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Chronique d’arbitrage : déflagration dans le recours en annulation

Personne ne l’avait vu venir. Il aura fallu un arrêt Dommo de la nouvelle CCIP-CA et la sagacité de quelques observateurs pour le mettre en lumière. Le décret du 11 décembre 2019 n’a pas épargné l’arbitrage : il a profondément et durablement modifié le visage du recours contre la sentence.

par Jérémy Jourdan-Marquesle 4 mai 2020

Après le décret du 13 janvier 2011, c’est donc celui du 11 décembre 2019 qui réforme le droit de l’arbitrage. Pourquoi ? Tout simplement parce que, par l’effet de l’article 789, 6°, du code de procédure civile, applicable au conseiller de la mise en état, le recours est désormais scindé en deux : d’un côté, les questions relatives à la recevabilité des griefs, de l’autre, celles concernant leur bien-fondé. Ainsi, quelques mois après le schisme entre arbitrage interne et arbitrage international (réparti entre le pôle 1 – ch. 1 et le pôle 5 – ch. 16), on assiste à celui entre conseiller de la mise en état et formation de jugement. Il n’y a plus, en droit français (à l’exclusion des hypothèses – rarissimes – où le siège est fixé en dehors de Paris), un juge du recours contre la sentence, mais quatre !

Au-delà de cette problématique, la présente chronique est évidemment perturbée par la pandémie de coronavirus. Les juridictions judiciaires voient leur activité réduite, alors qu’elle était déjà ralentie par la grève des avocats. Pour autant, plusieurs décisions sont à signaler. L’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, n° 19/07575, n° 19/15816, n° 19/15817, n° 19/15818, n° 19/15819, Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg ; JCP 2020, note M. de Fontmichel, à paraître) est le premier grand arrêt de la CCIP-CA (après la modeste décision, Paris, 7 janv. 2020, n° 19/07260, République démocratique du Congo c/ Divine Inspiration, Dalloz actualité, 27 févr. 2020, obs. J. Jourdan-Marques), la nouvelle chambre compétente en matière d’arbitrage international. Hasard du calendrier – ou pas – il traite d’une des questions les plus sensibles de la dernière décennie : l’obligation de révélation des arbitres ! Cette thématique est devenue tellement complexe que, au-delà du commentaire de cet arrêt, nous proposerons en fin de chronique un « vademecum » du recours contre une sentence en ce domaine. On évoquera également une décision Antrix (Civ. 1re, 4 mars 2020, n° 18-22.019, D. 2020. 608 ) sur les modalités de la renonciation. Enfin, cette chronique vaudrait-elle vraiment la peine d’être publiée sans quelques réflexions sur l’impact du coronavirus sur les procédures arbitrales ?

I – Les aspects procéduraux du recours en annulation

A - La répartition des compétences entre CME et formation de jugement

Nous reviendrons plus en détail sur l’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, préc.) dans la suite des développements. Il faut consulter les paragraphes 39 et 40 de l’arrêt. À première lecture, ils sont insignifiants. La cour d’appel y déclare irrecevable une prétention du défendeur : la fin de non-recevoir tirée de la renonciation à se prévaloir de la constitution irrégulière du tribunal arbitral. Reprenons : le demandeur au recours sollicite l’annulation de la sentence, motif pris des lacunes dans la révélation ; le défendeur invoque l’irrecevabilité du grief, le demandeur n’ayant pas exercé son recours dans les délais prévus par le règlement d’arbitrage ; le demandeur soulève l’irrecevabilité de l’irrecevabilité (!) et obtient satisfaction. À ce stade, rien de problématique : la renonciation est qualifiée de fin de non-recevoir depuis bien longtemps, mais elle est elle-même susceptible d’être frappée d’une irrecevabilité.

Le véritable intérêt porte sur le motif de l’irrecevabilité. La cour d’appel énonce que l’irrecevabilité « n’a pas été formulée dans les prétentions des parties énoncées dans le dispositif de leurs conclusions, mais figure uniquement dans des moyens développés ». Prenons le temps d’examiner cette motivation. Lorsque le défendeur se prévaut de l’irrecevabilité du grief (ou du recours en annulation), il formule une prétention qui doit apparaître de façon distincte dans le dispositif des conclusions, conformément à l’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile. Très concrètement, cela signifie que le défendeur au recours, lorsqu’il discute la prétention du demandeur sur l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral, doit prendre la peine de distinguer dans son argumentation ce qui relève de l’irrecevabilité et ce qui relève du bien-fondé.

L’arrêt Dommo ne dit rien de plus. Pourquoi alors est-ce si important ? N’est-ce pas une simple exigence formelle, imposant aux parties – notamment le défendeur – de distinguer dans les moyens relevant d’une fin de non-recevoir et ceux relevant du fond et de les faire apparaître distinctement dans le dispositif des conclusions ? En réalité, il faut aller au-delà de cette exigence formelle, comme l’a parfaitement démontré le Professeur Debourg (Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg).

Pour le comprendre, il faut se rappeler deux choses : d’une part, en arbitrage, la distinction des moyens de défense relevant de l’irrecevabilité et ceux relevant du fond est rarement réalisée avec rigueur ; d’autre part, et cela explique le premier point, les discussions sur la recevabilité et celles sur le fond sont le plus souvent intimement liées. L’exemple de l’obligation de révélation est éclairant. La question de la notoriété du fait non révélé est une question de fond, puisqu’elle vient atténuer l’obligation de révélation de l’arbitre. Mais le seul et unique intérêt de la notoriété est de déterminer le point de départ du délai offert aux parties pour exercer une demande de récusation. Autrement dit, la recevabilité du recours – l’exercice d’une action en récusation de l’arbitre – dépend d’une question de fond – la notoriété du fait non révélé.

Naturellement, la difficulté ne concerne pas que la révélation : elle concerne tous les cas d’ouverture. Prenons l’exemple du principe de non-révision au fond. Ce principe présente deux dimensions : d’une part, il vise à écarter un grief n’entrant pas dans les cas d’ouverture du recours ; d’autre part, il conduit à limiter l’examen du juge et lui interdit de réviser le fond de la sentence. Dans le premier cas, le grief est irrecevable. Dans le second, il est mal-fondé. Mais la frontière est loin d’être imperméable, et on peut d’ores et déjà prédire des maux de tête lorsqu’il conviendra de déterminer ce qui relève de l’un ou de l’autre, notamment dans le cadre de l’examen du respect de sa mission par le tribunal.

Alors, ne suffit-il pas, par précaution, d’invoquer chaque grief sous l’angle de la recevabilité et du bien-fondé, et de les faire figurer distinctement dans le dispositif des conclusions ? Ce serait malheureusement trop simple. En effet, il convient de mettre en perspective cette solution avec le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile. Les pouvoirs du juge d’appui ont été considérablement modifiés par cette réforme. Désormais, l’article 789.6° du code de procédure civile donne compétence à ce dernier pour statuer sur les fins de non-recevoir. Or cette disposition est applicable en procédure d’appel. En effet, l’article 907 renvoie aux articles 780 à 807 du code de procédure civile, et donc à l’article 789. En conséquence, pour les actions formées depuis le 1er janvier 2020 (conformément à la disposition dérogatoire de l’art. 55, II, du décret du 11 déc. 2019), c’est au conseiller de la mise en état qu’il convient de soumettre le moyen tiré de la renonciation. Cela impose notamment aux parties de saisir le conseiller de la mise en état par des conclusions qui lui sont spécialement adressées (C. pr. civ., art. 791 et 914). Cette distinction entraîne un morcellement du recours : le conseiller de la mise en état est compétent pour se prononcer sur la recevabilité, la cour sur le bien-fondé. Il y a bien deux juges compétents pour examiner le recours ! À cela, il faut ajouter que si le conseiller de la mise en état statue sur cette question, celle-ci devrait être susceptible de faire l’objet d’un déféré, quand bien même l’article 916 du code de procédure civile n’a pas été modifié en ce sens.

Comme évoqué précédemment, l’examen de cette fin de non-recevoir entraîne le plus souvent que soit tranchée au préalable une question de fond. Dès lors, conformément à l’article 789, alinéa 2, du code de procédure civile, il paraît opportun de renvoyer la question à la formation collégiale (à la demande d’une partie ou d’office). Non seulement cela permet d’écarter le déféré (même si aucun texte ne le prévoit), mais surtout cela évite un morcellement du recours. Il serait judicieux d’adapter procéduralement le recours pour répondre de façon satisfaisante à des questions qui seront, le plus souvent, indissociables. Il faut voir, à l’usage, s’il est envisageable de joindre la fin de non-recevoir au fond et de permettre à la cour de trancher les deux questions dans sa décision finale.

Reste à savoir si des recours se gagneront ou se perdront sur cette question. Les irrecevabilités font désormais l’objet d’une concentration procédurale devant le juge/conseiller de la mise en état, à rebours de l’article 123 du code de procédure civile. C’est ce qui ressort des articles 789, alinéa 4 et 914, alinéa 2, du code de procédure civile. Autrement dit, les parties ne sont plus recevables à invoquer l’irrecevabilité de l’irrecevabilité au stade de l’audience. En principe, une partie aura toujours le temps de former sa demande devant le conseiller de la mise en état avant la clôture de l’instruction. En revanche, le juge peut-il le relever d’office ? Apparemment, non. L’article 789 ne semble pas le permettre, et l’article 914 vise de façon limitative « l’irrecevabilité de l’appel ou la caducité de celui-ci ». Reste à savoir si, dans l’intérêt de tous, les parties peuvent s’entendre tacitement, avec la bénédiction du conseiller de la mise en état, pour laisser cette question à la formation de jugement. Pour un contentieux ultra concentré comme l’arbitrage, avec deux chambres et une poignée de cabinets, ce n’est pas totalement à exclure.

B - La renonciation

La renonciation devrait donc relever désormais de la compétence du conseiller de la mise en état. La renonciation est en train de prendre une place démesurée dans le recours contre la sentence. Une étude sérieuse sur la question serait sans doute révélatrice, car il semble qu’une bonne part des recours se focalise désormais autour de cette seule et unique question. Le phénomène est renforcé par le fait que la renonciation, prévue par l’article 1466 du code de procédure civile, est susceptible de concerner tous les cas d’ouverture, à l’exception de l’ordre public de direction (v. Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502, Dalloz actualité, 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2019. Doctr. 1349, obs. J. Ortscheidt). Trois arrêts, d’inégale importance, se prononcent sur ce moyen.

1 - L’arrêt Uzuc

Commençons par l’arrêt le plus simple. L’affaire Uzuc porte sur l’application de la renonciation en matière de compétence (Paris, 25 févr. 2020, n° 17/18001, Uzuc). Le litige soumis au tribunal arbitral portait sur deux bons de commande. L’une des parties a uniquement contesté l’application de la clause à l’un des deux bons de commande. Le tribunal arbitral s’est reconnu compétent uniquement à l’égard du second. Lors du recours, la partie conteste la compétence du tribunal pour connaître du litige portant sur ce bon de commande. La question était de savoir si elle avait renoncé à se prévaloir de cette incompétence.

Le raisonnement est purement factuel et ne présente pas grand intérêt. En revanche, la cour d’appel forge l’essentiel de sa conviction sur la transcription d’une audience, dont elle reproduit plusieurs passages dans sa décision. Lorsqu’elle existe, cette transcription peut en effet se révéler une pièce utile. La preuve d’un fait juridique pouvant être établie par tous moyens. Les parties sont invitées à se prévaloir plus souvent de cet élément de preuve. La cour constate que la partie a exprimé son absence d’objection à l’égard de la compétence du tribunal lors de l’audience et rejette le recours.

2 – L’arrêt Antrix

L’arrêt Antrix a été rendu par la Cour de cassation (Civ. 1re, 4 mars 2020, n° 18-22.019, préc.). Il est destiné à une publication au bulletin et est rédigé sous la nouvelle forme des arrêts de cassation. En l’espèce, cette nouvelle rédaction n’aide absolument pas à l’intelligibilité de la décision et il faut s’y reprendre à plusieurs fois (ou lire l’arrêt d’appel, Paris, 27 mars 2018, n° 16/03596, Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 39, obs. D. Bensaude) pour comprendre les faits. Cet arrêt sera abondamment commenté, non pas pour sa solution, mais pour les enjeux théoriques qu’il soulève.

Dans cette affaire, la clause compromissoire était mal rédigée, puisqu’elle prévoyait que la procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la Chambre de commerce internationale (CCI) ou de la Commission des Nations-Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). Cette alternative a cristallisé les débats, le demandeur ayant saisi la CCI et le défendeur s’y opposant. Afin de faire valoir sa position, le défendeur a adopté deux positions distinctes. Dans un premier temps, il a protesté, auprès de la CCI, contre le caractère institutionnel de l’arbitrage, en invoquant notamment que le choix d’un tel arbitrage ne pouvait être réalisé par le seul demandeur. En dépit de ses objections, la Cour internationale d’arbitrage de la CCI a procédé à la désignation des arbitres. Dans un second temps, il a contesté la compétence du tribunal arbitral en soutenant que la clause compromissoire, en ce qu’elle faisait référence à deux règlements d’arbitrage sans fixer les modalités de choix entre eux, était pathologique. À défaut d’accord préalable des parties, elle était donc inapplicable, ce qui privait le tribunal de pouvoir juridictionnel. Le tribunal arbitral n’y a pas fait droit.

Pour s’opposer à l’exequatur de la sentence arbitrale, la société Antrix s’est limitée à sa première argumentation. Elle allègue que le règlement CCI serait inapplicable à la constitution du tribunal. Les arbitres auraient dû être désignés par le juge d’appui indien, conformément à la loi régissant le contrat, et non par la Cour internationale d’arbitrage de la CCI.

La cour d’appel de Paris ne s’est pas laissée séduire. Elle a considéré que « ce moyen procède d’une interprétation de la clause compromissoire contradictoire avec celle qui avait été soumise aux arbitres ; que ceux-ci, en effet, ont été invités à se prononcer sur le caractère pathologique de la clause et non sur le fait que le règlement d’arbitrage de la CCI serait divisible et qu’un contrat pour l’administration de l’arbitrage n’aurait pas été conclu ». En conséquence, elle juge que la société Antrix a renoncé à se prévaloir de ce moyen. Elle précise que « c’est au regard de l’argumentation développée devant les arbitres, et non des péripéties procédurales antérieures ou parallèles à l’instance arbitrale, qu’il convient d’apprécier si une partie est présumée avoir renoncé à se prévaloir d’une irrégularité ». Elle conclut à l’irrecevabilité du grief.

L’arrêt est cassé. La Cour de cassation énonce que « l’invocation par la société Antrix, devant le tribunal arbitral, du caractère pathologique de la clause prévoyant une procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI emportait nécessairement contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral, constitué sous l’égide de la CCI, dès lors que l’option alternative du choix des règles de la CNUDCI offerte par la clause impliquait un arbitrage ad hoc, exclusif d’un arbitrage institutionnel, de sorte que l’argumentation soutenue devant le juge de l’exequatur, selon laquelle la clause d’arbitrage viserait un arbitrage ad hoc sans intervention de la CCI dans la désignation du tribunal arbitral, n’était pas contraire à celle développée devant celui-ci ».

Ni l’arrêt d’appel ni l’arrêt de cassation ne nous paraissent convaincants.

S’agissant de l’arrêt d’appel, la cour a retenu une appréciation restrictive de l’article 1466 du code de procédure civile. Pour établir la renonciation, la cour considère que l’irrégularité doit être invoquée devant le tribunal arbitral. En conséquence, tout ce qui se passe ailleurs que devant le tribunal arbitral est indifférent. Cette interprétation est séduisante et strictement conforme au texte. Elle est toutefois contraire au droit positif tel qu’il existe depuis plusieurs années. On en veut pour preuve que le contentieux de la récusation est totalement extérieur au tribunal arbitral et pourtant, l’exercice de cette action est la condition de la recevabilité du recours. Ainsi, considérer que toute irrégularité qui n’aurait pas été dénoncée devant le tribunal arbitral emporte renonciation constitue une interprétation dénaturant l’esprit de l’article 1466 du code de procédure civile (cela dit, rien n’interdit d’opérer un revirement sur ce point !).

Pour autant, les motifs de la cassation ne sont pas beaucoup plus satisfaisants. En effet, la Cour considère que la contestation de la compétence du tribunal arbitral emportait nécessairement contestation de la régularité de sa composition. Là aussi, une telle solution est pour le moins discutable. D’ailleurs, dans un arrêt récent, la cour d’appel de Paris a énoncé que « la renonciation présumée par l’article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens » (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, préc.). Il est donc d’autant plus difficile d’admettre qu’un moyen relevant d’un cas d’ouverture permette de contourner la renonciation pour un autre cas d’ouverture.

Reprenons la problématique depuis le début. La question de savoir si un tribunal constitué en violation des règles prévues par les parties est un cas d’annulation de la sentence n’est pas discutée. C’est ainsi qu’une sentence a pu être annulée, car l’arbitre avait été désigné par le tribunal de commerce de Paris statuant en formation ordinaire, alors que la clause prévoyait qu’il devait statuer en référé (Civ. 1re, 10 mai 1995, n° 92-19.111, D. 1996. 79 , note G. Bolard ; RTD com. 1995. 756, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1995. 605, note A. Hory ). La même solution a été retenue pour une désignation par la Cour d’arbitrage de la CCI alors que les parties avaient confié cette mission aux juridictions argentines (Civ. 1re, 4 déc. 1990, Rev. arb. 1991. 81, note P. Fouchard). La difficulté n’est pas là : le non-respect des modalités prévues par les parties pour la constitution du tribunal arbitral emporte l’annulation de la sentence sur le fondement des articles 1492, 2° ou 1520, 2°, du code de procédure civile.

En revanche, il s’agit de savoir si le tribunal arbitral est compétent pour connaître de l’irrégularité. Derrière cette interrogation se cache le débat relatif à l’existence d’un principe compétence-investiture. L’origine du problème n’est en effet pas la compétence du tribunal arbitral, mais son investiture par une autorité dépourvue de ce pouvoir. Or, durant la procédure, consciemment ou non, la société Antrix a discuté devant la CCI de son pouvoir de désigner l’arbitre et elle a discuté devant le tribunal arbitral de sa compétence. Implicitement (ou maladroitement), elle a considéré que le tribunal était dépourvu du pouvoir de se prononcer sur son investiture, faute de principe compétence-investiture. Ce faisant, loin d’avoir renoncé à se prévaloir de l’irrégularité dans la constitution du tribunal arbitral, il n’était pas impossible de considérer que la société Antrix avait soulevé le grief devant le seul organe susceptible d’en connaître : la CCI, lorsqu’elle était sur le point de désigner les membres du tribunal. Sur ce terrain, le débat aurait pu prendre une dimension différente. Reste à espérer que la cour d’appel de renvoi s’en saisira.

3 - L’arrêt International Business Corporation

L’affaire International Business Corporation (IBC) met aux prises un nombre incalculable de parties (Paris, 25 févr. 2020, International Business Corporation, n° 16/22740). Cette société a été constituée en 1993 par Len Holding avec pour objet la distribution d’aciers industriels et la construction métallique au Cameroun. Dans la perspective de la création d’une nouvelle usine, IBC a recherché des partenaires. Le 18 septembre 2007, un pacte d’actionnaires a été conclu avec la Société Nationale des hydrocarbures (SNH), établissement public à caractère industriel et commercial dépendant de la République du Cameroun. Il prévoyait que la SNH et son personnel recevraient 61 % du capital d’IBC, le reste étant détenu par la société Len Holding et ses actionnaires.

À la suite de différends entre les parties, la société IBC et ses actionnaires fondateurs (la société Len Holding et certaines personnes physiques) ont engagé une procédure d’arbitrage sous l’égide de la Cour commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires). L’affaire suscite un certain nombre de difficultés procédurales qui ne nous intéressent pas.

L’intérêt de l’arrêt porte sur la récusation – ou plutôt l’absence de récusation – d’un des arbitres. Le 28 août 2012, la SNH et son personnel ont désigné comme arbitre un « fonctionnaire camerounais au service de l’État du Cameroun ». Or, la SNH est « un démembrement extrêmement puissant » de l’État du Cameroun. En conséquence, les demandeurs ont écrit au secrétariat général de la CCJA pour s’opposer à la désignation de l’arbitre. Par la suite, le secrétariat général de la CCJA a informé l’arbitre de sa désignation par les défendeurs au recours ainsi que de l’opposition des demandeurs au recours à sa confirmation. Il a invité l’arbitre, conformément à l’article 4.1 du Règlement d’arbitrage, à notifier à la Cour son acceptation et lui faire connaître, le cas échéant, les faits ou circonstances susceptibles de mettre en cause son indépendance dans l’esprit des parties. L’arbitre a transmis à la CCJA sa déclaration d’acceptation et d’indépendance et il a été confirmé dans ses fonctions. À la suite de cette confirmation, les demandeurs n’ont pas formé de demande en récusation.

La sanction de la cour d’appel est immédiate. Conformément à une jurisprudence désormais bien établie (v. infra, le vademecum sur la révélation), l’absence de demande de récusation caractérise une renonciation, au sens de l’article 1466 du code de procédure civile. À défaut de réaction, la partie est irrecevable à se prévaloir du grief devant le juge du recours. La solution semble d’une parfaite rectitude et était prévisible. Pourtant, elle est troublante.

L’article 1466 du code de procédure civile ne vise aucunement l’exercice d’un recours en récusation devant l’institution (v., justement, pour une appréciation restrictive, l’arrêt Antrix, préc.). C’est par construction que la jurisprudence en est arrivée à imposer, sur ce fondement, un devoir de réaction aux parties à peine d’irrecevabilité du recours. Or on peut se demander si la demande en récusation doit être l’alpha et l’oméga de cette réaction. En l’espèce, les liens reprochés entre l’arbitre et l’État étaient connus et ont fait l’objet de protestations antérieurement à sa désignation. La révélation réalisée par l’arbitre n’a aucunement modifié la situation, puisque les faits étaient connus (notoires ?).

Conformément à l’article 4.1, alinéa 4, du Règlement d’arbitrage de la CCJA, la partie a fait connaître ses observations, avant la confirmation de l’arbitre par la cour. Pourtant, en dépit de ses protestations, l’arbitre a été confirmé par la Cour. On peut très sérieusement s’interroger sur l’intérêt pour la partie d’exercer une demande en récusation, dès lors que l’arbitre a été confirmé en dépit de ses protestations. Cette demande n’aurait-elle pas été fondée sur les mêmes moyens et rejetée de façon identique par la CCJA ? Cela ne revient-il pas à encourager un contentieux parasite ?

Enfin, on ajoutera que l’irrecevabilité du grief prive le juge de la possibilité de se prononcer sur une épineuse question. Pour mémoire, il était reproché à l’arbitre d’être fonctionnaire de l’État du Cameroun, dont une partie était un démembrement extrêmement puissant. Or il est une question sur laquelle la jurisprudence française n’a jamais eu l’occasion de se prononcer : existe-t-il des liens faisant radicalement obstacle à la nomination d’une personne en qualité d’arbitre ? Dans les IBA Guidelines on parle notamment de « Non-Waivable Red List ». Autrement dit, le lien de dépendance entre une partie et l’arbitre peut être tel qu’il conduit à priver la sentence de sa qualité de décision de justice. Si de telles situations existent, doivent-elles être ignorées, au motif que les parties ont renoncé à s’en prévaloir ? C’est une question qui ne serait pas inutile de se poser (quitte à le faire sur le fondement de l’art. 1520, 5°, c. pr. civ.). Cela dit, rien n’indique qu’en l’espèce la qualité de fonctionnaire faisait radicalement obstacle à la nomination d’arbitre dans le litige.

II – Les cas d’ouverture du recours en annulation

A - La compétence du tribunal arbitral

La concentration des moyens et des demandes a déjà fait l’objet de décisions en matière d’arbitrage (Civ. 1re, 12 avr. 2012, n° 11-14.123, D. 2012. 1132 ; ibid. 2991, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2013. 121, note Y. Strickler ; Procédures 2012. Comm. 180, obs. L. Weiller ; v. égal. pour la concentration des demandes, mais la solution a été abandonnée, Civ. 1re, 28 mai 2008, n° 07-13.266, D. 2008. 1629, obs. X. Delpech ; ibid. 3111, obs. T. Clay ; RTD civ. 2008. 551, obs. R. Perrot ; RTD com. 2010. 535, obs. E. Loquin ; JCP 2008. Actu 411, obs. J. Béguin ; ibid. 2008. I. 164, n° 3, obs. J. Béguin ; ibid. 2008. II. 10170, obs. G. Bolard ; Rev. arb. 2008. 461, obs. L. Weiller). Ce n’est toutefois pas une question très fréquente. Elle est directement posée dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 3 mars 2020, n° 18/05766, Francis Alexander Investments). Lors d’une procédure arbitrale, une partie a présenté tardivement un certain nombre de demandes. Le tribunal arbitral les a déclarées irrecevables dans sa sentence. En conséquence, la partie a introduit une nouvelle procédure d’arbitrage pour faire juger ces demandes. Celles-ci sont déclarées recevables et le tribunal arbitral y fait droit.

Devant le juge du recours, l’annulation de la sentence pour incompétence du tribunal arbitral est demandée. Selon le demandeur au recours, son adversaire aurait dû présenter ses prétentions dès l’instance arbitrale ayant abouti à la première sentence, en raison du principe de concentration des moyens et des demandes. Il ajoute que l’autorité de la chose jugée attachée à la première sentence qui avait déclaré ces demandes irrecevables s’opposait à ce que le tribunal puisse en connaître de nouveau.

Le recours est rejeté, mais la motivation est contestable. La cour énonce que « s’il incombe au demandeur de présenter, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à justifier celle-ci, il n’est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ». On reconnait ici parfaitement l’état du droit positif en procédure civile, dessiné depuis la jurisprudence Cesareo (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672, D. 2006. 2135, et les obs. , note L. Weiller ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot ; Procédures 2006. Comm. 201, note R. Perrot ; JCP 2007. II. 10070, note G. Wiederkehr ; Dr. et proc. 2006, p. 348, obs. N. Fricero ; Bull ch. avoués 2007-1, p. 3, obs. M. Bencimon ; R. Martin, Les détournements de la procédure judiciaire, RTD civ. 2007. 723 ). Toutefois, la véritable question est de savoir si ce grief entre dans un des cinq cas d’ouverture du recours en annulation. Pour la cour d’appel, la réponse est positive, puisqu’elle rejette le recours au fond. Pourtant, la jurisprudence développe depuis quelques années une distinction entre compétence et recevabilité. Le juge du recours n’est susceptible de connaître que les griefs relatifs à la compétence, pas ceux relatifs à la recevabilité. En effet, la présence d’une clause compromissoire, comme en l’espèce, suffit à fonder la compétence du tribunal arbitral. La question est en revanche de déterminer si les demandes formées dans le cadre de la seconde procédure peuvent être portées devant ce tribunal. Or il a déjà été jugé que les questions relatives à l’autorité de la chose jugée ne sont pas contrôlées dans le cadre du recours contre la sentence (Paris, 9 sept. 2010, n° 09/13550, Marriott, Rev. arb. 2011. 970, note C. Debourg ; Cah. arb. 2011. 413, note P. Mayer), de même que l’obligation de concentration des moyens (Paris, 17 nov. 2011, n° 10/14948, Rev. arb. 2011. 1104). En conséquence, la cour ne pouvait se permettre de vérifier si le tribunal avait bien respecté l’autorité de la chose jugée de la première sentence ou s’il existait une obligation de concentration des moyens ou des demandes. Elle aurait dû simplement constater que ces questions relèvent de la recevabilité de la demande et ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours. Au surplus, on rappellera qu’il n’est pas tout à fait identique d’imposer une obligation de concentration des moyens entre deux procédures arbitrales consécutives ou entre une procédure arbitrale suivie d’une procédure judiciaire. Or c’est bien dans ce second domaine qu’a été rendu l’arrêt du 12 avril 2012.

Il en va seulement différemment, et c’est ce que la cour rappelle, au cours de la même instance : « l’autorité qui s’attache à la chose jugée par la juridiction arbitrale n’est pas d’ordre public. Seule est d’ordre public, l’autorité qui s’attache à la chose jugée au cours de la même instance ». La solution n’est pas nouvelle (Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela ; Paris, 29 mai 2018, n° 15/23187, Rev. arb. 2018. 478 ; RDC 2018. 386, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). On peut se demander si le fondement idoine ne devrait pas être le dessaisissement du tribunal (C. pr. civ., art. 1485) et être sanctionné, cette fois, sur le fondement de la compétence (un tribunal dessaisi d’une partie du litige n’est plus compétent pour le trancher).

B - La constitution du tribunal

Les règles relatives à la contestation d’une sentence pour violation de l’obligation de révélation sont devenues tellement complexes qu’il nous a semblé pertinent de faire un bilan plus global sur la marche à suivre pour contester la sentence sur ce point. Nous proposons donc, en fin de chronique, un « vademecum » de l’annulation de la sentence pour défaut de révélation. L’ensemble des références jurisprudentielles seront réunies à ce stade.

Pour ce qui concerne l’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, préc.), les faits sont relativement simples. Dans le cadre d’un arbitrage, il est reproché à un arbitre une déclaration d’indépendance lacunaire. Plus spécifiquement, il aurait omis de déclarer un lien d’intérêt entre un cabinet partenaire de son ancien cabinet et un actionnaire d’une des parties au litige. La question de la renonciation ayant été exclue à titre liminaire (v. supra), la cour raisonne en deux temps. Elle distingue, d’un côté, les faits devant faire l’objet d’une révélation et, d’un autre, les conséquences de ce défaut de révélation sur la pérennité de la sentence arbitrale.

1 - L’étendue de l’obligation de révélation

Deux questions successives se posent, même si elles sont liées : ce qui doit être révélé (a) et ce qui est notoire (b).

a - Les éléments à révéler

La cour d’appel de Paris commence par poser les critères de l’obligation de révélation. Après avoir rappelé la définition de l’article 1456 du code de procédure civile, elle énonce que « ces circonstances peuvent être variées et porter sur d’éventuels conflits d’intérêts, sur des relations d’intérêts ou sur un courant d’affaires que l’arbitre a pu avoir avec les parties ou des tiers susceptibles d’être intéressés au litige » (§ 42). Elle ajoute que « l’obligation de révélation qui pèse sur l’arbitre doit s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (§ 43).

L’intention de définir le contenu de l’obligation de révélation est salutaire. Il est indispensable que la jurisprudence pose de façon précise les critères de l’obligation de révélation. Malheureusement, la définition de la cour d’appel ne satisfait pas à cette exigence. Il est difficile de lui en vouloir : la cour se contente de reprendre des formules déjà usitées en jurisprudence. Il est en effet classique d’affirmer que l’obligation de révélation doit « s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (Paris, 18 mai 2013, n° 11/17672, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; JCP 2013. Doctr. 1391, obs. J. Ortscheidt  ; 1er avr. 2014, n° 12/15479 ; 14 oct. 2014, n° 13/13459, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Newsletter du CMAP, nov. 2014, p. 10, obs. L. Jandard ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen ; Rev. arb. 2015. 151, note M. Henry ; 18 déc. 2018, n° 16/26009, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 41, obs. D. Bensaude) ou, comme dans le présent arrêt, d’ajouter une référence au lien avec le litige (Paris, 15 sept. 2015, n° 15/04996 ; 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2019. 522 [1re esp.], note L.-C. Delanoy ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude).

Malheureusement, ces critères contribuent à maintenir une confusion entre, d’une part, ce qui doit être révélé par l’arbitre et, d’autre part, les faits susceptibles d’entraîner l’annulation de la sentence arbitrale. Pourtant, sur la forme, cette distinction est parfaitement réalisée par la cour dans le présent arrêt. Simplement, sur le fond, au niveau des critères de la révélation, le flou est entretenu. Les références au « lien avec le litige » et à l’« incidence sur le jugement de l’arbitre » sont de nature à induire en erreur. L’arbitre devrait révéler des faits indépendamment de leur lien avec le litige et de leur incidence sur son jugement. En effet, ce n’est pas à lui de se faire juge de son impartialité pour trancher le litige, mais aux parties, à l’institution d’arbitrage ou au juge d’appui et au juge du recours. La même remarque peut être formulée des indications données sur les circonstances (§ 42, préc.). La référence au « courant d’affaires » est particulièrement révélatrice de l’équivoque. C’est précisément ce critère qui permet à la jurisprudence de considérer que le fait non révélé provoque un doute raisonnable dans l’esprit des parties et justifie l’annulation de la sentence (v. vademecum).

Une telle confusion pouvait se comprendre au stade de la saison 1 de la jurisprudence Tecnimont, puisque toute lacune dans l’obligation de révélation conduisant à l’annulation de la sentence (Paris, 12 févr. 2009, Avax c/ Tecnimont, Rev. arb. 2009. 186, note T. Clay ; LPA 2009, n° 44, note M. Henry ; Bull. ASA 2009, p. 520, note P. Schweizer ; L. Degos, La révélation remise en question(s). Retour sur l’arrêt de la cour d’appel de Paris J&P Avax SA c/ Tecnimont SPA du 12 févr. 2009, in Les Cahiers de l’arbitrage, ss la dir. d’A. Mourre, éd. A. Pedone, vol. V, 2011, p. 54). Dès lors, il était logique d’assortir l’obligation de révélation d’éléments subjectifs. Néanmoins, avec le revirement réalisé par l’arrêt Tecso (Civ. 1re, 10 oct. 2012, n° 11-20.299, Sté Neoelectra Group c/ Sté Tecso, D. 2012. 2458, obs. X. Delpech ; ibid. 2991, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2013. 678, note C. Chalas ; RTD com. 2013. 481, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2013. 129, note C. Jarrosson ; JCP 2012. Act. 1127, obs. M. Henry ; ibid. 2012. Doctr. 1268, note B. Le Bars ; ibid. 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Procédures 2012. Comm. 354, note L. Weiller), il est possible de distinguer les deux étapes et d’assortir la révélation de critères uniquement objectifs.

Il est désormais temps de poser un critère simple et intelligible, condition sine qua non de la sécurité juridique de la procédure arbitrale. Ces exigences doivent concerner (i) le type de lien et (ii) les personnes entre qui celui-ci doit exister demeurent excessivement floues.

Sur le premier point, il convient de déterminer si tous les liens matériels, même les plus infimes, doivent être révélés (une invitation au restaurant), et si les liens intellectuels (participation à un colloque) et personnels (amitié, inimitié, etc.) sont concernés. Sur cette question, les rares décisions qui se prononcent expressément sur l’absence d’obligation de révélation d’un fait concernent les liens intellectuels, qui n’ont le plus souvent pas à être révélés (v. vademecum).

Sur le second point, la question est de savoir jusqu’où il faut remonter dans la constellation de personnes physiques et morales autour des arbitres et des parties. Sur ce point, il faudra bien finir par poser des critères intelligibles, ce que ne fait pas la cour, alors même que le lien n’était pas direct entre l’arbitre et la partie.

En somme, on regrettera particulièrement la rédaction de ces paragraphes 42 et 43. Sans doute, dans l’esprit du juge, cette motivation ne portait aucunement à conséquence. D’ailleurs, depuis la jurisprudence Tecso, il est rarissime que la jurisprudence rejette le recours au motif que le fait n’a pas à être révélé. La cour embraie directement sur l’examen de la notoriété du fait et son incidence sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre.

b - Les éléments notoires

La notoriété est justement un des éléments de nature à limiter l’obligation de révélation de l’arbitre. Cette exception a été maintes fois critiquée, et nous continuons à considérer qu’elle est illégitime et contra legem. Toutefois, on peut se réjouir d’en voir les limites mieux cernées. La cour énonce que « seules des informations publiques aisément accessibles, que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage, sont de nature à caractériser la notoriété d’une situation susceptible de tempérer le contenu de l’obligation de révélation incombant à l’arbitre ». Telle n’est pas le cas en l’espèce. À travers une vérification détaillée (§§ 49 et s.), la cour retient que l’information n’est accessible « qu’à l’issue d’un dépouillement approfondi et d’une consultation minutieuse du site internet de l’arbitre exigeant d’ouvrir tous les liens relatifs aux conférences auxquelles il a participé et de consulter le contenu l’un après l’autre des publications auxquelles il a contribué ». En conséquence, elle écarte le caractère notoire de l’information.

On reste insatisfait par l’imprécision des critères de la notoriété. La décision se focalise sur la consultation du site internet de l’arbitre. Est-ce à dire qu’il s’agit là du seul site à examiner ? Très concrètement, quels sont les sites qui doivent être systématiquement visités avant le procès ? Le site des parties ? C’est en tout cas ce qui est retenu dans l’arrêt Tecnimont (v. le vademecum). Les annuaires d’avocats ? C’est en tout cas la solution de l’arrêt Volkswagen (v. le vademecum). Les réseaux sociaux (LinkedIn ? Facebook ? Twitter ?) ? La presse juridique ? Toutes les références trouvées par Google ? Une fois de plus, un travail de précision s’impose.

2 - Les conditions à l’annulation de la sentence arbitrale

De façon particulièrement claire, la CCIP-CA rejoint la position désormais retenue par la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation : une lacune dans la révélation de l’arbitre n’entraîne pas l’annulation automatique de la sentence. La cour adhère à cette solution à travers une formule on ne peut plus claire : « Il convient de rappeler que la non-révélation par l’arbitre d’informations ne suffit pas à constituer un défaut d’indépendance ou d’impartialité. Encore faut-il que ces éléments soient de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre, l’appréciation devant être faite sur des bases objectives et en tenant compte des spécificités de l’espèce » (§ 53). Ainsi, la sentence n’est annulée qu’à condition que l’élément soit de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre.

On pourrait reprocher au critère, là encore, d’être fuyant. Toutefois, il y a une différence fondamentale entre les critères de la révélation et ceux de l’annulation. Les critères de la révélation doivent être les plus simples et les plus explicites possible, car ils doivent mettre l’arbitre dans la situation de pouvoir facilement connaître ce qu’il doit communiquer aux parties. La réponse doit être la plus binaire possible : le fait doit ou ne doit pas être révélé. L’arbitre doit savoir à quoi s’en tenir. En revanche, au stade de l’annulation, cette exigence est moins impérieuse, puisqu’on sait d’ores et déjà que l’arbitre n’a pas respecté son obligation de révélation (une appréciation différente pourrait être envisageable lorsque l’arbitre a parfaitement respecté son obligation de révélation, mais que l’annulation est tout de même demandée). La seule question est de savoir si la lacune est trop grave pour préserver la sentence. Il n’est donc pas illégitime de laisser une marge de manœuvre au juge, afin d’avoir une appréciation concrète de la difficulté.

En l’espèce, la cour rejette le recours. C’est une sorte de faisceau d’indices disculpant qui permet de préserver la sentence. Le lien est qualifié d’indirect, puisqu’il n’unit pas l’arbitre à la partie, mais le cabinet partenaire de l’ancien cabinet avec l’actionnaire de la partie au litige (arbitre → ancien cabinet → cabinet partenaire → actionnaire → partie au litige). La temporalité du lien est également utilisée, celui-ci ayant cessé deux ans et demi avant le début de l’arbitrage. Surtout, la cour constate qu’il n’est pas établi que l’arbitre « ait à un quelconque moment conseillé, représenté ou assisté les actionnaires ». En définitive, le demandeur au recours n’établit pas qu’« il ait eu un lien direct ou indirect, matériel ou intellectuel, avec lesdits actionnaires ou leurs filiales, que ce soit par l’intermédiaire du cabinet Dr. Saud Al-Ammari, ou du cabinet Blakes, ou qu’un courant d’affaires ait existé entre l’arbitre et ces actionnaires ».

Le raisonnement est convaincant. Quand bien même la révélation doit être la plus large possible, l’annulation ne doit pas être aveugle. La diversité des facteurs pris en compte est gage d’une solution équilibrée. Néanmoins, on peut s’interroger sur la présence de la notion de lien « intellectuel ». Pourquoi le lien intellectuel, le plus souvent considéré comme indifférent au stade de la révélation, réapparaît au stade de l’annulation ? Il appartiendra à la nouvelle CCIP-CA de nous éclairer !

C - Le respect de sa mission par le tribunal

Les développements de l’arrêt Uzuc sur la question de la mission de l’arbitre sont stimulants (Paris, 25 févr. 2020, n° 17/18001, Uzuc). La question portait sur le choix du droit applicable au fond par les arbitres. Les parties au litige se prévalaient, pour l’une, de la loi roumaine et, pour l’autre, de la loi indienne. Le tribunal arbitral n’a retenu ni l’une ni l’autre et a jugé que les Principes d’UNIDROIT 2010 constituaient les règles de droit applicables au litige conformément à l’article 21.1 du règlement de la CCI ainsi qu’à l’article 1511 du code de procédure civile. Ce choix est validé par la cour d’appel. Elle énonce notamment qu’« il est un principe bien établi que les tribunaux arbitraux, disposent d’un large pouvoir d’appréciation et peuvent appliquer des règles de droit directement, sans effectuer d’analyse de conflit de lois ». Cette solution est acquise depuis longtemps en doctrine et appliquée régulièrement par les arbitres. Il n’en demeure pas moins que la voir inscrite aussi clairement dans un arrêt est de nature à rassurer. La solution est d’autant plus marquante que le choix des arbitres s’est tourné vers des règles non étatiques, alors que les parties se prévalaient l’une et l’autre de règles étatiques, bien que différentes.

La cour ajoute deux éléments intéressants concernant le respect de la mission. D’une part, elle rappelle qu’il n’appartient pas au juge du recours de contrôler la dénaturation des documents contractuels par les arbitres (dans le même sens, Civ. 1re, 20 déc. 1993, Sté Fougerolle c/ Sté Butec Engineering, Rev. arb. 1994. 126, note P. Bellet). D’autre part, elle valide la sentence en ce que les arbitres, après avoir constaté que le préjudice réel d’une partie était supérieur à ce qu’elle avait demandé (!), limitent la réparation au montant exact sollicité. Ce faisant, l’arbitre ne statue pas ultra petita, mais, bien au contraire, respecte scrupuleusement les limites de sa mission.

D - La conformité de la sentence à l’ordre public international

On ne cesse de rappeler à longueur de chroniques que la question de l’intensité du contrôle de l’ordre public international est encore incertaine. En effet, les jurisprudences Thales (Paris, 18 nov. 2004, n° 2002/19606, Thales Air Défense c/ Euromissile, D. 2005. 3050 , obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée ; RTD com. 2005. 263, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; JCP 2005. II. 10039, note G. Chabot ; ibid. I. 134, obs. C. Seraglini ; adde C. Seraglini, L’affaire Thales et le non-usage immodéré de l’exception d’ordre public [ou les dérèglements de la déréglementation], Cah. arb. 2006. 87 ; L. Radicati di Brozolo, L’illicéité « qui crève les yeux » : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international [à propos de l’arrêt Thales de la cour d’appel de Paris], Rev. arb. 2005. 529) et SNF (Civ. 1re, 4 juin 2008, n° 06-15.320, SNF c/ Cytec Industries, Dalloz actualité, 6 juin 2008, obs. X. Delpech ; D. 2008. 2560, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 3111, obs. T. Clay ; RTD com. 2008. 518, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2009. 473, chron. L. Idot  ; Rev. arb. 2008. 473, note I. Fadlallah ; JCP 2008. I. 164, obs. C. Seraglini ; JDI 2008. 1107, note A. Mourre ; LPA 2008, n° 199, p. 21, note P. Duprey ; Gaz. Pal. 20-21 févr. 2009. 32, note F.-X. Train) doivent-elles être réservées définitivement aux ouvrages d’histoire du droit ? L’interrogation est légitime. Depuis plusieurs années, la cour d’appel de Paris a considérablement fait évoluer sa jurisprudence, en intensifiant son examen (Paris, 27 sept. 2016, n° 15/12614, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. Somm. 325 ; ibid. 824, E. Gaillard ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; 16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine ; 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 , note M. Audit ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard ; 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. Somm. 299 ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard). Ce revirement se traduit par la substitution de l’adjectif « manifeste » à l’adjectif « flagrant ». Néanmoins, la question qui demeure est celle de la portée exacte de la nouvelle solution. En effet, la Cour de cassation n’a, pour l’instant, jamais donné son assentiment à cette (r)évolution, quand bien même les occasions n’ont pas manqué. En outre, la cour d’appel n’a jamais indiqué si la solution devait être étendue à tous les griefs relevant de l’ordre public – interne ou international, procédural ou substantiel. La décision Uzuc est-elle celle tant attendue (Paris, 25 févr. 2020, n° 17/18001, Uzuc, préc.) ? Peut-être. En tout cas, la cour d’appel retient cette fois une formule tout à fait générale et énonce que « le contrôle exercé par le juge de l’annulation pour la défense de l’ordre public international s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral heurte de manière manifeste, effective et concrète les principes et valeurs compris dans l’ordre public international ». Ce motif est d’autant plus marquant que l’on est loin des griefs classiquement examinés sous l’angle de l’ordre public international : corruption, blanchiment, fraude ou encore ordre public procédural. Cette fois, ce sont les dommages-intérêts punitifs qui sont discutés. Autant dire que, avec cet arrêt Uzuc, l’idée selon laquelle l’intégralité du contrôle de l’ordre public a fait l’objet d’un changement de paradigme prend un peu plus d’épaisseur.

Par ailleurs, l’arrêt reprend mot pour mot l’attendu de l’arrêt Fountaine Pajot : « le principe d’une condamnation au paiement de dommages-intérêts punitifs n’est pas, en soi, contraire à l’ordre public international français. Il en est autrement si le montant alloué est disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations contractuelles du débiteur » (Civ. 1re, 1er déc. 2010, n° 09-13.303, Sté Fountaine Pajot, D. 2011. 423, obs. I. Gallmeister , note F.-X. Licari ; ibid. 1374, obs. F. Jault-Seseke ; ibid. 2434, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2011. 93, note H. Gaudemet-Tallon ; RTD civ. 2011. 122, obs. B. Fages ; ibid. 317, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2011. 666, obs. P. Delebecque  ; JCP 2011, n° 6, 140, note J. Juvénal ; Gaz. Pal. 2011. 1. 849, note F. Bérard ; RJ com. 2011. 293, note O. Boskovic). En l’espèce, le grief n’est absolument pas caractérisé, puisqu’il n’est même pas établi que la condamnation est constitutive de dommages-intérêts punitifs.

III – La clause compromissoire

A - La clause (pathologique) et l’autorité de chose jugée de la sentence

La lecture des arrêts de cours d’appel non spécialisées en arbitrage est souvent l’occasion de tomber sur des clauses dont on espère sincèrement qu’elles n’ont pas été rédigées par des professionnels du droit. Un arrêt de la cour d’appel de Montpellier en offre un exemple particulièrement croustillant (Montpellier, 5 mars 2020, n° 15/08584). Voici l’objet du délit : « les parties conviennent, à titre de déclaration d’intention, de faire trancher tous les litiges concernant l’exécution et l’interprétation des présentes par un arbitre, désigné d’un commun accord et, à défaut d’entente, par le tribunal de grande instance de Montpellier. L’arbitre statuera, dans le délai convenu entre les parties, comme amiable compositeur et ce, après avoir entendu les parties et reçu leurs pièces. En cas de désaccord sur la décision de l’arbitre, les parties conserveront toute possibilité de se pourvoir devant le tribunal de grande instance ». Rien ne va dans cette clause. Son champ d’application matériel est, à lui seul, susceptible de provoquer des maux de tête. Mais c’est la nature de la clause qui est finalement au cœur du litige : s’agit-il d’une clause compromissoire ou d’une forme de clause de conciliation préalable ?

Ce qui rend la décision particulièrement intéressante, c’est le stade auquel se déroule cette discussion. En effet, l’arbitrage a bien eu lieu, après notamment que l’arbitre ait été désigné par le juge d’appui. Une sentence a été rendue et a même fait l’objet d’un recours en annulation rejeté. Et c’est à ce stade qu’intervient l’arrêt, puisqu’une partie mécontente de la sentence a saisi, conformément à la clause, le tribunal de grande instance de Montpellier pour que celui-ci tranche le fond du litige. Il soutient que la clause contractuelle était une simple clause de conciliation préalable et qu’il était libre de saisir le juge de première instance. Le défendeur oppose, quant à lui, l’autorité de chose jugée de la sentence.

Le raisonnement de la cour est particulièrement didactique. Pour retenir la qualification de clause compromissoire, et donc l’autorité de chose jugée de la sentence, elle constate que le juge d’appui a désigné l’arbitre sans contestation et que le c’est le demandeur lui-même qui a exercé le recours en annulation. Le comportement des parties conduit la cour à opter en faveur de la qualification d’arbitrage. Ceci étant, ce passage par un contrôle de la compétence ne manquera pas d’être discuté. La cour avait-elle la possibilité de réaliser ce contrôle, alors qu’une sentence avait été rendue et le recours en annulation rejeté ? Une autre façon d’appréhender la situation aurait été de considérer que le rejet du recours en annulation ayant conféré à la sentence l’exequatur, celle-ci a intégré l’ordre normatif français. De ce fait, elle est, dans cet ordre, une décision de justice ayant autorité de chose jugée, indépendamment de la clause.

B - La clause et les lois de police

Les solutions les mieux établies méritent d’être régulièrement rappelées. C’est à ce titre que nous mentionnerons un arrêt de la cour d’appel de Versailles (Versailles, 12 mars 2020, n° 19/07463), dans une affaire où l’essentiel de la discussion est purement fantaisiste. Pour s’opposer au renvoi devant un tribunal arbitral, un demandeur ayant saisi les juridictions étatiques soulignait que le litige mettait en cause des règles d’ordre public, notamment une loi de police. La cour rejette sèchement l’exception d’incompétence, en rappelant que « le fait d’invoquer l’application au demeurant contestée d’une loi de police au litige […] est inopérante pour écarter la mise en œuvre de la clause compromissoire ». Ce faisant, la cour reprend une jurisprudence de la Cour de cassation, qui retient que l’existence d’une loi de police ne fait pas obstacle à la mise en œuvre d’une clause attributive de juridiction (Civ. 1re, 22 oct. 2008, n° 07-15.823, Sté Monster Cable Products Inc c/ Sté Audio marketing services, D. 2009. 200 , note F. Jault-Seseke ; ibid. 2008. 2790, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2009. 684, chron. A. Huet ; ibid. 1557, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2009. 1, étude D. Bureau et H. Muir Watt ; RTD com. 2009. 646, obs. P. Delebecque  ; JDI 2009. 599, note M.-N. Jobard-Bachellier et F.-X. Train ; JCP 2008. II. 10187, note L. d’Avout ; Rev. crit. DIP 2009. 1. Etude D. Bureau et H. Muir Watt) ou d’une clause compromissoire (Civ. 1re, 8 juill. 2010, n° 09-67.013, Sté Doga c/ Sté HTC Sweden AB, Dalloz actualité, 20 juill. 2020, obs. X. Delpech ; D. 2018. 2884, note M. Audit et O. Cuperlier ; ibid. 2540, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2933, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2010. 743, note D. Bureau et H. Muir Watt ; RTD com. 2011. 667, obs. P. Delebecque ; ibid. 2012. 525, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2010. 514, note R. Dupeyré ; ibid. 2011. 191, note Y. Strickler).

C - La clause et le liquidateur judiciaire

Un arrêt de la chambre commerciale est l’occasion d’un bref rappel des règles applicables en matière de procédure collective (Com. 26 févr. 2020, n° 18-21.810, MJA). Un contrat de franchise contenant une clause compromissoire a été conclu. L’une des parties a été mise en liquidation judiciaire. Son liquidateur, indiquant agir en qualité de représentant des créanciers, a assigné le cocontractant devant le tribunal de commerce de Paris pour voir prononcer la nullité pour dol ou erreur du contrat de franchise. Le défendeur a soulevé une exception d’incompétence fondée sur la clause compromissoire. Elle est accueillie par la cour d’appel de Paris (Paris, 26 juin 2018, n° 17/11231, Gaz. Pal. 2018, n° 38, p. 28, obs. D. Bensaude ; LEDICO oct. 2018, n° 9, p. 3, obs. A.-C. Benoit) et le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation énonce qu’« après avoir constaté que le liquidateur demandait, à titre principal, l’annulation du contrat pour dol ou erreur et, à titre subsidiaire, sa résiliation aux torts exclusifs du franchiseur, puis relevé que la demande indemnitaire était présentée comme une conséquence de ces prétentions, l’arrêt retient à bon droit que le liquidateur exerce les droits et actions du débiteur dessaisi sur le fondement du contrat et que la clause compromissoire n’est en conséquence pas manifestement inapplicable au litige ».

La solution ne surprend pas. Il est acquis que l’application de la clause compromissoire à une action du liquidateur dépend de la nature de l’action. Soit le liquidateur exerce les droits et actions de la société en liquidation et la clause n’est pas manifestement inapplicable (Civ. 1re, 1er avr. 2015, n° 14-14.552, Torelli c/ StévGFC Construction, Dalloz actualité, 21 avr. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 800 ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; RTD civ. 2015. 614, obs. H. Barbier ; Cah. arb. 2015. 303, note A. Sarah ; Procédures 2015, n° 6, p. 21, obs. L. Weiller ; RLDC 2015, n° 127, p. 17, obs. M. Desolneux ; JCP 2015. 1152, note L. Weiller ; Rev. arb. 2015. 1171, note L. Weiller) ; soit le liquidateur agit en qualité de représentant des créanciers et la clause est manifestement inapplicable au litige (Com. 17 nov. 2015, n° 14-16.012, Sté Carrefour proximité France c/ Sté Perin Borkowiak, Dalloz actualité, 30 nov. 2015, obs. A. Lienhard ; AJCA 2016. 43, obs. M. de Fontmichel ; Rev. sociétés 2016. 198, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2016. 334, obs. A. Martin-Serf ; ibid. 696, obs. E. Loquin  ; Cah. arb. 2016. 49, note H. Barbier). En l’espèce, le liquidateur tentait de faire passer son action pour une action dans l’intérêt collectif des créanciers pour contourner la clause compromissoire. La cour d’appel et la Cour de cassation ne s’y sont pas laissées prendre et les parties sont renvoyées devant les arbitres.

IV – Le juge d’appui et l’excès de pouvoir

La question de l’excès de pouvoir du juge d’appui revient régulièrement en matière d’arbitrage (v. par ex., Civ. 1re, 13 déc. 2017, n° 16-22.131, Dalloz actualité, 16 janv. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 18 ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 39, obs. E. Loquin  ; Cah. arb. 2017. 701, note H. Barbier ; Procédures 2018, n° 2, p. 18, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 370, note V. Chantebout ; JDI 2019. 627, note K. Mehtiyeva). Les décisions du juge d’appui, selon l’article 1460 du code de procédure civile, font l’objet de voies de recours asymétriques. En principe, aucun recours n’est ouvert, sauf lorsque le juge déclare n’y avoir lieu à désignation pour une des causes prévues à l’article 1455. Toutefois, comme chaque fois qu’aucun recours n’est ouvert, il y est dérogé en cas d’excès de pouvoir. Mais qu’est-ce qu’un excès de pouvoir ? C’est ce que la cour d’appel de Paris (chambre non spécialisée) nous précise (Paris, 26 févr. 2020, n° 19/22834) : « Il est de principe qu’il y a excès de pouvoir lorsque le juge s’arroge des attributions que le dispositif normatif lui refuse ou lorsqu’il refuse d’exercer les compétences que la loi lui attribue. La violation de règles de fond ou de procédure, même lorsqu’il s’agit de la violation d’un principe essentiel de procédure, tel celui du contradictoire ou de la méconnaissance de l’objet du litige, ne constitue pas un excès de pouvoir, mais une simple erreur de droit. Il en est de même en cas d’absence de motivation ou de motivation insuffisante ». Nous n’avons pas trouvé de trace d’une telle définition en jurisprudence ni après un rapide examen des manuels. On peut évidemment discuter de la restriction du domaine de l’excès de pouvoir, qui écarte notamment les violations du contradictoire. Il n’en demeure pas moins que la définition paraît robuste et qu’elle pourrait faire florès. Dans le cas d’espèce, l’irrégularité invoquée à l’encontre de la décision du juge d’appui tenant au défaut de motivation, le recours est logiquement rejeté.

V – L’arbitrage et le coronavirus

Nous ne dirons que quelques mots sur la problématique du coronavirus, car les questions qui peuvent se poser sont multiples et il est difficile de les identifier sans y être confronté.

La première question qui se pose est naturellement celle des délais. Il convient de distinguer les délais pré-arbitraux, les délais de l’instance arbitrale et les délais post-arbitraux.

Le principal délai pré-arbitral est la prescription. À cet égard, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit que « tout […] action en justice […] prescrit par la loi ou le règlement à peine de […] prescription […] qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Cette disposition devrait s’appliquer sans difficulté à l’arbitrage interne français. En revanche, en matière d’arbitrage international, elle pourrait donner lieu à de savoureux débats. En effet, encore faut-il que cette disposition soit applicable à l’action en justice internationale. Il s’agit alors de savoir si la prescription relève du fond du droit ou de la procédure, si les parties ont choisi le droit applicable ou encore quelle méthode l’arbitre entend retenir pour déterminer ce droit applicable. Afin de simplifier les choses, la découverte dans le droit étranger d’une disposition équivalente permettrait de rassurer le demandeur.

Cependant, l’ordonnance n’est pas applicable aux délais de la procédure arbitrale elle-même. Elle ne permet pas à une partie de se prévaloir d’une quelconque interruption du délai imparti pour conclure. Néanmoins, l’arbitre est tenu d’assurer le respect du contradictoire. Il paraît judicieux de prendre en considération les difficultés auxquelles les parties sont confrontées pendant cette période et d’accorder les éventuels délais nécessaires. Toutefois, et on touche ici à la principale difficulté, ces délais supplémentaires accordés à une partie peuvent mettre à mal le respect du délai d’arbitrage. Or seuls les parties, l’institution ou le juge d’appui sont susceptibles de le proroger, à l’exclusion des arbitres eux-mêmes. À défaut d’accord des parties et de décision de prorogation de l’institution ou du juge d’appui, il convient pour les arbitres de prendre des mesures adaptées. La plus simple pourrait être le sursis à statuer, prévu par l’article 1472 du code de procédure civile, applicable en matière internationale. La période actuelle constitue une raison légitime pour un tel sursis. À la fin de la période de confinement, le tribunal arbitral reprend l’instance, conformément aux articles 1474 et 1475 du code de procédure civile (qui ne sont pas applicables en matière internationale). Pendant la période de sursis, les délais sont suspendus (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, n° 715). En matière interne, le tribunal arbitral peut même envisager une prorogation pour un délai max de six mois, selon 1475, alinéa 2, du code de procédure civile.

Dans la phase post-arbitrale, les principaux délais sont ceux relatifs à l’exercice du recours et aux différents échanges en procédure d’appel. Là encore, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 s’applique sans difficulté. Par ailleurs, une autre ordonnance, l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, est susceptible d’entraîner une modification de la procédure en cours, notamment en ce qui concerne les échanges d’écritures et les audiences.

Au-delà des délais, les principales questions qui se posent concernent l’incapacité des parties et/ou des arbitres à se réunir pendant cette période (v. sur ces questions). Cela peut évidemment conduire à un report des audiences et/ou à des réunions sous forme dématérialisée. Surtout, la question de la conclusion des différents actes se pose (acte de mission, ordonnance de procédure, sentence arbitrale). Cela peut être l’occasion pour les praticiens de se saisir de la faculté offerte par l’article 1366 et de recourir à l’écrit électronique. On en profite pour signaler que l’article 4-2 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit que « la sentence arbitrale peut être rendue sous forme électronique, sauf opposition de l’une des parties ». Reste à savoir si cette disposition est applicable au-delà de l’arbitrage en ligne prévu par ce texte. Selon nous, peu importe, l’article 1366 du code civil étant suffisant pour envisager une signature électronique de la sentence (dans le même sens, T. Clay, D. 2019. 2435 ). De plus, il faudra que, dans le cadre de la procédure d’exequatur, l’exigence d’une communication de « l’original de la sentence » soit interprétée souplement. Comme le signale déjà Thomas Clay, «  la vraie réforme eût été de permettre l’exequatur des sentences électroniques, ce qui eût supposé une modification du code de procédure civile […]. On s’en sortira peut-être en soutenant qu’il n’y a que des originaux ou que des copies, mais il n’en demeure pas moins que la formulation employée dans ces articles, inspirée de la Convention de New York de 1958 (art. IV, § 1er, b), est obsolète et devrait être toilettée » (D. 2019. 2435, obs. T. Clay ).

VI – Vademecum : l’obligation de révélation et le recours contre la sentence

Ce croquis et ces développements ne se comprennent qu’au stade du recours contre la sentence. Ils visent à permettre à une partie ou au juge du recours de déterminer si l’annulation ou le refus d’exequatur de la sentence est encouru. Il convient de mettre systématique en parallèle le croquis et les développements, afin de ne suivre que les étapes indispensables.

(Cliquer sur le croquis pour accéder à une version haute résolution.)

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1. Le fait doit-il être révélé ?

La question du fait à révéler est, que ce soit au stade de sa déclaration d’indépendance par l’arbitre ou du recours contre la sentence, la première question à se poser. Elle devrait en principe donner lieu à une réponse simple et compréhensible par tous. Pour cela, il est nécessaire de fixer des critères entre ce qui doit être révélé et ce qui ne doit pas l’être. En effet, il faut distinguer les omissions indifférentes de celles susceptibles de conduire à une annulation de la sentence.

L’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile n’apporte qu’un mince éclairage. Il énonce qu’« il appartient à l’arbitre, avant d’accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité ». Il ne permet pas d’identifier un quelconque critère. Il existe, en dehors du droit français, des sources qui peuvent opportunément être consultées par les arbitres. Il en va ainsi des IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration de 2014, édictées par International Bar Association. Malheureusement, elles ne sont jamais visées par la jurisprudence française. C’est donc au juge qu’il appartient de donner, au fil de l’eau, les critères de ce qui doit être révélé.

Le plus souvent, la jurisprudence utilise la formule générique suivante : « L’obligation de révélation qui pèse sur l’arbitre doit s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (Paris, 15 sept. 2015, n° 15/04996 ; 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2019. 522 [1re esp.], note L.-C. Delanoy ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude ; 2 juill. 2013, n° 11/23234, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; RTD com. 2014. 318, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2014. 130, note E. Loquin ; JCP 2013. Doctr. 1391, obs. J. Ortscheidt ; Paris, 25 févr. 2020, Dommo, n° 19/07575, n° 19/15816, n° 19/15817, n° 19/15818, n° 19/15819, préc.). La notoriété est à réserver pour la suite du raisonnement. Pour ce qui concerne les deux autres critères, ils ne permettent pas de véritablement identifier ce qui doit être révélé et procèdent d’une confusion avec les conditions d’annulation de la sentence.

À dire vrai, si la jurisprudence n’a jamais ressenti le besoin de préciser sa définition, c’est qu’elle n’écarte presque jamais le moyen à ce stade. Le plus souvent, elle enchaîne immédiatement sur l’examen de la notoriété ou la recherche d’un doute raisonnable quant à l’impartialité ou l’indépendance de l’arbitre. On peut toutefois essayer d’esquisser les grandes lignes. Deux questions principales peuvent se poser : quel lien ; avec qui ?

* Quel lien ?
De façon synthétique, on peut distinguer trois types de liens : les liens matériels, les liens intellectuels et les liens personnels.

Le lien matériel est le plus critique. La récurrence de ces liens matériels est liée à l’activité habituelle des arbitres, qui en leur qualité d’avocats ou de professeur de droit peuvent avoir eu préalablement une relation d’affaires avec une partie au litige. Dans son état le plus récent, la cour d’appel de Paris énonce que les « circonstances [devant faire l’objet d’une révélation] peuvent être variées et porter sur d’éventuels conflits d’intérêts, sur des relations d’intérêts ou sur un courant d’affaires que l’arbitre a pu avoir avec les parties ou des tiers susceptibles d’être intéressés au litige » (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, préc.). Cependant, cette appréciation paraît restrictive. La question est de savoir si n’importe quel lien matériel doit être révélé (une invitation au restaurant) ou si celui-ci doit être suffisamment significatif. La jurisprudence demeure incertaine.

Le lien intellectuel est sujet à discussions et semble devoir faire l’objet d’un régime distinct (en ce sens, T. Clay, obs. ss. Civ. 1re, 4 juill. 2012, D. 2012. Pan. 2991, spéc. p. 2998 . L’auteur évoque également la possibilité de distinguer les liens patrimoniaux et les liens extrapatrimoniaux, T. Clay, D. 2014. 2541, spéc. p. 2549 s.  ; v. égal., Le coarbitre, in Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, Lextenso éditions, 2015, p. 133). En effet, la jurisprudence estime que l’appartenance à une communauté scientifique (Paris, 1er juill. 2011, Sorbrior, LPA 2011, n° 225-226, note P. Pinsolle ; Rev. arb. 2011. 761, obs. D. Cohen ; D. 2011. Pan. 3023, obs. T. Clay ; 1er juill. 2011, SA Emivir c/ SAS ITM Entreprises, D. 2011. Pan. 3023, obs. T. Clay ), la participation à un colloque (Civ. 1re, 4 juill. 2012, n° 11-19.624, Sté CSF, Dalloz actualité, 13 juill. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2425, note B. Le Bars ; ibid. 2991, obs. T. Clay  ; Procédures 2012. Comm. 284, note L. Weiller ; JCP 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal. 30 sept.-2 oct. 2012, p. 16, obs. D. Bensaude ; RLDC oct. 2012, p. 3, obs. J. Mestre) ou un congrès (Paris, 18 sept. 2018, n° 16/26009, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 41, obs. D. Bensaude) n’entrent pas dans le champ du devoir de révélation. Néanmoins, il n’est pas certain que cette solution soit généralisable. Dans un arrêt Elisa Distribution (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques), la cour est confrontée à des liens intellectuels : participation à un colloque et participation à une formation universitaire. Si l’annulation n’est pas encourue en l’espèce, la cour n’exclut pas que celui puisse être le cas. Il est d’ailleurs vrai que certains liens intellectuels peuvent faire l’objet d’une appréciation particulière. Est-il véritablement indifférent qu’il y ait eu une relation professeur/élève ? Est-il indifférent qu’une personne ait invité une autre à participer à une manifestation scientifique ? Si ces liens ne justifient pas nécessairement l’annulation de la sentence, leur révélation pourrait s’avérer vertueuse.

Le lien personnel doit également être scruté avec attention. La jurisprudence française est silencieuse sur cette question. Pourtant, la filiation, l’amitié, l’amour, l’intimité voire la haine ne sont-ils pas des liens méritant de faire l’objet d’une révélation ? L’article L. 111-6 du code de l’organisation judiciaire – qui ne s’applique pas aux arbitres – y fait explicitement référence, bien qu’il paraisse lacunaire. Les IBA Guidelines y sont également attentifs. De tels liens entre personnes physiques peuvent avoir une influence aussi importante que les liens financiers avec les personnes morales. Il n’est donc pas exclu que leur révélation soit requise.

* Avec qui ?
Déterminer le lien pertinent est une démarche insuffisante. Encore faut-il savoir entre qui ce lien doit exister.

Du point de vue de l’arbitre, c’est sa personne qui doit être prise en compte. Ce n’est pour autant pas suffisant. C’est d’abord le lien unissant le cabinet de l’arbitre à un tiers qui importe. Et ce cabinet ne doit pas être entendu strictement : il ne s’agit pas seulement du cabinet ou l’arbitre travaille physiquement – le bureau de Paris par exemple – mais n’importe quel bureau dans le monde rattaché à son cabinet. Dans l’affaire Tecnimont, c’est le lien unissant un bureau situé à des milliers de kilomètres – et avec lequel l’arbitre n’a aucun contact – qui a été pris en considération (Paris, 12 févr. 2009, Avax c/ Tecnimont, préc.). Plus encore, ce n’est pas seulement le cabinet actuel de l’arbitre, mais c’est également le lien de l’ancien cabinet qui peut nécessiter de faire l’objet d’une révélation, comme dans l’affaire Dommo (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, préc.). En revanche, la jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de s’interroger sur les liens familiaux de l’arbitre. Celui-ci doit-il révéler les liens unissant ses conjoints – actuel ou anciens –, ses ascendants, ses descendants ou encore ses collatéraux avec les parties ? La jurisprudence n’en fait aucunement état, contrairement à l’article L. 111-6 du code de l’organisation judiciaire et aux IBA Guidelines. Certains de ces liens ne peuvent être considérés comme indifférents. Par exemple, les IBA Guidelines classe dans la « Waivable red list » le cas où « a close family member of the arbitrator has a significant financial interest in the outcome of the dispute ».

De l’autre côté de la relation, c’est sans surprise, la relation unissant les arbitres aux parties et aux conseils qui est pertinente (Reims, 2 nov. 2011, Avax c/ Tecnimont, Cah. arb. 2011. 1109, note T. Clay ; LPA 2012, n° 142, p. 3, obs. L. Kanté ; Rev. arb. 2012. 112, note M. Henry ; Gaz. Pal. 2012, n° 22-24, p. 15, obs. D. Bensaude ; Bull. ASA 2012, p. 197, note T. P. Heintz et G. Vieira Da Costa Cerqueira ; D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; cassé sur un autre motif par Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, Tecnimont, D. 2014. 1985 ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 1981, avis P. Chevalier ; ibid. 1986, note B. Le Bars ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; JCP 2014. 1278, obs. T. Clay ; ibid. Doctr. 857, § 4, obs. C. Seraglini ; ibid. Doctr. 977, § 9, obs. C. Nourissat ; LPA 2014, n° 215, p. 5, obs. M. Henry ; Cah. arb. 2014. 547, note T. Clay ; Rev. arb. 2015, p. 85, note J.-J. Arnaldez et A. Mezghani). Cela dit, une vraie question se pose quant à ce qui doit être entendu par « parties » et « conseils ». Par-delà les liens avec la personne morale, qu’en est-il des personnes physiques ? Faut-il révéler les liens uniquement les mandataires sociaux ? Les cadres ? Tous les salariés ? Les stagiaires ? Faut-il envisager uniquement les personnes impliquées dans la résolution du litige, ou la révélation doit-elle être illimitée ? Là encore, la jurisprudence est incomplète. Il convient sans doute d’avoir une appréciation large. De la même manière, la révélation des liens avec une partie s’étend aux liens avec les sociétés du groupe de la personne morale (actionnaires, filiales, etc.).

De plus, la révélation des liens avec les parties et les conseils n’est désormais plus suffisante. Potentiellement, il faut élargir l’appréciation au lien unissant les arbitres à un tiers à l’arbitrage (Civ. 1re, 1er févr. 2012, n° 10-18.853, D. 2012. 446 ; AJDI 2012. 681 , obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD civ. 2012. 374, obs. R. Perrot  ; JCP 2012. Doctr. 201, note J. Beguin ; ibid. Doctr. 843, § 3, obs. J. Beguin ; Rev. arb. 2012. 91, note E. Loquin ; Procédures 2012. 73, note L. Weiller ; Gaz. Pal. 2012. 20, obs. D. Bensaude ; JCP E 2012. 313, obs. C. Duclercq ; contra, Paris, 13 nov. 2012, D. 2012. Pan. 2991, obs. T. Clay ), à l’égard des tiers financeurs (V., J.-B. Racine, L’incidence en arbitrage, in Le financement de contentieux par un tiers. Third Party Litigation Funding, ss la dir. de C. Kessedjian, éd. Panthéon-Assas, 2012, p. 95, nos 248 s. ; « Financement du procès par les tiers », Rapport du Club des juristes, juin 2014, p. 40 et s.) voire aux arbitres entre eux (T. Clay, Le coarbitre, préc. L’auteur a notamment soulevé la problématique des « doublettes d’arbitres »).

Malgré les zones d’ombre, il est évident que les faits devant être révélés sont nombreux. Ils nécessitent une introspection approfondie de la part de l’arbitre et, le cas échéant, le recours à un système de conflict check. N’est-ce pas trop en demander ? En réalité, chaque fois que l’on parle d’indépendance et d’impartialité, il convient de distinguer rigoureusement trois choses : ce qui doit être révélé, ce qui peut justifier une récusation de l’arbitre, ce qui peut justifier l’annulation de la sentence. Or constater qu’un fait doit être révélé n’est que la première étape d’un très long cheminement vers une éventuelle annulation de la sentence.

2. Le fait est-il antérieur au début de l’arbitrage ?

L’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile énonce que l’arbitre a l’« obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l’acceptation de sa mission ». L’obligation de révélation qui pèse sur l’arbitre n’est ainsi pas seulement antérieure à l’instance. Elle est continue.

Cependant, la jurisprudence est à l’origine d’une distinction de régime selon que le fait soit apparu avant l’instance ou pendant l’instance. Il pèse en effet sur les parties une obligation de curiosité (E. Loquin, note ss Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, Rev. arb. 2017. 234, n° 32.). La jurisprudence s’accorde toutefois pour dire que cette obligation de curiosité ne perdure pas au-delà du début de l’instance arbitrale (Paris, 14 oct. 2014, n° 13/14076, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Newsletter du CMAP, nov. 2014. 10, obs. L. Jandard ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen ; ibid. 2015. 151, note M. Henry ; confirmé par Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude ; plus récemment, Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; ibid. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; JCP 2019. 2329, § 3, obs. C. Seraglini ;). En conséquence, si un fait survient postérieurement au début de l’instance, il appartient à l’arbitre de le révéler, indépendamment de la notoriété du fait.

Néanmoins, là encore des arrêts ajoutent à la confusion. Dans l’affaire Tecnimont, il est reproché à la partie de ne pas avoir mené de telles investigations près de cinq ans après le début de la procédure (Civ. 1re, 19 déc. 2018, Tecnimont, n° 16-18.349, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. C. Debourg ; ibid. 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Procédures, n° 4, p. 14, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 15, p. 20, note A. Constans ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ). En l’espèce, la différence tient sans doute au fait que l’arbitre ait attiré l’attention de la partie sur un point. En conséquence, si la partie ne doit pas maintenir une vigilance pendant l’instance, il en va autrement si son attention est attirée sur un élément.

En définitive, si l’on écarte l’incertitude générée par l’arrêt Tecnimont, la date à laquelle le fait est apparu est importante. Si le fait est antérieur au début de l’instance arbitrale, les parties doivent faire preuve de curiosité et identifier les faits notoires. En revanche, si le fait est né postérieurement au début de l’instance arbitrale, il importe peu qu’il soit notoire.

3. Le fait est-il notoire ?

La notoriété d’une situation, lorsqu’elle est antérieure au début de l’instance arbitrale, justifie sa non-révélation. La jurisprudence affirme que l’arbitre doit « informer les parties de toute relation qui ne présente pas un caractère notoire » (Paris, 13 mars 2008, D. 2008. Pan. 3111, obs. T. Clay ; 9 sept. 2010, Cts Allaire, D. 2010. 2938, obs. T. Clay ; LPA 2011, n° 36, p. 17, obs. M. Henry ; Rev. arb. 2011. 686, obs. D. Cohen ; Bull. ASA 2011, p. 197, note P. Pinsolle ; Gaz. Pal. 6-8 févr. 2011, p. 18, obs. D. Bensaude ; Paris, 28 mai 2013, Catering International, Gaz. Pal. 27-28 sept. 2013, p. 18, obs. D. Bensaude ; D. 2013. Pan. 2936, obs. T. Clay ; Paris, 2 juill. 2013, n° 11/23234, La Valaisaine Holding, Rev. arb. 2013. 1033, note M. Henry ; JCP 2013. 1391, § 5, obs. J. Ortscheidt ; D. 2013. Pan. 2936, obs. T. Clay ; RTD com. 2014, p. 318, obs. E. Loquin ; Paris, 29 oct. 2013 [deux arrêts], n° 12/05854 et n° 12/05855, Teman, D. 2013. Pan. 2936, obs. T. Clay ). Cette mansuétude à l’égard de l’arbitre est directement liée à une obligation de curiosité pesant sur les parties. La notoriété de l’information n’a pour l’instant pas fait l’objet d’une définition jurisprudentielle rigoureuse. Il ressort toutefois des différents arrêts que celle-ci peut être perçue subjectivement (i) ou objectivement (ii).

i. La notoriété subjective
La notoriété subjective peut s’entendre comme la situation qui est connue ou devrait l’être des parties en fonction de leurs qualités propres. Cette perception de la notoriété conduit à exclure du champ de la révélation, dans un arbitrage corporatif, les faits connus des deux parties (Civ. 1re, 1er févr. 2012, n° 11-15.346, CEVEDE, D. 2012. 2991, obs. T. Clay ), ou qui auraient dû l’être (Civ. 1re, 19 déc. 2012, n° 10-27.474, Rocco, D. 2013. 95 ; ibid. 2936, obs. T. Clay  ; Procédures 2013. Comm. 45, obs. L. Weiller ; JDI 2013. 946, note S. Sana-Chaille de Nere ; Gaz. Pal. 28-30 avr. 2013, p. 16, obs. D. Bensaude). Une situation est donc notoire uniquement dans le cercle restreint des initiés, mais ne l’est pas nécessaire au-delà.

ii. La notoriété objective
La notoriété objective est liée à l’accessibilité de l’information. La jurisprudence considère le plus souvent qu’une information librement accessible sur internet (Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela) ou dans un annuaire professionnel (Paris, 27 mars 2018, n° 16/09386, Volkswagen, préc. ; confirmé par Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Volkswagen, préc.) est notoire. Il ne s’agit pas de savoir si l’information est véritablement connue, mais si elle aurait dû l’être. C’est en cela que la notoriété de la situation fait peser sur les parties une obligation de « curiosité ».

Les limites de cette obligation sont encore largement indéterminées (v. égal. Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, Tecnimont, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD civ. 2016. 856, obs. H. Barbier  ; Rev. arb. 2017. 234, note E. Loquin et p. 949, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 447, note T. Clay ; maintenu par Civ. 1re, 19 déc. 2018, Tecnimont, n° 16-18.349, préc.). La question est simple : quelle est l’ampleur des investigations devant être réalisées par les parties afin d’accéder à l’information ? La jurisprudence est confuse sur ce point, si ce n’est contradictoire. Deux tendances sont perceptibles. La première est restrictive. Dans l’arrêt Dommo, la CCIP-CA a rappelé que « seules des informations publiques aisément accessibles, que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage, sont de nature à caractériser la notoriété d’une situation susceptible de tempérer le contenu de l’obligation de révélation incombant à l’arbitre » (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, préc.). Or elle écarte en l’espèce la notoriété, au motif que « l’accès à cette information sur internet n’est possible qu’à l’issue d’un dépouillement approfondi et d’une consultation minutieuse du site internet de l’arbitre exigeant d’ouvrir tous les liens relatifs aux conférences auxquelles il a participé et de consulter l’un après l’autre le contenu des publications auxquelles il a contribué. Ainsi l’accès à l’information nécessite plusieurs opérations successives qui s’apparentent à des mesures d’investigation qui ne peuvent caractériser une information aisément accessible de telle sorte que cette information ne peut être considérée comme notoire et que l’arbitre aurait dû en conséquence la révéler dès sa première déclaration ». Cette solution n’est pas isolée en jurisprudence. Dans une autre affaire, le Pôle 1, Chambre 1 a considéré qu’« il ne saurait être raisonnablement exigé, ni que les parties se livrent à un dépouillement systématique des sources susceptibles de mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont liées, ni qu’elles poursuivent leurs recherches après le début de l’instance arbitrale » (Paris, 14 oct. 2014, n° 13/13459, préc. ; confirmé par Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27). La solution pourrait sembler claire : est notoire le fait facilement accessible par une simple consultation du site interne de l’arbitre.

Pour autant, d’autres affaires retiennent une approche plus extensive de la notoriété de l’information. C’est le cas de l’arrêt Tecnimont (Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, préc. ; maintenu par Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349, préc. ; v. égal. : Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD com. 2016. 699, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2016. 633, note V. Chantebout ; Gaz. Pal. 2016, n° 40, p. 39, obs. D. Bensaude). Ici, la Cour aggrave l’obligation pesant sur la partie de deux manières. D’une part, elle n’impose pas une simple recherche générale ; elle exige des parties qu’elles approfondissent elles-mêmes la déclaration d’indépendance de l’arbitre. Autrement dit, le point de départ des investigations de la partie ne doit pas être seulement le nom de l’arbitre et des parties, mais les informations potentiellement incomplètes données par les arbitres. D’autre part, la notoriété ne s’entend pas uniquement d’une information accessible sur le site internet de l’arbitre, mais aussi sur le site internet des parties au litige. Dans cette affaire, la Cour énonce que « les recherches alléguées sont tirées du site internet de Sofregaz ; qu’elles sont publiques et aisément accessibles et qu’elles auraient pu être menées le jour même de la réception du courriel du 26 juillet 2007 ». Un phénomène similaire se retrouve dans l’affaire Volkswagen (Paris, 27 mars 2018, n° 16/09386, préc. ; maintenu par Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, préc.). La Cour de cassation rejette un pourvoi, au motif que la cour d’appel a pu « exactement décid[er] que […] l’existence d’un contrat exécuté en 2010 par le cabinet H&M pour la Volkswagen Bank devait être regardée comme notoire du fait de sa publication avant le début de l’arbitrage dans un annuaire professionnel connu de tous les cabinets d’avocats d’affaires allemands ».

Ainsi, il semble cohabiter une approche restrictive et une approche extensive de la notoriété. Il est difficile d’y voir autre chose qu’une appréciation purement casuistique. Quoi qu’il en soit, la notoriété de la situation fait peser sur les parties une obligation de « curiosité », dont les limites sont encore largement indéterminées.

4. Le fait a-t-il été révélé ?

Lorsque le fait n’est pas notoire, il doit être révélé. La question est alors relativement simple. Il suffit de se demander s’il l’a été ou s’il ne l’a pas été. Néanmoins, le fait peut n’avoir été révélé que partiellement. Deux situations peuvent notamment se rencontrer. La première est celle d’une seule et unique révélation, lacunaire. La deuxième est celle d’une révélation perlée, à savoir plusieurs révélations successives, lesquelles, lorsqu’elles sont mises bout à bout, donnent aux parties une vision satisfaisante du lien.

Lorsque la révélation est lacunaire, il faut le plus souvent considérer qu’il s’agit d’un défaut de révélation. Attention toutefois : la jurisprudence Tecnimont semble ressusciter l’obligation de curiosité des parties (Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, Tecnimont, préc. ; maintenu par Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349, préc.). Autrement dit, les parties, dont l’attention a été attirée par l’arbitre sur un fait, pourraient devoir réaliser une investigation pour vérifier si la révélation est complète ou, à tout le moins, interroger l’arbitre sur la nature du lien.

Lorsque la révélation est perlée, la principale question est celle du point de départ du délai pour demander la récusation. Le point de départ n’est reporté que si les informations sont « de nature à aggraver de manière significative les doutes sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre » (Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, Tecnimont, préc. ; maintenu par Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349, préc.). Par conséquent, en présence d’une révélation au compte-goutte, il est indispensable de rechercher les éléments déterminants pour identifier le point de départ du délai.

5. Le fait a-t-il été découvert avant la fin de l’arbitrage

Sur le papier, cette exigence ne soulève pas de difficulté. Elle vise à trancher une question simple : une demande de récusation devait-elle être formée contre l’arbitre ? Tant que l’instance arbitrale est en cours, il s’agit d’un préalable nécessaire. Cependant, une fois la sentence rendue, la procédure de récusation devient sans objet et le grief peut directement être soulevé devant le juge de l’annulation.

En conséquence, la date à laquelle le fait est découvert est particulièrement importante. Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’une pure découverte par l’une des parties au litige, la question se résout assez simplement d’un point de vue probatoire. Le demandeur à l’annulation étant présumé de bonne foi, il doit être considéré que c’est bien postérieurement à la reddition de la sentence que celui-ci a eu connaissance du fait litigieux. Le défendeur est libre d’apporter la preuve contraire, mais celle-ci constitue une probatio diabolica : comment établir que le demandeur avait connaissance antérieurement de ce fait et l’a dissimulé pour le sortir au dernier moment ?

En revanche, les circonstances sont différentes lorsqu’il est établi que le fait était connu avant la fin de l’arbitrage. C’est évidemment le cas lorsqu’il est spontanément révélé par l’arbitre. C’est encore le cas lorsque le fait est notoire et qu’il pèse sur l’arbitre une obligation de curiosité. En effet, la principale conséquence de l’obligation de notoriété porte sur la date à laquelle les parties sont présumées avoir eu connaissance du fait.

6. Le fait a-t-il donné lieu à un recours ?

Pour être susceptible d’entraîner l’annulation de la sentence arbitrale, il est nécessaire que les parties aient réagi lors de la révélation ou de la découverte de cet élément (T. Clay parle de devoir de réaction, note ss Paris, 23 févr. 2016, D. 2016. 2589 ).

La règle est issue de l’article 1466 du code de procédure civile, lequel énonce que « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ». Elle conduit la jurisprudence à considérer qu’une partie n’est plus recevable à invoquer devant la cour, à l’appui du recours en annulation de la sentence, des faits n’ayant pas fait l’objet d’une requête en récusation dans les délais (Civ. 1re, 25 juin 2014, Tecnimont, préc. ; Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, Tecnimont, préc. ; Paris, 19 mai 2015, n° 14/05854, D. 2015. 2588, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. Somm. 951 ; Civ. 1re, 15 juin 2017, n° 16-17.108, D. 2017. 1306 ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD com. 2017. 842, obs. E. Loquin ; JDI 2018. 149, note B. Castellane). La jurisprudence récente considère que des protestations devant l’institution, sans aucune demande de récusation, sont insuffisantes pour échapper à la renonciation (Paris, 25 févr. 2020, International Business Corporation, n° 16/22740).

Le délai imparti dépend du règlement de l’institution administrant l’arbitrage. À défaut d’institution, le délai pour saisir le juge d’appui est d’un mois (C. pr. civ., art. 1456, al. 3).

7. Le fait n’a pas fait l’objet d’un recours

En l’absence de recours, la partie qui se prévaut du grief est réputée y avoir renoncé, conformément à l’article 1466 du code de procédure civile. Ainsi, le défendeur à l’annulation peut obtenir un rejet immédiat du recours sur ce seul motif.

D’un point de vue procédural, cette renonciation à se prévaloir des irrégularités procédurales prend la forme d’une fin de non-recevoir. Cette sanction ne fait l’objet d’aucune discussion, la jurisprudence déclarant invariablement le moyen irrecevable (Civ. 1re, 31 janv. 2006, Bull. civ. I, n° 37 ; RTD com. 2006. 312, note E. Loquin : « Tout grief invoqué à l’encontre d’une sentence au titre de l’article 1502 doit, pour être recevable devant le juge de l’annulation, avoir été soulevé, chaque fois que cela était possible, devant le tribunal arbitral lui-même ».). Cette qualification entraîne d’importantes conséquences, qui viennent d’être rappelées par l’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, préc.). Il signale que « l’irrecevabilité de la demande d’annulation au motif que la contestation de l’indépendance et de l’impartialité de l’arbitre serait tardive [doit être formulé] dans les prétentions des parties énoncées dans le dispositif de leurs conclusions ». Dit autrement, l’irrecevabilité du grief pour renonciation à s’en prévaloir est une fin de non-recevoir nécessitant, conformément à l’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, de faire l’objet d’une mention dans le dispositif des conclusions.

De plus, comme l’a signalé le Professeur Debourg, il convient d’aller bien plus loin dans les conséquences de cette qualification (C. Debourg, obs. ss Paris, 25 févr. 2020, Dommo, Dalloz actualité, 27 avr. 2020). Depuis le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, les pouvoirs du juge d’appui ont été considérablement modifiés. Désormais, l’article 789, 6°, donne compétence à ce dernier pour statuer sur les fins de non-recevoir. Or cette disposition est applicable en procédure d’appel. En effet, l’article 907 renvoie aux articles 780 à 807 du code de procédure civile, et donc à l’article 789. En conséquence, pour les actions formées depuis le 1er janvier 2020, c’est au conseiller de la mise en état qu’il convient de soumettre le moyen tiré de la renonciation. Cela impose notamment aux parties de saisir le conseiller de la mise en état par des conclusions qui lui sont spécialement adressées (C. pr. civ., art. 791 et 914).

Au surplus, l’examen de cette fin de non-recevoir entraînera le plus souvent que soit tranchée au préalable une question de fond (par exemple, le caractère notoire). Dès lors, conformément à l’article 789, alinéa 2, du code de procédure civile, il paraît opportun de renvoyer la question à la formation collégiale.

Avec ces subtilités procédurales, l’hypothèse d’un « raté » de la part du défendeur n’est pas purement théorique. C’est précisément ce qui s’est passé dans l’arrêt Dommo. En conséquence, si le fait n’a pas fait l’objet d’un recours, le grief est en principe irrecevable. Toutefois, il n’est pas totalement exclu que, face à l’imperfection de la défense, l’examen se poursuive sur le fond.

8. Le fait a donné lieu à un recours devant le juge d’appui

Le devoir de réaction imposé aux parties implique le plus souvent qu’une décision ait déjà été prise concernant l’élément remettant en cause l’indépendance ou l’impartialité de l’arbitre. Par hypothèse, c’est un rejet de la demande en récusation qui est concerné. La décision du juge d’appui sur cette question est revêtue de l’autorité de la chose jugée (Paris, 8 avr. 2014, n° 12/20478, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. 118, note P. Pic ; Civ. 1re, 4 nov. 2015, n° 14-22.643, Rev. arb. 2016. 245, note C. Jarrosson ; pour une discussion de cette solution, C. Jarrosson, L’autorité de chose jugée des décisions relatives à l’indépendance des arbitres, Rev. arb. 2016. 165). La cour d’appel de Versailles s’en est récemment expliqué de façon particulièrement claire : « ces décisions [du juge d’appui] ont ainsi irrévocablement statué sur l’indépendance de l’arbitre, question qui ne peut ainsi plus être rejugée par le moyen du recours en annulation dès lors que l’objet de la contestation est identique quant à l’appréciation des causes de récusation ou du moyen d’annulation, également fondés sur le défaut d’indépendance de l’arbitre et déduits des mêmes circonstances ; qu’ainsi, l’intervention du juge étatique dans le processus de constitution du tribunal arbitral a eu pour effet en réglant, sans recours possible, les contestations portant sur la qualité des arbitres, d’assurer et de consacrer la régularité de la constitution du tribunal arbitral à cet égard ; que, dans ces circonstances, une nouvelle contestation de cette régularité ne pourrait être fondée que sur la révélation ultérieure d’un vice affectant la composition du tribunal arbitral » (Versailles, 4 juin 2019, n° 17/06632, Dalloz actualité, 23 juill. 2019, obs. J. Jourdan-Marques). En conséquence, le rejet de la demande par le juge d’appui conduit à l’absence de réexamen devant le juge de l’annulation.

D’un point de vue procédural, il convient d’adopter la même attitude que pour le grief n’ayant pas donné lieu à un recours en récusation. L’autorité de la chose jugée est qualifiée par l’article 122 du code de procédure civile de fin de non-recevoir. Par conséquent, et conformément à l’invitation de la jurisprudence Dommo, il convient de faire état de cette fin de non-recevoir devant le conseiller de la mise en état, en respectant le formalisme propre à cette procédure (v. supra). À défaut, le grief pourrait être jugé recevable.

9. Le fait a donné lieu à un recours devant l’institution

La jurisprudence considère que la décision de l’institution d’arbitrage est dénuée d’autorité de la chose jugée (Paris, 23 juin 2015, n° 13/09748, Rev. arb. 2015. Somm. 957). La solution ne devrait pas seulement être entendue quant au fond de la décision, mais également concernant sa recevabilité. Ainsi, une requête en récusation jugée tardive devant l’institution d’arbitrage peut à nouveau être examinée devant le juge lors du recours (dans l’affaire Tecnimont, le juge se livre à une analyse propre de la tardiveté du recours, Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349, préc.).

En conséquence, l’intervention de l’institution d’arbitrage préalablement à celle du juge de l’annulation est une condition nécessaire à la recevabilité du recours, mais indifférente quant au bien-fondé de celui-ci.

10. Le fait provoque-t-il un doute raisonnable quant à l’impartialité ou l’indépendance de l’arbitre ?

Cette question est centrale : le demandeur est recevable à invoquer le défaut de révélation de l’arbitre devant le juge de l’annulation. Reste à savoir si sa prétention est bien fondée.

Depuis la jurisprudence Neoelectra c/ Tecso (Civ. 1re, 10 oct. 2012, préc.), les lacunes dans la révélation de l’arbitre ne sont plus suffisantes pour entraîner l’annulation de la sentence. Encore faut-il que l’oubli soit de nature à provoquer un doute raisonnable dans l’esprit des parties quant à l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre. On retrouve désormais cette idée dans un très grand nombre d’arrêts, lesquels recherchent systématiquement en quoi le défaut de révélation serait de nature à faire « douter de son impartialité et de son indépendance » (Paris, 1er juill. 2011, Sorbrior, préc. ; Reims, 31 janv. 2012, n° 10/03288, Somoclest, D. 2012. 2991, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 518, obs. E. Loquin ; Gaz. Pal. 6-8 mai 2012, p. 20, obs. D. Bensaude ; Reims, 31 janv. 2012, M. Batard c/ Carrefour Proximité France, RTD com. 2012. 518, obs. E. Loquin ; Gaz. Pal. 6-8 mai 2012, p. 21, obs. D. Bensaude ; Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, Groupe Antoine Tabet ; D. 2014. 1985 ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 1981, avis P. Chevalier ; ibid. 1986, note B. Le Bars ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; Procédures 2014. Comm. 299, note L. Weiller ; Rev. arb. 2015. 75, note S. Bollée ; Paris, 14 oct. 2014, n° 13/13459, préc. ; Lyon, 11 mars 2014, Tecso, D. 2014. Pan. 2541, obs. T. Clay ; Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, préc.). Elle semble d’autant mieux établie que la CCIP-CA vient de la reprendre à son compte de façon très explicite dans l’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, préc.).

Cette évolution conduit à déplacer les interrogations. Le débat n’est plus tant de savoir ce qui doit être révélé, mais ce qui est de nature à caractériser un doute raisonnable quant à l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre. La première certitude est qu’il revient au juge de se placer dans la « peau » des parties, et non celle de l’arbitre. Un auteur l’exprime, en rappelant que « l’opinion de l’arbitre sur sa propre indépendance compte assez peu, car le juge retiendra celle qui s’exprime dans l’esprit des parties à l’arbitrage et qui peut générer un doute raisonnable » (B. Le Bars, Obligation de révélation des liens de l’arbitre avec l’avocat d’une des parties : il va falloir attendre encore un peu, JCP 2012. Doctr. 1268, spéc. p. 2146). Un second élément doit être signalé. La jurisprudence retient parfois qu’une « dissimulation délibérée » d’une désignation par la partie adverse est une circonstance de nature à faire naître un tel doute raisonnable (Paris, 29 mai 2018, n° 15/20168, Rev. arb. 2018. Somm. 478. L’élément est tellement évident – ici une désignation d’arbitre par une des parties au litige – qu’il doit être considéré que sa non-révélation est volontaire et fait naître automatiquement un doute dans l’esprit des parties.

Au-delà, de nombreuses incertitudes persistent sur les éléments susceptibles de caractériser un tel doute, cette donnée étant essentiellement casuistique. Trois éléments peuvent être pris en compte, au titre d’un faisceau d’indices susceptible d’entraîner la conviction du juge : premièrement, la nature du lien ; deuxièmement, l’immédiateté du lien ; troisièmement, l’ancienneté du lien.

La nature du lien est sans doute le critère le plus significatif. Il renvoie d’ailleurs indirectement au critère de la révélation. Toutefois, la jurisprudence ne se peut se limiter à l’existence d’un lien ponctuel et isolé. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, le fait qu’un arbitre ait été invité à déjeuner par une partie mérite potentiellement de faire l’objet d’une révélation. Il n’est en revanche sans doute pas susceptible d’entraîner l’annulation de la sentence. Il faut un lien significatif. Ce caractère significatif peut être objectif. La jurisprudence s’attache alors à la caractérisation d’un « courant d’affaires » (Paris, 2 juill. 2013, La Valaisanne Holding, préc. ; Civ. 1re, 20 oct. 2010, [deux arrêts], préc. ; Reims, 31 janv. 2012, [deux arrêts], préc. ; Versailles, 28 mars 2013, n° 11/05096, D. 2013. Pan. 2936, obs. T. Clay ; v. égal., D. Cohen, Indépendance des arbitres et conflits d’intérêts, Rev. arb. 2011. 611, nos 33 s. ; B. Le Bars, J. Juvenal, La révélation d’un courant d’affaires : comment apprécier l’indépendance de l’arbitre ?, JCP 2010. Doctr. 1306). Le courant d’affaires se définit « par la désignation systématique d’une personne, au sein d’un même groupe de sociétés et dans des contrats comparables » (T.-P. Heintz, G.V. da Costa Cerqueira, Vers une rationalisation de l’obligation de révélation de l’arbitre en droit français, Bull. ASA 2013, p. 448, spéc. p. 459). Surtout, comme le précise la cour d’appel de Reims, « l’existence d’un courant d’affaires n’est pas liée à l’importance du revenu perçu par l’arbitre, mais à la régularité de ce revenu constitué par un grand nombre d’arbitrages, même pour des honoraires peu importants » (Reims, 31 janv. 2012, [deux arrêts], préc. ; v. égal. : Paris, 21 nov. 2017, n° 15/20169, D. 2017. 2559, obs. T. Clay ).

Le caractère significatif peut également être subjectif. Dans l’affaire Volkswagen, la Cour de cassation retient que « la mission confiée pendant l’arbitrage par la société Porsche au cabinet H&M, revêtait une incontestable importance aux yeux de ce dernier, pour figurer, comme suffisamment notable, au titre de sa communication, dans le “top 5” en 2014 et 2015 de ses dossiers les plus remarquables ; que par ces énonciations, qui procèdent de son pouvoir souverain d’appréciation, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à des recherches que ces constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision sur l’existence d’un doute raisonnable quant à l’indépendance et à l’impartialité de M. Z » (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, préc.). Il est intéressant de voir ce doute caractérisé non pas à travers des critères objectifs, mais des critères subjectifs issus de la communication du cabinet de l’arbitre.

L’immédiateté du lien est également un aspect pertinent. En effet, il n’est pas indifférent que le lien unisse directement l’arbitre et une des parties à l’arbitrage, ou que celui-ci soit beaucoup plus indirect et devienne presque diffus. Dans l’arrêt Dommo, la cour d’appel procède à une distinction entre lien direct et lien indirect. En l’espèce, le lien unissait un cabinet auquel était affilié l’ancien cabinet de l’arbitre avec les actionnaires d’une partie au litige. Faute d’éléments plus concrets, la cour d’appel considère que ce lien n’est pas suffisant. On peut y voir une forme de lien « par ricochet ». Il ne s’agit pas de disqualifier instantanément ces liens, mais d’exiger des éléments supplémentaires pour accueillir le recours.

L’ancienneté du lien est aussi un élément à prendre en considération. Un lien qui perdure pendant l’arbitrage n’est pas comparable à un lien interrompu depuis plusieurs années (dans l’arrêt Dommo, le lien avait cessé deux ans et demi avant l’arbitrage). Dans un cas comme dans l’autre, le lien passé ou le lien présent ne suffit pas à départager entre les deux positions. Il est néanmoins un indice utile pour forger la conviction du juge.

En définitive, s’agissant du lien matériel, la recherche du « doute raisonnable » nécessite une appréciation casuistique de la part du juge mêlant divers critères.

En revanche, la situation est beaucoup plus incertaine concernant les liens intellectuels et les liens personnels. S’agissant des liens intellectuels, ceux-ci ne semblent pas devoir être révélés. Pourtant, l’arrêt Dommo y fait référence. De plus, l’arrêt Elisa Distribution pousse le raisonnement plus loin (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution, préc.). Il s’agissait de l’intervention d’un salarié d’une partie dans un colloque et une formation auquel l’arbitre participait également. La cour écarte le grief, en constatant en particulier que l’arbitre n’est pas à l’origine de l’intervention du directeur juridique dans le colloque ni dans les formations de son université. Il conduit à s’interroger sur la différence de nature quant au lien entre deux individus qui se côtoient à l’occasion de manifestations scientifiques ou universitaires et un individu qui sollicite un autre.

S’agissant enfin des liens personnels, la jurisprudence est quasi inexistante. Sur ce point, les IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration de 2014 peuvent potentiellement servir de point de départ à la réflexion, tout comme l’article L. 111-6 du code de l’organisation judiciaire.

En définitive, si le faisceau d’indices conduit à provoquer un doute raisonnable dans l’esprit des parties quant à l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre, l’annulation ou le refus d’exequatur de la sentence est encouru. À défaut, malgré les lacunes dans l’obligation de révélation de l’arbitre, la sentence est préservée. Reste à savoir, dans un cas comme dans l’autre, si la violation de l’obligation de révélation de l’arbitre est susceptible d’engager sa responsabilité et, le cas échéant, selon quel régime !