ce qui au demeurant allège le travail d’un conseiller de la mise en état déjà bien occupé par ailleurs.

Il en résulte que si l’appelant a omis de mentionner un chef dans sa déclaration d’appel, que la cour d’appel n’annule pas le jugement et que le chef oublié n’est pas un « chef dépendant » d’un chef mentionné, alors la cour d’appel n’aura pas à se prononcer sur la demande lié à ce chef dont elle n’est pas saisie.

Or, pour déclarer une demande irrecevable, encore faut-il qu’elle passe le stade de la dévolution, et qu’elle saisisse le juge.

Pour cette raison, au demeurant, la demande de confirmation du chef du prononcé du divorce et de prononcé du divorce n’a pas à être déclarée irrecevable si l’appel ne dévolue pas ce chef du prononcé du divorce. Il n’y a pas davantage lieu à prononcer une irrecevabilité de cet appel de ce chef, s’agissant d’une question de dévolution.

L’absence d’effet dévolutif, c’est le pétard mouillé, celui qui n’explose pas. Pourtant, ce pétard existe bien, et quelqu’un l’a allumé. Mais il ne produit aucun effet.