Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Chronique d’arbitrage : l’influence du décret du 29 décembre 2023 sur l’exercice des voies de recours

Les articles 1495 et 1527 du code de procédure civile soumettent l’exercice des voies de recours en matière arbitrale aux règles relatives à la procédure contentieuse prévues aux articles 900 à 930-1. Par conséquent, une réforme d’ampleur de la procédure d’appel comme celle du 29 décembre 2023 doit faire l’objet d’un examen minutieux pour identifier ses conséquences sur le droit français de l’arbitrage.

Une fois de plus, la jurisprudence a été abondante en fin d’année 2023. On proposera au lecteur un second focus dans cette chronique, à propos de la question de la loyauté de la preuve en arbitrage, qui pourrait être en partie renouvelée à la suite des arrêts du 22 décembre 2023 (Cass., ass. plén., 22 déc. 2023, nos 20-20.648 et 21-11.330, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. N. Hoffschir ; D. 2024. 15 ). La présente livraison contient son lot de décisions à propos de la révélation, notamment avec les arrêts IASC (Paris, 12 déc. 2023, n° 22/15255), ESISCO (Paris, 5 déc. 2023, n° 22/20051) et Byd Auto (Civ. 1re, 29 nov. 2023, n° 21-19.697). Enfin, il ne faut pas manquer le nouvel arrêt de la Cour de justice dans l’affaire International Skating Union (CJUE 21 déc. 2023, aff. C-124/21), qui aura des conséquences considérables sur l’arbitrage en matière sportive.

Profitons encore de cette introduction pour signaler la publication en open data, depuis quelques semaines, des décisions du Tribunal judiciaire de Paris (annonce du premier président Soulard). Cette évolution donne déjà accès aux jugements du juge d’appui parisien, que ce soit pour la désignation d’un arbitre (TJ Paris, 15 déc. 2023, n° 23/57974) ou pour sa récusation (TJ Paris, 21 déc. 2023, n° 23/58034). Il y aura sans doute de très belles choses à examiner dans ces décisions, qui restaient jusqu’à maintenant méconnues. Jetons néanmoins, d’emblée, un pavé dans la mare (quitte à s’en mordre les doigts dans quelques années). La lecture des deux jugements montre que l’anonymisation du nom des arbitres est variable (deux noms sur trois sont anonymisés). L’article L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire dispose que « Les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu’elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public ». Les arbitres sont des personnes physiques, mais sont-ils véritablement, au sens de ce texte, des tiers ? À défaut, l’occultation de leur nom est dépourvue de fondement. Or il n’est pas illégitime de s’intéresser aux arbitres désignés par le juge judiciaire. Faute de titres, de diplômes, de listes et de régulation, quels sont les heureux élus que le service public de la justice consent à choisir pour exercer une mission (bien) rémunérée ? Un jour, la question méritera d’être explorée.

La réforme de la procédure d’appel

Le 31 décembre 2023, les fidèles lecteurs du Journal officiel ont eu le plaisir de découvrir un décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile. Annoncé depuis près d’un an, notamment à l’occasion d’un discours du ministre de la Justice du 5 janvier 2022, les projets circulaient sous le manteau depuis quelques mois. Le résultat suscitera des réactions mitigées. Si l’on peut se réjouir de nombreuses clarifications (et souligner que le texte est de bonne facture, ce qui est suffisamment rare pour être dit), l’objectif annoncé de desserrer les contraintes résultant des décrets Magendie est loin d’être atteint ; au contraire, les quelques concessions faites aux avocats ne doivent pas masquer que les charges procédurales pesant sur les parties se sont (encore) accrues.

Avant d’examiner les questions de fond, commençons par la fin : l’entrée en vigueur du décret. L’article 16 la fixe au « 1er septembre 2024 ». Plus précisément, il est « applicable aux instances d’appel introduites à compter de cette date et aux instances reprises devant la cour d’appel à la suite d’un renvoi après cassation lorsque la juridiction de renvoi est saisie à compter de cette même date ». Ainsi, tout recours – annulation, appel de l’ordonnance d’exequatur ou appel d’une sentence interne – exercé à partir de cette date sera soumis au nouveau dispositif. Il faut encore ajouter les saisines de la cour d’appel à la suite d’un renvoi après cassation, ce qui n’est pas si rare en matière arbitrale. Bref, huit mois, c’est le délai laissé au justiciable pour s’approprier le texte. Un délai long, conformément aux injonctions du Conseil d’État en la matière (CE 22 sept. 2022, Conseil national des barreaux et autres, nos 436939 et 437002, Dalloz actualité, 3 oct. 2022, obs. M. Barba ; ibid., 4 oct. 2022, obs. M. Barba ; Lebon ; AJDA 2022. 1817 ; D. 2022. 1912 ; ibid. 2096, entretien M. Barba ; ibid. 2023. 571, obs. N. Fricero ; Rev. prat. rec. 2023. 34, chron. B. Gorchs-Gelzer ).

Sur le fond, il faudra s’habituer à la complète renumérotation des articles et au nouveau plan. Rien de bien problématique toutefois et on peut apprécier l’effort de structuration. De manière générale, on se limitera à une présentation des principales évolutions susceptibles d’intéresser le lecteur de cette chronique. Elles concernent la déclaration de recours, les délais, les attributions du conseiller de la mise en état et le formalisme des conclusions.

La déclaration de recours

Le recours en annulation n’est pas, au sens strict, formalisé par une déclaration d’appel, mais plutôt par une déclaration de recours. Reste que, comme pour l’appel de l’ordonnance d’exequatur et l’appel contre une sentence interne, l’article 901 du code de procure civile s’applique. Celui-ci fait l’objet de retouches substantielles.

D’une part, il est mis fin aux multiples renvois qui résultent de l’ancienne rédaction ; désormais, l’article se suffit à lui seul, ce qui doit être approuvé. D’autre part, les conditions auxquelles la déclaration doit répondre évoluent. Les deux principales doivent être précisées.

Premièrement, le nouveau 6° de l’article 901 prévoit que la déclaration d’appel contient « l’objet de l’appel en ce qu’il tend à l’infirmation ou à l’annulation du jugement ». Cet ajout constitue une reprise de l’article 54, 2°, du code de procédure civile, anciennement applicable par renvoi. Un débat intense existe autour de cette question de « l’objet de l’appel » et, en particulier, de la sanction en cas d’omission (M. Barba et R. Laffly, Objet de l’appel : pas de sujet ?, Dalloz actualité, 26 juin 2023). Il n’y en a désormais plus : la déclaration d’appel doit préciser son objet et, plus spécifiquement, si elle tend « à l’infirmation ou à l’annulation du jugement ».

L’exigence s’applique – pas de risque inutile – dans les recours en matière d’arbitrage, quand bien même ce n’est pas un appel et quand bien même l’article parle de « jugement » et non de « sentence ». Plus précisément, dans le cadre du recours en annulation, l’objet de l’appel (ou plutôt du recours…) est l’annulation de la sentence. Dans le cadre de l’appel d’une ordonnance d’exequatur, l’objet de l’appel est l’infirmation de l’ordonnance d’exequatur. Enfin, dans le cadre de l’appel d’une sentence interne, l’objet de l’appel est l’infirmation de la sentence ou, plus rarement, son annulation (C. pr. civ., art. 1490, al. 1er).

Au surplus, il faut se préserver de la tentation que l’on trouve en pratique d’une formule générale, qui consiste à dire que l’appel tend « à l’annulation ou à l’infirmation ». D’une part, c’est juridiquement faux, à tout le moins, pour le recours en annulation. D’autre part, cet énoncé est trop vague et n’atteint pas l’objectif de détermination de l’objet de l’appel. Ce qui est attendu du recourant, c’est qu’il choisisse ou, a minima, qu’il hiérarchise sous la forme d’un principal et d’un subsidiaire. Toute autre formulation emporte un risque de litige.

Deuxièmement, le 7° de l’article 901 impose de réaliser une critique des chefs du dispositif du jugement dès la déclaration d’appel. Il énonce que : « Les chefs du dispositif du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est, sans préjudice du premier alinéa de l’article 915-2, limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement » (avant, le code parlait de critique des chefs de jugement. Gageons que cette évolution sémantique ne change rien, même s’il y a de quoi en débattre).

L’exigence est (douloureusement) connue. Le texte est globalement inchangé, à l’exception de deux retouches.

La première est la suppression de l’exception tirée de l’indivisibilité de l’objet du litige (v. égal., la modification de l’art. 562 c. pr. civ. dans la même logique), qui permet de sauver certaines déclarations d’appel vierges de toute critique des chefs de jugement. Ce n’est désormais plus le cas, ce qui montre que le décret est loin de poursuivre une volonté d’assouplissement (un sauvetage partiel est néanmoins possible, à travers le critère de la dépendance entre certains chefs de jugement : art. 915-2 c. pr. civ.).

La seconde est l’apparition d’un renvoi à l’article 915-2 du code de procédure civile. Celui-ci permet à l’appelant de « compléter, retrancher ou rectifier, dans le dispositif de ses premières conclusions remises dans les délais prévus au premier alinéa de l’article 906-2 et à l’article 908, les chefs du dispositif du jugement critiqués mentionnés dans la déclaration d’appel ». L’idée est simple. Aujourd’hui, les parties ont la possibilité de sauver une première déclaration d’appel en réalisant une seconde déclaration d’appel, dans le délai pour conclure (v. not., Civ. 2e, avis, 20 déc. 2017, nos 17-70.034, 17-70.035 et 17-70.036, D. 2018. 18 ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean ). La même faculté est désormais offerte, dans le même délai, par voie de conclusions ou, plus précisément, du premier jeu de conclusions. Voilà qui peut être perçu comme une concession faite aux avocats… à moins qu’il ne s’agisse d’un terrible piège qui leur est tendu (v. infra, à propos de la rédaction des conclusions).

En tout état de cause, le recours en annulation est exempté de cette contrainte, puisque, s’agissant d’une demande d’annulation, aucune critique de la sentence n’est nécessaire au stade de la déclaration de recours. Il en va différemment de l’appel de l’ordonnance d’exequatur, qui doit donner lieu à une critique, le plus souvent en ce que l’exequatur a été accordé ou refusé. Enfin, pour l’appel de la sentence interne, la critique est encore nécessaire. Il n’en demeure pas moins qu’il existe une difficulté dans cette hypothèse : dès lors que les arbitres ne sont pas obligés de présenter leur décision sous forme de dispositif comment identifier les « chefs du dispositif du jugement » devant faire l’objet d’une telle critique ? Pour éviter toute contestation, il est prudent d’inclure toute formule susceptible de trancher une prétention.

Finalement, aussi bien pour le 6° que pour le 7° de l’article 901 du code de procédure civile, la question de la sanction en cas de non-respect de l’exigence se pose. Les spécialistes de la procédure d’appel savent que la nullité fulminée à l’alinéa 1er n’est que l’arbuste qui cache la forêt. En effet, au moins pour le défaut de critique des chefs de jugement, la véritable sanction réside dans l’absence d’effet dévolutif (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 ; ibid. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry ; ibid. 458, obs. N. Cayrol ).

Deux remarques à ce sujet.

La première est que l’on peut regretter que le pouvoir réglementaire n’ait pas jugé utile de faire figurer la sanction à l’article 901 du code de procédure civile. L’objectif de clarification, louable une fois de plus, devait s’accompagner de la mention de la véritable sanction. Si elle figure, a contrario, à la deuxième phrase de l’alinéa 1er de l’article 915-2 du code de procédure civile (« la cour est saisie des chefs du dispositif du jugement ainsi déterminés et de ceux qui en dépendent »), les vertus pédagogiques de la nouvelle rédaction de l’article 901 sont en partie perdues par ce silence.

Deuxièmement, le mystère est entier à propos de la sanction en cas d’omission de l’objet de l’appel. Il y a fort à parier que cette question sera l’une des plus débattues. À notre estime, il faut s’attendre à une reprise de la sanction déjà prévue en cas d’absence de cette mention dans les conclusions : « lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement » (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, obs. C. Auché et N. de Andrade ; D. 2020. 2046 , note M. Barba ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet ; D. avocats 2020. 448 et les obs. ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, A.-I. Gregori, R. Laher et A. Provansal ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol ; JCP 2020. 1281, note N. Cayrol ; ibid. Doctr. 1472, chron. L. Mayer ; Procédures 2020. Comm. 190, obs. R. Laffly ; Gaz. Pal. 26 janv. 2021, p. 79, obs. N. Hoffschir ; ibid. 82, obs. L. Lauvergnat, 8 déc. 2020, p. 41, obs. J.-J. Ansault et 27 oct. 2020, p. 9, obs. P. Gerbay). Ce qui vaut pour les conclusions devrait valoir pour la déclaration d’appel. Reste à savoir si un sauvetage pourra être réalisé, alors que le 6° de l’article 901 ne renvoie pas à l’article 915-2 du code de procédure civile et que ce dernier ne prévoit rien en ce sens. Spontanément, on peut craindre une avalanche de contentieux et de sinistres.

Les délais

Sur le terrain des délais, les évolutions sont peu nombreuses, alors que c’est là que des assouplissements étaient attendus. Plus précisément, il faut distinguer la procédure à bref délai et la procédure avec mise en état.

La première n’est pas usitée en matière d’arbitrage, sauf dans deux cas : le recours contre une décision du juge d’appui et l’appel contre une décision sur la compétence du juge de la mise en état (dans le cadre de l’art. 1448 c. pr. civ.). Dans un cas comme dans l’autre, le délai de signification de la déclaration d’appel est porté à vingt jours (C. pr. civ., art. 906-1) et le délai pour conclure est porté à deux mois (C. pr. civ., art. 906-2).

La seconde procédure est celle suivie pour les recours impliquant une sentence.

L’ancien délai de trois mois pour conclure, imposé tant à l’appelant qu’à l’intimé, est maintenu (C. pr. civ., art. 908, 909 et 910). L’augmentation du délai à cinq mois, envisagée pendant un temps, n’a pas été retenue (sans préjudice de la faculté désormais offerte au conseiller de la mise en état, par l’article 911, d’allonger les délais). Il faut s’en réjouir. En matière d’arbitrage, il est fréquent que les délais soient augmentés du fait de la distance. On se retrouve ainsi avec des délais à cinq + cinq pour le premier échange de conclusions. L’ajout de deux mois supplémentaires aurait porté, dans la plupart des contentieux, les délais pour conclure à quatorze mois (7+7), ce qui n’est pas raisonnable. Un délai de trois mois est déjà bien suffisant pour un premier jeu de conclusions.

On ajoutera, à propos des délais, que la faculté pour le conseiller de la mise en état de fixer un calendrier est confirmée. Cette fois, l’article 912 du code de procédure civile prévoit que « les délais fixés dans le calendrier de la mise en état ne peuvent être prorogés qu’en cas de cause grave et dûment justifiée ». Il ajoute que « si les parties s’abstiennent d’accomplir les actes de la procédure qui leur incombent dans les délais fixés par ce calendrier, le conseiller de la mise en état peut, d’office, après avis donné à leur avocat, prendre une ordonnance de radiation motivée non susceptible de recours ». L’article 914-2 prévoit lui une seconde série de sanctions, en énonçant que « si l’une des parties n’accomplit pas les actes de la procédure qui lui incombent dans les délais fixés par le calendrier prévu au deuxième alinéa de l’article 912, le conseiller de la mise en état peut ordonner la clôture à son égard, d’office ou à la demande d’une partie, sauf, en ce dernier cas, la possibilité pour le conseiller de la mise en état de refuser par ordonnance motivée non susceptible de recours. Copie de l’ordonnance est adressée à la partie défaillante, à son domicile réel ou à sa résidence ». On glisse vers une généralisation des calendriers et vers un respect strict des délais qu’il fixe, à peine de radiation ou de clôture.

Les attributions du conseiller de la mise en état

La question des attributions du conseiller de la mise en état est celle qui a fait l’objet du plus d’attention de la part de la Chancellerie. La principale décision est de supprimer le renvoi réalisé par l’article 907 du code de procédure civile aux attributions du juge de la mise en état. Désormais, les articles 913 et suivants du code de procédure civile se suffisent à eux-mêmes. Du point de vue de l’exercice des voies de recours, ces modifications ne sont pas anodines.

Il résulte de la suppression de ce renvoi que le conseiller de la mise en état n’est plus, sur le fondement de l’article 789, 6°, compétent pour connaître des fins de non-recevoir. Désormais, la liste des irrecevabilités qui lui reviennent se trouve à l’article 913-5. Avant la réforme, deux avis successifs de la Cour de cassation ont vidé de leur substance les attributions du conseiller de la mise en état en procédure civile (Civ. 2e, avis, 11 oct. 2022, n° 22-70.010, Dalloz actualité, 18 oct. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 2015 , note M. Barba et T. Le Bars ; ibid. 2023. 915, chron. F. Jollec, C. Bohnert, S. Ittah, X. Pradel, C. Dudit et J. Vigneras ; Rev. prat. rec. 2022. 5, chron. O. Cousin et O. Salati  ; JCP 2022. 1185, note P. Gerbay ; 3 juin 2021, n° 21-70.006, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; ibid., 17 juin 2021, obs. R. Laffly ; D. 2021. 1139 ; ibid. 2272, obs. T. Clay ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero ). En revanche, il en va différemment en matière d’arbitrage. En effet, le recours en annulation est un recours original, puisqu’il exclut l’intervention d’un juge judiciaire de première instance. De cette spécificité, des solutions assez byzantines sont nées.

Ainsi, il est jugé que l’argument tiré de la renonciation, qualifié de fin de non-recevoir, doit être soumis au conseiller de la mise en état (Paris, 24 janv. 2023, n° 22/00733, SOGEA-SATOM, Dalloz actualité, 14 mars 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal., 16 mai 2023, n° 16, p. 7, note L. Larribère ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay  ; 19 oct. 2023, n° 22/18712, AS PNB Banka), quand bien même la pratique constante est de renvoyer à la cour d’appel. En revanche, la 5-16 juge que d’autres arguments relatifs à la recevabilité des griefs (Paris, 28 juin 2022, n° 21/06317, Dalloz actualité, 13 juill. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330 , obs. T. Clay ) ou encore des questions portant sur la recevabilité de la demande d’annulation de la sentence (Paris, 19 oct. 2023, n° 22/18712, AS PNB Banka, préc.) relèvent de la cour d’appel. L’idée qui semble se dégager de cette jurisprudence insaisissable est que seule la question de la renonciation à un grief (fondée sur l’art. 1466 c. pr. civ.) relève du conseiller de la mise en état, alors que le reste retombe entre les mains de la cour.

Le décret du 29 décembre 2023 met un terme à ce débat. Le conseiller de la mise en état n’est plus compétent pour connaître de toutes les fins de non-recevoir, mais seulement celles limitativement énumérées à l’article 913. Par conséquent, la renonciation au grief repasse entre les mains – qu’elle n’aurait jamais dû quitter – de la cour, sans passer par le conseiller de la mise en état. Voilà qui est heureux !

Le formalisme des conclusions

On finira cette rapide présentation du décret en évoquant la rédaction des conclusions. Deux articles doivent être évoqués, qui doivent en réalité être lus de façon complémentaire.

Le premier est l’article 954 du code de procédure civile, dont le deuxième alinéa est réécrit. Il prévoit désormais que « les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens et un dispositif dans lequel l’appelant indique s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués, et dans lequel l’ensemble des parties récapitule leurs prétentions ».

L’évolution présente deux visages. Bienveillante, d’abord, en ce qu’elle énonce de façon claire les charges procédurales qui pèsent sur les parties, en particulier l’appelant, à propos de la rédaction du dispositif de ses conclusions : (i) demander l’annulation ou l’infirmation du jugement ; (ii) critiquer les chefs du dispositif du jugement ; (iii) récapituler ses prétentions. Voilà qui synthétise la jurisprudence et qui révèle en creux que les solutions de la Cour de cassation étaient dépourvues de fondement textuel. Exigeante, ensuite, puisqu’elle consacre l’obligation de réaliser à nouveau la critique des chefs du dispositif du jugement dans les conclusions (sauf pour le recours en annulation), alors que celle-ci n’était pas exigée (Civ. 2e, 3 mars 2022, n° 20-20.017, Dalloz actualité, 12 mars 2022, obs. C. Lhermitte ; D. 2022. 515 ; AJ fam. 2022. 176, obs. D. D’Ambra ; Rev. prat. rec. 2022. 8, chron. E. Jullien et R. Laher  ; Procédures 2022. Comm. 117, obs. R. Laffly ; Rev. Lamy Droit civil, mai 2022, p. 37, note M. Barba). Voilà qui conduira à des dispositifs-fleuves, en particulier pour les appels contre les sentences internes.

La question est de déterminer la sanction en cas d’absence de critique des chefs de jugement dans les conclusions. Le dispositif des conclusions doit contenir (i) la demande d’annulation ou d’infirmation, (ii) la critique des chefs de jugement et (iii) un récapitulatif des prétentions. On connaît la sanction en cas d’omission de la première mention : la cour ne peut que confirmer le jugement. On connaît également la sanction en cas de lacune sur la troisième mention : elle entraîne l’absence de saisine de la cour de cette prétention voire la caducité de la déclaration d’appel.

Qu’en est-il pour cette nouvelle exigence de critique des chefs de jugement ?

On voit déjà venir l’absence d’effet dévolutif. En effet l’article 915-2 du code de procédure civile, deuxième disposition pertinente en matière de conclusions, prévoit désormais « que l’appelant principal peut compléter, retrancher ou rectifier, dans le dispositif de ses premières conclusions remises dans les délais prévus au premier alinéa de l’article 906-2 et à l’article 908, les chefs du dispositif du jugement critiqués mentionnés dans la déclaration d’appel. La cour est saisie des chefs du dispositif du jugement ainsi déterminés et de ceux qui en dépendent ». Là aussi, la règle est à deux visages. Bienveillante, elle permet de compléter une déclaration d’appel lacunaire (v. supra) ; exigeante, elle pourrait conduire à une absence (ou une limitation) de l’effet dévolutif. En effet, avec cette nouvelle règle, une partie peut « retrancher » à la critique réalisée dans la déclaration d’appel. Comment, en conséquence, apprécier des conclusions dépourvues de toute critique des chefs de jugement, si ce n’est par le constat que la partie a réduit à néant la saisine de la cour d’appel ?

La crainte est d’autant plus forte que la seconde phrase de l’alinéa prévoit que « la cour est saisie des chefs du dispositif du jugement ainsi déterminés et de ceux qui en dépendent ». A contrario, elle n’est pas saisie des chefs du dispositif du jugement qui ne sont pas déterminés. Reste en réalité à savoir si cette détermination se réalise par un cumul entre la déclaration d’appel et les conclusions, où si elle dépend exclusivement des conclusions. Dans cette dernière hypothèse, c’est la consécration implicite, mais ferme, d’une nouvelle absence d’effet dévolutif à défaut de critique des chefs du dispositif du jugement dans le dispositif des conclusions.

On veut bien croire à une issue heureuse, mais rares sont les obligations qui restent sans sanction. Il est donc préférable de rester vigilant lorsque la critique des chefs du dispositif du jugement s’impose, à savoir dans l’appel contre l’ordonnance d’exequatur et l’appel contre la sentence interne. La vigilance, plus que jamais, tel est le maître mot de celui qui entend former un recours devant les juridictions françaises.

La loyauté de la preuve

La question de la loyauté de la preuve est dans l’ère du temps. Le 22 décembre 2023, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu deux très grands arrêts en la matière (nos 20-20.648 et 21-11.330, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. N. Hoffschir ; D. 2024. 14 ) ; le premier arrêt est toutefois bien plus intéressant dans sa motivation). Quand bien même ces décisions n’ont aucun rapport avec le droit de l’arbitrage, elles auront des conséquences indirectes non négligeables.

Sur le fond de cette décision, la Cour opère un revirement. Antérieurement, il fallait distinguer la preuve illicite de la preuve déloyale. La première était recevable lorsqu’indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et si l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence était strictement proportionnée au but poursuivi. La seconde, en revanche, n’était pas recevable. Désormais, il en va différemment, la cour estimant que « l’application de cette jurisprudence peut cependant conduire à priver une partie de tout moyen de faire la preuve de ses droits ». Après avoir rappelé que tant la Cour européenne des droits de l’homme que le juge pénal acceptent, sous certaines conditions, la recevabilité d’une preuve déloyale, et après avoir mis en relief « la difficulté de tracer une frontière claire entre les preuves déloyales et les preuves illicites », la Cour décide de reconnaître la recevabilité de la preuve déloyale. Plus précisément, elle juge qu’« il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

En droit de l’arbitrage, la question se pose sous deux angles. Elle se pose, d’abord, devant le tribunal arbitral lui-même. C’est l’objet de l’arrêt Raiya Group (Paris, 5 déc. 2023, n° 22/11002). Dans cette affaire, Raiya Group a produit, en cours de procédure arbitrale, une série de pièces issues d’une procédure arbitrale concurrente, opposant son adversaire à un tiers. Le tribunal arbitral a été saisi de la question et a interdit de divulguer les informations et documents obtenus par ses témoins au cours d’une procédure arbitrale distincte et soumis à un accord de confidentialité exprès.

Du point de vue du juge de l’annulation, la question est examinée sous l’angle de l’ordre public international et, plus précisément, de l’égalité des armes. À cet égard, la cour d’appel valide le raisonnement de l’arbitre. Elle juge que l’égalité des armes n’impose pas « l’admission de tout élément de preuve, l’arbitre pouvant être appelé à se prononcer sur la recevabilité des pièces produites devant lui par les parties, son appréciation sur ce point ne relevant pas du contrôle du juge de l’annulation » et elle ajoute que l’appréciation de « l’admissibilité des preuves relèv[e] du pouvoir souverain des arbitres ».

À cet égard, l’arrêt rendu par l’assemblée plénière le 22 décembre 2023 ne devrait avoir aucune conséquence. Le juge de l’annulation laisse à l’arbitre la liberté d’apprécier la recevabilité des preuves, qu’elles soient déloyales ou illicites, à condition que la question fasse l’objet d’un débat contradictoire. En revanche, on ne peut pas ignorer l’influence potentielle de la décision sur les discussions devant l’arbitre. Certes, la solution française ne sera pas toujours jugée pertinente, en particulier dans un arbitrage international. En revanche, elle pourrait l’être dans un arbitrage interne, voire dans un arbitrage international avec un lien fort avec la France. La solution de l’assemblée plénière peut conduire les arbitres à faire évoluer leur appréciation sur la recevabilité des preuves. Typiquement, la situation au cœur du litige dans l’affaire Raiya Group peut faire l’objet d’une appréciation différente.

Spontanément, il est évident que l’obtention et la production par une partie d’une pièce confidentielle révèlent des manœuvres déloyales. Qu’en est-il, désormais, si le principe est celui de la recevabilité ? On peut par exemple penser que, pour certains contentieux sériels impliquant une partie identique et une multitude d’opposants, ces derniers fassent tourner, malgré la confidentialité, un certain nombre de documents, en particulier des sentences arbitrales. Le débat autour de la recevabilité de ces pièces s’annonce donc passionnant et sera, sans aucun doute, influencé par l’arrêt du 22 décembre 2023.

La question de la recevabilité des pièces se pose encore sous un second angle, celui de la recevabilité d’une production devant le juge du recours. Cette fois, la question est débattue dans une affaire Hisense (Paris, 17 oct. 2023, n° 21/20796). Certains documents produits devant les juridictions françaises sont considérés par une partie comme ayant été volés, en ce qu’ils ont été obtenus par un ancien directeur dans le cadre et pour les seuls besoins de l’exécution de son contrat de travail et qu’ils n’auraient pas dû être conservés, encore moins transmis à la partie adverse.

La cour d’appel semble avoir anticipé l’arrêt d’assemblée plénière, puisqu’elle juge deux mois avant cette dernière qu’« un élément de preuve obtenu au moyen d’un procédé déloyal est en principe irrecevable à moins que sa production ne procède d’un motif légitime, qu’elle soit indispensable à l’exercice du droit d’une partie et qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits de l’autre partie au regard de l’objectif poursuivi ». La motivation est donc étonnamment similaire et conduit à penser que la solution ne devrait pas évoluer, même si le principe annoncé est celui de l’irrecevabilité. En conséquence, le juge du recours admet, sous conditions, la recevabilité des preuves déloyales pour les besoins du recours. La motivation retenue pour déclarer recevables les pièces est très instructive. La cour juge qu’il y a « lieu de mettre ces éléments en balance avec le but poursuivi qui, en l’espèce, est de démontrer l’existence d’une fraude procédurale consistant en la dissimulation aux arbitres pendant l’arbitrage de pièces déterminantes de leur décision, ce qui serait susceptible de constituer une violation de l’ordre public international, un tel but présentant dès lors un intérêt supérieur justifiant la recevabilité desdites pièces, sans porter une atteinte disproportionnée aux droits de l’autre partie au regard de l’objectif poursuivi, la cour ayant en tout état de cause toute latitude d’en apprécier la force probante et le bien fondé au regard de la violation alléguée ».

En définitive, l’arbitrage n’échappe pas aux questions de loyauté de la preuve (il est même précurseur, avec l’art. 1464 c. pr. civ. ; certains poseront problablement la question de la compatibilité de l’arrêt d’assemblée plénière avec cette disposition). Il y a fort à parier que la décision du 22 décembre 2023 aura des effets sensibles sur certaines stratégies, puisque, en creux, elle autorise à recourir à des procédés déloyaux pour obtenir une...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :