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Chronique CEDH : mise en évidence européenne de l’urgence à modifier la définition française du viol

La jurisprudence des mois de mars et avril 2025 se caractérise par des affaires françaises qui sont moins nombreuses qu’en janvier-février mais qui peuvent présenter un intérêt majeur comme celle relative à la répression des actes sexuels non consenties et par des affaires venues d’ailleurs mettant encore plus en évidence que d’habitude l’importance envahissante dans le contentieux européen de l’article 8 qui consacre le doit au respect de la vie privée et familiale, de la correspondance et du domicile.

1. Le juge français Mattias Guyomar élu président de la Cour européenne des droits de l’homme

Le 28 avril, la Cour européenne des droits de l’homme siégeant en assemblée plénière, a porté à sa présidence le juge Mattias Guyomar. Après René Cassin qui le fut du 20 juin 1965 au 15 juin 1968 et Jean-Paul Costa du 19 janvier 2007 au 3 novembre 2011 ; c’est donc le troisième juge français et, pourrait-on ajouter, le troisième français issu du Conseil d’État, qui devient président de la Cour de Strasbourg. Jusqu’alors, seul le Royaume-Uni pouvait s’enorgueillir d’avoir vu trois de ses ressortissants (Lord Mc Nair en 1959, Sir Humphrey Waldock en 1971 et Sir Nicolas Bratza en 2011) accéder à cette haute fonction. D’après l’article 8 du règlement de la Cour, le président est élu pour trois ans sans que cette période puisse excéder la durée de son mandat. Le juge Guyomar ayant été élu à compter du 22 juin 2020 pour une durée de neuf ans c’est à dire jusqu’en juin 2029, ses fonctions de président qu’il commencera à exercer le 30 mai 2025 pourront donc se poursuivre pour une durée de trois ans jusqu’à la fin du mois de mai 2028. Ses trois prédécesseurs immédiats, l’Irlandaise Sofia O’Leary, l’Islandais Robert Spano et le Grec Linos-Alexandre Sicilianos, élus peu de temps avant la fin de leur mandat de juge n’avaient pu exercer, eux, qu’un demi-mandat de président. En élisant le juge Mattias Guyomar, la Cour européenne des droits de l’homme a donc délibérément décidé de confier un mandat entier à son nouveau président qui a notamment pour fonction de représenter la Cour et d’en assurer les relations avec les autorités du Conseil de l’Europe. La durée du mandat jointe aux compétences et au caractère de son titulaire ne seront pas de trop pour permettre à la Cour d’affronter victorieusement les vents et les tempêtes auxquelles elle est habituée mais dont on peut aisément deviner qu’elles seront de plus en plus fortes dans les années qui viennent.

Affaires françaises

Ce sont surtout les arrêts et décisions de comité qui ont diminué en mars-avril 2025 : alors que l’on en n’avait compté près d’une douzaine dont deux arrêts en janvier-février 2025, il ne s’est plus trouvé que quatre décisions. Il s’agit des décisions d’un intérêt limité Bush et Habi (n° 28702/23) et Zaitouni (n° 33041/23) du 6 février 2025 (mais accessibles en mars) qui, sur le fondement de l’article 37 de la Convention européenne ont prononcé les radiations de requêtes dont des détenus mécontents de leurs conditions matérielles d’existence s’étaient désintéressés et, sur le fondement d’une déclaration unilatérale du gouvernement, de celles de personnes se plaignant de l’inexécution d’une décision ordonnant leur relogement ; Ziouche Mansouri du 13 mars 2025 (n° 33057/23) qui, dans une situation voisine, a déclaré irrecevable, sur le fondement de l’article 34, la requête d’une personne relogée parce qu’elle avait perdu la qualité de victime. Il s’agit surtout de la décision Roullet-Sanches du 13 mars 2025 (n° 23864/24) qui, au regard de l’article 2 qui affirme le droit à la vie et sur le fondement de l’article 34, a déclaré irrecevable pour défaut manifeste de fondement la requête de la mère d’un forcené abattu au cours d’une intervention de la brigade anticriminalité.

Dans le même ordre d’idées, l’arrêt Garand du 6 mars 2025 (n° 2474/21) a conclu à la non-violation de l’article 2 dans une affaire où il avait été invoqué par les proches d’un évadé qui avait été tué au cours d’une intervention destinée à mettre fin à sa dangereuse cavale. L’arrêt Calvez du 13 mars 2025 (n° 27313/21, AJ fam. 2025. 226, obs. S. Gasnier ) a aussi conclu à une non-violation, de l’article 8 cette fois, dans une affaire assez classique où une mère avait tenté de faire valoir que le placement de sa fille mineure à l’aide sociale à l’enfance avait porté atteinte à son droit au respect de la vie familiale. En définitive, seuls deux arrêts de chambre méritent plus que d’être mentionnés.

2. La mise en évidence européenne de l’urgence à modifier la définition française du viol

La Cour de Strasbourg ne manque jamais une occasion de rappeler vigoureusement à la France que le consentement doit toujours traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances. Au mois de janvier 2025, elle l’avait fait en matière civile dans l’arrêt H.W dans une affaire de divorce prononcé aux torts exclusifs pour manquement au devoir conjugal ; le 24 avril 2025, dans une affaire L. et autres (n° 46949/21, D. 2025. 736, et les obs. ), elle vient de le redire en matière pénale où l’occasion de l’oublier sont beaucoup plus nombreuses.

L’arrêt regroupe trois affaires dans lesquelles la Cour de cassation avait refusé la qualification de viol à des pénétrations sexuelles sur des mineures de moins de quinze ans dans deux cas, de plus de quinze ans dans le troisième. L’article 222-23 du code pénal qui définissait toujours le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise », avait permis de justifier ces solutions qui n’ont nullement choqué le représentant du gouvernement dans la mesure où les notions de surprise et de contrainte morale permettraient de prendre en compte les situations de tous les mineurs agressés sexuellement dont le consentement a été altéré. La Cour a infligé un cinglant démenti à ce point de vue. Elle remarque tout d’abord que, relativement aux mineures de moins de quinze ans des faits similaires à ceux établis dans une des affaires ne feraient plus débats puisque la réforme issue de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 a introduit une incrimination autonome de viol par un majeur sur mineur de quinze ans à l’article 222-23-1 du code pénal qui serait susceptible d’entraîner, sans autre examen, le renvoi devant la cour d’assises des personnes ayant commis un acte de pénétration. Elle retient surtout que dans les trois requêtes des violations avaient été commises parce les autorités d’enquête et les juridictions internes avaient failli à protéger, de manière adéquate, les requérantes qui dénonçaient des actes de viols alors qu’elles n’étaient âgées que de treize, quatorze et seize ans au moment des faits ; parce que les juridictions internes n’avaient pas dûment analysé l’effet de toutes les circonstances environnantes ni n’avaient suffisamment tenu compte, dans leur appréciation du discernement et du consentement des requérantes, de la situation de particulière vulnérabilité dans laquelle elles se trouvaient, en particulier eu égard à leur minorité à la date des faits litigieux et d’une manière plus générale dépassant le cas des mineures requérantes, parce que compte tenu à la fois du cadre juridique alors applicable et de l’application qui en avait été faite aux cas d’espèces, l’État défendeur avait manqué à ses obligations positives qui lui imposaient, eu égard aux exigences résultant de sa jurisprudence et à la lumière des standards internationaux, d’appliquer effectivement un système pénal apte à réprimer les actes sexuels non consentis. Sa jurisprudence toujours méconnue par la France, même si depuis les faits l’article 222-23 du code pénal a été modifié par la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 pour faire entrer tout acte bucco-génital dans la définition du viol, est évidemment l’arrêt M.C c/ Bulgarie du 4 décembre 2003, dont l’importance se vérifie chaque année davantage, qui a admis qu’il pouvait y avoir viol même en l’absence de résistance physique et qui a dégagé à la charge des États une obligation positive d’adopter des dispositions pénales incriminant et réprimant de manière effective tout acte sexuel non consenti. Dans sa tierce intervention, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a également invoqué l’arrêt M.C c/ Bulgarie pour en déduire que le cadre juridique européen et international plaide en faveur d’une référence claire à la notion de libre consentement pour réprimer le viol et les agressions sexuelles. C’est précisément, comme on le sait, ce que le Parlement français a entrepris de faire au printemps 2025. L’arrêt L. et autres du 24 avril 2025 montre qu’il y a urgence à ce qu’il y parvienne avant l’été.

3. L’accusé enfermé dans un box vitré

L’arrêt Federici du 3 avril 2025 (n° 52302/19) a abordé sous un angle relativement original une question qui est posée à la Cour plus souvent qu’on ne l’imagine. Il s’agit de l’enferment à l’audience des accusés les plus dangereux dans des cages de fer, de bois ou de verre. La Cour a eu plusieurs occasions de décider dans des affaires russes que la comparution dans des cages métalliques était à ce point humiliante pour leur occupant qu’il en subissait un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention (v. par ex., CEDH, gr. ch., 17 juill. 2014, Svinarenko et Slyadnev c/ Russie, n° 32541/08, RSC 2014. 623, obs. J.-P. Marguénaud ). Elle a été, en revanche, plus hésitante à admettre qu’une mesure aussi extrême donnait une image si négative de l’accusé que son droit à la présomption d’innocence en était atteint. Elle l’avait incidemment admis dans une affaire Ramichvili et Kokhreidzé c/ Géorgie du 27 janvier 2009 (n° 1704/06) mais dans l’arrêt Hashot Haroutyounan c/ Arménie du 15 juin 2010 (n° 34334/04) elle avait repoussé cette solution parce que la cage était une structure permanente et non pas installée spécialement pour le procès du requérant.

Dans l’affaire Federici, l’accusé n’avait pas été placé dans une cage métallique mais dans un box vitré eu égard à la gravité des faits qui lui étaient reprochés et au nombre d’années qu’il avait passées en fuite. Un box vitré ne présentant pas l’aspect rebutant des cages métalliques, il n’y avait même pas lieu de poser la question de savoir si son occupant pouvait avoir subi un traitement dégradant au regard de l’article 3. Il n’y avait plus qu’à décider si le fait d’y avoir été enfermé pendant plusieurs journées d’audience avait porté atteinte au droit à la présomption d’innocence. La question était d’autant plus intéressante que le box vitré était une installation permanente qui n’avait pas été spécialement mise en place pour le procès du requérant. L’arrêt du 3 avril présente l’intérêt de faire écho à la tierce intervention du Conseil national des barreaux qui dénonçait le recours systématique et indifférencié aux boxes sécurisés apparus dans les salles d’audience dans les années 2000 qui a suscité des critiques tant des avocats que du Défenseur des droits et du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. L’inamovibilité d’une telle structure suscite en effet des interrogations de la Cour sur la possibilité pour les juridictions internes d’effectuer une appréciation « au cas par cas » de la nécessité pour la personne accusée de comparaître dans un box puisqu’un recours systématique à...

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