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Chronique CEDH : la lutte contre les abus sexuels exercés sur des mineurs entre audace et résignation

La périodicité bimestrielle adoptée pour cette chronique d’actualité de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg amène à constater que la période septembre/octobre 2021 se caractérise par l’absence, pour la première fois depuis le début de l’année, d’arrêts rendus en grande chambre. Cette particularité est, à n’en pas douter, purement conjoncturelle. Il en est une seconde qui, elle, promet d’être structurelle : il s’agit de la montée en régime des décisions relatives aux mesures provisoires qui sont tout à fait d’actualité mais ne correspondent peut-être pas exactement à une jurisprudence. Pour ce qui est de l’actualité jurisprudentielle proprement dite, elles est riche d’enseignements se rapportant à des questions aussi graves et aussi diverses que la covid-19 ; les abus sexuels sur mineurs ; les assassinats politiques et le suicide des personnes privées de liberté ; les mesures sécuritaires coercitives ; l’adaptation du droit à la liberté d’expression à la communication numérique ; les limites du droit à l’humour ; l’influence attendue de la CEDH sur le droit des personnes et de la famille ; celle plus originale sur le droit du travail, le droit des contrats, le droit des groupements, le droit de la propriété immobilière, le droit de vote ou le formalisme procédural excessif.

La montée en régime des mesures provisoires

Destinées à assurer l’effectivité du droit de recours individuel consacré par l’article 34 de la Convention en demandant, dès le début de la procédure européenne, à l’État défendeur de s’abstenir de prendre des décisions graves et irréversibles qui rendraient purement virtuelle une éventuelle victoire du requérant, les mesures provisoires ont été déployées par les instances strasbourgeoises sans le moindre support conventionnel. Aussi la Cour a-t-elle attendu son arrêt de grande chambre Mamatkulov et Askarov c/ Turquie du 4 février 2005 pour affirmer qu’elles avaient un caractère obligatoire et que leur non-respect exposait l’État qui en est le destinataire à un constat de violation de l’article 34. À partir de ce moment là, on a pu observer un risque de dérive vers une utilisation des mesures provisoires pour conférer au recours individuel un caractère suspensif de substitution. La Cour, par l’intermédiaire de son président Jean-Paul Costa avait donc dû alerter sur l’impérieuse nécessité de ne pas l’encombrer de demandes de mesures provisoires pour tout et n’importe quoi. Le rappel à l’ordre semble avoir porté ses fruits et les mesures provisoires pourraient avoir trouvé leur place pour aider à répondre aux situations dont la gravité et l’urgence sont mises en évidence, spécialement par la presse. Toujours est-il que dans le communiqué de presse de l’actuelle greffière Marialena Tsirli, les décisions de la Cour en matière de mesures provisoires sont de plus en plus souvent signalées. Ainsi, pour la période allant du 1er septembre au 31 octobre 2021, apprend-on que la crise afghane survenue au cœur du mois d’août 2021 a conduit la Cour à tenter d’en maîtriser les dramatiques prolongements européens, d’une part, en demandant à la Lituanie et à la Lettonie de ne pas renvoyer vers le Belarus des réfugiés afghans qui auraient réussi à s’introduire sur leurs territoires, puis à décider de ne pas prolonger cette mesure provisoire après avoir reçu l’assurance qu’aucune expulsion n’interviendrait sans examen préalable de la demande d’asile et, d’autre part, à indiquer puis à proroger une mesure provisoire demandant à la Pologne de fournir de la nourriture, de l’eau , des vêtements et des soins médicaux adéquats à trente-deux ressortissants afghans immobilisés depuis sept semaines dans un campement de fortune situé à la frontière avec le Bélarus.

On relèvera aussi que, comme elle l’avait fait quelques semaines plus tôt dans une affaire française, la Cour a repoussé des demandes de mesures provisoires tendant à suspendre l’application de la loi grecque imposant une obligation vaccinale au personnel de santé pour lutter contre la covid-19. Cette solution contribue à illustrer une autre tendance remarquable de la période septembre-octobre .

Le contentieux covid-19 entre vitesse et précipitation

Consciente, comme son président Robert Spano dès le début de la crise sanitaire, de ce qu’il ne serait pas acceptable qu’elle traîna en longueur sur un sujet aussi grave, la Cour ne manque pas une occasion de faire savoir qu’elle va aussi vite qu’elle peut pour trancher les graves questions d’atteintes aux droits de l’homme que les exigences de la lutte contre la covid-19 soulèvent. Ainsi a-t-on appris le 7 octobre que la déjà célèbre affaire Thevenon (n° 46061/21) relative à l’obligation vaccinale des sapeurs pompiers avait été communiquée au gouvernement français qui devra répondre avant le 27 janvier 2022 à cinq questions qui devraient préparer une prochaine décision sur la recevabilité. Il arrive cependant que d’intrépides requérants tentent de l’entraîner dans une logique de précipitation. On l’a déjà observé à travers les demandes de mesures provisoires. On l’a surtout remarqué dans la curieuse affaire Zambrano c/ France (n° 41994/21) relative au passe sanitaire, où la requête a été déclarée irrecevable pour non épuisement des voies de recours internes et aussi parce qu’elle était abusive, son objectif crânement affirmé étant de saturer la Cour pour obtenir un rapport de force favorable afin d’obliger les États abasourdis à abandonner leur politique vaccinale…

La lutte contre les abus sexuels exercés sur des mineurs entre audace et résignation

Pendant l’été 2021, la Cour européenne des droits de l’homme a poursuivi ses efforts pour lutter, sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui prohibe les traitements inhumains et dégradants, contre les abus sexuels exercés sur des mineurs. Ainsi, par un arrêt A.P c/ République de Moldova du 26 octobre (n° 41086/12) a-t-elle constaté une violation du volet procédural de cet article parce que les autorités n’avaient pas mené une enquête effective et approfondie sur les allégations de viol et d’agression sexuelle subis par un enfant de cinq ans. Cette solution est remarquable et, à certains égards, discutable, parce que l’auteur des faits invoqués était lui même un enfant de douze ans qui n’avait pas atteint l’âge de la responsabilité pénale.

Au moment où, en France, le rapport Sauvé révélait l’ampleur insoupçonnée des violences sexuelles dans l’Église catholique entre 1950 et 2020, la Cour s’est montré moins audacieuse pour aborder cette grave dérive structurelle. Dans l’affaire M.L c/ Slovaquie du 14 octobre (n° 34159/17), la mise en balance du droit au respect de la vie privée et du droit à la liberté d’expression, l’a conduite à faire prévaloir le droit à l’oubli de la mère d’un prêtre suicidé face à la publication d’articles de presse rappelant qu’il avait été condamné pour avoir abusé de garçons mineurs. Cette solution favorable à une mère qui n’avait aucunement contribué à étouffer le scandale des pratiques sexuelles des représentants de l’Église catholique ne traduit pas une volonté de baisser les bras face à la gravité de la question. Il en va autrement dans l’affaire J.C c/ Belgique du 12 octobre (n° 11625/17, Dalloz actualité, 27 oct. 2021, obs. E. Delacoure). En l’espèce, vingt-quatre justiciables avaient collectivement introduit devant les juridictions belges une demande en indemnisation contre la Saint-Siège à raison des dommages causés par la manière structurellement déficiente avec laquelle l’Église catholique aurait fait face au problème des abus sexuels exercés en son sein. Les juridictions belges ayant considéré que, compte tenu de l’immunité de juridiction dont jouissait le Saint-Siège, elles n’avaient pas compétence pour statuer, les 24 déboutés se sont plaints à Strasbourg d’une violation de leur droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6, § 1er, de la Convention européenne. Or la Cour, appelée pour la première fois à se prononcer sur l’immunité du Saint-Siège, a estimé qu’il n’y avait pas lieu de constater une violation de ce texte dans la mesure où la solution retenue par les juges belges ne s’était pas écartée des principes de droit international généralement reconnus en la matière. Eu égard à la gravité des enjeux, il n’eût peut-être pas été tout à fait déplacé de s’écarter un peu des principes dont relève l’immunité d’un État qui, avec le Bélarus est d’ailleurs le seul État d’Europe à n’être pas partie à la Convention.

Les assassinats politiques et le suicide des personnes privées de liberté

Le droit à la vie étant le roi des droits, la Cour lui accorde, malheureusement a posteriori, une protection courageuse ainsi qu’en témoigne l’arrêt Carter du 21 septembre (n° 20914/07) qui n’a pas hésité à proclamer la responsabilité de la Russie dans l’empoisonnement au polonium 210 de l’espion transfuge A. Litvinenko à Londres en 2006. Elle a aussi dressé des constats de violation de l’article 2 dans des cas de suicides de militaires (arrêts Boychenko c/ Russie du 12 octobre, n° 8663/08 et Khabirov c/ Russie, n° 69450/10, où seul un manquement au volet procédural de cet article a été relevé) ou de malades internés dans un hôpital psychiatrique public (Raznatovic c/ Monténégro du 2 septembre, n° 14742/18).

Encadrement conventionnel des moyens sécuritaires coercitifs

Même si depuis son arrêt de Grande chambre Austin c/ Royaume-Uni du 15 mars 2012 qui a admis la technique policière du kettling, la Cour de Strasbourg est très compréhensive à l’égard des techniques déployées par les agents de la force publique pour faire face à des menaces d’atteintes à la sécurité publique toujours plus radicales, elle n’est pas prête à tout admettre en matière sécuritaire. Ainsi, par l’arrêt Kuchta et Metel c/ Pologne du 2 septembre (n° 76813/16) a-t-elle considéré qu’une arrestation musclée avec usage de gaz lacrymogènes avait constitué une violation des volets substantiel et procédural de l’article 3 qui prohibe les traitements inhumains et dégradants. En outre, dans son arrêt Syrianos c/ Grèce du 7 octobre (n° 49529/12) elle a jugé qu’infliger des sanctions disciplinaires à un détenu parce qu’il avait refusé de subir des fouilles corporelles ne répondait pas à un besoin social impérieux et constituait donc une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée reconnu par l’article 8 de la Convention.

L’adaptation du droit à la liberté d’expression aux réalités de l’ère numérique

Il est devenu de la dernière des banalités de dénoncer les atteintes inédites aux autres droits de l’homme et aux valeurs des sociétés démocratiques que propage le droit à la liberté d’expression lorsqu’il mobilise internet et l’outil numérique. La Cour de Strasbourg, quant à elle, s’efforce de trouver le point d’équilibre entre ces données contradictoires et fortement évolutives. Ainsi dans un arrêt Sanchez c/ France d 2 septembre (n° 45581/15), a-t-elle considéré que l’État défendeur n’avait pas violé l’article 10 en condamnant un homme politique à 3 000 € d’amende parce qu’il n’avait pas supprimé assez vite de son site public Facebook des commentaires appelant à la haine. En outre, par un arrêt Volodina du 14 septembre (n° 40419/19) elle a condamné la Russie pour violation de l’article 8 parce qu’elle n’avait pas protégé la victime de violences domestiques contre la cyberviolence de son partenaire. En revanche, l’arrêt M.P. c/ Portugal du 7 septembre (n° 27516/14, AJ fam. 2021. 565, obs. M. Saulier ) a cru devoir estimer que, au cours d’une procédure de divorce et de partage de l’autorité parentale, un mari avait pu produire des messages électroniques échangés par son épouse sur un site de rencontres occasionnelles sans que le droit au respect de la vie privée et du secret des correspondances de l’intéressée ait été atteint de manière disproportionnée. Il n’est pas tout à fait certain que cet encouragement à l’espionnage électronique familial soit de bon aloi.

Extension du droit à la liberté d’expression et limites du droit à l’humour

Comme d’habitude, on relève pour la période septembre-octobre 2021 un fort contingent d’arrêts qui constatent des violations de l’article 10 et qui continuent à marquer le soutien de la Cour de Strasbourg à la liberté d’expression des opposants politiques Dareskizb Ltd c/ Arménie du 21 septembre (n° 61737/08, relatif à l’interdiction de publier un journal pendant l’état d’urgence) ; Hazanov et Majidli c/ Azerbaïdjan du 7 octobre (n° 9626/14, se rapportant à la distribution dans les stations de métro de tracts antigouvernementaux) ; Association des journalistes d’investigation c/ République de Moldova du 12 octobre (n° 4358/19, stigmatisant une condamnation pour diffamation consécutive à la publication d’un article dénonçant le financement d’une campagne présidentielle) ; Vedat Sorli c/ Turquie du 19 octobre (n° 42048/19, adoptant la même position à l’égard d’une peine d’emprisonnement avec sursis pour insulte au chef de l’État). On accordera une attention particulière à deux arrêts confirmant avec éclat que dans les cas les plus graves, la protection du droit à la liberté à la liberté d’expression ne se fait pas ou pas seulement sur le fondement de l’article 10 : ST et Y.B c/ Russie du 19 octobre (n° 40125/20) constatant une violation de l’article 3 en raison des traitements inhumains infligés à l’animateur d’une chaîne d’opposition au cours d’une détention irrégulière et Miroslava Todorava c/ Bulgarie  du 19 octobre (n° 40072/13) qui pour mieux souligner la gravité des poursuites disciplinaires et des sanctions infligées à la Présidente de l’Union des juges de Bulgarie combine l’article 10 et l’article 18 lequel, sous l’intitulé « Limitation de l’usage des restrictions aux droits » est une arme contre les risques de détournement par les États du droit de la Convention vers des fins opposées à celles auxquelles elle est destinée. On ajoutera ici, même s’il se conclut par un constat de violation de l’article 11 l’arrêt Barseghyan c/ Arménie du 21 septembre (n° 17804/09) relatif à l’interdiction de tenir une réunion politique au lendemain de l’instauration de l’état d’urgence.

Le plus original des arrêts marquant une extension du droit à la liberté d’expression se situe au cœur d’un débat de plus en plus soutenu sur une délicate question de société. Il s’agit de l’arrêt Ringier Axel Springer c/ Slovaquie du 23 septembre (n° 26826/16) estimant qu’une peine d’amende infligée à un journaliste pour avoir diffusé l’interview d’un chanteur célèbre se disant favorable à la légalisation de la marijuana était disproportionnée au regard des exigences de l’article 10. Pour justifier sa solution la Cour fait observer que le journaliste n’avait pas l’intention de faire l’apologie de cette substance et, surtout, que son émission portait sur une question d’actualité et avait contribué à un débat d’intérêt public.

Comme elle le fait régulièrement, la Cour a saisi quelques occasions de rappeler que l’exercice du droit à la liberté d’expression comporte aussi des devoirs et des responsabilités. Ainsi, par son arrêt Staniszewski c/ Pologne du 14 octobre (n° 20422/15), elle a estimé que la condamnation du rédacteur en chef d’un bulletin mensuel gratuit pour avoir publié des affirmations inexactes sur un candidat à des élections locales n’avait pas enfreint l’article 10. Dans le même ordre d’idées, elle a surtout rendu un arrêt Z.B. c/ France du 2 septembre (n° 46883/15) qui est probablement un des plus importants de la période septembre-octobre 2021. En l’espèce, une personne avait eu l’idée bizarre d’offrir à son neveu de trois ans qui s’était fait une joie de le porter à l’école maternelle un tee-shirt où figurait les inscriptions « je suis une bombe » et « Jihad, né le 11 septembre ». Surpris d’avoir été condamné pour apologie de crimes d’atteintes volontaires à la vie, ce tonton flingueur d’un nouveau style est allé s’en plaindre devant la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant une méconnaissance de son droit à l’humour. Il lui a été sèchement répondu, dans le contexte des attentats terroristes qui ont frappé la France, que le discours humoristique ou les formes d’expression qui cultivent l’humour sont protégés par l’article 10 y compris quand ils se traduisent par la transgression ou la provocation, mais que le droit à l’humour ne permet pas tout et que quiconque se prévaut de la liberté d’expression assume des devoirs et des responsabilités. Or, en l’occurrence, les inscriptions litigieuses ne pouvaient s’entendre comme constitutives d’une simple plaisanterie. Autrement dit pour la Cour européenne des droits de l’homme, on peut rire et faire rire de tout mais à condition de ne faire que rire…

L’accompagnement des transformations du droit de la famille et des personnes

La Cour européenne des droits de l’homme s’est à nouveau prononcée sur des questions de droit de la famille relatives à l’existence du lien de filiation (Lavanchy c/ Suisse du 19 octobre, n° 69997/17, estimant que le rejet d’une action en contestation de filiation, introduite sans motif valable après l’expiration du délai de prescription, ne violait pas le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’art. 8) ou sur les difficultés d’établissement des contacts entre le père et l’enfant (v. not. Anagnostakis c/ Grèce du 23 septembre, n° 46075/16, suivant lequel des retards dans la fixation des modalités de visite d’un père à son fils entraînent une violation du droit au respect de la vie familiale). L’organisation de ce que, à Strasbourg, on appelle toujours la garde de l’enfant, soulève elle aussi son lot de difficultés européennes. L’une d’entre elles a été résolue par un arrêt X. c/ Pologne du 16 septembre (n° 20741/10) qui reflète parfaitement les évolutions sociétales en dressant un constat de violation de l’article 8 avec l’article 14 porteur du principe de non discrimination dans une affaire où la garde de son plus jeune enfant avait été retirée à la mère principalement en raison de son orientation sexuelle et ses relations avec une autre femme. Le principe de non discrimination a également fait sentir son influence dévastatrice de la tradition patriarcale en droit des personnes dans un arrêt Léon Madrid c/ Espagne du 26 octobre (n° 30306/13) où il a été décidé que, en cas de désaccord entre les parents, l’attribution automatique à l’enfant du nom du père suivi de celui de la mère manquait de justifications objectives et raisonnables. Cette solution fait rétrospectivement ressortir l’opportunité du choix du législateur français du 17 mai 2013 de s’en remettre, en pareille hypothèse, à l’ordre alphabétique (C. civ., art. 321-21, al. 1er).

Incursion en droit du travail forcé

Il n’est pas tout à fait à exclure que le monde du travail intérimaire cache parfois des réalités sordides. Un arrêt Zoletic c/ Azerbaïdjan du 7 octobre (n° 20116/12) lève peut-être un coin du voile. Il a en effet estimé que la façon dont avaient été traités trente-trois ressortissants de Bosnie-Herzégovine recrutés en qualité de travailleurs intérimaires dans le secteur de la construction en Azerbaïdjan aurait justifié une enquête dont le défaut est constitutif d’une violation de l’article 4, § 2, qui prohibe le travail forcé. Les conditions économiques et sociales sont, à l’évidence, très contrastées des limites les plus orientales du Conseil de l’Europe à ses rives atlantiques. On ne peut pourtant pas exclure qu’une enquête sur les conditions de travail des intérimaires jugée nécessaire là-bas dans une affaire donnée puisse apparaître pertinente ici dans telle ou telle autre.

Avancées en droit des contrats

Il est advenu quelquefois, par exemple avec l’arrêt Zolotas c/ Grèce n° 2 du 29 janvier 2013 qui fait fraterniser la Cour européenne et le solidarisme contractuel, que la Cour européenne des droits de l’homme rende des arrêts importants pour le droit des contrats. Cependant, à l’évidence, ce n’est pas son domaine de prédilection. Aussi faut-il souligner que, au cours de la période considérée, elle s’ y est à nouveau intéressée. Elle l’a fait, de manière un peu surprenante en France où la contrainte par corps en matière civile appartient depuis belle lurette à l’histoire du droit, par un arrêt Moldoveanu c/ République de Moldova du 14 septembre (n° 53660/15) en constatant de violation de l’article 5, § 1er, garantissant le droit à la liberté et à la sûreté parce qu’une personne qui n’avait pas remboursé la dette dont elle était tenue envers un particulier avait été placée en détention provisoire. Elle l’a fait surtout par deux arrêts du 7 octobre rendus contre Malte qui marquent sa volonté d’exercer son influence pour empêcher que ne se créent ou ne se perpétuent de trop graves déséquilibres contractuels. Il s’agit des arrêts Bartolo Parnis (n° 49738) et Galfa (n° 28712/19). Dans les deux affaires les biens des requérants avaient été assujettis à une loi qui leur imposait de continuer à les louer pour un loyer d’un montant très bas et qui les empêchait d’obtenir un rétablissement adéquat de leur situation. Sans même se référer au principe de proportionnalité, la Cour a dressé un constat de violation de l’article 1er du Protocole n° 1 qui consacre le droit au respect des biens séparément et en combinaison avec l’article 13 qui consacre le droit à un recours effectif.

Escapade en droit des groupements

En dépit de son célèbre arrêt Sovtransavto Holding c/ Ukraine du 25 juillet 2002 suivant lequel les actions des sociétés commerciales relèvent de la protection contre les atteintes à la substance du droit de propriété, la Cour s’avance encore moins souvent sur le terrain du droit des sociétés que sur celui du droits des contrats. Avec son arrêt Pintar c/ Slovénie du 14 septembre (n°49969/14) elle s’est cependant enhardie à dresser un constat de violation de l’article 1 du Protocole n° 1 dans une affaire où les mesures imposées par la Banque centrale aux grandes banques slovènes avaient entraîné l’annulation sans indemnisation des titres de milliers d’actionnaires et d’obligataires. On relèvera aussi un important arrêt Democracy eand Human Rights Resource Centre et Mustafayev c/ Azerbaïdjan du 14 octobre (n° 74288/14) se rapportant au droit des associations qui constate des violations de l’article 1er du Protocole n° 1, de l’article 2 du Protocole n° 4 relatif à la liberté de circulation et de l’article 18 parce que le gel des comptes bancaires et des interdictions de voyager visaient à paralyser le travail d’une ONG de défense des droits de l’homme.

Protection soutenue de la propriété immobilière

Au cours de l’été 2021, le verdissement de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg ne s’est pas beaucoup amplifié. À peine peut-on signaler dans ce sens un arrêt Kapa c/ Pologne 14 octobre (n° 75031/13) estimant que des perturbations par des années de circulation intense due à un projet d’autoroute avaient porté atteinte au droit au respect de la vie privée des riverains. La période a plutôt été marquée, au contraire, par des arrêts qui ont énergiquement protégés les propriétaires fonciers contre des mesures destinées à protéger l’environnement. Ainsi un arrêt Berzins c/ Lettonie du 21 septembre (n° 73105/12) a-t-il jugé que trois requérants empêchés d’accéder à leur parcelle de terrain parce que des décisions administratives avaient désigné leur propriété comme une zone d’eau protégée avaient été victimes d’une violation du droit au respect des biens. Surtout , par un arrêt Saksoburggotski et Chrobok c/ Bulgarie du 7 septembre (n° 38948/10), la Cour, poursuivant son œuvre de soutien aux familles royales déchues engagée dans l’affaire Ex-Roi de Grèce c/ Grèce du 23 novembre 2000, a jugé que le moratoire sur l’utilisation commerciale des terres forestières de l’Ex-Roi de Bulgarie Simeon II avait violé ses droits conventionnels.

Droit de vote

Le droit de vote , découlant de l’article 3 du Protocole n° 1 consacrant le droit à des élections libres, a donné lieu à deux arrêts qui ont pourtant été principalement rendus sur le fondement du Protocole n° 12 généralisant le principe de non discrimination. Il s’agit de l’arrêt Toplak et Mrak c/ Slovénie du 26 octobre (n° 34591/19) qui adopte des solutions contrastées selon le type d’élections auxquelles auxquelles des personnes atteintes de dystrophie musculaire n’avaient pas pu participer faute d’aménagements adaptés à leur état et de l’important arrêt Selygeneko c/ Ukraine du 21 octobre (n° 24919/16) qui stigmatise le refus du droit de vote à des élections locales opposé aux réfugiés des zones de conflit en Ukraine.

Lutte contre le formalisme excessif

Il n’est généralement pas possible de rendre compte des nombreux arrêts qui appliquent l’article 6, § 1er, consacrant le tentaculaire droit à un procès équitable. Cette fois, il convient de faire état de l’arrêt Bara et Kola c/ Albanie du 12 octobre (n° 43391/18) qui dresse un constat de violation de ce texte en raison du manque de célérité de deux procédures dans un contexte de réformes judiciaires et de l’arrêt Brus c/ Belgique du 14 septembre (n° 18779/15) qui aboutit à la même conclusion en plaçant à nouveau et avec insistance la question du droit à l’assistance d’un avocat sous l’influence de la notion d’équité globale de la procédure pénale dégagée dans son arrêt de grande chambre Beuze c/ Belgique du 9 novembre 2018. Il importe surtout de relever une forte concentration de solutions qui dénoncent le formalisme excessif des procédures internes. Ainsi l’arrêt Willems et Gorjon c/ Belgique du 21 septembre (n° 73105/12) a-t-il dénoncé le caractère disproportionné de la déclaration d’irrecevabilité de pourvois en cassation pour la seule raison que l’attestation de formation en cassation du représentant des demandeurs n’apparaissait pas dans les pièces du dossier. Quant à l’arrêt Foyer Assurances S.A c/ Luxembourg du 12 octobre (n° 32245/18), il stigmatise l’approche trop formaliste qui a conduit à prononcer l’irrecevabilité d’un moyen unique de cassation parce que le pourvoi n’avait pas précisé lequel des trois articles du code civil visés avait été violé par la cour d’appel. Dans le même esprit, l’arrêt Laçi c/ Albanie du 19 octobre (n° 28142/17) a jugé qu’était constitutif d’une restriction injustifié au droit d’accès à un tribunal découlant de l’article 6, § 1er, le refus d’examiner le bien-fondé d’une demande parce que le droit de timbre n’avait pas été payé et l’arrêt Dylus c/ Pologne du 23 septembre (n° 46075/16) a constaté une violation du droit d’accès à un tribunal en raison du rejet d’un pourvoi en cassation que le demandeur, avocat de profession, avait rédigé lui-même alors qu’il aurait dû l’être par son propre avocat.