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Chronique d’arbitrage : avis de retour au calme

La question de la répartition des compétences entre le conseiller de la mise en état et la cour d’appel cause des maux de tête à tous les praticiens depuis le 1er janvier 2020. L’arbitrage n’a pas échappé à l’épidémie, en raison de la multiplicité des irrecevabilités des griefs dans les recours contre les sentences. Un avis du 20 mars 2024 lève la majorité des doutes, dans l’attente de l’entrée en vigueur du décret du 29 décembre 2023 qui viendra clore le chapitre.

La période récente est riche en décisions marquantes. Comment ne pas évoquer l’arrêt Opportunity Fund (Paris, 2 mai 2024, n° 21/08610), qui conduit la Cour d’appel de Paris à annuler une sentence dans un litige à 15 milliards de dollars en raison du manque d’indépendance du président du tribunal arbitral ? C’est seulement la deuxième annulation de ce genre depuis plus de quatre ans et elle ébranle de nombreuses certitudes. L’arrêt SPSE doit également être observé de près (Paris, 30 avr. 2024, n° 21/19729). Il met en lumière les difficultés tenant à l’examen du champ d’application matériel d’une convention d’arbitrage, alors que la cour aboutit à une solution qui paraît discutable. Enfin, cette introduction ne peut passer sous silence l’arrêt Olin (Paris, 14 mai 2024, n° 23/01696) par lequel le recours en annulation contre une sentence formé plus de trois années après sa reddition est déclaré recevable. Voilà de quoi faire douter de la sacro-sainte efficacité du droit français de l’arbitrage.

Dans le cadre de cette introduction, on ne dira qu’un mot, en forme de clin d’œil, sur les répliques de la très fameuse jurisprudence Achmea c/ Komstroy (l’auteur recommande, pour le suivi de ces questions, la lecture des newsletters de Me Ioana Knoll-Tudor). Alors que les juridictions européennes continuent – et c’est logique – de faire une application stricte des exigences de la Cour de justice (Svea Court of Appeal, 27 mars 2024), les juridictions américaines ne voient pas de difficulté à exécuter les sentences déclarées contraires au droit de l’Union, notamment dans l’affaire Micula (US Court of Appeal for the District of Columbia, 14 mai 2024, Micula c/ Roumanie). C’est toutefois au Tribunal fédéral suisse que revient la palme (Trib. féd., 3 avr. 2024). Ce n’est pas seulement un arrêt, c’est une critique doctrinale de la jurisprudence européenne. La décision commence par poser le cadre en soulignant que « depuis plusieurs années, les organes de l’Union européenne mènent, en effet, une croisade contre de tels arbitrages internationaux ». À propos de l’arrêt Komstroy, elle précise que sa « conclusion a été rendue sous la forme d’un obiter dictum, la question principale posée par la juridiction de renvoi étant tout autre ». Elle ajoute, de façon sévère, mais juste, que « pour aboutir à cette solution, la Cour de justice a mis l’accent sur l’exigence de préservation de l’autonomie et du caractère propre du droit de l’Union européenne, sans nullement tenir compte du droit international ni des règles d’interprétation des traités ». La conclusion est tout aussi brutale et permet de justifier d’écarter les décisions de la Cour de justice. Le Tribunal fédéral juge qu’« en présence d’un conflit entre de telles règles [règles européennes et Traité sur la charte de l’énergie], il se peut que l’autorité judiciaire mise en place par ladite communauté d’États soit tentée, comme dans l’affaire Komstroy, d’affirmer la primauté de son droit sur celui issu de cet autre accord international, donnant ainsi à sa décision le caractère d’un plaidoyer pro domo. Par conséquent, la Cour de céans n’accordera pas de valeur particulière à l’arrêt rendu par la Cour de justice dans l’affaire Komstroy mais s’attachera, au contraire, à rechercher elle-même le sens et la portée de l’article 26 du Traité sur la charte de l’énergie et, à déterminer, le cas échéant, si le droit de l’Union européenne peut effectivement remettre en cause la validité du consentement donné par l’État recourant à la mise en œuvre d’un arbitrage pour régler le différend qui l’oppose à l’intimée ». Certains font du droit, d’autres de la politique. Voilà le tribunal fédéral qui perce à jour la principale faiblesse de la jurisprudence Achmea/Komstroy : elle est rendue uniquement en considération des préoccupations du droit européen et en violation évidente du droit international public. Voilà pourquoi des juridictions se trouvant en dehors de l’Union ne peuvent accepter une telle analyse. Reste que ce n’est pas cette décision qui va réchauffer les relations entre l’Union européenne et la Suisse qui, depuis quelques mois, ne se font pas de cadeaux (CJUE 21 déc. 2023, International Skating Union, aff. C-124/21, Dalloz actualité, 12 janv. 2024, obs. J. Jourdan-Marques ; AJDA 2024. 378, chron. P. Bonneville et A. Iljic ; D. 2024. 331, obs. P. le Centre de droit et d’économie du sport (OMIJ-CDES) et U. de Limoges ; Europe 2024, n° 3, p. 4, étude L. Idot ; CCC 2024. 29, note D. Bosco ; JCP 2024. Doctr. 141, obs. C. Nourissat ). En attendant la suite, l’observateur peut sortir le pop-corn.

L’avis du 20 mars 2024

La Cour de cassation a rendu, le 20 mars 2024, un avis qui n’est pas passé inaperçu (Civ. 1re, 20 mars 2024, n° 23-70.019, D. 2024. 798 , note M. Barba  ; JCP 2024. Actu. 589, note P. Casson ; JCP E 2024. 1144, note D. Mainguy ; Procédures 2024. Comm. 118, obs. L. Weiller ; ibid. Comm. 141, obs. R. Laffly ; Gaz. Pal. 2024, n° 16, p. 6, obs. L. Larribère). La double question posée à la Cour de cassation porte, d’une part, sur la qualification de fin de non-recevoir du moyen fondé sur l’article 1466 du code de procédure civile et, d’autre part, sur la compétence pour connaître de ce moyen. Alors que l’hésitation quant à la première question n’est pas nouvelle, la seconde résulte de la consécration par le décret du 11 décembre 2019 d’une compétence nouvelle pour le juge de la mise en état – et par ricochet le conseiller de la mise en état – pour connaître des fins de non-recevoir. Avant d’examiner dans le détail la décision, deux remarques liminaires doivent être faites.

Premièrement, le choix de la première chambre plutôt que de la deuxième pour rendre l’avis doit être souligné. La puissance d’attraction du droit de l’arbitrage conduit à priver la chambre spécialisée en procédure civile d’une question qui aurait pu naturellement retomber dans son escarcelle. Si la solution retenue s’inscrit dans le sillage des avis rendus par la deuxième chambre civile (Civ. 2e, avis, 3 juin 2021, n° 21-70.006, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly ; ibid., 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 1139 ; ibid. 2272, obs. T. Clay ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero   ; 11 oct. 2022, n° 22-70.010, Dalloz actualité, 18 oct. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 2015 , note M. Barba et T. Le Bars ; ibid. 2023. 915, chron. F. Jollec, C. Bohnert, S. Ittah, X. Pradel, C. Dudit et J. Vigneras ; Rev. prat. rec. 2022. 5, chron. O. Cousin et O. Salati  ; JCP 2022. 1185, note P. Gerbay), ce choix, qui n’est pas isolé (v. déjà, pour une question purement procédurale, un arrêt au destin funeste, Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry ; ibid., 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1891 ; ibid. 2435, obs. T. Clay ; JCP 2019. 2072, note L. Weiller ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 25, obs. D. Bensaude ; Procédures 2019, n° 12, p. 23, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 50, p. 45, note P. Casson), révèle la place particulière du droit de l’arbitrage au sein de l’ordonnancement juridique français. Le droit français de l’arbitrage a ses chambres, tant à la Cour d’appel de Paris qu’à la Cour de cassation, et il prime sur le reste. Ce ne sont pas les spécialistes qui vont s’en plaindre.

Deuxièmement, on peut se réjouir de la saisine pour avis de la Cour de cassation et, en même temps, regretter sa tardiveté. La difficulté, au moins en ce qui concerne la répartition des compétences entre le conseiller de la mise en état et la cour d’appel, date du décret du 11 décembre 2019. Immédiatement, la doctrine, en particulier le professeur Claire Debourg dans son commentaire de l’arrêt Dommo (C. Debourg, Limites de l’obligation de révélation de l’arbitre : premières précisions de la CCIP-CA, Dalloz actualité, 27 avr. 2020), a mis le doigt sur les problématiques spécifiques en droit de l’arbitrage. Cela fait donc quatre ans que la doctrine se débat avec ce « sparadrap du capitaine Haddock », quatre ans que les praticiens prennent soin de systématiquement « doubler » et quatre ans que, finalement, le conseiller de la mise en état renvoie immanquablement (ou presque) à la cour, sous couvert que le moyen implique de répondre à une question de fond. L’incertitude a donc trop duré. Faute à la question d’être susceptible de remonter par le biais du pourvoi, il était nécessaire de prendre l’initiative d’un avis. C’est désormais chose faite. Pour autant, d’autres questions restent en suspens et doivent faire l’objet d’une telle demande d’avis. On pense à l’interprétation de la notion d’exécution « susceptible de léser gravement les droits de l’une des parties », qui résulte de l’article 1526 du code de procédure civile, qui n’a jamais fait l’objet, en treize années d’existence, d’une interprétation par la Cour de cassation. On pense encore à la radiation du recours en annulation en l’absence d’exécution de la sentence, qui reste à ce jour interprétée (et refusée) exclusivement par les conseillers de la mise en état de la 5-16, sans même le moindre arrêt d’appel et encore moins de cassation. Ainsi, les occasions de faire des demandes d’avis sont nombreuses, d’autant que l’on est face à des questions nouvelles, sérieuses et qui se posent dans de nombreux litiges (critères de l’art. L. 144-1 COJ). Il faut donc espérer que cet avis en appelle d’autres.

Venons-en, désormais, aux deux questions posées à la Cour de cassation, avec dans un premier temps la question de la qualification de la renonciation à se prévaloir d’une irrégularité puis, dans un second temps, celle de la compétence pour en connaître.

La qualification de la renonciation à se prévaloir d’une irrégularité

L’article 1466 du code de procédure civile dispose que « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ». Depuis treize ans qu’elle a été consacrée, suivant en cela une inspiration doctrinale (L. Cadiet, La renonciation à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale, Rev. arb. 1996. 21) et une jurisprudence naissante (Civ. 2e, 21 nov. 2002, n° 01-10.047 ; 20 nov. 2003, n° 02-10.101 ; 11 juill. 2002, n° 00-21.823, D. 2002. 2846  ; 26 janv. 1994, n° 92-12.307 ; Civ. 1re, 31 janv. 2006, n° 03-19.054, RTD com. 2006. 310, obs. E. Loquin ; v. égal., Civ. 1re, 6 juill. 2005, n° 01-15.912, D. 2006. 1424 , note E. Agostini ; ibid. 2005. 3050, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 602, note H. Muir Watt ; RTD com. 2006. 309, obs. E. Loquin  ; JCP 2005. I. 179, n° 6, obs. J. Ortscheidt ; Rev. arb. 2005. 993, note P. Pinsolle), la renonciation est devenue la bonne à tout faire du droit de l’arbitrage. Alors qu’elle a un temps été concurrencée par l’estoppel (v. sur le sujet, J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, LGDJ, 2017, nos 185 s.), elle a assis sa suprématie jusqu’à faire disparaître ce dernier du paysage. Plus encore, la renonciation a débordé de son lit, au point de ne plus s’appliquer aux seules irrégularités, de ne pas se limiter au seul tribunal arbitral, de se désintéresser du motif légitime et de pouvoir être caractérisée indépendamment de toute connaissance de cause. Au vrai, la jurisprudence s’est débarrassée de la lettre de l’article 1466 du code procédure civile, pour consacrer une « méta-renonciation ». Seuls résistent à l’envahisseur, d’une part et à juste titre, l’ordre public international de fond (Civ. 1re, 7 sept. 2022, n° 20-22.118, Dalloz actualité, 28 oct. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 1600 ; ibid. 2330, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 8 nov. 2022, p. 11, obs. L. Larribère ; Procédures 2022. 253, obs. L. Weiller ; JDI 2023. 1021, obs. K. Mehtiyeva ; Rev. arb. 2022. 1251, note C. Jarrosson), à l’exclusion de l’ordre public de protection (Paris, 22 févr. 2022, n° 20/05869, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques) et de procédure (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; 12 oct. 2021, n° 20/02301, Tasyapi, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; 19 oct. 2021, n° 19/23071, Heliotrop, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques) et, d’autre part et à tort, les moyens (de droit et de faits) non débattus en matière de compétence, lorsque la compétence a été discutée (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 24 déc. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 ; ibid. 2021. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; ibid. 2272, obs. T. Clay ; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2021. 419, note P. Duprey et M. Le Duc ; JDI 2021. Comm. 30, obs. M. de Fontmichel).

La renonciation est donc partout. Comment faut-il la qualifier ? Depuis très longtemps, la jurisprudence s’accorde pour adosser la renonciation à la sanction de l’irrecevabilité (v. par ex., Civ. 1re, 31 janv. 2006, n° 03-19.054, RTD com. 2006. 310, obs. E. Loquin : « Tout grief invoqué à l’encontre d’une sentence au titre de l’article 1502 doit, pour être recevable devant le juge de l’annulation, avoir été soulevé, chaque fois que cela était possible, devant le tribunal arbitral lui-même »). Reste à savoir si cette sanction de l’irrecevabilité emporte une qualification de fin de non-recevoir. C’est aujourd’hui un débat qui agite la doctrine (L. Jandard, Réflexion sur la relation entre les notions de fin de non-recevoir et d’irrecevabilité, JCP 2023. Doctr. 850). Il est vrai que la prolifération des fins de non-recevoir finit par faire douter : si toutes les fins de non-recevoir sont sanctionnées par une irrecevabilité, toutes les irrecevabilités sont-elles la conséquence d’une fin de non-recevoir ? L’article 122 du code de procédure civile donne à voir une définition restrictive de la fin de non-recevoir, qui est le moyen « qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ». Or la doctrine a bien vu, à la suite de cet avis, que la renonciation tirée de l’article 1466 du code de procédure civile ne fait pas échec à la demande, mais simplement à un grief (v. not., M. Barba, D. 2024. 798 , nos 11 s.).

La Cour de cassation ne s’en laisse pas compter. Après avoir cité en parallèle les articles 122 et 1466 du code de procédure civile, elle annonce, sans autre cérémonie, que « ce moyen de défense tiré de l’article 1466 du code de procédure, qui tend à faire déclarer irrecevable le moyen d’annulation d’une sentence arbitrale fondé sur l’article 1520 du même code, constitue une fin de non-recevoir du droit de l’arbitrage au sens de l’article 122 susvisé ». Manifestement, la Cour de cassation n’a pas jugé utile de recourir à une motivation enrichie pour asseoir cette qualification. Il est vrai qu’elle n’a jamais été véritablement discutée ou, à tout le moins, aucune alternative n’a été proposée. Ainsi, Loïc Cadiet, dans son article visionnaire, explique déjà que « ce moyen a la nature, me semble-t-il, d’une fin de non-recevoir plutôt que d’une défense au fond ou d’une exception de procédure » (L. Cadiet, La renonciation à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale, préc., n° 34). La qualification de fin de non-recevoir de la renonciation est donc consolidée. Toutefois, la motivation suscite deux remarques.

La première concerne la référence par la Cour de cassation à une fin de non-recevoir du droit de l’arbitrage. La précision étonne et on peine à lui donner un sens (v. not., M. Barba, préc., n° 16). La formule semble utilisée en miroir avec la notion de « règle matérielle du droit de l’arbitrage » (on retrouve une occurrence très ancienne, avec un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 déc. 1986 ; depuis, elle est utilisée régulièrement en préambule de la règle issue de la jurisprudence Dalico, par ex., Civ. 1re, 30 mars 2004, Uni-kod, n° 01-14.311, RTD com. 2004. 443, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2005. 959, note C. Seraglini ; JCP 2004. II. 10132, note G. Chabot ; S. Bollée, Quelques remarques sur la pérennité [relative] de la jurisprudence Dalico et la portée de l’article IX de la Convention européenne de Genève. À propos de l’arrêt société Uni-kod c/ société Ouralkali, JDI 2006. 126). Dans l’absolu, elle est un insigne distinctif sans grand intérêt et dont on peut se passer, à l’image de la rosette ou du ruban rouge sur la robe d’avocat. Elle est toutefois révélatrice d’une originalité du droit de l’arbitrage, qui concentre en son sein de très nombreuses irrecevabilités spécifiques. En effet, si la renonciation est une fin de non-recevoir du droit de l’arbitrage, il y a, sans aucun doute, d’autres fins de non-recevoir du droit de l’arbitrage. Un exemple nous a été donné par la Cour de cassation à propos du retrait litigieux. Dans la célèbre affaire Hémisphère (dans l’ordre, Paris, 12 avr. 2016, n° 11/20732, Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 24, obs. D. Bensaude ; Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-22.112, Dalloz actualité, 20 mars 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 516 ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; AJ contrat 2018. 187, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. crit. DIP 2018. 862, note H. Muir Watt ; RTD civ. 2018. 411, obs. H. Barbier ; ibid. 431, obs. P.-Y. Gautier  ; Rev. arb. 2018. 389, note M. Laazouzi ; Procédures 2018, n° 5, obs. L. Weiller ; JCP 2018. 1111, note P. Casson ; RDC 2018. 354, note R. Libchaber ; JDI 2018. 1202, note P. Pinsolle ; Paris, 7 déc. 2021, nos 18/10217 et 18/10220, Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 1773, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel  ; Gaz. Pal. 3 mai 2022, p. 4, obs. L. Larribère), la Cour de cassation a déclaré irrecevable la demande d’exercice de retrait litigieux, au motif qu’elle n’entre pas dans les cas prévus à l’article 1520 du code de procédure civile (Civ. 1re, 28 févr. 2024, n° 22-16.151, Dalloz actualité, 21 mars 2024, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2024. 482 ; Gaz. Pal. 2024, n° 16, p. 11, obs. L. Larribère). On peut y voir une autre illustration d’une fin de non-recevoir du droit de l’arbitrage.

La deuxième question a trait aux conséquences de la qualification de fin de non-recevoir, indépendamment de celle relative à la compétence pour en connaître. C’est sans doute là que se trouve la véritable difficulté. La jurisprudence juge en effet qu’une partie qui se prévaut d’une fin de non-recevoir doit faire figurer celle-ci dans le dispositif de ses conclusions. Un arrêt de la première chambre civile le dit sans ambiguïté, en énonçant que « dès lors qu’il résulte des productions que la banque s’est bornée, en appel, à invoquer la prescription de la demande indemnitaire au titre d’un manquement à son devoir de mise en garde, sans reprendre cette fin de non-recevoir dans le dispositif de ses conclusions, la cour d’appel n’en était pas saisie » (Civ. 1re, 2 févr. 2022, n° 19-20.640, Dalloz actualité, 8 févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 277 ; ibid. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2022. 290 ; RDI 2022. 513, obs. J. Bruttin ; RTD com. 2022. 630, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2023. 284, obs. A. Jeauneau ). La Cour d’appel de Paris a déjà eu l’occasion de faire application de cette exigence en matière d’arbitrage, en refusant de statuer sur une fin de non-recevoir ne figurant pas au dispositif (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, n° 19/07575, n° 19/15816, n° 19/15817, n° 19/15818 et n° 19/15819, Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg ; Dalloz actualité, 4 mai 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ; JCP 2020. 870, note M. de Fontmichel ; v. égal., Paris, 19 oct. 2021, n° 19/23071, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Voilà donc, finalement, le plus important de cet arrêt. Ce n’est pas tant la question de la répartition des compétences entre le conseiller de la mise en état ou de la cour qui doit être retenue, mais l’autre conséquence qui découle de cette qualification : l’obligation de faire figurer au dispositif l’argument.

Néanmoins, à y regarder de plus près, l’avis met du plomb dans l’aile à la qualification de demande ou de prétention des fins de non-recevoir. La Cour use à plusieurs reprises de la qualification de « moyen » ou « moyen de défense ». Elle juge par exemple que « ce moyen de défense […] constitue une fin de non-recevoir ». C’est d’ailleurs celle qui est retenue par le code de procédure civile, le titre V étant dédié aux « moyens de défense » par opposition à la « demande en justice » du titre IV. La précision n’est pas anodine, dès lors que l’article 954 du code de procédure civile impose de faire figurer au dispositif des conclusions les seules prétentions, les moyens relevant, quant à eux, uniquement de la discussion. Faut-il pour autant crier victoire et écarter toute référence à la renonciation du dispositif des conclusions ? Absolument pas. On découvre en fait à la lecture de l’avis (et ce qu’avait déjà identifié la Cour d’appel de Paris dans les arrêts précités) que la véritable prétention n’est pas la fin de non-recevoir, mais l’irrecevabilité du grief. Elle le dit explicitement lorsqu’elle précise que « ce moyen de défense tiré de l’article 1466 du code de procédure civile, qui tend à faire déclarer irrecevable le moyen d’annulation d’une sentence arbitrale ». La renonciation, fin de non-recevoir, est donc un moyen et l’irrecevabilité du grief constitue la prétention. En conséquence, le dispositif des conclusions doit mentionner toutes les irrecevabilités (des griefs, des moyens, mais aussi des pièces voire du recours), mais s’abstenir de viser la renonciation, qui n’est rien d’autre que le moyen au soutien de la prétention. De plus, même si la jurisprudence n’est pas fixée, l’irrecevabilité n’est pas une prétention au fond (même si certains commentateurs parlent de « fin de non-recevoir de fond », L. Weiller, obs. préc.), n’est pas soumise à l’exigence de concentration de l’article 910-4 du code de procédure civile (Civ. 2e, 28 mars 2024, n° 22-12.797, Dalloz actualité, 2 mai 2024, obs. M. Barba ; D. 2024. 677  ; contra – et explosif – Civ. 1re, 30 mars 2022, n° 20-20.658).

La compétence pour connaître de l’irrecevabilité

Dès lors que la renonciation issue de l’article 1466 du code de procédure civile a été qualifiée de fin de non-recevoir sanctionnée par une irrecevabilité, la question de la compétence pour en connaître se pose. Le débat résulte, on l’a dit, de la consécration par l’article 789, 6°, du code de procédure civile, d’une compétence pour le juge de la mise en état – et par ricochet, pour le conseiller de la mise en état – pour connaître des fins de non-recevoir. Cette fausse bonne idée (avouons que, comme beaucoup d’autres, nous y avons cru) nécessite de répartir les compétences entre le conseiller de la mise en état et la cour d’appel. La problématique est tellement complexe qu’elle a donné lieu à un échange enflammé (M. Barba, Qui connaît de la recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel ?, Dalloz actualité, 13 mai 2022 ; T. Le Bars, La compétence du conseiller de la mise en état pour prononcer l’irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel, Dalloz actualité, 7 juill. 2022) et aux avis décisifs du 3 juin 2021 (Civ. 2e, avis, n° 21-70.006, supra) et du 11 octobre 2022 (Civ. 2e, avis, n° 22-70.010, supra). L’avis du 20 mars 2024 poursuit cette œuvre. Simplement, ses jours sont comptés. En effet, le décret du 29 décembre 2023 supprime le renvoi à l’article 789 du code de procédure civile. À l’avenir, les fins de non-recevoir dont le conseiller de la mise en état aura à connaître seront limitativement énumérées à l’article 913-5 du code de procédure civile. Voilà donc un avis qui ne vaut que pour les affaires introduites avant le 1er septembre 2024 et dont l’intérêt se réduira au fur et à mesure de l’épuisement des stocks.

Sur le fond, le raisonnement est limpide. L’avis du 11 octobre 2022 consacre une distinction entre les fins de non-recevoir relevant de l’appel et celles touchant à la procédure d’appel. Partant, la Cour estime que « le moyen de défense fondé sur l’article 1466 du code de procédure civile, tiré de la renonciation à se prévaloir d’une irrégularité non invoquée en temps utile devant le tribunal arbitral, qui constitue une fin de non-recevoir du grief invoqué contre la sentence, ne relève pas de la régularité de la procédure applicable devant la cour d’appel saisie d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale ». Si le moyen ne relève pas de la procédure d’appel, il relève donc de l’appel. Par conséquent, c’est à la cour d’en connaître.

En droit, on peut critiquer l’analyse. Certes, l’irrecevabilité d’un grief touche à l’effet dévolutif, dès lors qu’elle interdit à la cour d’en connaître au fond. Pour autant, c’est tout autant le cas de l’irrecevabilité des conclusions d’intimé, qui continue à incomber au conseiller de la mise en état. Au vrai, la distinction consacrée par la Cour de cassation est friable. D’ailleurs, la Cour d’appel de Paris a jugé l’inverse, déjà à propos de l’argument tiré de la renonciation fondée sur l’article 1466 (Paris, 24 janv. 2023, SOGEA-SATOM, n° 22/00733, Dalloz actualité, 14 mars 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 16 mai 2023, n° 16, p. 7, note L. Larribère ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay ; 19 oct. 2023, AS PNB Banka, n° 22/18712, Dalloz actualité, 12 janv. 2024, obs. J. Jourdan-Marques).

Ceci étant, si la solution retenue par l’avis est contestable en droit, elle est, de loin, la meilleure en opportunité. Premièrement parce qu’elle anticipe la réforme du 29 décembre 2023 et évite aux avocats et magistrats un dédoublement de personnalité, imposant de jongler dans leurs procédures en fonction de la date de la déclaration de recours. Deuxièmement, parce que la solution devrait emporter dans son sillage toutes les autres interrogations relatives à la recevabilité des griefs, lorsqu’elles ne sont pas fondées sur la renonciation. Troisièmement, et bien plus fondamentalement, car l’éclatement des pouvoirs n’est pas compatible avec un examen correct des recours. En effet, la renonciation à un grief est bien souvent une question intimement liée au fond. Il est artificiel de vouloir les dissocier. D’ailleurs, en pratique, il ne nous semble pas avoir vu depuis quatre ans une seule décision du conseiller de la mise en état statuant sur l’irrecevabilité d’un grief. L’unicité de la résolution de la question litigieuse prime ainsi sur une répartition inadéquate des compétences.

Reste une ultime question. La concentration des compétences entre les mains de la cour lui permet de traiter successivement de la question de la recevabilité du grief puis de son bien-fondé. En théorie, une fin de non-recevoir est examinée avant le fond. Cela impose à la cour de respecter cet ordre. C’est d’ailleurs ce qu’elle fait en matière d’obligation de révélation. Sa démarche classique est d’examiner d’abord la renonciation, puis la révélation et enfin le doute raisonnable. Cela conduit à donner un poids considérable à l’exception de notoriété, puisqu’elle est examinée avant même que la cour d’appel ne s’interroge sur l’existence d’une obligation de révéler la circonstance litigieuse. Pourtant, il est intéressant de noter que dans un arrêt MBI, la Cour de cassation a priorisé l’examen de la deuxième condition par rapport à la première (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 18-11.290, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay ). On voit alors poindre un conflit de logique entre la procédure civile et le droit de l’arbitrage. Du point de vue du droit de l’arbitrage, la question doit être résolue dans l’ordre suivant : l’arbitre a-t-il l’obligation de révéler la circonstance (fond) ? La partie aurait-elle dû avoir, en tout état de cause, connaissance de cette circonstance au point de devoir demander immédiatement la récusation de l’arbitre (fin de non-recevoir) ? la circonstance est-elle de nature à créer un doute raisonnable dans l’esprit des parties sur l’indépendance des arbitres (fond) ? Pourtant, la procédure civile impose un autre ordre, qui, à ce jour, prime dans l’esprit de la cour d’appel.

Cela dit, tous les cas d’ouverture ne bénéficient pas du même enthousiasme. Par exemple, en matière d’ordre public international, on ne voit presque jamais la cour d’appel statuer explicitement sur la recevabilité du grief. Pourtant, la question se pose, en particulier lorsque le principe ou la règle mobilisée n’est pas d’ordre public international. Dans cette hypothèse, le grief échappe à tout contrôle du juge du recours, faute d’entrer dans les cas d’ouverture prévus par l’article 1520 du code de procédure civile. À ce titre, il doit être irrecevable. Ce n’est pourtant pas la logique suivie par la cour d’appel. Ainsi, quand bien même elle constate, par exemple, qu’une règle n’est pas d’ordre public international (par ex., dans l’arrêt Guess, Paris, 23 nov. 2021, n° 19/15670, Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 915, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1773, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel ; JCP E 2022, 1234, note D. Mainguy ; JDI 2022. 483, note P. Mayer ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, obs. L. Larribère ; JCP E 2022, n° 27, p. 39, note M.-E. Ancel) elle le rejette plutôt que de le déclarer irrecevable. Pire, le plus souvent, elle se garde de se prononcer sur l’intégration du principe ou de la règle à l’ordre public international, préférant rejeter pour défaut de contrariété de la sentence à la règle visée (par ex., dans la décision Specter Aviation, où la cour reste très évasive sur l’intégration de la liberté contractuelle dans l’ordre public international, préférant constater l’absence d’atteinte à cette liberté, Paris, 12 sept. 2023, n° 22/05263, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay). En cette matière, on voit que l’articulation entre fin de non-recevoir et fond est moins tranchée, ce qui permet à la cour de bénéficier de plus de liberté dans la résolution de la question litigieuse.

Finalement, c’est peut-être là que pourrait émerger la véritable originalité des fins de non-recevoir du droit de l’arbitrage. En ce qu’elles portent sur un contentieux très spécifique et qu’elles sont le plus souvent liées au fond, on peut se demander si elles doivent suivre le même régime que les autres fins de non-recevoir. À ce titre, deux règles spéciales seraient bienvenues : d’une part, la faculté pour la partie de ne pas faire figurer toutes les irrecevabilités des griefs dans le dispositif de ses conclusions ; d’autre part, la faculté pour la cour de ne pas respecter l’ordre de traitement des fins de non-recevoir et du fond, afin de donner à la question litigieuse une réponse construite et directe. En somme, faire primer la bonne administration de la justice et la qualité des décisions sur des exigences artificielles qui se transposent mal au contentieux du recours contre les sentences arbitrales.

Le principe compétence-compétence

Les saisines du juge étatique en présence d’une clause compromissoire sont toujours aussi nombreuses. De cette masse, on voit émerger tout un champ de questions qui échappent purement et simplement à l’effet négatif du principe compétence-compétence. Théoriquement, la solution peut se justifier ; elle n’en doit pas moins être mobilisée avec prudence, sous peine d’ouvrir une brèche définitive dans le principe.

Les clauses alternatives

Il n’est pas rare de trouver dans les contrats des clauses dont la rédaction flirte avec le pathologique. C’est le cas d’une clause figurant dans une charte-partie, qui stipule, dans sa traduction française, que « Tout litige concernant la présente charte-partie sera tranché par arbitrage à Paris, en la forme ordinaire, et en cas de désaccord, par le "Tribunal de commerce de la Seine", Paris ». La question est de savoir si une telle clause impose le renvoi aux arbitres, en application de l’effet négatif, pour statuer sur l’éventuel désaccord. Ce n’est pas l’avis de la Cour d’appel de Paris, dans sa formation internationale de la 5-16 (Paris, 21 mai 2024, Spanaco Five, n° 23/16776), ce qui interdit d’en faire un petit arrêt d’espèce. La cour juge que « la lecture de ces stipulations révèle que la clause dont il s’agit, rédigée...

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