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Chronique CEDH : révolte contre le formalisme numérique

Après avoir commencé à encaisser les contrecoups de la crise sanitaire et du déclenchement de la guerre d’Ukraine, la Cour européenne des droits de l’homme, en mai et juin 2022, a semblé retenir son souffle. Avant de se pencher sans doute sur la question cruciale du réchauffement climatique qui sera bientôt exclusivement abordée en Grande chambre puisque la déjà célèbre affaire Duarte Agostinho c/ Portugal et 32 autres États membres du Conseil de l’Europe (n° 39371/20) a donné lieu à son tour à un dessaisissement le 28 juin, elle n’a rien décidé de particulièrement spectaculaire. Le seul arrêt de grande chambre de la période, Savickis et autres c/ Lettonie du 9 juin (n° 49270/11), n’a lui-même qu’un intérêt très contextualisé puisqu’il affirme, pour l’essentiel, que, au regard de l’article 1er du Protocole n° 1 protecteur du droit au respect des biens, le pays balte défendeur n’était pas tenu d’assumer les droits à la retraite accumulés pendant la période soviétique. On peut néanmoins souligner l’existence d’intéressants arrêts et décisions dans des domaines aussi variés que : le formalisme numérique, les droits religieux des personnes détenues ou appartenant à des minorités, la liberté syndicale, la liberté d’expression, la protection de l’environnement, l’accès des personnes handicapées aux bâtiments culturels municipaux, la lutte contre les violences de tous ordres…. Il ne faut pas oublier l’actualité des mesures provisoires.

Révolte contre le formalisme numérique

La numérisation de la procédure présente de sérieux avantages de célérité ou d’élimination de tâches rébarbatives tenant par exemple à la réalisation de photocopies, à la mise sous pli de documents niaisement écrits sur du papier, mais elle risque de rendre encore plus théorique le droit d’accès au juge des justiciables frappés d’illectronisme, d’analphabétisme numérique. Or, ces risques viennent d’être pris en compte par un arrêt Xavier Lucas c/ France du 9 juin (n° 15567/20, Dalloz actualité, 16 juin 2022, obs. C. Bléry ; AJDA 2022. 1190 ) qui pourrait marquer le début d’une révolte contre le formalisme numérique. La Cour de Strasbourg y a en effet estimé que l’exigence par la Cour de cassation française de la présentation, à peine d’irrecevabilité, d’une voie de recours par la voie électronique relevait d’un formalisme excessif méconnaissant le droit d’accès au juge garanti par l’article 6, § 1er, de la Convention. Sans doute la solution s’explique-t-elle par les obstacles pratiques auxquels s’était heurté le requérant en l’espèce et l’arrêt a-t-il pris soin de préciser qu’il n’était ni irréaliste ni déraisonnable d’exiger l’utilisation d’un service numérique commun aux juridictions judiciaires et commerciales par des professionnels du droit qui utilisent largement et de longue date l’outil informatique. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là d’un coup de semonce qui peut aider à prendre conscience des risques autrement plus graves et plus subtils de la marche forcée vers la généralisation de la justice numérique.

Renforcement des droits religieux des détenus musulmans et des témoins de Jéhovah

À l’heure où l’opinion s’enflamme sur la question de savoir si les femmes de religion musulmane doivent ou non être autorisées à porter le burkini dans les piscines municipales, on accordera un certain intérêt à l’arrêt Abdullah Yalçin (n° 2) c/ Turquie du 14 juin (n° 34417/10) qui constate une violation de l’article 9 garantissant le droit au respect des convictions religieuses en raison du refus dépourvu de motifs pertinents et suffisants d’autoriser un condamné de religion musulmane détenu dans un quartier de haute sécurité à participer à la prière collective du vendredi.

Ce sont cependant les témoins de Jéhovah, qui au cours de la période considérée, ont le plus souvent retenu l’attention des juges de Strasbourg. Le 7 juin, ils leur ont en effet consacré deux importants arrêts. Il s’agit tout d’abord de l’arrêt Teliatnikov c/ Lituanie (n° 51914/19) dressant un constat de violation de l’article 9 parce qu’un témoin de Jéhovah, objecteur de conscience suivant les préceptes de sa religion, a droit à un véritable service de remplacement au service militaire et pas seulement à un service civil ne présentant avec le service militaire qu’une différence de façade dans la mesure où il reste sous le contrôle des structures militaires. Il s’agit ensuite de l’arrêt Taganrog L RO c/ Russie (n° 32401/10) estimant que la législation russe qui avait progressivement soumis les organisations religieuse témoins de Jéhovah à l’obligation de se réenregistrer, révoqué leur permis de distribuer des magazines religieux, interdit leur site internet international, confisqué les biens de certains de leurs membres, avait entraîné des violations de l’article 9 mais aussi de l’article 10 qui consacre le droit à la liberté d’expression, de l’article 11 qui garantit le droit à la liberté d’association ou encore de l’article 1er du Protocole n°1.

Le petit printemps de la liberté syndicale

Depuis l’emblématique arrêt de grande chambre Demir et Baykara c/ Turquie du 12 novembre 2008 (n° 34503/97, AJDA 2007. 902, chron. J.-F. Flauss ; D. 2007. 410 , note J.-F. Renucci et C. Bîrsan ) qui a consacré le droit de mener des négociations collectives et l’arrêt Enerji Yapi-Yol Sen c/ Turquie du 21 avril 2009 (n° 68959/01, RDT 2009. 499, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly ) qui a conventionnalisé le droit de grève, le volet de l’article 11 relatif à la liberté syndicale n’est pas souvent à l’honneur. Au printemps 2022, il a repris quelques couleurs grâce à deux arrêts importants. Il s’agit des arrêts Vlahov c/ Croatie du 5 mai (n° 31163/13) et Straume c/ Lettonie du 2 juin (n° 59402/14). Le premier a reconnu aux syndicats un droit de contrôle sur leur composition en constatant une violation de l’article 11 dans un cas de condamnation à une peine de quatre mois de prison avec sursis du représentant d’un syndicat de douaniers accusé d’avoir refusé l’adhésion d’une quinzaine de collègues invoquant, eux, le droit de s’affilier à un syndicat expressément garanti par l’article 11. Le second a jugé que, au regard de cet article lu à la lumière de l’article 10, la suspension, puis l’obligation de rester inactive et enfin le licenciement de la présidente d’un syndicat de contrôleurs aériens pour avoir exprimé des préoccupations concernant la sécurité aérienne étaient disproportionnées ; ce qui, encore que la Cour s’en défende, peut éventuellement relancer la question de savoir si les syndicats peuvent être des lanceurs d’alerte et pas seulement des facilitateurs au sens, par exemple, de la loi française du 21 mars 2022.

La liberté d’expression en matière politique

Au cours de la période considérée ont été rendus de nombreux arrêts relatifs à la liberté d’expression des responsables politiques et de ceux qui les critiquent. Dans l’ensemble, la période leur a été plutôt faste. On relève certes, un arrêt Mesic c/ Croatie du 5 mai (n° 19362/18) estimant qu’un ancien président de la République condamné pour avoir diffamé un avocat n’avait pas été victime d’un violation du droit qu’il tient de l’article 10 mais, en contrepoint, se trouve un arrêt Pretorian c/ Roumanie du 24 mai (n° 45014/16) aboutissant à la même conclusion dans le cas opposé de la condamnation civile du rédacteur en chef d’un journal qui avait publié deux articles portant atteinte à la vie privée d’un homme politique. Surtout, deux arrêts ont renforcé le droit des responsables politiques à utiliser les moyens modernes de communication, Patricio Monteiro Telo de Abreu c/ Portugal du 7 juin (n° 42713/15) et Ponta c/ Roumanie du 14 juin (n° 44652/18) dressant respectivement des constats de violation de l’article 10 parce qu’un élu local avait été pénalement sanctionné pour avoir diffusé sur son blog des caricatures de nature politique et parce qu’un ancien Premier ministre avait été condamné pour des propos publiés sur Facebook. Dans le même ordre d’idée, on peut également retenir l’arrêt Taner Kiliç (n° 2) c/ Turquie du 31 mai (n° 208/18, Dalloz actualité, 22 oct. 2019, obs. F. Mélin) qui, entre autres constats de violation, a dressé celui du droit à la liberté d’expression du président de la branche turque d’Amnesty International soupçonné d’appartenance à un parti séparatiste en raison de sa détention provisoire principalement motivée par son utilisation de la messagerie Bylock qui était une application pour smartphone permettant aux utilisateurs de communiquer entre eux grâce à une connexion cryptée privée. Puisque la crise polonaise de l’État de droit, déjà rencontrée dans la précédente chronique d’actualité jurisprudentielle, est finalement une crise politique, on signalera enfin le nouveau développement qu’elle a connu à Strasbourg avec l’arrêt Zurek c/ Pologne du 16 juin (n° 39650/18) qui a constaté une violation de l’article 10 en raison des mesures prises par le gouvernement pour tenter de réduire au silence un juge réputé qui était porte-parole du Conseil national de la magistrature.

Le droit de l’avocat de plaisanter au prétoire

Un avocat qui avait raconté une plaisanterie à l’audience pour illustrer sa critique de la procédure dans laquelle il représentait son client, avait écopé d’une amende pour outrage au tribunal. Or, par un arrêt Simic c/ Bosnie-Herzégovine du 17 mai (n° 39764/20, Dalloz actualité, 24 mai 2022, obs. S. Lavric), la Cour, tout en reconnaissant qu’il est important que les avocats se comportent avec discrétion, honnêteté et dignité afin que le public ait confiance dans l’administration de la justice, a estimé qu’une telle sanction avait violé l’article 10 dans la mesure où, de jurisprudence constante, le ton acerbe voire sarcastique adopté par l’avocat à l’égard des magistrats en dehors de la présence des médias est conforme à la liberté d’expression. Même s’il ne s’agit que d’un arrêt de comité dont on ne trouve que très exceptionnellement trace dans les communiqués du greffe de la Cour de Strasbourg, cet arrêt Simic est particulièrement réjouissant à une époque où le droit à l’humour est en voie d’extinction.

De l’inconventionnalité de la condamnation à une peine de prison ferme pour des propos scandaleux tenus à la radio

Libéré après avoir purgé vingt-cinq ans de réclusion criminelle, un ancien terroriste fortement médiatisé avait déclaré au cours d’une émission de radio que, à ses yeux, les responsables des attentats terroristes perpétrés à Paris et en Seine-Saint-Denis en novembre 2015 avaient été « très courageux » et s’étaient « battus courageusement ». Dans le contexte de l’époque, de tels propos avaient tellement choqué qu’ils avaient valu à leur auteur des poursuites pour complicité d’apologie publique d’actes de terrorisme et une condamnation à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement dont dix mois de sursis probatoire. Or, par un arrêt Rouillan c/ France du 23 juin (n° 28000/19, Dalloz actulaité, 29 juin 2022, obs. S. Lavric), la Cour, sans remettre en cause le principe de la condamnation pour apologie du terrorisme, a estimé que, dans la mesure où une peine privative de liberté avait été infligée à celui qui avait fait cet éloge du courage des terroristes, une atteinte disproportionnée avait été portée à son droit à la liberté d’expression. En dépit des circonstances particulières de l’espèce, le passé du requérant victorieux est si éloquent, son appréciation radiophonique tellement provocatrice que l’on peut se demander si l’interdiction de sanctionner par une peine privative de liberté ceux qui abusent de leur liberté d’expression n’est pas sur le point de devenir un principe ne recevant d’exceptions que dans les cas gravissimes d’appel à la violence meurtrière.

La protection de l’environnement face à l’extraction des métaux précieux et aux dégâts des os

Comme on le sait, en l’absence de la moindre disposition conventionnelle faisant même indirectement référence à la protection de l’environnement, à la lutte contre la pollution ou au réchauffement climatique, la Cour de Strasbourg déploie tout son talent interprétatif pour adapter la CEDH à ces fortes exigences contemporaines. En mai et juin 2022, elle encore a apporté deux touches à son œuvre de verdissement de sa jurisprudence. Dans l’arrêt Bumbes c/ Roumanie du 3 mai (n° 18079/15), elle a estimé qu’un projet d’extraction d’or et d’argent sur un site appartenant au patrimoine de l’Unesco était un sujet d’intérêt général relevant d’un discours public. Aussi a-telle jugé que la condamnation à une amende d’un militant qui s’était menotté aux barrières du bâtiment principal du gouvernement pour attirer l’attention sur les dangers du projet minier avait porté atteinte à son droit garanti par l’article 10 de la Convention lu à la lumière de l’article 1 puisque l’article 10, § 2, laisse peu de place pour les restrictions aux discours publics sur les questions d’intérêt général, quelle que soit la forme qu’ils prennent. Quant à l’arrêt Solyvanik c/ Russie du 10 mai (n° 47987/15), il s’est penché sur la question funèbre de la pollution provoquée par les corps en décomposition pour décider que l’extension d’un cimentière qui avait provoqué une contamination dangereuse des sols et de l’eau du terrain attenant, avait entraîné une violation du droit au respect de la vie privée du propriétaire voisin encore que rien n’ait prouvé l’existence d’un préjudice pour sa santé.

Les fauteuils roulants des personnes handicapées bloqués aux portes des bâtiments culturels municipaux

Comme d’ordinaire, il est matériellement impossible de rendre compte de tous les arrêts et décisions rendus au regard de l’article 8. On s’en tiendra donc à signaler, outre l’arrêt Solynanik cité supra, les principaux arrêts qui ont dressé des constats de violation, M.O c/ Espagne du 28 juin (n° 36584/17) dans un cas de fichage pour des raisons politiques ; Lia c/ Malte du 5 mai (n° 8709/20) en raison du refus de procéder à une procréation assistée sur le fondement d’une loi qui ne précisait pas clairement jusqu’à quel âge limite l’homme du couple pouvait y prétendre ; L.F. c/ Hongrie du 19 mai (n° 621/14) parce que l’inspection du domicile d’une famille rom avait été réalisée sans base légale; IGD c/ Bulgarie du 7 juin (n° 70139/14) à cause de l’absence de contrôle périodique des mesures de placement des enfants. On accordera une plus grande attention, en raison de son retentissement sur le droit des contrats, à la décision d’irrecevabilité De Kok c/ Pays-Bas du 19 mai (n° 1443/19) opposée à un requérant qui se plaignait d’une obligation de souscrire une assurance maladie de base. On s’attardera surtout, pour se demander comment il est encore possible que la solution qu’il retient puisse encore être adoptée, sur l’arrêt Arnar Helgi Larusson c/ Islande du 31 mai (n° 23077/19, AJDA 2022. 1129 ). Ne parvenant toujours pas à se sortir de l’ornière où elle est tombée depuis son arrêt Botta c/ Italie du 24 février 1998 (n° 21439/93, AJDA 1998. 984, chron. J.-F. Flauss ; D. 1998. 371 , obs. N. Fricero ; RTD civ. 1999. 498, obs. J.-P. Marguénaud ) laissant perdurer l’impossibilité d’accès des personnes handicapées aux établissements de bains privés, la Cour, toujours soucieuse de ne pas mettre à la charge des États de trop lourdes obligations positives, y a en effet jugé que le principe de non-discrimination affirmé par l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 n’était d’aucun secours pour dénoncer et faire cesser l’impossibilité matérielle d’accéder en fauteuil roulant à des bâtiments culturels municipaux.

L’accentuation de la lutte contre les violences de toute nature

Que ce soit sous l’angle de l’article 2 qui garantit le droit à la vie ou au regard de l’article 3 qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants, la Cour a toujours autant d’occasions de se prononcer sur des brutalités et des violences policières. En fonction des circonstances de l’affaire, il arrive que certaines trouvent grâce à ses yeux comme dans l’affaire Bouras c/ France du 19 mai (n° 31754/18, Dalloz actualité, 16 juin 2022, obs. M. Slimani) relative à l’usage de la force armée par un gendarme sur une personne détenue agressant sa collègue pendant un transport de police. On assistance cependant à une augmentation des constats de violation de l’article 2 (Boboc c/ Moldavie du 7 juin, n° 44592/16, pour un tabassage à mort par la police) et de l’article 3 (Dokukiny c/ Russie du 24 mai, n° 1223/12 ; Skorupa c/ Pologne du 16 juinn, n° 44153/15). Sur cette liste, il faut ajouter l’arrêt H.M. c/ Pologne du 2 juin (n° 38967/17) suivant lequel le fait d’avoir menotté et entravé un demandeur d’asile constitue un traitement inhumain et dégradant.

Avec l’arrêt De Giorgi c/ Italie du 16 juin (n° 23735/19), la Cour a poursuivi sa croisade contre les violences domestiques en stigmatisant sur le fondement de l’article 3 la passivité des autorités policières et judiciaires italiennes face à des allégations sérieuses de mauvais traitements infligés par le mari à sa femme et à ses enfants.

La lutte contre les agressions homophobes s’est également intensifiée avec l’arrêt Oganezova c/ Arménie du 17 mai (n° 71367/12). Il a considéré que l’incendie volontaire, cautionné publiquement par des personnalités politiques de premier plan, du bar d’une figure de la communauté LGBT arménienne avait entraîné une violation de l’article 3 combiné avec l’article 14. En outre, sur le fondement de l’article 46 de la Convention relatif à la force obligatoire et à l’exécution des arrêts, la Cour a indiqué que l’Arménie avait l’obligation de modifier sa législation de manière à faire de l’homophobie une circonstance aggravante et à protéger l’orientation sexuelle, tout en lui laissant le choix des moyens d’y parvenir.

Le droit à la liberté et à la sûreté dans tous ses états

Comme l’article 6, § 1er, et l’article 8, l’article 5 qui consacre le droit à la liberté et à la sûreté est tellement sollicité qu’il est hors d’atteinte de rendre compte de toutes ses applications bimestrielles. Pour cette fois on retiendra, d’un côté l’arrêt Alici c/ Turquie du 24 mai (n° 70098/12) qui en dresse un constat de violation parce que l’arrestation et la détention des requérants au prétexte d’un contrôle d’identité visait à les empêcher de participer à une manifestation : de l’autre l’arrêt Galeanos Penas c/ Espagne du 31 mai (n°48784/20) rendu dans une délicate affaire de droit transitoire où il a été notamment jugé que l’exécution d’une peine d’emprisonnement 5 ans après le jour où elle était devenue définitive ne portait pas atteinte au droit à la liberté et à la sûreté.

Application insolite du Protocole n° 12 portant interdiction générale de la discrimination

Pour marquer le 50e anniversaire de la CEDH, a été signé à Rome un Protocole additionnel 12 qui étend l’interdiction de la discrimination à la jouissance de tout droit prévu par la loi alors que l’article 14 de la Convention la limite à celle des droits et libertés reconnus dans ladite Convention. Même si un certain nombre d’États dont la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ne se sont même pas donné la peine de le signer, il a reçu un nombre de ratifications suffisant pour lui permettre d’entrer en vigueur le 1er avril 2005 et pour être aujourd’hui applicable à 18 des 46 États membres du Conseil de l’Europe. Dans ces conditions, la Cour ne s’appuie pas encore très souvent sur lui. Or elle vient de le faire par un arrêt X. et autres c/ Albanie du 31 mai (n° 73548/17) qui mérite donc une attention particulière. En l’espèce, la Cour se sert de l’article 1er du Protocole n° 12 pour dénoncer une ségrégation qui s’était instaurée dans certaines écoles albanaises en raison de la surreprésentation des élèves roms ou égyptiens qui représentaient 89 à 100 % de leurs effectifs. La solution, nourrie du reproche adressé au gouvernement d’avoir laissé perdurer la situation alors qu’il avait su déployer ailleurs les mesures qui auraient permis d’y mettre fin, est tout à fait convaincante. Elle est cependant un peu insolite puisque la surreprésentation dans les écoles concernées ne témoignait pas de la volonté délibérée des autorités d’établir une ségrégation bafouant le droit à une éducation inclusive des enfants d’origine égyptienne ou rom mais s’expliquait d’abord par la distribution d’aides alimentaires destinées à augmenter les taux de fréquentation scolaire des enfants des deux communautés. Or de telles mesures correspondaient à l’idée suivant laquelle l’article 14 n’interdit pas à l’État de traiter différemment des groupes afin de corriger des inégalités de fait et pouvaient même servir à se mettre à l’abri de la jurisprudence affirmée par l’arrêt Horvath et Kiss c/ Hongrie du 29 janvier 2013 (n° 11146/11) qui considère que l’article 14 peut justifier une condamnation de l’État qui ne tente pas de corriger une inégalité par un traitement différent. C’est sans doute l’illustration de ce qu’en matière de lutte contre les discriminations, le risque de tomber de Charybde en Scylla est probablement plus élevé qu’en n’importe quel autre domaine.

Du caractère dérisoire des mesures provisoires adoptées contre la Russie depuis son exclusion du Conseil de l’Europe

Comme on le sait, l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe le 16 mars 2022 laisse à la Cour compétence contre cet ancien État membre relativement aux actions et omissions attentatoires à la CEDH ou à ses Protocoles additionnels qui surviendront jusqu’au 16 septembre 2022, date d’expiration du délai de six mois prévu par l’article 58 de la Convention. À ce titre et dans ce cadre, elle ne s’est pas privée d’indiquer, sur le fondement de l’article 39 de son Règlement des mesures provisoires à l’État exclu. Ainsi dans les affaires Saadoune (n° 28944/22), Pinner et Aslin (n° 31217/22) a-t-elle demandé à la Fédération de Russie de veiller à ce que les condamnations à mort prononcées contre des prisonniers de guerre marocain et britanniques qui s’étaient rendus aux forces russes dans la République populaire autoproclamée du Donetsk ne soient pas exécutées. C’est bien face à de tels risques d’atteintes graves et irréversibles aux droits de l’homme que les mesures provisoires se justifient. Cependant celles qui viennent d’être indiquées auront surtout pour effet, on peut le redouter, d’aider à mieux comprendre à quel point les droits de l’homme sont dérisoires face à la guerre…