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Chronique CEDH : l’obligation positive de garantir le pluralisme des médias
Chronique CEDH : l’obligation positive de garantir le pluralisme des médias
Les mois de mars et avril 2022 ont été dominés, du point de vue de l’actualité de la Cour européenne des droits de l’homme aussi, par les conséquences de la guerre d’Ukraine. La crise de l’État de droit en Pologne et la crise sanitaire provoquée par la covid-19 ont également occupé le devant de la scène où une apparition spectaculaire du réchauffement climatique a été d’ores et déjà annoncée. Ces brutales accélérations dictées par l’urgence des temps présents ne doivent pas, cependant, occulter d’importantes solutions relatives au pluralisme des médias et à la liberté d’expression sur internet, à la séparation du couple homosexuel, au travail domestique dans les ambassades, à la rétention administrative des mineurs, ou à l’audition libre.

L’exclusion de la Fédération de Russie
Après la suspension, dès le 25 février, de la Fédération de Russie de son droit de représentation au sein du Comité des ministres et de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme a multiplié au début du mois de mars, les mesures provisoires s’efforçant de s’adapter à l’aggravation quotidienne de la situation. Cependant, le pire n’a pas tardé à arriver : l’exclusion de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe décidée par le Comité des ministres le 16 mars. Aussi a-t-elle dû adopter le 22 mars une Résolution sur les conséquences de cette mesure inédite puisque, en 1969, la Grèce des colonels avait eu le temps de se retirer avant qu’on ne la mette à la porte. L’événement est d’une gravité si considérable qu’il a déjà fallu en rendre compte avec Mustapha Afroukh dans l’édition du 30 mars de Dalloz actualité. Il est donc inutile de rappeler ici que la Cour a choisi d’aligner les conséquences de l’exclusion sur celles de la dénonciation par un État membre prévues par l’article 58 de la Convention ; ce qui lui a permis de lever la suspension de l’examen des requêtes dirigées contre la Russie et d’avertir qu’elle resterait compétente pour traiter des requêtes dirigées contre cet ancien État membre concernant les actions et omissions qui surviendraient encore jusqu’à l’expiration du délai de six mois après la décision d’exclusion, c’est-à-dire jusqu’au 16 septembre 2022. Il suffira d’indiquer que pour illustrer cette louable approche qui tend à priver le moins possible le justiciable de la protection que lui apporte la Convention contre l’État, la Cour a rendu le 10 avril un arrêt Teslenko (n° 49588/12) constatant des violations des articles 5, § 1er et 10 en raison du placement en garde à vue de colleurs d’affiches pour un parti d’opposition puis, le 29 avril, un arrêt de grande chambre Khasanov et Rakhmanov (n° 28942/15) qui, par application des principes depuis longtemps établis en la matière a estimé que la Russie ne violerait pas l’article 3 en extradant des Ouzbeks de souche vers le Kirghistan où ils avaient eu maille à partir avec des Kirghises de souche dans la mesure où la situation interethnique ne s’est pas détériorée dans cet État qui, lui, n’a jamais été membre du Conseil de l’Europe.
La crise de l’État de droit en Pologne
Le second des trois arrêts de grande chambre de la période bimensuelle considérée a été rendu le 15 mars dans une affaire Grzeda (n° 43572/18) qui passe pour marquer le début de ce que l’on appelle désormais la crise de l’État de droit en Pologne, qui s’est traduite par une succession de réformes tendant à affaiblir la justice. En l’espèce, un juge avait été révoqué du Conseil national de la magistrature avant la fin de son mandat et n’avait eu aucune possibilité d’obtenir un contrôle juridictionnel de cette mesure. Or, saisie de nombreuses autres affaires qui lui ont permis de prendre toute la mesure de la crise polonaise, la grande chambre a eu à cœur de préciser que, lorsqu’il est fait référence à « la confiance et la loyauté spéciales » exigées des juges, il s’agit de la loyauté envers la prééminence du droit et la démocratie et non envers les détenteurs de la puissance publique, avant de dresser un constat de violation de l’article 6, § 1er, dont le volet civil était applicable au juge Grzeda en vertu de la célèbre jurisprudence Vilho Eskelinen de 2007 précisant les critères permettant de déterminer si les fonctionnaires sont titulaires d’un droit de caractère civil au sens de cette disposition. Dans ce contexte particulièrement tendu, on relèvera que la Cour a indiqué des mesures provisoires le 14 avril dans une nouvelle affaire concernant l’immunité d’un juge à la Cour suprême polonaise et, le 31 mars dans une affaire Glowaka concernant une juge du tribunal régional de Cracovie mise en accusation pour avoir appliqué… la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
L’intensification de la jurisprudence covid-19
La Cour de Strasbourg continue, au gré des affaires qui lui sont soumises, à affronter la crise sanitaire provoquée par la covid-19. Ainsi, dans un arrêt Fenech c. Malte du 1er mars (n° 19090/20), a-t-elle continué à se montrer indulgente envers les États en décidant qu’un détenu qui se plaignait de restrictions particulières imposées pendant la crise sanitaire n’avait pas été victime de traitements inhumains ou dégradants prohibés par l’article 3, parce que, compte tenu du contexte exceptionnel et imprévisible de la pandémie covid-19, elles étaient restées proportionnées. Un changement de ton et peut-être de cap est intervenu avec l’arrêt Communauté genevoise d’action syndicale c. Suisse du 15 mars (n° 21881/20, AJDA 2022. 555 ) qui, dans un effort d’adaptation aux réalités de la crise sanitaire, a notamment affirmé que si les circonstances exceptionnelles empêchent le Parlement d’examiner les mesures destinées à l’enrayer, le contrôle judiciaire de leur application doit être renforcé. Dans ces conditions, l’interdiction entre le 17 mars et le 30 mai 2020 de l’interdiction des manifestations publiques avait porté une atteinte disproportionnée au droit à la liberté de réunion pacifique consacré par l’article 11.
Dessaisissement en faveur d’une grande chambre dans une affaire relative au réchauffement climatique
Avec l’affaire Duarte Agostinho c. Portugal et 32 autres États (n° 39371/20, D. 2021. 1004, obs. G. Leray et V. Monteillet ), dans laquelle six enfants portugais demandent des comptes à trente-trois États membres du Conseil de l’Europe pour leur inaction face au réchauffement climatique, l’affaire Verein KlimaSeniorinnen Schweiz (n° 53600/20) dans laquelle une association regroupant plusieurs centaines de femmes âgées s’en prend pour la même raison à la Suisse, est sans doute la plus stimulante actuellement en cours d’examen devant la Cour européenne des droits de l’homme. Elle se prête idéalement à la rédaction du grand arrêt climatique et environnemental qui, eu égard à l’importance exceptionnelle des enjeux, répondrait à une exigence impérieuse compte tenu de l’absence de protocole additionnel en la matière. Un tel arrêt ne peut, à l’évidence, émaner que d’une grande chambre. Or elle est désormais en mesure de se prononcer. En effet, par une décision du 29 avril à laquelle, depuis l’entrée en vigueur du Protocole n° 15 aucune des parties ne...
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