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Christiane Féral-Schuhl : « Les avocats doivent se préparer à une séquence de secousses »

Une enquête réalisée par le Conseil national des barreaux a révélé l’ampleur de la crise induite par l’état d’urgence sanitaire. Les prochains mois seront déterminants pour l’avenir de la profession.

par Julien Mucchiellile 23 avril 2020

Si la grève consécutive à la réforme des retraites avait déjà mis en exergue la précarité de nombreux avocats, aggravée par l’augmentation des cotisations – et c’était l’objet de ce mouvement inédit par son ampleur et sa durée –, l’état d’urgence sanitaire démontre la vulnérabilité de la profession, dont 39 % (27 000 avocats) pourraient être susceptibles d’être rayés du tableau de leur ordre. Plus précisément, dit une enquête du Conseil national des barreaux (CNB) à laquelle plus de 10 000 avocats ont répondu en trois jours, 28 % des avocats envisagent de changer de métier, 6 % partiraient en retraite anticipée, et 5 % pensent fermer leur cabinet. Au moment où les avocats répondaient à l’enquête, 41 % avaient totalement cessé leur activité.

« Je ne m’attendais pas à des résultats aussi parlant, mais nous savions que la profession d’avocat était durement impactée. Les avocats doivent se préparer à une séquence de secousses », réagit Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB. « C’est le rôle du CNB de mesurer cet impact et de répondre à la sidération de nos confrères. Maintenant, nous essayons d’imaginer les solutions qui peuvent être proposées », poursuit-elle. La profession s’organise pour venir en aide aux plus démunis, aux plus désœuvrés. La Caisse de retraite (CNBF) a annoncé mardi avoir débloqué 60 millions d’euros d’aide, dont 32 millions d’aide d’urgence. L’Union nationale des CARPA (UNCA) réfléchit à ce qu’elle peut apporter. « Nous allons aussi procéder à des étalements du paiement des cotisations », ajoute la présidente du CNB.

L’espoir, dans l’immédiat, se trouve davantage dans les aides que l’État pourrait apporter à la profession. Dans l’enquête, 62 % des avocats disent avoir sollicité l’aide mise en place par l’État pour pouvoir bénéficier de l’aide de 1 500 € au mois de mars, ce qui est insuffisant. « Nous réclamons des plans adaptés, car le statut de libéral ne peut pas se confondre avec celui des salariés et des fonctionnaires. Nous demandons une exonération des charges sociales, des adaptations pour bénéficier du plan de solidarité, on a demandé de bénéficier de l’autoliquidation de la TVA, qui redonnerait de la trésorerie aux cabinets », détaille Christiane Féral-Schuhl, qui rappelle que les avocats ont des « charges fixes, mais des modes de rémunération décalés dans le temps », si bien que « l’effet de secousse peut s’étendre dans le temps ».

La présidente du CNB a également évoqué un entretien, ce jeudi 23 avril, avec la garde des Sceaux, pour évoquer le déconfinement. « Ce que l’on voudrait, c’est qu’il y ait un mot d’ordre national », dit-elle. Actuellement, l’organisation des juridictions se fait à l’échelle locale, ce qui donne une « organisation des tribunaux en ordre dispersé ». La présidente du CNB a également évoqué la période estivale, pendant laquelle les juridictions fonctionnent au ralenti, considérant « qu’elle ne pouvait pas être une période sans justice, après des moins de confinement ». Ce déconfinement est un sujet crucial, car l’arrêt quasi total des juridictions est la principale cause de la cessation totale ou partielle de l’activité des avocats (ils sont 70 % à avoir une activité judiciaire exclusive ou dominante).

Cette situation totalement inédite (deux mois de confinement consécutifs à deux mois de grève dure) a amené Christiane Féral-Schuhl à quelques constats. « Le gouvernement ne nous a pas entendus, mais, année après année, les charges sont de plus en plus lourdes. Le mouvement a permis de mettre en lumière le barreau de proximité, souvent un barreau engagé, des avocats qui acceptent de travailler dans des conditions difficiles ; c’est un barreau qui souffre énormément, fragilisé et qui a pris le taureau par les cornes. À un moment, la profession ne va plus pouvoir assumer tout cela. Le budget de la justice n’est pas à la hauteur. Ce sont beaucoup d’avocats individuels, vulnérables, qui risquent de disparaître, mais, s’ils partent, l’accès au droit va-t-il être encore une réalité en France ? L’enjeu, c’est de préserver l’accès au droit. »