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Chronique CEDH : rapatriement des mères djihadistes et de leurs enfants détenus en Syrie

Il faut commencer par signaler l’entrée en vigueur le 3 octobre 2022 d’un nouveau règlement de la Cour intégrant une nouvelle version de l’instruction pratique concernant les demandes de mesures provisoires édictée par le président conformément à l’article 32. Il précise essentiellement que les mesures provisoires formées au titre de l’article 39 du règlement ne sont pas traitées par la Cour si elles sont adressées par courrier électronique et qu’elles doivent être envoyées soit par « EHCR Rule 39 site », soit par télécopie ou par la poste en faisant alors figurer en gras sur la première page le mot « urgent » suivi du nom et des coordonnées de la personne à contacter ainsi que, dans les affaires d’extradition et d’expulsion, la date et l’heure prévues pour y procéder et le lieu de destination. S’agissant de l’activité jurisprudentielle proprement dite, la période septembre octobre 2022 a été marquée par d’importants arrêts de grandes chambres se rapportant aux difficultés de rapatriement en France des enfants de jeunes Françaises djihadistes et aux discriminations stéréotypées frappant les veufs ; par des arrêts et décisions peu enclins à stigmatiser les mesures mises en place par les États pour lutter contre la pandémie de covid-19 ; de nombreux arrêts accentuant la lutte contre les interventions médicales non consenties ; des solutions à fort impact environnemental ; des arrêts protecteurs des formes les plus outrancières de la liberté d’expression…

Rapatriement des mères djihadistes et de leurs enfants détenus en Syrie

Il y a quelques années, de jeunes Français et de jeunes Françaises sont allés rejoindre le califat que Daech avait proclamé dans le nord de la Syrie et de l’Iraq dont l’organisation terroriste internationale s’était assuré le contrôle. Or, à partir de 2017, après la prise de son éphémère capitale Raqqa, le califat s’est à peu près effondré et nombre de ses combattants ont été capturés puis détenus dans des camps situés au Nord-Est de la Syrie où leurs conditions de vie ont été jugées particulièrement indignes par d’influentes ONG. Or, parmi ces prisonniers un peu oubliés de Dieu et presque abandonnés des hommes, se sont trouvées quelques dizaines de jeunes Françaises dont certaines étaient devenues mères depuis leur enrôlement. Les autorités françaises en avaient rapatrié une quinzaine accompagnée de trente-cinq enfants mais elles étaient restées absolument passives et silencieuses à l’égard de beaucoup d’autres. Aussi, dans les affaires H.F. et autres c. France (n° 24384/19, Dalloz actualité, 20 sept. 2020, obs. F. Merloz ; AJDA 2022. 1711 ; AJ fam. 2022. 461, obs. F. Capelier ) les parents de quelques-unes d’entre elles et grands-parents de leurs enfants détenus avec elles ont-ils mobilisé la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à leur secours. Le grand public et les médias auront bruyamment relevé que la CEDH, se prononçant en grande chambre en faveur de laquelle une chambre s’était dessaisie eu égard à la gravité des enjeux, avait infligé un cuisant échec à la France en décidant par un arrêt du 14 septembre qu’elle n’avait pas examiné avec des garanties suffisantes contre l’arbitraire les demandes de retour de leurs proches présentées par les requérants et en affirmant sans ménagement qu’il incombait au gouvernement français d’en reprendre l’examen dans les plus brefs délais en l’entourant des garanties appropriées. Tout le monde aura également noté que, à peine plus d’un moins plus tard, le 20 octobre, la France a à nouveau rapatrié une quinzaine de femmes et une quarantaine d’enfants qui vivaient dans les camps du Nord-Est de la Syrie. Qu’un État ayant librement accepté de se soumettre au système européen de garantie collective des droits de l’homme tiennent compte de manière aussi rapide et aussi significative d’un arrêt de la Cour de Strasbourg témoigne d’une approche qui, au-delà des turbulences médiatiques et des postures politiques, mérite d’être saluée particulièrement dans la mesure où elle bénéficie à des enfants vulnérables : des droits l’homme concrets et effectifs ne sont jamais plus précieux que lorsque les temps s’assombrissent. L’épilogue relativement heureux de l’affaire H.F. c. France ne doit pas faire oublier cependant que, si l’on prend le temps de ne pas en rester à la surface médiatique des choses, l’arrêt de grande chambre auquel elle a donné lieu préserve davantage l’intérêt de l’État que celui des personnes mineures ou majeures.

Certes, pour pouvoir examiner la situation des jeunes femmes djihadistes et de leurs enfants retenus dans un État extérieur au Conseil de l’Europe sur lequel l’État défendeur n’exerce aucun contrôle, il n’a pas hésité à étendre l’effet dit extraterritorial de la CEDH en admettant qu’il existait des circonstances particulières permettant d’affirmer qu’ils relevaient de la juridiction de la France au sens de l’article 1er de la Convention européenne des droits de l’homme. En outre, il a transposé la jurisprudence relative à la représentation des personnes extrêmement vulnérables établie par l’arrêt majeur Centre de ressources juridiques pour Valentin Campeanu c. Roumanie du 17 juillet 2004 pour pouvoir admettre la recevabilité des requêtes introduites par leurs parents et grands-parents. Le plus remarquable reste néanmoins que, précisant l’interprétation de l’article 3, § 2, du Protocole n° 4 suivant lequel nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant, l’arrêt H.F. et autres c. France a hautement affirmé que les requérants n’étaient pas fondés à invoquer le bénéfice d’un droit général au rapatriement au titre du droit d’entrer sur le territoire national garanti par l’article 3, § 2, du Protocole n° 4. Pour justifier ce refus d’une interprétation dynamique de cet article peu connu, la Cour a bien pris soin de prendre note « des préoccupations du Gouvernement défendeur et des gouvernements tiers sur le risque qu’il y aurait, en consacrant un tel droit, d’aboutir à la reconnaissance d’un droit individuel à la protection diplomatique qui irait à l’encontre du droit international et du pouvoir discrétionnaire des États ». Après une sauvegarde aussi énergique du pouvoir discrétionnaire de l’État dans la conduite des relations internationales, l’exigence de garanties suffisantes contre l’arbitraire dans l’examen des demandes de retour, fait figure de compensation concédée in extremis au nom de l’intérêt supérieur des enfants qui étaient nombreux en l’espèce. Compensation qui, en dépit de ces heureuses et récentes retombées pratiques resterait inquiétante d’un point de vue théorique puisque selon deux juges dissidents, elle ouvrirait la voie à des exils non arbitraires alors que l’article 3, § 2, du Protocole n° 4 est censé avoir été écrit pour mettre en œuvre une prohibition absolue de l’exil des nationaux.

Quoi qu’il en soit, ceux qui ne sont jamais en retard d’une approximation pour reprocher à la Cour d’en faire beaucoup trop pour des djihadistes majeures qui ont trouvé en Syrie ce que personne ne leur avait demandé d’aller y chercher, se rassureront à la lecture de l’arrêt Morck Jansen c. Danemark du 18 octobre (n° 60785/19) suivant lequel, après leur rapatriement ou leur retour volontaire, elles peuvent, sans pouvoir compter sur la protection du Protocole n° 4 dont l’article 2 consacre aussi le droit de quitter n’importe quel pays y compris le sien, être condamnées pour s’être rendues pendant la guerre civile dans une zone d’accès limité comme la région d’Al Raqqa.

Des préjugés et des stéréotypes sexistes se retournant contre l’homme veuf

L’arrêt de grande chambre Beeler c. Suisse du 11 octobre 2022 (n° 78630/12, D. 2021. 863, obs. RÉGINE ), rendu après renvoi d’un arrêt de chambre du 20 octobre 2020 qui s’appelait alors B. c. Suisse, a eu à se prononcer sur l’application d’une curieuse disposition du droit suisse selon laquelle l’homme perd sa rente de veuf à la majorité du plus jeune de ses enfants alors que, dans une situation symétrique, la rente est conservée par la veuve. Cette discrimination fondée sur le sexe s’abattant pour une fois sur l’homme trouverait sa justification dans le concept du « mari pourvoyeur » présumant que le mari pourvoit à l’entretien de la femme si bien que, devenu veuf il peut aisément se suffire à lui-même lorsque les enfants volent de leurs propres ailes alors que la veuve reste démunie et peu habile à trouver un emploi. Par une combinaison de l’article 14 avec l’article 8 garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale dans un domaine où d’ordinaire c’est plutôt l’article 1er du Protocole n° 1 consacrant le droit au respect des biens qui sert de levier, la Cour a stigmatisé cette discrimination. Elle l’a fait avec d’autant plus d’éclat qu’elle a affirmé que l’idée invoquée comme justification objective et raisonnable de la différence de traitement frappant les hommes veufs contribue plutôt à perpétuer des préjugés et des stéréotypes concernant la nature et le rôle des femmes au sein de la société et constitue un désavantage tant pour la carrière des femmes que pour la vie familiale des hommes.

Barrage contre la mise en cause des mesures étatiques ordonnées pour lutter contre la covid-19

On sait que la Cour européenne des droits de l’homme a eu à cœur de na pas tarder à se prononcer sur les atteintes aux droits de l’homme que, dans l’urgence et l’impréparation, les mesures sanitaires adoptées par les autorités sanitaires pour endiguer la pandémie de covid-19 étaient susceptibles d’avoir générées. Cependant, à la notable exception de l’arrêt Communauté genevoise d’action syndicale c. Suisse du 15 mars 2022 (n° 21881/20, AJDA 2022. 555 ; ibid. 1892, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2022. 1130 , note M. Afroukh et J.-P. Marguénaud ) constatant que l’interdiction de manifestations publiques pendant la crise sanitaire avait violé l’article 11, elle prend son temps pour s’ériger en censeur des mesures possiblement liberticides mises en œuvre par les États en 2021 et 2022. Cette attitude compréhensive envers les autorités sanitaires s’est encore amplifiée au cours des mois de septembre et octobre. Une première preuve en est fournie par la décision très attendue rendue le 6 octobre dans l’affaire Thévenon c. France (n° 46061/21) portée devant la juridiction internationale au lendemain de l’entrée en vigueur de la loi du 5 août 2021 par un sapeur-pompier qui contestait au regard de l’article 8 de la Convention et de l’article 1er du Protocole n° 1 l’obligation vaccinale qu’elle imposait aux membres de sa profession. Or, sans le moindre assouplissement au regard du particularisme des circonstances, la Cour a implacablement déclaré sa requête irrecevable pour non-épuisement des voies recours internes et s’est même donné la peine de rappeler que l’avis favorable à l’adoption de la loi délivré...

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