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Article
Chronique d’arbitrage : arbitrage et question préjudicielle – la cour d’appel de Paris jette un pavé dans la mare
Chronique d’arbitrage : arbitrage et question préjudicielle – la cour d’appel de Paris jette un pavé dans la mare
Une simple question préjudicielle est-elle de nature à provoquer une onde de choc ? Assurément, oui. Car il n’est pas banal que la question porte sur l’interprétation d’un traité multilatéral dont l’application était demandée dans un arbitrage n’ayant aucun lien avec l’Union européenne. La Cour de justice est-elle sur le point de devenir le juge des recours contre les sentences ?
par Jérémy Jourdan-Marquesle 29 octobre 2019
Paris, 11 sept. 2019, n° 19/04988
Cet arrêt sera abondamment commenté. Ce n’est toutefois pas le seul. Au titre des arrêts importants, on signalera un nouvel arrêt de la Cour de cassation à propos de l’obligation de révélation des arbitres (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, commentaire à venir par C. Debourg) ainsi qu’un arrêt concernant l’intervention des tiers dans le recours en annulation (Paris, 24 sept. 2019, n° 17/14143).
I – Question préjudicielle et Traité sur la charte de l’énergie
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 24 septembre 2019 (n° 18/14721 ; l’arrêt est rendu sur renvoi après cassation, Civ. 1re, 28 mars 2018, n° 16-16.568, Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 561, note C. Fouchard ; JDI 2019. 160, note E. Gaillard) pourrait être le début d’une longue saga ainsi que d’une profonde remise en question de Paris comme place d’arbitrage en matière d’investissements (bien que, il faut le reconnaître, cet épouvantail est régulièrement agité sans que l’on puisse concrètement en évaluer les conséquences). L’arrêt étant très récent, il est difficile d’avoir le recul nécessaire pour en donner une appréciation définitive. Les questions soulevées sont d’autant plus délicates qu’elles invitent à un regard croisé entre droit de l’arbitrage, droit européen et droit international public. La question posée par cet arrêt est susceptible de deux niveaux de lecture.
Le premier, retenu par la cour d’appel de Paris, est le suivant. Un litige survient entre un investisseur et un État. L’investisseur saisit un tribunal arbitral sur le fondement du Traité sur la charte de l’énergie (ci-après, « le TCE »). La compétence est discutée devant le tribunal arbitral, qui se déclare compétent. Un recours en annulation est formé devant la cour d’appel de Paris, juge du siège. Celle-ci décide de poser une question préjudicielle à la Cour de justice quant à l’interprétation des dispositions du traité relatives à la compétence, et sursoit à statuer. À ce stade, le raisonnement paraît orthodoxe. D’une part, ce n’est pas la première fois que la cour d’appel de Paris pose une question préjudicielle à la Cour de justice en matière d’arbitrage (Civ. 1re, 18 nov. 2015, n° 14-26.482, Dalloz actualité, 2 déc. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 2450 ; ibid. 2588, obs. T. Clay ). D’autre part, l’Union européenne est partie au TCE. À ce titre, le traité fait partie intégrante du droit de l’Union européenne. L’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet donc à la cour d’interroger la juridiction de Luxembourg.
C’est ce que la décision énonce, en retenant que « la CJUE est compétente pour connaître de ces questions d’interprétation relatives aux dispositions du TCE, en vertu de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en ce qu’elles visent à assurer l’application uniforme du droit de l’Union européenne et la cour d’appel de Paris, juridiction de l’ordre judiciaire, devant faire application des dispositions du TCE pour apprécier la compétence du tribunal arbitral, a la faculté de saisir la Cour de justice de ces questions d’interprétation, peu important que le différend des parties ait été soumis en premier lieu à un tribunal arbitral ». La cour d’appel ajoute que « le critère d’application de cette procédure est exclusivement tiré de la qualification de l’acte dont l’interprétation est sollicitée, à l’exclusion de toute considération relative à la nature du litige au principal ou à la qualité des parties devant le juge national ». Une telle analyse pourrait satisfaire les européanistes.
Pourtant, en deuxième lecture, il faut bien dire que la solution ne convainc pas. Pour le comprendre, il faut apporter une précision essentielle. Le TCE est un traité multilatéral auquel sont parties des États membres et l’Union européenne es qualitès. Mais il est aussi un traité dont certaines parties sont extérieures à l’Union. C’est le cas en l’espèce, puisque le défendeur à l’arbitrage est la République de Moldavie et le demandeur un ressortissant ukrainien. Ni l’un ni l’autre ne sont donc États (Moldavie et Ukraine) ou ressortissants de l’Union. Or que prévoit le TCE pour la résolution des litiges ? Il offre, en application de son article 26.3, la faculté à l’investisseur de saisir un tribunal arbitral dont la compétence est acceptée inconditionnellement par l’État d’accueil (si tant est que l’on soit dans le champ d’application du traité). Autrement dit, l’interprétation du traité est confiée, lorsque l’investisseur le décide, à un tribunal arbitral. Jamais le TCE ne prévoit de confier en dernier ressort l’interprétation de ses dispositions à la CJUE ; jamais les parties contractantes n’ont consenti à cette compétence de la CJUE. En définitive, cette question préjudicielle revient à donner le dernier mot à la Cour de justice (à condition, naturellement, que celle-ci accepte de répondre à la question posée) pour la résolution d’un litige sans lien avec l’Union européenne.
Il convient toutefois d’aller plus loin et d’envisager des pistes pour fonder cette solution – ou la contester – en droit de l’arbitrage et éventuellement dans d’autres disciplines (sur lesquelles nous nous limiterons à soulever certaines questions sans prétention aucune quant à la réponse, laissant ainsi les spécialistes apporter leur éclairage).
En droit de l’arbitrage, il est vrai qu’il existe des fondements solides. D’abord, les parties ont conventionnellement décidé de fixer le siège de l’arbitrage à Paris – ce que rien n’imposait. Ce choix n’est pas anodin et conduit à confier au juge de l’annulation, conformément au droit français, le pouvoir de contrôler la sentence arbitrale sur la compétence (C. pr. civ., art. 1520, 1°). Les parties ne sont pas sans savoir les conséquences d’un tel choix. Nous avons nous-même eu l’occasion d’insister sur le caractère déterminant du choix du siège (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, 2017, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », n° 866). Or la question préjudicielle fait bien partie des dispositions prévues par le système juridique français, d’autant que ce n’est pas la première fois que la juridiction de contrôle y a recours dans le cadre d’un contentieux post-arbitral. La solution était donc – au moins en théorie – prévisible.
Ensuite, les parties ne peuvent s’étonner que le juge examine de façon attentive la compétence arbitrale. Comme le rappelle la cour d’appel, « le juge de l’annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit et de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage. Il n’en va pas différemment lorsque, comme en l’espèce, les arbitres sont saisis sur le fondement du Traité sur la Charte de l’énergie ».
C’est une jurisprudence parfaitement classique, qui date de l’affaire du Plateau des Pyramides (Paris, 12 juill. 1984, Égypte c/ SPP, Rev. arb. 1986. 75 ; JDI 1985. 129, note B. Goldman) et qui a été confirmée par la Cour de cassation (Civ. 1re, 6 janv. 1987, SPP c/ Égypte, Rev. arb. 1987. 469, note P. Leboulanger ; JDI 1987. 638, note B. Goldman ; 6 oct. 2010, n° 08-20.563, Abela, D. 2010. 2441, obs. X. Delpech ; ibid. 2933, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2011. 85, note F. Jault-Seseke ; Rev. arb. 2010. 813, note F.-X. Train ; JCP 2010. 1028, note P. Chevalier ; ibid. 1286, obs. J. Ortscheidt ; Gaz. Pal. 8 févr. 2011. 14, obs. D. Bensaude). Elle a été depuis étendue au contrôle des sentences rendues en matière d’arbitrage d’investissement (Paris, 12 avr. 2016, n° 13/22531, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2016. 833, note C. Fouchard ; Cah. arb. 2017. 357, note M. Audit [il s’agit de la même affaire] ; 25 avr. 2017, n° 15/01040, D. 2017. 2559, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. 648, note M. Laazouzi ; Cah. arb. 2017. 674, note W. Ben Hamida ; 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 16 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques). Dans l’ensemble, cette solution est approuvée en doctrine, et là encore, nous avons pu écrire en sa faveur (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., nos 463 s.).
En somme, la solution de la cour d’appel de Paris est d’une parfaite rectitude juridique du point de vue du droit de l’arbitrage et conforme aux positions doctrinales majoritaires.
Sauf que… cette solution n’est pas du tout satisfaisante.
Il existe des arguments en droit de l’arbitrage pour la contester. Envisageons d’abord la volonté des parties. Le TCE est un traité multilatéral conclu par des États membres, l’Union européenne et des États tiers. Il résulte de l’article 26 du traité que l’investisseur a la possibilité de choisir l’arbitrage pour la résolution du litige. Cette disposition confie donc au tribunal arbitral le pouvoir de trancher les litiges relatifs au traité et, en conséquence, un monopole quant à son interprétation. Le choix du siège ne doit pas remettre en cause cette analyse. Le juge de l’annulation est choisi pour examiner la validité de la sentence arbitrale, pas pour donner une appréciation uniforme du traité (d’autant que rien n’interdit que le juge du siège appartienne un à ordre juridique qui n’est pas tenu par le traité). Or en posant cette question préjudicielle, la cour d’appel de Paris va au-delà du simple contrôle de la sentence. Elle attend de la Cour de justice une interprétation uniforme qu’elle retiendra systématiquement pour l’avenir. Autant, la solution est concevable lorsque la norme devant faire l’objet d’une interprétation concerne un intérêt public de dimension européenne (le droit de la concurrence, par ex.), autant on peut être plus réservé sur l’intérêt d’une telle harmonisation lorsqu’il s’agit de simples intérêts privés.
De plus, il convient de ne pas oublier que le juge français et la Cour de justice appartiennent à deux ordres juridiques autonomes. Même s’il existe des liens entre l’un et l’autre, notamment via la question préjudicielle, c’est bien l’ordre juridique français qui a été désigné par les parties pour contrôler la sentence. Donner le dernier mot au juge d’un ordre juridique qui n’est pas celui désigné par les parties peut être examiné comme une violation de la volonté de ces dernières.
Par ailleurs, cette solution est en retrait par rapport à la conception autonome de l’arbitrage prônée par le droit français. Les travaux doctrinaux sur la question sont particulièrement marquants (E. Gaillard, Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international, Académie de droit international de la Haye, 2008).
Dans des formules restées célèbres, la Cour de cassation a repris à son compte cette théorie. L’arrêt Putrabali l’a affirmé sans détour en posant que « la sentence internationale, qui n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique, est une décision de justice internationale » (Civ. 1re, 29 juin 2007, n° 05-18.053, Putrabali, Bull. civ. I, nos 250 et 251 ; D. 2007. 1969, obs. X. Delpech ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay ; ibid. 1429, chron. L. Degos ; Rev. crit. DIP 2008. 109, note S. Bollée ; RTD com. 2007. 682, obs. E. Loquin ; JDI 2007. 1236, note T. Clay ; LPA 2007, n° 192, p. 20, note M. de Boisséson ; Rev. arb. 2007. 507, note E. Gaillard ; RJDA 2007. 883, obs. J.-P. Ancel ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 3, obs. S. Lazareff ; ibid. 14, note P. Pinsolle ; JCP 2006. I. 216, § 7, obs. C. Seraglini ; Bull. ASA 2007. 217, note P.-Y. Gunter ; v. égal., Civ. 1re, 8 juill. 2015, n° 13-25.846, Synd. mixte des aéroports de Charente [Smac] c/ Ryanair, AJDA 2016. 671 , note F. Lombard ; ibid. 2015. 1396 ; D. 2015. 1547 ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; AJCT 2016. 50, obs. S. Hul ; RTD com. 2016. 71, obs. E. Loquin ; JCP 2015. 1370, n° 5, obs. C. Seraglini ; Procédures 2015. Étude 9, chron. L. Weiller ; Rev. arb. 2016. 1131, note M. Laazouzi ; JDI 2016. 568, note P. de Vareilles-Sommières).
Le rapport du président Jean-Pierre Ancel dans le cadre de cet arrêt est éloquent. Il relève que « dans la conception de la jurisprudence française, la sentence internationale ne se rattache pas à l’ordre juridique de son pays d’origine, précisément parce qu’elle est “internationale”. Elle n’est donc pas le produit d’un ordre juridique, elle n’a pas de “nationalité” : elle émane, en effet, d’une juridiction autonome, détachée du contexte juridique local, auquel elle n’est reliée que par les dispositions impératives du droit local sur l’arbitrage, qui sont peu nombreuses (spécialement, pour l’organisation du recours contre la sentence). C’est l’affirmation de l’autonomie de l’arbitrage international : l’arbitrage, mode normal et habituel de règlement des litiges relatifs aux relations économiques internationales, constitue l’arbitre en véritable juridiction internationale de ce type de litiges » (J.-P. Ancel, Rapport de Monsieur le Président Jean-Pierre Ancel, Rev. arb. 2007. 507, spéc. p. 509). On peut se demander si la décision de la cour d’appel de Paris de poser une question préjudicielle à la Cour de justice n’est pas une négation de cette autonomie. En agissant ainsi, la cour d’appel donne à la Cour de justice la faculté d’imposer son interprétation d’un traité auquel elle est partie à l’ensemble des tribunaux arbitraux.
Cette solution retenue par la cour d’appel doit éventuellement conduire la doctrine à réfléchir de nouveau à la question de la nature du contrôle exercé par le juge à propos du cas d’ouverture relatif à la compétence. La question est de savoir si le juge de l’annulation doit sanctionner toutes les divergences d’appréciation avec le tribunal arbitral. Une partie de la doctrine s’est depuis longtemps prononcée en faveur d’une auto-censure du juge du recours. François-Xavier Train explique que l’« on pourrait […] envisager que le contrôle complet […] des sentences relatives à la compétence […] ne se traduise pas nécessairement par l’annulation de la sentence à chaque fois que le juge ne parvient pas exactement à la même conclusion que l’arbitre. En d’autres termes, à un contrôle approfondi ferait suite une sanction mesurée » (F.-X. Train, note ss Civ. 1re, 6 oct. 2010, Abela, préc., n° 13).
La proposition a été reprise par Magalie Boucaron-Nardetto, qui propose de ne sanctionner que les cas où « le tribunal arbitral a de manière incontestable dépassé sa compétence ou, au contraire, fait preuve d’excès de timidité. En admettant que le juge étatique reconnaisse cette “marge arbitrale d‘appréciation” dans l’appréciation de sa compétence, les juridictions d’État ne devraient rejeter la sentence de compétence ou d’incompétence uniquement s’il s’avère que l’interprétation de la convention d’arbitrage proposée est raisonnablement “insoutenable” ou “arbitraire” » (M. Boucaron-Nardetto, Le principe compétence-compétence en droit de l’arbitrage, préf. J.-B. Racine, 2013, PUAM, n° 740). Elle est même de droit positif dans le cadre de la Convention de Washington, puisque son article 52(1)(b) prévoit que « chacune des parties peut demander, par écrit, au Secrétaire général l’annulation de la sentence pour l’un quelconque des motifs suivants : […] excès de pouvoir manifeste du Tribunal ». La présence de l’adjectif « manifeste » donne une marge de manœuvre en faveur des arbitres. Une telle solution pourrait être envisagée dans le cadre du droit des investissements, afin que les arbitres aient un véritable monopole pour l’interprétation des traités et que le juge ne sanctionne que les vices les plus graves. La lecture de l’arrêt démontre d’ailleurs comment deux appréciations du traité s’opposent et aucune des deux ne paraît fantaisiste. Laisser le soin à l’arbitre de trancher entre les deux ne paraît donc pas totalement inenvisageable.
Au-delà du droit de l’arbitrage, cette solution n’est pas sans poser des questions très variées, en particulier en droit international public. On peut se demander si elle ne présente pas un risque quant à la souveraineté des États – ici l’Ukraine et la Moldavie (il est d’ailleurs piquant de constater que dans un autre arrêt du même jour, la cour d’appel de Paris énonce qu’elle « examine les recours en annulation des sentences rendues en cette matière selon les règles de son droit interne, mais dans les limites de l’abandon de souveraineté consenti par l’État hôte dans le traité » [Paris, 24 sept. 2019, n° 17/14143]). Certes, on fera remarquer que la question préjudicielle a été soulevée par la Moldavie et que sa souveraineté est respectée. Ceci étant, la solution de la cour d’appel ne distingue pas selon l’auteur de la question. On peine à imaginer qu’une réponse différente soit apportée si c’est l’investisseur qui soulève le moyen. De plus, l’Ukraine n’a, quant à elle, jamais consenti à ce qu’un traité auquel elle est partie soit interprété par la Cour de justice.
Par ailleurs, des questions d’articulation des traités viennent immédiatement à l’esprit. Cette solution conduit à faire prévaloir le droit européen sur le TCE. La cour d’appel est particulièrement claire à ce sujet puisqu’elle énonce que la solution vise à assurer « l’application uniforme du droit de l’Union européenne ». Ce faisant, le TCE est identifié à du droit européen soumis au droit primaire. Alors que, dans la hiérarchie des normes, les TUE et TFUE doivent être situés au même niveau que le TCE, la cour d’appel de Paris opère une hiérarchisation entre les deux, soumettant clairement le second aux deux premiers. Une telle solution devrait sûrement être confrontée à la Convention de Vienne du 22 mai 1969 sur le droit des traités, aux principes généraux du droit international public et à la coutume internationale. Une articulation guidée par le principe lex specialis derogat generali n’aurait-elle pas pu être envisagée, afin d’écarter l’application de l’article 267 du TFUE ? En effet, bien que le TCE soit un traité multilatéral, ne doit-il pas être perçu, dans un cas identique à celui du présent litige, comme un traité bilatéral ?
Enfin, on ne peut s’empêcher de penser qu’une telle solution pourrait également entraîner des conséquences sur le terrain diplomatique. Peut-être que la présence de la République de Moldavie comme partie au litige n’a-t-elle pas impressionné la cour d’appel de Paris, d’autant qu’elle est l’auteur de la question. En irait-il de même avec la Fédération de Russie s’opposant à la question ?
En somme, on aurait pu espérer de la part de la cour d’appel de Paris une motivation plus dense. En l’état, un raisonnement fondé uniquement sur le droit européen paraît insuffisant pour convaincre d’une solution qui soulève de nombreuses interrogations en droit de l’arbitrage et en droit international public.
II – La clause d’arbitrage
A - Les clauses d’arbitrage pathologiques
La lecture des arrêts de cour d’appel nous offre régulièrement de beaux exemples de clauses pathologiques. L’arrêt rendu le 26 septembre 2019 par la cour d’appel de Rouen (n° 18/01597) est un cas d’école d’une piètre rédaction de la clause et d’une incompréhension totale de ce qu’est l’arbitrage par les parties et le juge. La clause est évidemment à l’origine des difficultés. Celle-ci était stipulée de la façon suivante : « Arbitrage et médiation : Les litiges qui pourraient survenir dans le cadre de l’application des présents accords seront arbitrés paritairement dans le cadre de la Commission des Traités et des Primes avant toute éventuelle saisine des juridictions ». Alors, clause compromissoire ou clause de médiation préalable ? En faveur de la première hypothèse, on retrouve à deux reprises la notion d’arbitrage ; en faveur de la seconde, on retrouve la notion de médiation, le caractère paritaire (interdit en arbitrage interne par l’art. 1451, al. 1er, du c. pr. civ.) et la référence à la saisine postérieure des juridictions.
Entre les deux qualifications, il convient de choisir. D’après une éminente doctrine, la notion d’arbitrage est résiduelle, ce qui a pour conséquence « d’attirer à elle en principe, toutes les hypothèses qui semblent de prime abord lui revenir au même titre qu’à une autre quelconque notion appartenant à la même famille » (C. Jarrosson, La notion d’arbitrage, préf. B. Oppetit, 1987, LGDJ, coll. « Bibl. de droit privé », n° 486). Autrement dit, la qualification d’arbitrage doit, dans le doute, primer sur toute autre qualification. Que l’on suive cette proposition doctrinale ou non, il convient, a minima, d’être cohérent entre la qualification et le régime. On peut alors regretter que la cour d’appel ne tranche pas véritablement la question de la qualification et alimente la confusion. Elle énonce notamment que « la clause d’arbitrage préalable s’impose avant toute saisine de juridiction », ce qui n’a aucun sens. En définitive, elle conclut à l’irrecevabilité de l’action, qui est la sanction spécifique à la clause de médiation préalable, alors que la clause compromissoire est sanctionnée par une exception de procédure. Autant dire que les parties ne sont pas bien avancées pour déterminer si elles doivent saisir un arbitre ou un médiateur dans le cadre de la résolution de leur litige.
B - La portée du choix du siège
On sait que le choix du siège de l’arbitrage entraîne de nombreuses compétences, notamment en ce qu’il permet d’identifier le juge d’appui et le juge de l’annulation compétents. Peut-on aller plus loin, et considérer que le siège vaut prorogation de compétence au profit du juge des référés compétent pour se prononcer sur des mesures d’instruction, provisoires ou conservatoires dans la phase pré-arbitrale (C. pr. civ., art. 1449) ? La cour d’appel de Paris répond – fort logiquement – négativement à cette question (Paris, 26 sept. 2019, n° 19/04186). La motivation est parfaitement ciselée : « Force est de constater que ces clauses compromissoires se limitent à prévoir un arbitrage et ne désignent pas de juridiction compétente pour connaître d’une demande fondée sur l’article 1449 du code de procédure civile. En outre, s’il est admis que, en principe, la compétence territoriale du juge des référés est celle de la juridiction appelée à connaître d’un éventuel litige au fond, ce principe n’est pas transposable en présence d’une clause compromissoire qui n’emporte aucune conséquence sur la compétence des juridictions étatiques en dehors de celles qui sont prévues expressément aux articles 1459 et 1487 du code de procédure civile ». Autrement dit, la compétence territoriale du juge des référés doit être déterminée par la mise en œuvre des articles 42 et suivants du code de procédure civile.
C - L’opposabilité de la clause
Le principe compétence-compétence est particulièrement mal compris par les juridictions peu expérimentées en matière d’arbitrage. Un arrêt de la cour d’appel de Pau en fait la parfaite démonstration (Pau, 25 juill. 2019, n° 18/03884). Le litige fait suite à une exception d’incompétence devant un conseil de prud’hommes. Deux questions étaient soulevées : l’incompétence du conseil de prud’hommes au regard de la clause compromissoire ; l’incompétence du conseil de prud’hommes au profit du tribunal de commerce.
Or l’ordre de traitement de ces questions n’est pas indifférent. En effet, le régime de la clause compromissoire est distinct selon qu’elle ait vocation à s’appliquer à un salarié ou à un non-salarié (le principe compétence-compétence ne s’applique pas au salarié, ce qui permet au juge de constater l’incompétence du tribunal arbitral sans renvoyer l’affaire, Soc. 30 nov. 2011, nos 11-12.905 et 11-12.906, D. 2011. 3002 ; ibid. 2012. 2991, obs. T. Clay ; Dr. soc. 2012. 309, obs. B. Gauriau ; RTD com. 2012. 351, obs. A. Constantin ; ibid. 528, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2012 . 333, note M. Boucaron-Nardetto [1re décis.] ; JCP 2012. 843, § 2, obs. C. Seraglini ; ibid. 2011. 2518, obs. N. Dedessus-Le-Moustier ; JCP S 2012, n° 5, p. 42, note S. Brissy ; Procédures 2012. Comm. 42, obs. L. Weiller ; ibid. Comm. 75, obs. A. Bugada ; RDC 2012. 539, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). Or, dans la présente affaire, la cour d’appel constate que le litige ne relève pas des juridictions prud’homales, mais bien du tribunal de commerce. Autrement dit, c’est par cette étape que la cour aurait dû commencer, afin de retenir l’application des dispositions « classiques » de l’arbitrage (interne, dans le cas d’espèce) et appliquer pleinement le principe compétence-compétence.
Pour rejeter l’exception d’incompétence au profit du tribunal arbitral, il est énoncé « qu’il n’est pas démontré que M. X aurait eu connaissance de la clause compromissoire, celle-ci doit lui être déclarée inopposable ». La motivation est triplement erronée en droit. D’abord, car l’article 2061 du code civil n’est jamais cité et on s’interroge sur le fondement pour aboutir à cette décision. Ensuite, parce que l’inopposabilité de la clause nécessite (1) que le nouvel article 2061 du code civil (dans sa version issue de la loi du 18 nov. 2016) soit applicable ratione temporis à la cause – ce qui n’est pas certain – et que (2) le demandeur à l’exception « n’a[it] pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle » – ce qui est ici douteux. Enfin, car la question de la connaissance – ou plutôt de l’acceptation de la clause – relève du tribunal arbitral et non de la cour d’appel.
D - Les actions extracontractuelles
La clause compromissoire n’a pas seulement vocation à s’appliquer à des actions contractuelles ; elle est également susceptible de soumettre une action extracontractuelle à l’arbitrage (sur cette question v., J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, Rev. arb. 2019, à paraître). Très souvent, ces questions sont soulevées au stade du principe compétence-compétence. C’est le cas dans une affaire portant sur une rupture brutale des relations commerciales établies (Paris, 5 sept. 2019, n° 17/03703). Cet arrêt est particulièrement révélateur des problèmes de méthode auxquels les juridictions sont confrontées pour traiter de ces questions. Si la solution finale de l’arrêt – le renvoi à l’arbitre de la question de la compétence – était la seule envisageable par application des dispositions de l’article 1448 du code de procédure civile, la motivation pour y aboutir ne convainc pas.
D’abord, la cour d’appel décide de procéder à la qualification de l’action en rupture brutale des relations commerciales établies. Elle tranche en faveur d’une qualification contractuelle. Ce faisant, la cour va au-delà de ce qui lui est autorisé par le principe compétence-compétence. Toute opération de qualification réalisée par le juge est surabondante à ce stade. Elle empiète sur le travail de l’arbitre, qui doit pouvoir se prononcer prioritairement sur cette question sans être lié par un préjugement de la juridiction étatique (v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, préc., nos 13 s.).
Ensuite, la motivation retenue pour justifier une qualification contractuelle est doublement malvenue. La cour d’appel énonce « qu’il est désormais constant que les litiges relatifs à la rupture brutale des relations commerciales établies relèvent, au sens du règlement Bruxelles I, de la matière contractuelle et non délictuelle (CJUE 14 juill. 2016, Granarolo) ; Que l’action en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de relations commerciales établies sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5°, entre dans la sphère d’un litige découlant de la relation contractuelle au sens du droit européen ».
D’une part, il est loin d’être certain que la solution de l’arrêt Granarolo ait été étendue en dehors du champ d’application du règlement Bruxelles I (J.-P. Arroyo, Rupture brutale des relations commerciales établies dans les litiges internationaux : vers un régime unifié de la qualification de l’action ?, RLC 2018, n° 72, nos 15 et s.), la Cour de cassation n’ayant pas encore tranché cette question.
D’autre part, et beaucoup plus fondamentalement, la qualification autonome retenue par la Cour de justice ne peut en aucun cas être considérée comme liant les juridictions en matière d’arbitrage, dès lors que celui-ci est expressément exclu du champ d’application du règlement Bruxelles I bis (art. 1er, 2, d). Rien n’impose au juge judiciaire de suivre les qualifications du droit international privé pour les étendre à l’arbitrage (v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, préc., nos 42 s.).
En somme, la cour d’appel de Paris s’est aventurée sur le terrain de la qualification alors qu’elle aurait dû laisser à l’arbitre le soin de se prononcer. On peut d’autant plus le regretter que ce détour est inutile pour aboutir à une solution identique. En effet, la cour rappelle ensuite, à juste titre, la jurisprudence parfaitement établie de la Cour de cassation (Civ. 1re, 8 juill. 2010, n° 09-67.013, Doga, D. 2010. 2884, obs. X. Delpech , note M. Audit et O. Cuperlier ; ibid. 2540, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2933, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2010. 743, note D. Bureau et H. Muir Watt ; RTD com. 2011. 667, obs. P. Delebecque ; ibid. 2012. 525, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2010. 514, note R. Dupeyré ; ibid. 2011. 191, note Y. Strickler). Elle énonce qu’« il est constant qu’un litige portant sur la réparation du préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture des relations commerciales établies ne doit pas nécessairement être porté devant les juridictions étatiques, fût-ce sur le fondement d’une loi de police, et que les clauses compromissoires s’appliquent notamment aux litiges portant sur l’article L 442-6, I, 5°, du code de commerce ; Qu’il en résulte que l’arbitrage n’est pas exclu du seul fait que les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5°, sont invoquées par l’une de parties au litige ».
En définitive, comment fallait-il procéder ? Deux étapes suffisaient : premièrement, constater qu’une éventuelle qualification de loi de police des règles relatives à la rupture brutale des relations commerciales établies est indifférente quant au renvoi de la demande devant l’arbitre ; deuxièmement, établir un lien entre l’action et la clause compromissoire, afin de s’assurer que l’exception d’incompétence n’est pas fantaisiste (sur ce point v., J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, préc., nos 18 s.). Pour le reste, la détermination de la compétence arbitrale relève de l’arbitre, en vertu du principe compétence-compétence.
La question s’est également posée dans une seconde affaire (Paris, 14 oct. 2019, n° 19/01346). Toutefois, à l’inverse de la première, la cour d’appel écarte la clause compromissoire et se déclare compétente, ce qui pourrait lui valoir une cassation. L’action est cette fois dirigée contre le représentant légal d’une partie au contrat. Une fois de plus, la cour d’appel retient une qualification délictuelle. De plus, elle considère que le champ d’application ratione personae de la clause est restrictif, celui-ci étant limité aux parties au contrat. Enfin, elle souligne que la seule connaissance de la clause est insuffisante et que l’opposabilité de la clause compromissoire suppose que le tiers vienne aux droits de la partie signataire de la clause compromissoire, ou justifie de liens contractuels indirects avec le contrat d’origine. Chacun de ces trois éléments de la motivation constituent une violation du principe compétence-compétence. Le juge ne peut pas dire si l’action est contractuelle ou délictuelle ; le juge ne peut pas affirmer que la clause ne s’applique qu’aux parties au contrat (v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, préc., n° 10) ; le juge ne peut pas se prononcer sur l’opposabilité de la clause. Aucun de ces motifs ne caractérise une nullité ou une inapplicabilité manifeste de la clause.
III – Les recours contre la sentence
A - Les règles procédurales applicables à la procédure
La procédure à suivre pour exercer un recours contre la sentence est prévue aux articles 1495 et 1527 du code de procédure civile, qui énoncent de façon presque identique que les recours « sont formés, instruits et jugés selon les règles relatives à la procédure en matière contentieuse prévues aux articles 900 à 930-1 ». En conséquence, il apparaît peu discutable que cette procédure est soumise à la voie électronique prévue à l’article 930-1 du code de procédure civile. Pourtant, la Cour de cassation a dû le rappeler, dans un arrêt publié au Bulletin (Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 1891 ). Elle énonce que « la recevabilité du recours en annulation de la sentence arbitrale était conditionnée par sa remise à la juridiction par la voie électronique et que les conventions passées entre une cour d’appel et les barreaux de son ressort, aux fins de préciser les modalités de mise en œuvre de la transmission des actes de procédure par voie électronique, ne peuvent déroger aux dispositions de l’article 930-1 du code de procédure civile, notamment en en restreignant le champ d’application ».
La voie électronique s’impose donc dans les recours contre les sentences. L’existence d’un protocole n’y change rien, pas plus que le défaut d’onglet propre au recours en annulation dans le RPVA. Comme le souligne Corinne Bléry, « l’absence de case ne doit pas empêcher la remise par voie électronique du recours en annulation… il faut “forcer” le logiciel, utiliser d’autres “cases” non prévues à l’effet de former un recours en annulation » (C. Bléry, obs ss. Civ. 2e, 26 sept. 2019, préc.).
Cette question des « cases à remplir » a d’ailleurs fait l’objet d’un arrêt encore plus récent de la cour d’appel de Paris (Paris, 8 oct. 2019, n° 19/02239). Saisie d’un déféré contre une ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour devait se prononcer sur la régularité de sa saisine dans le cadre d’un recours en annulation. La partie avait formé une « “déclaration d’appel” mentionnant dans la rubrique “Objet/Portée de l’appel : recours en annulation d’une Sentence arbitrale” ». La difficulté tenait à ce que l’onglet informatique sélectionné par le requérant indiquait « déclaration d’appel » et non « autres recours à la diligence des parties » (v. égal., Paris, 30 janv. 2018, n° 15/24612, Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 25, obs. D. Bensaude ; 28 oct. 2014, n° 13/16871, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. 823, note L. Weiller). La cour d’appel considère que cette seule circonstance « ne saurait, sans qu’il soit porté une atteinte disproportionnée au droit au recours, être sanctionnée par une irrecevabilité ». Le recours en annulation est donc recevable, malgré l’erreur dans la sélection de la case sur le RPVA.
B - L’intervention des tiers au recours
La question de l’intervention des tiers dans les recours contre la sentence est suffisamment rare pour que l’arrêt devienne immédiatement intéressant (Paris, 24 sept. 2019, n° 17/14143). C’est une situation très originale qui est à l’origine de cette demande d’intervention. Une sentence d’accord-parties a été rendue. Quelques mois plus tard, un recours est formé par une des parties au litige. Il est déjà original de se retrouver dans ce cas de figure, la sentence d’accord-parties étant le fruit de l’accord des parties. Pour autant, rien dans le code de procédure civile n’interdit, au moins sur le principe, l’exercice d’un tel recours. Profitant de cette action, deux tiers interviennent volontairement à l’instance. Leur demande est déclarée irrecevable. La cour énonce que « le juge étatique du pays désigné par les parties comme siège de l’arbitrage examine les recours en annulation des sentences rendues en cette matière selon les règles de son droit interne, mais dans les limites de l’abandon de souveraineté consenti par l’État-hôte dans le traité. Il en résulte que des personnes qui se prétendent investisseurs, mais n’ont pas la nationalité du ou des autres États signataires du traité, n’ont pas qualité pour intervenir dans l’instance en annulation de la sentence ».
Cette solution s’inscrit dans un courant déjà ancien d’hostilité à l’intervention volontaire des tiers dans le recours contre la sentence (Paris, 18 sept. 2003, Rev. arb. 2004. 311 [3e esp.], note J.-B. Racine ; v. égal., Paris, 27 févr. 1997, Delphi Overseas, Rev. arb. 1997. 159, obs. C. Jarrosson ; 8 mars 2001 ; ibid. 2001. 567, obs. C. Legros ; 9 avr. 2009, Cah. arb. 2010. 889 [2e esp.], note E. Loquin ; LPA 2011, n° 38, p. 9 [1re esp.], obs. M. de Boisséson ; Rev. arb. 2009. 436 ; JCP E 2009, n° 50, 2167, § 8, obs. J. Ortscheidt).
Le raisonnement en matière d’arbitrage commercial et d’investissement est d’ailleurs similaire : c’est la volonté des parties qui justifie l’exclusion des tiers des recours contre la sentence. Il n’en demeure pas moins que cette solution n’est pas parfaitement satisfaisante. La volonté des parties n’est pas suffisante pour fermer une voie procédurale ouverte aux tiers dans le cadre du recours contre la sentence. Comme le remarque un auteur, « la composante contractuelle de l’arbitrage n’a en effet véritablement d’incidence sur l’office du juge que s’il statue sur le fond, puisqu’il est alors tenu par les limites de la convention d’arbitrage. Or, en matière internationale, le juge ne se prononce pas sur le fond du litige. Il ne puise pas directement son pouvoir juridictionnel de la convention des parties. L’intervention volontaire d’un tiers à l’instance ne paraît donc pas incompatible avec la nature contractuelle de l’arbitrage au stade du contrôle de la validité de la sentence par le juge » (J. Ortscheidt, obs. ss Paris, 9 avr. 2009, préc.).
À défaut d’intervention du tiers dans le recours, et à défaut de tierce opposition ouverte contre la sentence (Civ. 1re, 8 oct. 2009, n° 07-21.990, Association de défense de la bibliothèque polonaise [2 arrêts], Bull. civ. I, n° 201 ; D. 2009. 2959, obs. T. Clay ;JCP 2010. I. 644, § 6, obs. J. Béguin ; Rép. dr. com., nov. 2009. 6, obs. X. Delpech), le tiers est dans la situation où une sentence est susceptible de lui causer un préjudice sans qu’il ne puisse la contester d’une quelconque manière.
C - Le contrôle de la compétence
Les frais d’une procédure judiciaire peuvent-ils être réclamés dans le cadre d’une procédure arbitrale ? Telle était la question soulevée par une affaire (Paris, 10 sept. 2019, n° 17/10639). Dans le cadre d’une première procédure judiciaire, les juridictions étatiques se sont déclarées incompétentes pour trancher un litige. Une fois le tribunal arbitral saisi, l’une des parties réclame le paiement des frais engagés dans le cadre de la procédure étatique et pour lesquels il n’a pas reçu de compensation.
La réponse à cette question a en principe été donnée récemment. La cour d’appel de Paris a jugé que « la qualification de dommages-intérêts attribuée par la société Shackleton aux sommes ainsi réclamées n’en change pas la nature qui est celle de frais de justice découlant, non pas du contrat, mais des différentes procédures juridictionnelles au cours desquelles ils ont été engagés ; Que c’est donc à juste titre que l’arbitre unique a jugé que ces demandes n’entraient pas dans le champ de la clause compromissoire, de sorte qu’il n’était pas compétent pour en connaître » (Paris, 13 nov. 2018, n° 16/16608, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 38, obs. D. Bensaude). Ainsi, la question soulevée a donné lieu à une réponse négative, dès lors que les frais découlant d’une procédure étatique ne peuvent entrer dans le champ d’une clause compromissoire.
Toutefois, il convient de ne pas oublier que le droit de l’arbitrage est plus complexe qu’une simple réponse positive ou négative. D’abord, parce la question doit être soulevée devant l’arbitre avant de l’être devant le juge étatique. À défaut, l’article 1466 du code de procédure civile y voit une renonciation à se prévaloir de ce moyen. Ensuite, lorsque plusieurs sentences arbitrales sont rendues, il convient de soulever devant le juge le moyen sur la compétence lors du recours contre la sentence sur la compétence. En conséquence, la compétence ne peut plus être discutée lors d’un recours contre une sentence ultérieure si les délais pour contester la première sentence sont expirés. Autrement dit, les articles 1492 et 1520 sont amputés de leur 1° lorsqu’une sentence sur la compétence est rendue et une fois que les délais pour la contester sont expirés.
Dans le cas d’espèce, la compétence du tribunal pour connaître des frais de justice exposés devant le juge étatique n’a pas fait l’objet d’une discussion devant le tribunal arbitral et n’a pas été contestée lors du recours contre la sentence sur la compétence. Ces deux défaillances du demandeur, qui se suffisent l’une et l’autre à elles-mêmes, conduisent à rejeter le recours, quand bien même le tribunal aurait sans doute dû se déclarer incompétent.
C’est également une question de compétence qui est soulevée par un arrêt de la chambre sociale (Soc. 16 oct. 2019, n° 17-31.802). L’arrêt est destiné à une très faible publicité (FS-D), mais la solution est suffisamment perturbante pour l’évoquer. L’affaire concerne la compétence de la commission arbitrale des journalistes. Dans le cadre d’un litige, la cour d’appel de Paris s’était déclarée incompétente pour trancher la demande d’indemnité de licenciement formée devant elle (Paris, 24 sept. 2015, n° 14/12710). La compétence a de nouveau été discutée devant la commission, puis dans le cadre du recours en annulation formé devant le juge judiciaire. C’est sur ce point que l’arrêt est rendu.
La qualification d’arbitrage conduit la décision rendue par la Commission à être assimilée, pour l’exercice des voies de recours, à une sentence arbitrale. Elle peut alors faire l’objet d’un recours en annulation, au titre duquel la compétence de la Commission sera examinée conformément à l’article 1492, 1°, du code de procédure civile. C’est à ce titre que la solution nous intéresse.
La Cour de cassation énonce dans le présent arrêt que « l’autorité de la chose jugée est attachée depuis son prononcé au dispositif de l’arrêt du 24 septembre 2015 aux termes duquel la cour d’appel s’est déclarée incompétente pour connaître de la demande d’indemnité de licenciement, opposant par là implicitement à la demande du salarié la fin de non-recevoir à caractère d’ordre public qui sanctionne le défaut de pouvoir juridictionnel, et a renvoyé les parties à saisir la commission d’arbitrage des journalistes afin que celle-ci statue, dans l’exercice de son pouvoir, sur cette demande ; que ces chefs de dispositif n’ayant pas fait l’objet d’un pourvoi, sont devenus irrévocables ; qu’il s’ensuit que la cour d’appel a rejeté à bon droit le recours en annulation dirigé contre la décision de la commission arbitrale des journalistes qui, en statuant sur la demande d’indemnité de licenciement, a, ainsi qu’elle y était tenue, respecté l’autorité de la chose jugée attachée à la décision prud’homale ». À la lecture de la motivation, l’arbitragiste toussote. Celle-ci pose deux difficultés.
D’une part, il est de jurisprudence constante que l’incompétence des juridictions judiciaires au profit d’une juridiction arbitrale n’est pas une fin de non-recevoir, mais une exception de procédure (Civ. 1re, 6 juin 1978, Rev. arb. 1979. 230, note P. Level ; Civ. 3e, 13 mai 1981, Rev. arb. 1983. 110 ; Civ. 1re, 9 oct. 1990, n° 89-11.857, Bull. civ. I, n° 205 ; D. 1991. 571 , note M. Santa-Croce ; Rev. arb. 1991. 305, note M.-L. Niboyet-Hoegy ; 6 nov. 1990, Rev. arb. 1991. 73, note P. Delebecque ; 19 nov. 1991, Bull. civ. I, n° 313 ; Rev. arb. 1992. 462, note D. Hascher ; v. aussi, Civ. 2e, 22 nov. 2001, n° 99-21.662, Bull. civ. II, n° 168 ; D. 2002. 42, et les obs. ; RTD com. 2002. 46, obs. E. Loquin ; Dr. et proc. 2002. 108, note M. Douchy ; Procédures 2002, n° 1, note R. Perrot ; JCP G 2002, II, 10174, note C. Boillot ; JCP E 2002. 1467, note G. Chabot ; Civ. 1re, 3 févr. 2010, Bull. civ. I, n° 31 ; JCP G 2010, I, 546, § 8, obs. T. Clay ; 14 avr. 2010, Bull. civ. I, n° 96 ; Rev. arb. 2010. 496, note P. Callé ; RJC 2010. 84, obs. B. Moreau).
Ainsi, la solution va à l’encontre du droit positif. D’ailleurs, la cour d’appel, dans son arrêt de 2015 rendu dans la présente affaire, s’était limitée à constater son « incompétence », et non son « défaut de pouvoir ». Il est toutefois exact que la qualification d’exception de procédure est contestée en doctrine. Comme l’explique Pierre Callé, « en présence d’une clause compromissoire, les juridictions étatiques sont dépourvues, de par la volonté des parties, de tout pouvoir juridictionnel à l’égard du litige qui leur est soumis. Il ne s’agit pas d’une question de compétence qui implique une répartition de la matière litigieuse entre plusieurs juges, mais de pouvoir, c’est-à-dire d’aptitude de la juridiction à trancher le litige » (P. Callé, note ss Civ. 1re, 3 févr. 2010, préc.). Il n’est toutefois pas certain que l’intention de la chambre sociale ait été d’engager une révolution sur cette question.
D’autre part, et cette étape du raisonnement vaut aussi bien pour une qualification de fin de non-recevoir que d’exception de procédure, la décision d’incompétence du juge judiciaire n’a aucunement autorité de la chose jugée pour les arbitres. Premièrement, car cela reviendrait à faire application non pas de l’autorité négative de la chose jugée, mais d’une forme d’autorité positive de la chose jugée, laquelle est encore largement discutée (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile. Droit interne et européen du procès civil, 2018, Dalloz, coll. « Précis », nos 1086 s.). Deuxièmement, car l’article 1465 du code de procédure civile dispose que « le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel ». Ainsi, le tribunal arbitral ne peut être privé de sa faculté de se prononcer sur son pouvoir juridictionnel par une décision antérieure rendue par une juridiction étatique. Telle est la logique de l’effet positif du principe compétence-compétence. Il n’y a donc aucune autorité de la chose jugée susceptible de contraindre l’arbitre à se déclarer compétent. En conséquence, le juge de l’annulation aurait dû examiner ce cas d’ouverture du recours en dépit de la décision antérieure.
Néanmoins, la Commission arbitrale des journalistes est une anomalie et c’est sans doute ici que se niche la difficulté. La qualification d’arbitrage est usurpée dès lors qu’il s’agit d’un arbitrage « forcé », là où l’arbitrage trouve sa source dans la volonté des parties. Le Conseil constitutionnel y voit une « juridiction spécialisée » (Cons. const. 14 mai 2012, nos 2012-243/244/245/246 QPC, Dalloz actualité, 4 juin 2012, obs. L. Perrin ; D. 2012. 2991, obs. T. Clay ; ibid. 2013. 1584, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; Dr. soc. 2012. 1039, étude A. Sintives ; RDT 2012. 438, obs. E. Serverin ; Légipresse 2012. 350 et les obs. ; ibid. 364, comm. F. Gras ; Constitutions 2012. 456, chron. C. Radé ; Procédures 2012. 223, obs. A. Bugada ; Gaz. Pal. 2012, n° 274-276, p. 15, obs. D. Bensaude) et la cour d’appel de Paris une « juridiction étatique d’exception » (Paris, 4 juin 2009, n° 08/04319, Sté Libération, D. 2009. 2959, obs. T. Clay ). Le caractère hybride de cette juridiction brouille la réflexion. En effet, exclure la qualification d’arbitrage aurait permis, par exemple, d’appliquer l’article 81, alinéa 2, du code de procédure civile, qui énonce que « le juge qui se déclare incompétent désigne la juridiction qu’il estime compétente. Cette désignation s’impose aux parties et au juge de renvoi ». Ainsi, il aurait été inutile de convoquer une maladroite autorité positive de la chose jugée. Il est sans doute temps d’en finir avec la qualification d’arbitrage de cette commission. À défaut, il convient de ne pas heurter frontalement le régime de l’arbitrage prévu par le code de procédure civile.
D - La constitution du tribunal arbitral
La jurisprudence en matière d’obligation de révélation est toujours aussi foisonnante. L’arrêt du 3 octobre 2019 (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, à paraître, obs. C. Debourg) constitue une nouvelle pierre au monumental édifice bâti par la jurisprudence, édifice qui ne brille pas toujours par sa stabilité, sa cohérence et sa solidité. L’affaire est relativement simple. Le cabinet d’un des arbitres a mené plusieurs missions, avant et pendant l’arbitrage, pour des entités du groupe d’une des parties au litige. Aucune de ces missions n’a fait l’objet d’une révélation aux parties de la part de l’arbitre. Saisie d’un recours en annulation, la cour d’appel de Paris a annulé la sentence (Paris, 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2019. 522 [1re esp.], note L.-C. Delanoy ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude). Le pourvoi contre l’arrêt est rejeté, la Cour de cassation faisant sienne la motivation de la cour d’appel. Le raisonnement distingue les missions antérieures à l’arbitrage des missions menées durant l’arbitrage.
Concernant les missions antérieures à l’arbitrage, la Cour de cassation conforte le raisonnement de la cour d’appel qui a pu « exactement décid[er] que […] l’existence d’un contrat exécuté en 2010 par le cabinet H&M pour la Volkswagen Bank devait être regardée comme notoire du fait de sa publication avant le début de l’arbitrage dans un annuaire professionnel connu de tous les cabinets d’avocats d’affaires allemands ». C’est donc la notoriété d’une situation qui justifie sa non-révélation. La jurisprudence affirme de façon continue que l’arbitre doit « informer les parties de toute relation qui ne présente pas un caractère notoire » (par ex., Paris, 13 mars 2008, n° 06/12878, D. 2008. 3111, obs. T. Clay ). Toutefois, il ne s’agit pas de savoir si l’information est véritablement connue, mais si elle aurait dû l’être. La notoriété de la situation fait peser sur les parties une obligation de « curiosité », dont les limites sont encore largement indéterminées (v. égal. Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD civ. 2016. 856, obs. H. Barbier ; Rev. arb. 2017. 234, note E. Loquin et p. 949, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 447, note T. Clay ; maintenu par, Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. C. Debourg ; ibid., 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 24 ; Procédures, n° 4, p. 14, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 15, p. 20, note A. Constans). En l’espèce, le critère déterminant repose sur la nationalité : les cabinets d’avocats allemands doivent connaître – et consulter – les annuaires professionnels allemands.
On peut toutefois douter de la pertinence de l’exclusion des faits notoires de l’obligation de révélation. D’abord, l’exception de notoriété conduit à exclure de l’obligation de révélation les éléments les plus importants. Ensuite, l’obligation de révélation pèse, selon l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, intégralement sur l’arbitre. L’exception de notoriété et l’obligation de curiosité ne reposent sur aucun fondement juridique et sont en contradiction directe – dans la lettre et l’esprit – avec le texte. Elles invitent l’arbitre à être le moins précis possible, là où les dix dernières années de jurisprudence entendaient renforcer l’obligation de révélation.
Concernant les missions concomitantes à l’arbitrage, la Cour de cassation refuse de faire peser sur les parties une obligation de curiosité continue, en se réappropriant la motivation selon laquelle la partie « n’était pas tenue de poursuivre ses recherches après le début des opérations d’arbitrage et il incombait à l’arbitre d’informer les parties de toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité survenant après l’acceptation de sa mission ». La Cour confirme que les parties n’ont pas à renouveler régulièrement leurs investigations pendant l’instance arbitrale (v. égal., Paris, 14 oct. 2014, n° 13/14076, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Newsletter du CMAP, nov. 2014. 10, obs. L. Jandard ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen ; Rev. arb. 2015. 151, note M. Henry ; confirmé par Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude). En conséquence, l’obligation de révélation pèse exclusivement sur l’arbitre pendant le déroulement de l’arbitrage, que le fait soit notoire ou non.
Toutefois, le défaut de révélation n’entraîne pas immédiatement l’annulation de la sentence. Il convient d’établir que le fait non révélé est de nature à générer aux yeux des parties un doute raisonnable sur l’impartialité et l’indépendance de l’arbitre. C’est bien le cas en l’espèce, la Cour de cassation relevant que « la mission confiée pendant l’arbitrage par la société Porsche au cabinet H&M, revêtait une incontestable importance aux yeux de ce dernier, pour figurer, comme suffisamment notable, au titre de sa communication, dans le “top 5” en 2014 et 2015 de ses dossiers les plus remarquables ; que par ces énonciations, qui procèdent de son pouvoir souverain d’appréciation, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à des recherches que ces constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision sur l’existence d’un doute raisonnable quant à l’indépendance et à l’impartialité de M. Z ». Il est intéressant de voir ce doute caractérisé non pas à travers des critères objectifs, mais des critères subjectifs issus de la communication du cabinet de l’arbitre. Reste à savoir si une absence de communication aurait conduit à une conclusion inverse et, à défaut, quels auraient pu être les éléments à retenir pour établir l’existence de ce doute.
E - L’ordre public
Les éléments composant l’ordre public international et la question de l’intensité du contrôle font l’objet de discussions régulières dans le cadre d’un recours contre la sentence. Un arrêt du 10 septembre 2019 opère quelques rappels utiles (Paris, 10 sept. 2019, n° 17/10639). D’une part, l’inconciliabilité entre la sentence attaquée et une autre décision est susceptible de constituer une violation de l’ordre public international. La cour précise que des décisions sont inconciliables lorsqu’elles entraînent des conséquences juridiques qui s’excluent mutuellement. La solution n’est pas nouvelle (Paris, 17 janv. 2012, n° 10/21349, Planor Afrique, D. 2012. 2991, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2012. 569, note M.-L. Niboyet ; Gaz. Pal. 6-8 mai 2012. 16, obs. D. Bensaude ; Int’l Arb. L. Rev. 2012, n° 15-2, p. 11, note B. Grange ; 4 déc. 2012, n° 11/07800, Planor Afrique, D. 2012. 2991, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2013. 411 [2e esp.], note C. Debourg). La cour rappelle également que la violation de l’autorité de la chose jugée n’est pas d’ordre public international et ne peut fonder une annulation de sentence pour inconciliabilité.
Par ailleurs, l’arrêt apporte également un éclairage sur l’intensité du contrôle de l’ordre public international. On sait que la jurisprudence est en train d’opérer un revirement sur cette question – au moins dans les termes choisis – mais aucune certitude n’existe actuellement quant à l’ampleur de la solution. En effet, depuis quelques années déjà, la cour n’évoque plus le caractère « flagrant, effectif et concret » de la violation, mais son caractère « manifeste, effectif et concret ». Simplement, on peut se demander si ce nouvel étalon de contrôle s’applique à l’ensemble des griefs relevant de l’ordre public international (pour un ex. concernant l’ordre public procédural : Paris, 28 mars 2017, n° 15/17742, inédit ; 30 janv. 2018, n° 16/11761, Cah. arb. 2018. 125, obs. P. Pedone) ? Si une réponse positive s’imposera progressivement, la cour d’appel énonce explicitement que c’est bien le caractère manifeste, effectif et concret de la violation alléguée qui s’applique en matière d’inconciliabilité de décisions.
IV – La compétence du juge de l’exécution
La question du juge de l’exécution en matière d’arbitrage fait rarement l’objet d’une attention approfondie (v. toutefois, D. Mouralis, Le contentieux devant le juge de l’exécution, in L’exécution des sentences arbitrales internationales, M. de Fontmichel et J. Jourdan-Marques [dir.], 2017, LGDJ, Lextenso, p. 131). Dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 11 sept. 2019, n° 19/04988), le litige ayant donné lieu à un arbitrage portait sur la répartition de sommes se trouvant au crédit d’un compte indivis ouvert dans les livres d’une banque. La question posée nécessitait de déterminer qui du juge des référés ou du juge de l’exécution était compétent pour connaître de la demande formulée par une partie à la sentence contre la banque – tiers à l’instance arbitrale – en vue d’obtenir que cette dernière exécute les dispositions édictées par la sentence. La cour d’appel énonce que « cette demande qui tend à l’exécution de la sentence arbitrale relève de la compétence exclusive du juge de l’exécution et ne peut donc pas prospérer devant le juge des référés qui ne dispose pas du pouvoir de statuer sur la question de savoir si la sentence arbitrale dont se prévaut la société Bouygues constitue un titre exécutoire et s’il est opposable à la banque ». Le juge de l’exécution est donc le seul compétent pour connaître de l’opposabilité à un tiers de la sentence arbitrale.
V – La spécialisation des juges judiciaires en matière d’arbitrage
Le décret n° 2019-912 du 30 août 2019 modifiant le code de l’organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit, en son article 3, une disposition visant l’arbitrage. Celle-ci énonce en son 10° que « sauf stipulation contraire des parties et sous réserve de la compétence du tribunal judiciaire de Paris ou de son président en matière d’arbitrage international ainsi que de la compétence de la cour d’appel ou de son premier président en matière de voies de recours, des demandes fondées sur le Livre IV du code de procédure civile ». On peut se réjouir que le législateur envisage une spécialisation des juridictions sur les questions d’arbitrage. Le droit de l’arbitrage est souvent trop complexe pour être correctement appréhendé par des juridictions ayant à connaître de telles questions de façon exceptionnelle.
Pour autant, la mise en œuvre de cette future spécialisation pourrait être un peu complexe. On comprend d’abord que l’arbitrage international est exclu, sauf dans les très rares cas où les parties auraient désigné un siège en dehors de Paris. De plus, les voies de recours relevant des cours d’appel ne sont pas concernées, aussi bien en matière interne qu’internationale (recours en annulation ; recours contre l’ordonnance d’exequatur en matière internationale ; appel de la sentence en matière interne ; recours en révision en matière interne). En revanche, l’identification des demandes concernées pourrait être fastidieuse et soulever des interrogations. De façon assez évidente, on doit pouvoir inclure dans le champ de cette spécialisation toutes les demandes formées devant le juge d’appui, la tierce opposition et la requête en exequatur de la sentence. En revanche, on peut être plus circonspect sur les mesures d’instruction, provisoire ou conservatoire : sont-elles fondées sur le Livre IV (C. pr. civ., art. 1449) ou sur les dispositions spécifiques du code de procédure civile (par ex., C. pr. civ., art. 145) ?
On peut se poser une question identique pour le juge de l’exécution (JEX) ou sur le juge chargé de connaître de l’action en responsabilité contre l’arbitre. Selon nous, dans ces deux cas, une réponse négative devrait s’imposer – l’action n’étant pas fondée sur le Livre IV – mais la question sera sans doute posée. Enfin, il convient de préciser que les discussions sur le principe compétence-compétence devraient être exclues. En effet, ce n’est pas la demande qui est fondée sur le Livre IV, mais le moyen de défense. On imagine mal les parties devoir, dans un premier temps, passer du juge non spécialisé au juge spécialisé, pour, dans un second temps, être renvoyées devant l’arbitre. Pourtant, il est clair que les questions les plus originales sont bien celles relatives au principe compétence-compétence et c’est sans doute là que le besoin de spécialisation se fait le plus ressentir. Pour finir, on fera remarquer que cette question n’est pas totalement dénuée d’enjeux. Ainsi, pour un territoire comme la Guadeloupe, qui doit accueillir le centre d’arbitrage de l’OHADAC, il conviendrait de ne pas voir le juge privé de sa compétence au profit d’une autre juridiction, sous peine de perdre une partie de son attractivité.
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