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Chronique d’arbitrage : la fin de la saga Tecnimont

Cette nouvelle chronique est dédiée à la jurisprudence rendue en matière d’arbitrage interne ou international. Elle sera publiée régulièrement, en fonction des décisions issues de la cour d’appel de Paris, de la Cour de cassation et des d’autres juridictions susceptibles de se prononcer en cette matière. La chronique décrira succinctement les apports de chaque décision. Elle sera complétée par des notes plus exhaustives consacrées aux arrêts marquants.

par Jérémy Jourdan-Marquesle 29 janvier 2019

Cette seconde édition revient sur un arrêt rendu par la Cour de cassation et trois décisions de la cour d’appel de Paris. Le premier de ces arrêts (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349) fera l’objet d’un commentaire plus approfondi.

L’indépendance et l’impartialité de l’arbitre

La saga Tecnimont a enfin – au moins en ce qui concerne la constitution du tribunal arbitral – rendu son verdict, seize ans après la saisine du tribunal arbitral et près de dix ans depuis le premier arrêt rendu par la cour d’appel de Paris. Il aura en effet fallu six arrêts pour mettre un terme au litige dans le litige, avec un premier arrêt annulant la sentence le 12 février 2009 (Paris, 12 févr. 2009, n° 07/22164, D. 2009. 2959, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2009. 186, note T. Clay ; LPA 2009, n° 44, note M. Henry ; Bull. ASA 2009. 520, note P. Schweizer ; L. Degos, La révélation remise en question(s). Retour sur l’arrêt de la cour d’appel de Paris J&P Avax SA c. Tecnimont SPA du 12 février 2009, Cah. arb. 2011. 54), un arrêt de la Cour de cassation la ressuscitant (Civ. 1re, 4 nov. 2010, n° 09-12.716, D. 2010. 2933, obs. T. Clay ; Cah. arb. 2010. 1147, note Th. Clay ; JCP G 2010, II, 1306, note B. Le Bars et J. Juvénal ; LPA 2011, n° 36, p. 17, obs. M. Henry ; Rev. arb. 2010. 824 ; Kluwer Arbitration Blog 5 nov. 2010, obs. A. Mourre ; D. 2010. 2939, obs. T. Clay ; JCP G 2010. I. 1286, § 2, obs. C. Seraglini), un arrêt de la cour d’appel de Reims l’annulant à nouveau (Reims, 2 nov. 2011, n° 10/02888, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 518, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2011. 1109, note Th. Clay ; LPA 2012, n° 142, p. 3, obs. L. Kanté ; Rev. arb. 2012. 112, note M. Henry ; Gaz. Pal. 2012, n° 22-24, p. 15, obs. D. Bensaude ; Bull. ASA 2012. 197, note T. P. Heintz et G. Vieira Da Costa Cerqueira ; D. 2011. 3023, obs. Th. Clay), un second arrêt de la Cour de cassation la ressuscitant une seconde fois (Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, Tecnimont SPA (Sté) c. J&P Avax [Sté], D. 2014. 1985 ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 1981, avis P. Chevalier ; ibid. 1986, note B. Le Bars ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; JCP 2014. 1278, obs. T. Clay ; ibid. Doctr. 857, § 4, obs. C. Seraglini ; ibid. 2014. Doctr. 977, § 9, obs. C. Nourissat ; LPA 2014, n° 215, p. 5, obs. M. Henry ; Cah. arb. 2014. 547, note Th. Clay ; Rev. arb. 2015. 85, note J.-J. Arnaldez et A. Mezghani), un troisième arrêt d’appel déclarant le recours mal-fondé (Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD civ. 2016. 856, obs. H. Barbier ; Rev. arb. 2017. 234, note E. Loquin ; ibid. 949, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 447, note T. Clay) et, enfin, l’arrêt en commentaire mettant un terme définitif au recours judiciaire contre la sentence (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349, Dalloz actualité, à paraître, obs. C. Debourg ; D. 2019. 24 ). Pour autant, ce n’est pas parce que cette procédure est désormais clause que le litige entre Avax et Tecnimont l’est pour autant, la sentence querellée n’étant que partielle. Il appartiendra donc au tribunal arbitral, désormais consolidé (jusqu’au prochain coup de théâtre) de mettre un terme au litige.

Quoi qu’il en soit, après six saisons, force est de constater que la chute de la série Tecnimont déçoit fortement. Comme beaucoup de séries, le début a été sensationnel mais la suite n’a pas été à la hauteur. Pour mémoire, le premier arrêt Tecnimont (Paris, 12 février 2009, n° 07/22164, préc.) était à l’origine d’une véritable (r)évolution. L’obligation d’indépendance et d’impartialité qui pèse sur les arbitres passait au second plan au profit d’une obligation pesant sur les arbitres de révéler les circonstances susceptibles d’affecter ces qualités. Diversement appréciée – c’est un euphémisme –, cette solution conduisait à faire prévaloir la transparence sur la réalité de l’indépendance et de l’impartialité. Pour une doctrine, l’obligation d’indépendance s’était diluée dans le devoir de révélation (T. Clay, note ss Paris, 12 févr. 2009, n° 07/22164, Rev. arb. 2009. 186, n° 7). Toutefois, le débat a fini par glisser sur des considérations procédurales, notamment à travers la question du respect par le recourant des délais impartis pour demander la récusation de l’arbitre incriminé. La doctrine voit dans cette évolution du débat une « dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction » (T. Clay, note ss Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, Cah. arb. 2016, p. 447). C’est sur cette question que s’achève la saga.

L’arrêt sera certainement abondamment commenté, notamment parce qu’il est destiné à la plus large diffusion, et il nous appartient simplement dans le cadre de cette chronique de faire quelques observations. Lors de la procédure devant le tribunal arbitral, l’une des parties a sollicité le 16 juillet 2007 des informations concernant les relations entre le cabinet d’un des arbitres et l’autre partie au litige. Celui-ci y a répondu par un courriel du 17 juillet 2007 apportant certaines précisions. Une nouvelle demande a été formulée par la partie, à laquelle il a été répondu le 26 juillet 2007 par des informations complémentaires. Finalement, une requête en récusation a été formée le 14 septembre 2007.

Tout l’enjeu du litige est de déterminer si cette requête est tardive. En effet, il est acté depuis le deuxième arrêt de cassation rendu dans cette affaire (Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, préc.) que le délai de trente jours prévu par le règlement d’arbitrage de la Chambre du commerce et de l’idustrie s’impose aux parties sous peine de perdre le droit d’invoquer les griefs relatifs à la révélation devant le juge (« la partie qui, en connaissance de cause, s’abstient d’exercer, dans le délai prévu par le règlement d’arbitrage applicable, son droit de récusation en se fondant sur toute circonstance de nature à mettre en cause l’indépendance ou l’impartialité d’un arbitre est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir devant le juge de l’annulation, de sorte qu’il lui incombait de rechercher si, relativement à chacun des faits et circonstances qu’elle retenait comme constitutifs d’un manquement à l’obligation d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre, le délai de trente jours imparti par le règlement d’arbitrage pour exercer le droit de récusation avait, ou non, été respecté »). Pour tenter d’échapper à cette critique, le demandeur au recours soutenait avoir découvert des éléments complémentaires le 20 août 2007, de sorte que sa requête n’aurait pas dû être considérée comme tardive. L’essentiel du débat tourne autour de cette question (pour le surplus, v. le comm. à paraître de C. Debourg) et nous évoquerons les deux principaux temps du raisonnement.

Premier temps, la Cour de cassation valide le constat de la cour d’appel selon lequel l’argumentation de la requête en récusation était différente de celle du recours en annulation. En effet, la requête en récusation invoquait des recherches complémentaires réalisées en août 2007 et le recours en annulation visait spécifiquement la découverte d’éléments nouveaux – que Sofregaz (client du cabinet de l’arbitre) était la filiale à 100 % de Tecnimont (partie au litige). Autrement dit, le recours en annulation était plus précis que la requête en récusation, ce qui justifie l’irrecevabilité du grief. L’argument peine à convaincre. En effet, de deux choses l’une. Soit, première hypothèse, le lien entre l’un des clients du cabinet de l’arbitre et la partie au litige n’avait pas été invoqué lors de la requête en récusation, et il suffit alors de s’arrêter là. Toute motivation supplémentaire est superfétatoire et affaiblit le raisonnement. Soit, seconde hypothèse, cette découverte avait été évoquée sans pour autant être centrale dans le raisonnement. Dans ce cas, la solution conduit à faire peser une obligation de parallélisme des formes entre la requête en récusation et le recours en annulation. Une telle exigence est dépourvue d’un quelconque fondement juridique et interdit aux parties d’affiner leur argumentation, ce qui laisse sceptique.

Deuxième temps, la Cour de cassation relève que les recherches alléguées sont tirées du site internet de Sofregaz, qu’elles sont publiques et aisément accessibles, et qu’elles auraient pu être menées le jour même de la réception du courriel de l’arbitre, soit le 26 juillet 2017. Cette motivation repose sur la notoriété de la situation. Cette notoriété est entendue abstraitement, la jurisprudence ayant affirmé que l’arbitre doit « informer les parties de toute relation qui ne présente pas un caractère notoire » (Paris, 13 mars 2008, n° 06/12878, Paris, D. 2008. 3111, obs. T. Clay ; v. égal. : Paris, 10 mars 2011, Tecso c. Neoelectra, n° 09/28537, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 518, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2011. 787, note M. Henry ; LPA 2011, n° 225-226, p. 14, note P. Pinsolle ; Rev. arb. 2011. 737, obs. D. Cohen ; Gaz. Pal. 15-17 mai 2011, p. 19, obs. D. Bensaude ; 28 mai 2013, n° 11/17672, Catering International, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 27-28 sept. 2013, p. 18, obs. D. Bensaude ; 2 juill. 2013, n° 11/23234, La Valaisanne Holding, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; RTD com. 2014. 318, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2013. 1033, note M. Henry ; JCP 2013. 1391, § 5, obs. J. Ortscheidt). Cette jurisprudence a conduit à exclure du champ de la révélation, dans un arbitrage corporatif, les faits connus des deux parties (Civ. 1re, 1er févr. 2012, n° 11-15.346, CEVEDE, D. 2012. 2991, obs. T. Clay ), ou qui auraient dû l’être (Civ. 1re, 19 déc. 2012, n° 10-27.474, Rocco, Dalloz actualité, 8 janv. 2013, obs. X. Delpech ; ibid. 2936, obs. T. Clay  ; Procédures 2013. Comm. 45, obs. L. Weiller ; JDI 2013. 946, note S. Sana-Chaille de Nere ; Gaz. Pal. 28-30 avr. 2013. 16, obs. D. Bensaude). De même, la jurisprudence considère le plus souvent qu’une information librement accessible sur internet (Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela) ou dans un annuaire professionnel (Paris, 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. Somm. 472 ; RLDA 2018, n° 138, obs. H. Guyader ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude) est notoire. C’est exactement ce qui est ici retenu, l’information étant disponible sur le site de la société.

On peut ne pas être convaincu par cette motivation. Comme l’avait déjà signalé un commentateur de l’arrêt d’appel, « l’arbitre lui-même les ignorait, ce qui montre qu’elles n’étaient pas si notoires » (T. Clay, Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, Cah. arb. 2016. 447, n° 11). Surtout, l’exception de notoriété conduit à exclure de l’obligation de révélation les éléments les plus importants. Ainsi, à suivre cette logique, l’auteur de ces lignes n’aurait pas à révéler qu’il contribue régulièrement au contenu Dalloz dans un litige où l’éditeur serait partie.

Répondant à cette difficulté, la cour d’appel pose parfois une limite aux obligations d’investigations des parties en énonçant qu’« il ne saurait être raisonnablement exigé ni que les parties se livrent à un dépouillement systématique des sources susceptibles de mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont liées ni qu’elles poursuivent leurs recherches après le début de l’instance arbitrale » (Paris, 14 oct. 2014, n° 13/13459, Newsletter du CMAP, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen ; Rev. arb. 2015. 151, note M. Henry ; confirmé par Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen). Il n’en demeure pas moins que la jurisprudence est complexe et exige des parties une obligation de s’informer. Autrement dit, alertée sur un point, la partie doit mener des investigations complémentaires. C’est exactement le sens du présent arrêt. La notoriété de la situation fait peser sur les parties une obligation de « curiosité » (E. Loquin, note s/s Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD civ. 2016. 856, obs. H. Barbier ; Rev. arb. 2017, p. 234, n° 32), dont les limites sont encore largement indéterminées. Pire, là où la jurisprudence semblait s’accorder pour dire que cette obligation de curiosité de s’étend pas au-delà du début de l’instance arbitrale (Paris, 14 oct. 2014, n° 13/13459, préc. ; 27 mars 2018, n° 16/09386, préc.), le présent arrêt invite à penser l’inverse.

Une telle position jurisprudentielle paraît nuisible. Il convient de rappeler que l’obligation de révélation pèse, selon l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, intégralement sur l’arbitre. L’exception de notoriété et l’obligation de curiosité ne reposent sur aucun fondement juridique et sont en contradiction directe – dans la lettre et l’esprit – avec le texte. Elles invitent l’arbitre à être le moins précis possible, là où les dix dernières années de jurisprudence entendaient renforcer l’obligation de révélation. Couplées à l’obligation de réaction, les parties sont invitées à mener des investigations approfondies dans le mois suivant la révélation de l’arbitre, sous peine de perdre le droit d’en demander la récusation et, par conséquent, l’annulation de la sentence. Le délai pour former une demande en récusation n’est donc plus seulement un délai de réaction, mais également un délai d’investigation. Voilà qui est parfaitement délétère et contraire aux bonnes pratiques que l’arbitrage tente d’imposer.

L’arrêt Tecnimont n’est toutefois pas le seul à s’intéresser à la question de la révélation. Dans un arrêt du 18 décembre 2018, la cour d’appel de Paris est également confrontée à ce grief formulé à l’encontre d’une sentence (Paris, 18 sept. 2018, n° 16/26009, Dalloz jurisprudence). Elle est d’ailleurs cohérente avec la jurisprudence de la Cour de cassation, en énonçant que « que l’obligation d’information qui pèse sur l’arbitre afin de permettre aux parties d’exercer leur droit de récusation doit s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée et de son incidence sur le jugement de l’arbitre ». Dans cette affaire, le recourant tentait de faire feu de tout bois en reprochant à un arbitre un lien avec une société tierce dans laquelle le frère d’une des parties était salarié (société qui emploie, à travers le monde, près de 200 000 personnes). Le moyen est rejeté, de même que celui reprochant à deux arbitres d’avoir participé ensemble à un congrès (dans le même ordre d’idée, v. Paris, 1er juill. 2011, n° 10/10402, Sorbrior, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 518, obs. E. Loquin ; LPA 2011, n° 225-226, note P. Pinsolle ; Rev. arb. 2011. 761, obs. D. Cohen ; 1er juill. 2011, n° 10/10406, SA Emivir c. SAS ITM Entreprises, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; Civ. 1re, 4 juill. 2012, n° 11-19.624, CSF c. M. Tesseler, Dalloz actualité, 13 juill. 2012, obs. X. Delpech , note B. Le Bars ; ibid. 2991, obs. T. Clay  ; Procédures 2012. Comm. 284, note L. Weiller ; JCP 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal. 30 sept.-2 oct. 2012. 16, obs. D. Bensaude ; RLDC oct. 2012. 3, obs. J. Mestre). On ne peut que suivre la jurisprudence sur ces questions. Si la révélation doit être exhaustive, on ne peut attendre de l’arbitre qu’il se livre à un dépouillement des relations des membres de sa famille ou détaille l’intégralité des rencontres qu’il a pu faire au cours de sa carrière.

L’ordre public

L’ordre public est l’autre problématique au cœur de la présente livraison. Les arrêts en commentaire nous rappellent qu’il convient de distinguer l’ordre public visé par l’article 1492, 5°, et l’ordre public international de l’article 1520, 5°, du code de procédure civile. La cour d’appel de Paris retient cette distinction lorsqu’elle affirme que « la violation de l’ordre public interne, à la supposer établie, ne constitue pas un cas d’ouverture à l’appel de la décision accordant l’exécution en France d’une sentence arbitrale étrangère, l’article 1502, 5°, ne visant que le cas où la reconnaissance ou l’exécution de cette sentence sont contraires à l’ordre public international » (Paris, 12 mars 1985, Rev. arb. 1985. 299, note E. Loquin ; D. 1985. IR 467, obs. P. Julien). Là où une règle d’ordre public international est toujours une règle d’ordre public interne, une règle d’ordre public interne n’est pas nécessairement une règle d’ordre public international (J.-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, avant-propos L. Boy, préf. P. Fouchard, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 1999, n° 869).

Un des arrêts de la cour d’appel de Paris offre une illustration d’une règle d’ordre public interne (Paris, 18 sept. 2018, n° 16/26009, Dalloz jurisprudence). Il s’agit des règles relatives à la personnalité morale, la cour énonçant qu’« en vertu du principe de la personnalité morale de la société, les associés d’une société ou les gérants, sauf exception, ne peuvent pas être contractuellement liés à ceux avec lesquels la société a contracté, y compris les salariés » (sur cette question en matière d’arbitrage, v. D. Cohen, Arbitrage et société, préf. B. Oppetit, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé , 1993, nos 511 s.). Or, dans la sentence, les arbitres ont condamné l’associé d’une société au paiement d’une dette résultant de la rupture d’un contrat de travail liant un salarié à la société. La cour d’appel juge que le tribunal a ignoré le principe de la personnalité morale de la société, seul employeur du salarié. Si les interrogations sur la personnalité morale en matière d’arbitrage sont classiques, elles sont le plus souvent posées sous l’angle de la compétence (Paris, 20 déc. 2018, n° 16/25484, Garoubé, infra ; v. égal. Paris, 25 avr. 2017, n° 15/07642, Gaz. Pal. 2017, n° 27, p. 33, obs. D. Bensaude).

Ensuite, l’arrêt est particulièrement marquant par l’intensité du contrôle opéré par la cour d’appel. Classiquement, la jurisprudence énonce, en matière d’ordre public interne, que « le moyen pris de la contrariété à l’ordre public au sens de l’article 1492, 5°, du code de procédure civile […] tentait, en réalité, d’obtenir la révision au fond de la sentence, interdite au juge de l’annulation » (Paris, 19 déc. 2017, n° 16/11404, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. Somm. 292 ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 28, obs. D. Bensaude ; 19 mai 2015, n° 14/05854, D. 2015. 2588, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. Somm. 951 ; Com. 30 juin 2015, n° 14-19.119, RTD com. 2015. 570, obs. D. Legeais ; Procédures 2015, comm. 331, obs. L. Weiller). Ce n’est pas l’approche retenue en l’espèce. Pour établir une violation par le tribunal arbitral du principe de la personnalité morale, le juge réalise un examen particulièrement approfondi. À aucun moment le contrôle réalisé n’est limité par la révision au fond, absente de l’arrêt. Au contraire, le juge reprend point par point le raisonnement du tribunal arbitral sur le fond et constate une violation du principe de la personnalité morale. La qualification de règle d’ordre public permet au juge une véritable révision au fond de la sentence. Cet arrêt doit-il être considéré comme un écart par rapport à la jurisprudence habituelle ou est-il l’amorce d’un revirement ? Il est sans doute trop tôt pour le dire.

Enfin, on fera une remarque sur la présentation formelle de l’arrêt, qui saisit le lecteur d’un doute. Le principe de la personnalité morale de la société est présenté comme un grief autonome de l’ordre public. Par ailleurs, la cour d’appel énonce que « le tribunal a ainsi violé le principe de la séparation des patrimoines de la société […] et l’ordre public ». Le principe de la personnalité morale serait alors distinct de l’ordre public. Pourtant, il convient de rappeler que les cas d’ouverture du recours en annulation sont limitativement énumérés par les articles 1492 (en matière interne) et 1520 (en matière internationale) du code de procédure civile. Si le respect du principe de la personnalité morale peut être examiné en l’espèce, ce n’est que parce qu’il relève de l’ordre public, dont il ne peut être dissocié. À moins que la cour d’appel de Paris entende se jeter dans la brèche ouverte, quelques mois plus tôt, par la Cour de cassation (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-22.112, Dalloz actualité, 20 mars 2018, obs. J.-D. Pellier ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; AJ Contrat 2018. 187, obs. J. Jourdan-Marques ; RTD civ. 2018. 411, obs. H. Barbier ; ibid. 431, obs. P.-Y. Gautier ; Rev. arb. 2018. 389, note M. Laazouzi ; Procédures 2018. Comm. 148, obs. L. Weiller ; JCP 2018. 1111, note P. Casson ; RDC 2018. 354, note R. Libchaber ; JDI 2018. 1202, note P. Pinsolle) ? On peut espérer qu’il ne s’agisse que d’une erreur de plume. Dans le cas contraire, tout le droit du recours contre les sentences arbitrales serait sur le point de voler en éclat.

L’autre arrêt, rendu dans l’affaire Garoubé, porte sur l’ordre public international (Paris, 20 déc. 2018, n° 16/25484). Le requérant soutient que la sentence doit être annulée comme contraire à l’ordre public international en ce qu’elle donne effet à une fraude et en ce qu’elle entérine la violation de dispositions impératives du droit camerounais relevant de l’ordre public international. Les deux moyens sont rejetés.

Sur la fraude, la cour d’appel confirme les jurisprudences récentes selon lesquelles la violation de l’ordre public international doit être manifeste, effective et concrète (Paris, 27 sept. 2016, n° 15/12614, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. Somm. 325 ; ibid. 824, E. Gaillard ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ;  16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine ; 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 , note M. Audit ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; JDI 2018. Comm. 13, note E. Gaillard ; 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. Somm. 299 ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard). Elle se détache ainsi de la jurisprudence antérieure, selon laquelle la violation de l’ordre public international devait être « flagrante » (Paris, 18 nov. 2004, n° 2002/19606, Thales Air Défense c. Euromissile, D. 2005. 3050 , obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée ; RTD com. 2005. 263, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise  ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; JCP 2005. II. 10039, note G. Chabot ; ibid. I. 134, obs. C. Seraglini ; adde C. Seraglini, L’affaire Thales et le non-usage immodéré de l’exception d’ordre public [ou les dérèglements de la déréglementation], Cah. arb. 2006. 87 ; L. Radicati di Brozolo, L’illicéité « qui crève les yeux » : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international [à propos de l’arrêt Thales de la cour d’appel de Paris], Rev. arb. 2005. 529 ; Civ. 1re, 4 juin 2008, n° 06-15.320, SNF c. Cytec Industries, D. 2008. 1684 , obs. X. Delpech ; ibid. 2560, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 3111, obs. T. Clay ; RTD com. 2008. 518, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2009. 473, chron. L. Idot ; Rev. arb. 2008. 473, note I. Fadlallah ; JCP 2008. I. 164, obs. C. Seraglini ; JDI 2008. 1107, note A. Mourre ; LPA 2008, n° 199, p. 21, note P. Duprey ; Gaz. Pal. 20-21 févr. 2009. 32, note F.-X. Train).

La fraude procédurale dans le cadre d’un arbitrage est sanctionnée au regard de l’ordre public international de procédure lorsque des faux documents ont été produits, que des témoignages mensongers ont été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige ont été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise. Toutefois, elle n’est pas caractérisée en l’espèce, faute de démonstration que la sentence aurait été surprise par fraude.

Sur la méconnaissance de la loi de police camerounaise, l’arrêt rappelle la très récente jurisprudence MK Group (Paris, 16 janv. 2018, n° 15/21703, préc.). Dans l’affaire MK Group, la cour d’appel avait fait expressément référence à la loi de police étrangère dans sa décision et avait annulé la sentence arbitrale pour violation de celle-ci. Dans le présent arrêt, la cour d’appel confirme que des lois de police étrangères peuvent être regardées comme relevant de l’ordre public international dès lors qu’elles correspondent à des valeurs et des principes dont l’ordre juridique français ne saurait souffrir la méconnaissance même dans un contexte international. Néanmoins, les dispositions d’un texte camerounais régissant les modifications capitalistiques des sociétés exerçant une activité faunique « ne peuvent être regardées comme constituant des dispositions impératives d’une loi de police étrangère relevant de la conception française de l’ordre public international ». Si l’argumentation peut paraître fantaisiste, elle était en réalité astucieuse. Le demandeur au recours tentait en effet de faire passer ce texte pour une disposition d’ordre public international relative au droit des États d’exercer leur souveraineté sur l’exploitation de leurs ressources naturelles. C’est précisément cette argumentaire qui avait convaincu la cour d’appel dans l’arrêt MK Group. Si la cour d’appel de Paris ne réitère pas l’expérience de l’annulation d’une sentence arbitrale pour violation d’une loi de police étrangère, elle confirme que la voie ouverte par l’arrêt MK Group est désormais empruntable.

La compétence de l’arbitre

La question relative à la modification capitalistique de la société est également soulevée sous l’angle de la compétence dans l’affaire Garoubé (Paris, 20 déc. 2018, n° 16/25484). En la matière, la cour rappelle que le juge de l’annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage, reprenant ainsi une jurisprudence classique (Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 09-10.530, Abela, Dalloz actualité, 21 oct. 2010, obs. X. Delpech ; ibid. 2011. 265, obs. N. Fricero ; Rev. arb. 2010. 813, note F.-X. Train ; JCP 2010. 1028, note P. Chevalier ; ibid. I. 1286, obs. J. Ortscheidt ; Gaz. Pal. 8 févr. 2011. 14, obs. D. Bensaude ; Paris, 12 juill. 1984, Égypte c. SPP, Rev. arb. 1986. 75 ; JDI 1985. 129, note B. Goldman ; Civ. 1re, 6 janv. 1987, n° 84-17.274, SPP c. Égypte, Rev. arb. 1987. 469, note P. Leboulanger ; JDI 1987. 638, note B. Goldman).

En l’espèce, le requérant fait valoir que le demandeur à l’arbitrage a transféré son siège social et s’est transformé en société privée de droit belge et que cette transformation, conformément au droit OHADA, a entraîné la perte de sa personnalité morale. En conséquence, il ne serait pas partie au contrat ni à la clause compromissoire.

Pour régler la question, la cour rappelle que, « selon une règle matérielle du droit de l’arbitrage international, la clause compromissoire est juridiquement indépendante du contrat principal qui la contient ou s’y réfère ; qu’à condition qu’aucune disposition impérative du droit français ou d’ordre public international ne soit affectée, son existence ou sa validité dépendent uniquement de l’intention commune des parties sans qu’il soit nécessaire de se référer à un droit national ». Elle énonce ensuite, sous forme d’une règle matérielle spécifique, qu’une société commerciale peut transférer son siège social d’un pays à un autre dès lors que le droit des deux pays concernés reconnaît le transfert du siège social. Elle ajoute que le fait que la société, en cas de transfert de son siège social, soit régie successivement par deux lois différentes et change de nationalité n’implique pas nécessairement l’interruption de la personnalité morale si les deux lois compétentes admettent, de façon générale, que cette personne survit au transfert de son siège sans dissolution. Partant, la cour d’appel se livre à un examen méthodique des dispositions OHADA et belges pour en déduire la régularité du transfert du siège social et distingue scrupuleusement les exigences relevant de l’ordre juridique d’origine et celles relevant de l’ordre juridique d’accueil. Elle en conclut que l’adaptation de la forme juridique de la société au droit du pays d’accueil consécutive au transfert international du siège social est régie par la loi de ce pays d’accueil et non par celui du pays d’origine et tranche en faveur de la continuité de la personnalité morale.

La compétence est également au cœur d’un autre arrêt (Paris, 18 déc. 2018, n° 16/24924). L’affaire portait sur l’extension d’une clause compromissoire à des parties non signataires. La cour commence par rappeler les principes du contrôle de la compétence, à savoir le contrôle de tous les éléments de droit ou de fait et les règles matérielles applicables (règles parfaitement identiques à celles énoncées dans l’affaire Garoubé, v. supra). Une convention contenant une clause compromissoire est signée entre un client et un groupe conseil. Il est indiqué que le client prend part à la transaction en tant qu’investisseur principal d’un consortium. La question est alors de savoir si les membres du consortium sont tenus par la clause, qu’ils n’ont pas signée. La cour d’appel énonce alors la règle matérielle applicable en la matière : « la clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propres qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et dans les litiges qui peuvent en résulter, dès lors qu’il est établi que leur situation et leurs activités font présumer qu’elles ont eu connaissance de l’existence et de la portée de la clause d’arbitrage, bien qu’elles n’aient pas été signataires du contrat la stipulant ». Deux conditions essentielles résultent de ce principe : pour que la clause compromissoire soit étendue à un tiers, celui-ci doit être impliqué dans l’exécution du contrat et avoir connaissance de la clause. La cour d’appel vérifie alors soigneusement la réunion de ces deux conditions pour les quatre tiers à la convention. Elle constate que deux entités avaient connaissance de la clause et étaient intervenues dans l’exécution du contrat, contrairement aux deux autres. En conséquence, elle annule la sentence en tant que l’arbitre s’est déclaré incompétent à l’égard des deux premières.

La mission de l’arbitre

L’affaire Garoubé (Paris, 20 déc. 2018, n° 16/25484) est également l’occasion de revenir sur la liberté procédurale offerte aux arbitres et le respect de leur mission. La question était de savoir si le tribunal arbitral devait trancher la question du lien de causalité entre une rupture abusive de contrat et un préjudice lors d’une première sentence partielle ou dans une sentence ultérieure. La cour d’appel considère que les seules règles procédurales expressément et précisément convenues par les parties figurent à l’acte de mission, lequel ne contient, en l’espèce, aucune disposition impérative quant à l’objet précis des sentences partielles. Dès lors, en décidant de ne statuer que dans la sentence finale sur le lien de causalité entre la faute commise et les préjudices, le tribunal arbitral a exercé sa mission et le pouvoir qu’il détient de régler la procédure selon ce qu’il juge approprié et n’a pas outrepassé ni refusé d’exercer les pouvoirs que lui ont confiés les parties. La solution paraît convaincante. Le recours à une pluralité de sentences est une modalité classique en matière d’arbitrage. À moins que les parties aient lié l’arbitre sur ce point, celui-ci est libre de trancher progressivement le litige, chaque sentence partielle le dessaisissant progressivement du litige. Par ailleurs, quand bien même l’arbitre aurait omis de trancher certaines prétentions, cette lacune doit conduire à réunir à nouveau le tribunal pour compléter la sentence (Paris, 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. Somm. 299). Enfin, la cour précise que la sentence qui ne prononce aucune condamnation à l’encontre d’une partie et réserve à la sentence finale l’examen du lien de causalité ne heurte pas l’ordre public international.