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Chronique d’arbitrage : les sentences internes peuvent-elles prétendre à l’autonomie ?
Chronique d’arbitrage : les sentences internes peuvent-elles prétendre à l’autonomie ?
Le rapprochement des régimes de l’arbitrage interne et international est au cœur des propositions du rapport de mars 2025 sur la réforme du droit français de l’arbitrage. L’arrêt BICEC contribue à cette réflexion à propos d’une sentence arbitrale interne étrangère. Il permet de s’interroger sur la propension à l’autonomie des sentences internes, au même titre que celle dont bénéficient déjà les sentences internationales.
par Jérémy Jourdan-Marques, Professeur à l'Université Lumière Lyon 2le 23 juin 2025
Paris, pôle 5 - ch. 16, 20 févr. 2025, n° 24/01766
Paris, pôle 5 - ch. 16, 25 mars 2025, n° 24/00775
Paris, pôle 5 - ch. 16, 1er avr. 2025, n° 24/00774
Paris, pôle 5 - ch. 16, 20 mai 2025, n° 24/01866
Douai, ch. 2 - sect. 1, 3 avr. 2025, n° 24/03288

Cette nouvelle livraison de la chronique d’arbitrage est un peu particulière. À l’occasion de la précédente, nous avions annoncé qu’en raison d’une défaillance dans la mise en ligne en open data, la majorité des décisions rendues entre décembre 2024 et février 2025 n’avait pu être examinée. Quelques mois plus tard, les décisions de la période concernée sont disponibles. On aurait pu les passer sous silence, pour maintenir une taille raisonnable à la chronique et soulager le lecteur. On sait cependant que les fidèles et les passionnés préfèrent l’exhaustivité à la sobriété. C’est la raison pour laquelle pas moins de onze décisions supplémentaires seront commentées. La période examinée ira ainsi de décembre 2024 à juin 2025.
Par chance, cet exercice peut être réalisé grâce à une légère baisse d’activité de la CCIP depuis quelques mois. Si les ordonnances du conseiller de la mise en état de la chambre sont nombreuses – ce qui révèle la grande technicité du recours – on peut regretter le faible nombre de recours examinés au fond. Si les explications à ce constat peuvent être nombreuses, il faudra observer dans les mois à venir si elles ne révèlent pas une baisse des saisines de la cour. De ce point de vue, on peut regretter l’absence d’outils statistiques fiables permettant d’avoir connaissance de l’activité de la principale juridiction française en matière d’arbitrage. À l’heure où la compétition internationale est intense, un des indicateurs – parmi d’autres – de l’attractivité d’un droit reste le taux de saisine de la juridiction de recours.
Il n’en demeure pas moins que l’on trouve dans la période récente des décisions importantes. Outre l’arrêt BICEC, évoqué en préambule (Paris, 20 mai 2025, n° 22/13345), c’est vers la Cour de cassation qu’il faut se tourner. Dans un arrêt Uruguay, la Cour vient casser un arrêt ayant annulé une sentence d’incompétence (Civ. 1re, 2 avr. 2025, n° 23-16.338, D. 2025. 632 ; Gaz. Pal. 6 mai 2025, n° 16, p. 12, obs. L. Larribère ; Procédures 2025. Comm. 149, obs. L. Weiller). Ce faisant, elle rappelle que le cadre du contrôle du juge du recours ne dépend pas de la décision du tribunal arbitral : si ce dernier s’est déclaré incompétent sur un motif qui ne relève pas de la compétence, mais du fond, la Cour est impuissante à annuler la sentence, car cela revient à la réviser au fond. Dans un second arrêt Carlson Wagonlits Travel (Civ. 1re, 7 mai 2025, n° 21-14.162), la Cour exclut toute valeur probante au « case information sheet » par lequel la CCI désigne des tiers concernés par le litige. Si cette solution a pour vertu de préserver, une fois encore, une sentence arbitrale, elle symbolise l’échec du droit français pour réglementer l’obligation de révélation des arbitres. Pour finir, on mentionnera une décision du conseiller de la mise en état dans une affaire PNB Banka (Paris, ord., 20 févr. 2025, n° 22/18712) qui laisse espérer une évolution de la jurisprudence de la cour sur la question de l’intervention des tiers.
Le régime applicable à l’exequatur d’une sentence arbitrale étrangère interne
L’affaire BICEC soulève de redoutables questions théoriques, qui mettent à mal la cohérence du droit français de l’arbitrage (Paris, 20 mai 2025, n° 22/13345). Dans cette affaire, la cour constate, à titre liminaire, que « la sentence arbitrale dont l’exequatur est sollicité est une sentence interne rendue au Cameroun ». Voilà qui, en principe, ne soulève pas de difficultés. On sait en effet depuis une affaire EGPC (Paris, 21 mai 2019, n° 17/19850, Dalloz actualité, 28 juin 2019, obs. L. Weiller ; ibid., 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2019. 1151, note E. Gaillard ; JDI 2020. 214, note D. Mouralis ; ibid. 811, chron. K. Mehtiyeva ; confirmé par Civ. 1re, 13 janv. 2021, n° 19-22.932, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 86
; ibid. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux
; ibid. 2272, obs. T. Clay
; RTD com. 2021. 556, obs. E. Loquin
; RJC 2022. 14, note B. Moreau ; JCP E 2021. 1373, note P. Casson ; Procédures 2021. Comm. 71, note L. Weiller ; Rev. arb. 2021. 719, note H. Slim) que la sentence arbitrale interne étrangère est assimilée à une sentence internationale. À cette occasion, elle a énoncé que « les dispositions des articles […] 1514 et suivants, sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales, sont applicables à la fois aux sentences arbitrales internationales et aux sentences rendues à l’étranger, quel que soit, pour ces dernières, leur caractère interne ou international ». La conséquence logique est que « la régularité de telles sentences est examinée au regard des règles applicables dans le pays où leur reconnaissance et leur exécution sont demandées, l’objet de l’exequatur étant d’accueillir dans l’ordre juridique français les sentences étrangères aux seules conditions qu’il a posées ». Dès lors, la sentence arbitrale interne étrangère est soumise au même régime de reconnaissance et d’exequatur que la sentence arbitrale internationale étrangère.
La difficulté de l’affaire BICEC réside dans l’existence d’un Accord de coopération en matière de justice entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République unie du Cameroun du 21 février 1974 (v. déjà, pour une situation analogue, Civ. 1re, 17 oct. 2000, n° 98-11.776, Rev. arb. 2000. 648, note P. Mayer). Son article 41 prévoit que « les sentences arbitrales rendues dans l’un des deux États sont reconnues dans l’autre État et peuvent y être déclarées exécutoires si elles satisfont aux conditions des articles 34 et 35 pour autant que ces conditions soient applicables. L’exequatur est accordé dans les formes fixées aux articles qui précèdent ». Cette règle soulève une difficulté, puisque, du point de vue de la hiérarchie des normes, l’accord franco-camerounais prévaut sur le code de procédure civile. Est-ce à dire que, dans une telle hypothèse, le droit français de l’arbitrage doit s’effacer devant ce droit conventionnel ? Une telle solution serait bien inconfortable, là où le choix est fait depuis trois décennies d’écarter la Convention de New York au profit de nos seules solutions internes.
La cour d’appel décide de contourner en partie l’obstacle. Elle examine l’article 34 de l’Accord et souligne qu’il « subordonne la reconnaissance d’une décision à la condition que, d’après la loi de l’État où elle a été rendue, elle ne puisse plus faire l’objet d’un recours ordinaire ou d’un pourvoi en cassation ». Au cas d’espèce, elle constate que ni le règlement d’arbitrage ni le droit de l’arbitrage de l’espace OHADA ne prévoient l’existence d’un recours ordinaire ou d’un pourvoi en cassation, ce qui permet d’écarter le moyen. En effet, de façon assez proche du droit français, le droit OHADA prévoit que « la sentence arbitrale n’est pas susceptible d’opposition, d’appel ni de pourvoi en cassation ».
Cette façon de raisonner permet d’éviter tout débat sur la nature du recours en annulation. En droit français, l’article 527 du code de procédure civile distingue les voies de recours ordinaires et extraordinaires, sans que le recours en annulation ne soit mentionné. Il en résulte une incertitude irrésolue sur la qualification de ce dernier. Si, en principe, les voies de recours ordinaires sont suspensives d’exécution, on peut considérer que le recours en annulation contre la sentence interne est une voie de recours ordinaire (C. pr. civ., art. 1496), contrairement au recours en annulation contre la sentence internationale qui serait une voie de recours extraordinaire (C. pr. civ., art. 1526). Néanmoins, si l’on considère comme ordinaire la voie de recours « normale » contre une sentence arbitrale, nul doute que le recours en annulation peut prétendre à cette qualification. On voit ainsi que la cour d’appel escamote la discussion en appliquant un raisonnement de pure procédure française à une situation qui n’en relève pas véritablement.
Après avoir écarté ce moyen directement tiré de l’Accord (et un autre relatif à l’art. 35 de l’Accord, mais qui semblait reposer sur une confusion entre exequatur et exécution forcée), la cour bascule sur les conditions prévues à l’article 1520 du code de procédure civile. Cela suscite a minima deux observations.
Premièrement, il est discutable de revenir aux conditions d’exequatur du code de procédure civile là où les exigences de l’Accord devraient suffire. Sauf lacune, l’Accord, en sa qualité de lex specialia, doit conduire à une mise à l’écart du droit français de l’arbitrage chaque fois qu’il y déroge, ce qui est le cas des conditions de reconnaissance de l’article 34 de l’Accord, dérogatoires à celles de l’article 1520 du code de procédure civile. Cette démarche révèle le « réflexe archaïque » de la cour à toujours percevoir le code de procédure civile comme l’épicentre du contrôle des sentences.
Deuxièmement, la cour passe sous silence l’article 38 de l’Accord, qui précise que « l’autorité compétente se borne à vérifier si la décision dont l’exequatur est demandé remplit les conditions prévues à l’article 34. Elle procède d’office à cet examen et doit en constater les résultats dans la décision ». Ainsi, il pèse sur elle une obligation de vérifier d’office la réunion de toutes les conditions nécessaires à l’exequatur prévues par l’article 34. Parmi elles, on trouve la conformité de la décision à l’ordre public. Pourtant, la cour refuse de réaliser un tel examen, au motif que la partie s’est fondée trop tardivement sur l’article 1520, 5°, du code de procédure civile, pour la première fois dans une note en délibéré. Reste que, d’une part, l’article 34 renvoie à l’ordre public « tout court », ce qui laisse croire qu’il s’agit de l’ordre public interne et international. D’autre part, la tardiveté du moyen importe peu, puisque la cour a l’obligation de procéder d’office à cet examen.
On voit que l’affaire soulève de redoutables difficultés quant à l’identification du régime applicable. Finalement, la cour opte pour une cote mal taillée, en examinant certaines conditions prévues par l’Accord, tout en rattachant le contrôle aux exigences de l’article 1520 du code de procédure civile.
Existe-t-il une autre voie ? En creux, la solution met en lumière un impensé du droit français de l’arbitrage : la sentence interne étrangère est-elle autonome ou rattachée à l’ordre juridique du siège ? Par ricochet, qu’en est-il du statut de la sentence interne française ?
Si l’on s’attache à l’esprit du code de procédure civile, la réponse se trouve sans doute dans l’autonomie de la sentence arbitrale interne étrangère. En ne distinguant pas les sentences étrangères selon qu’elles sont internes ou internationales, on présuppose qu’elles sont toutes internationales. La possible reconnaissance de la sentence arbitrale interne étrangère annulée au siège conforte cette conception autonomiste.
Reste toutefois qu’il existe de sérieux obstacles. Ainsi, l’article 41 de l’Accord prévoit qu’il s’applique « aux sentences arbitrales rendues dans l’un des deux États ». Or, cette idée d’une sentence rendue dans un État se retrouve aussi dans le code de procédure civile, dans les titres de section de ce code. Ceux-ci mentionnent les sentences rendues à l’étranger par opposition aux sentences rendues en France. De ce seul élément de texte, on peut difficilement prétendre que l’Accord ne s’impose pas pour les sentences arbitrales internes rendues au Cameroun. Sans trop forcer, on peut même prétendre qu’il ne faut pas distinguer avec les sentences arbitrales internationales, lesquelles sont toutes rendues dans l’État du siège. Rien qui ne fasse ici les affaires de la position autonomiste.
Ainsi, en l’état de la rédaction à la fois du code de procédure civile et de l’Accord franco-camerounais, il est difficile de nier la primauté du second sur le premier. Par conséquent, c’est sans doute à l’aune de ce seul traité qu’il aurait fallu examiner l’exequatur de la sentence, sauf pour combler les lacunes de celui-ci.
Pour autant, on pourra s’accorder sur le constat qu’une telle solution est en contradiction frontale avec les objectifs du droit français de l’arbitrage. Comment résoudre la difficulté ? Sur ce point, le rapport du groupe de travail sur la réforme du droit français de l’arbitrage ouvre des pistes de réflexion. Il remarque notamment que « l’arbitrage ne change pas de nature qu’il soit interne ou international » (Groupe de travail sur la réforme du droit français de l’arbitrage, Rapport et proposition de réforme, mars 2025, p. 26). En creux, on comprend que l’arbitrage interne peut prétendre à la même autonomie que l’arbitrage international. C’est sans doute la principale piste à explorer. En effet, la question du rattachement des sentences arbitrales internes reste une question trop rapidement éludée (v. néanmoins, P. Mayer, note ss. Civ. 1re, 17 oct. 2000, n° 98-11.776, préc.). Si l’on a débattu pendant des décennies sur celui des sentences arbitrales internationales, le rattachement des sentences arbitrales internes à l’ordre juridique du siège bénéficie d’une forme de consensus mou. Pourtant, l’autonomie résulte-t-elle de la seule internationalité du litige ou, plus généralement, du choix des parties de recourir à l’arbitrage ? D’ailleurs, dans un régime moniste, cette question ne peut pas se poser et implique a priori une seule et unique réponse pour tous les arbitrages.
Partant, la proposition de réforme qui résulte des travaux remis au ministre de la Justice en mars 2025 ouvre la voie à une évolution, en rapprochant arbitrage interne et arbitrage international au point de faire fondre la frontière qui les sépare. Derrière, on trouve l’idée que l’arbitrage interne peut aussi prétendre à l’autonomie. Cela vaut pour les sentences arbitrales étrangères, mais encore pour les sentences internes françaises.
Reste que le groupe n’est peut-être pas allé au bout de sa démarche. On retrouve encore, à de nombreuses occasions, l’idée que la sentence arbitrale est rendue dans l’État du siège. Il y a sans doute là une facilité de langage qui ne répond pas à l’esprit du droit positif. En effet, cette idée d’une sentence rendue quelque part renvoie à un rattachement physique en un lieu où la décision est matériellement prononcée. Pourtant, on sait depuis longtemps que la fixation du siège dans un ordre juridique n’implique ni que les audiences s’y tiennent ni que les arbitres y délibèrent. Ainsi, le droit moderne de l’arbitrage ôte tout caractère physique à la notion de siège, pour l’examiner seulement comme un rattachement juridique. Par conséquent, il est peut-être temps de rompre ce lien et de changer les formules. La sentence est-elle rendue en France ou à l’étranger ou, plus simplement, est-elle rendue à la suite d’un arbitrage dont le siège est fixé en France ou à l’étranger ? Il faut bien le dire, dans l’ère moderne, l’idée d’une sentence rendue quelque part n’a plus grand sens, ne serait-ce qu’en raison de l’évolution des moyens de communication qui conduisent à une dispersion des acteurs.
En tout cas, une telle évolution serait de nature à mieux mettre en conformité la lettre du droit français avec son esprit. Surtout, elle serait de nature à résoudre la difficulté rencontrée dans l’affaire BICEC, dès lors que la sentence arbitrale ne serait plus jamais « rendue dans un État », comme l’exige l’article 41 de l’Accord. Partant, cette disposition tomberait définitivement en désuétude, faute pour le critère qu’il pose de se retrouver en pratique.
Le principe compétence-compétence
Un arrêt Boucherie Rosier révèle à nouveau les difficultés de maniement du principe compétence-compétence (Bordeaux, 26 mai 2025, n° 24/05459). L’action intentée devant les juridictions étatiques concerne le défaut de paiement du loyer d’un bail commercial. Le contrat est dépourvu de toute clause compromissoire. En revanche, une cession de fonds de commerce a eu lieu. Au sein de ce second contrat, le cédant et le cessionnaire ont stipulé une clause compromissoire et une clause de solidarité par laquelle le cédant demeure garant solidaire du paiement des loyers au profit du cédé/bailleur.
Le cédant soulève l’incompétence des juridictions étatiques en se prévalant de la clause compromissoire figurant dans le second contrat contre le bailleur. La Cour d’appel de Bordeaux l’écarte. L’article 1448 du code de procédure civile est absent de la motivation, contrairement à un mystérieux principe selon lequel « les clauses attributives de compétences sont d’interprétation stricte ». Pour aboutir à sa solution, la cour remarque que la clause compromissoire vise « les parties », lesquelles sont, au titre du contrat de cession, le cédant et le cessionnaire. Par conséquent, alors même qu’il est intervenu à l’acte, le cédé/bailleur ne serait pas visé à la clause compromissoire, faute de revêtir la qualité de « partie ».
L’arrêt rappelle que la référence aux « parties » dans une clause compromissoire n’est pas judicieuse. Le risque est de figer l’applicabilité de la clause aux seuls signataires du contrat et de soulever des difficultés en cas d’évolution du contexte. De ce point de vue, le modèle de la clause type CCI est le plus approprié, en ce qu’il évite toute référence à cette notion et embrasse donc largement les personnes susceptibles d’être liées par la clause.
Néanmoins, le raisonnement de l’arrêt ne convainc pas. Certes, la solution dépend en partie du point de savoir si le demandeur à l’exception d’incompétence s’est fondé sur l’article 1448 du code de procédure civile. Pour autant, le problème n’est pas bien posé. En effet, l’action est formée contre le cédant seulement parce qu’il existe une clause de solidarité dans le contrat de cession du fonds de commerce. Autrement dit, l’ancien locataire n’est plus partie au contrat de bail, mais seulement au contrat de cession du fonds, par lequel il s’engage à garantir les loyers, mais au sein duquel une clause compromissoire est stipulée. À ce titre, il est tout à fait certain qu’il n’y a pas d’inapplicabilité manifeste. Au surplus, même si l’article 1448 du code de procédure civile n’est pas dans le débat, on peut penser que l’inapplicabilité tout court de la clause ne va pas de soi.
Un arrêt La Normandine (Caen, 24 avr. 2025, n° 24/01379) soulève des difficultés analogues à propos d’un bail commercial, cette fois relatif à une boulangerie. Celui-ci est conclu par acte notarié, à l’occasion duquel le gérant intervient pour se porter caution solidaire du paiement des loyers. L’acte comporte une clause compromissoire. Le bailleur agit contre la caution devant les juridictions judiciaires. Cette dernière se prévaut de la clause compromissoire. Une fois encore, l’article 1448 du code de procédure civile n’est pas mobilisé par la cour, sans que l’on sache avec certitude si les parties se sont abstenues d’y faire référence. Pour échapper à la clause compromissoire, le bailleur fait valoir, d’une part, son inapplicabilité au cautionnement et, d’autre part, son inopposabilité en l’absence d’activité professionnelle de la caution. Pour rejeter ces arguments, la cour constate que le contrat de bail et le cautionnement s’inscrivent dans une opération unique. Elle rappelle par ailleurs que l’inopposabilité, si tant est qu’elle puisse être mobilisée au cas d’espèce, permet seulement au non-professionnel de choisir s’il entend se prévaloir ou non de la clause. Ce n’est donc pas au bailleur de se prévaloir de l’article 2061 du code civil pour tenter d’échapper à une clause qu’il a acceptée. La solution retenue par la cour est, en définitive, satisfaisante, en ce qu’elle renvoie les parties à mieux se pourvoir, quand bien même elle ne se limite pas à constater l’absence d’inapplicabilité manifeste.
L’arrêt Groupe Carré (Douai, 3 avr. 2025, n° 24/03288) adopte un raisonnement plus conforme à l’esprit du droit de l’arbitrage. Cette fois, l’article 1448 du code de procédure civile est mobilisé, pour résoudre une difficulté portant sur la non-exécution d’un contrat de vente de céréales, dont la spécificité est de ne pas être signé (v. sur le sujet, les arrêts rendus au titre du recours, infra). Les conditions générales stipulent une clause compromissoire. Quand bien même la cour d’appel ne se laisse pas convaincre par l’existence d’une relation commerciale habituelle entre les parties, elle constate qu’« il n’en reste pas moins que l’objet du litige, déterminé par les prétentions des parties, concerne le contrat du 8 août 2022 dont il est acquis qu’il contient une clause compromissoire ». Ainsi, sans se prononcer sur la conclusion des contrats ou l’applicabilité de la clause compromissoire, le seul constat de la présence d’une clause dans un contrat qui se trouve au cœur du litige suffit à fonder la décision d’incompétence. Voilà qui est bien plus rigoureux et qui ne préjuge pas de la solution à venir des arbitres sur leur propre compétence.
Dans la même veine, il faut saluer l’arrêt rendu dans une affaire White & Case (Paris, 14 mai 2025, n° 24/14057). Cette fois, la clause compromissoire figure dans le partnership agreement conclu entre un cabinet d’avocats et son associé. Ce contrat contient également une clause qui dénie à l’arbitre le pouvoir de statuer sur certains types de préjudices. La question est donc de savoir si les juridictions étatiques peuvent être saisies pour connaître de l’action visant à la réparation des préjudices exclus par cette stipulation. La cour d’appel s’y refuse et accueille l’exception d’incompétence sur le fondement de l’article 1448 du code de procédure civile. La motivation est éclairante. Elle juge que « pour savoir si la demande de M. [D] au titre du préjudice qu’il invoque relève de la compétence d’un arbitre ou est au contraire exclue des matières dévolues à l’arbitrage, il convient d’interpréter les clauses du partnership agreement, notamment son article 10.8, alinéa 2, et en particulier les termes “emotional distress” et “statutory claim”, à la lumière de l’article 10.1 et du droit de l’État de New York applicable selon la volonté des parties, ce qui exclut le caractère manifestement nul ou inapplicable de la clause et n’entre pas dans les pouvoirs du juge étatique mais relève de la compétence du tribunal arbitral ». Ainsi, puisque la résolution de la question de la compétence arbitrale nécessite un travail d’interprétation du contrat, c’est à l’arbitre qu’il convient de trancher la question et au juge étatique de se déclarer incompétent.
Les recours contre la sentence
Aspects procéduraux
La déclaration de recours
On sait que la procédure d’appel est une procédure piégeuse. Les voies de recours en droit de l’arbitrage n’échappent pas aux excès de formalisme qui ont été constatés depuis longtemps en contentieux judiciaire. C’est d’ailleurs un des constats qui a conduit le groupe de travail sur la réforme du droit français de l’arbitrage à proposer de nouveaux articles relatifs à cette procédure, afin, d’une part, d’en limiter certains excès et, d’autre part, d’en offrir une vision la plus complète possible aux praticiens du droit de l’arbitrage (Rapport préc., proposition n° 30).
Dans une première affaire, le recours a été enregistré sur le RPVA sous l’onglet « déclaration d’appel » (Paris, ord., 16 janv. 2025, Perspectives, n° 24/02660). L’objet du recours est formulé de la façon suivante : « Le recours tend à l’annulation, l’infirmation ou la réformation de la sentence arbitrale en toutes ses dispositions ». Le conseiller de la mise en état considère que ces mentions sont suffisantes. Il juge que « la formule utilisée est alternative. Elle vise aussi bien “l’annulation” de la sentence arbitrale que son “infirmation ou sa réformation”. Il n’en résulte donc aucune exclusion de l’exercice d’un recours en annulation fondé sur les dispositions des articles 1518 et 1520 du code de procédure civile et ce d’autant qu’il est indiqué que la société Geile exerce un “recours” et non un “appel” à l’encontre d’une sentence arbitrale ». Il ajoute qu’il « n’existe donc aucun doute raisonnable en l’espèce sur le fait que la société Geile ait entendu exercer un recours en annulation » et que « l’utilisation du formulaire type de la “déclaration d’appel” et l’enregistrement de l’acte sur le RPVA sous l’onglet “déclaration d’appel” correspondent donc de façon manifeste à une simple erreur matérielle qui ne saurait justifier, en droit, et sans qu’il soit porté une atteinte disproportionnée au droit à recours, le prononcé de l’irrecevabilité du recours exercé ».
Ainsi, il suffit que la déclaration d’appel, dans l’onglet réservé à la description de son objet, mentionne l’annulation de la sentence pour permettre la recevabilité du recours. L’alternativité de l’objet, alors même que la cour est dépourvue de tout pouvoir d’infirmation et de réformation de la sentence, ne suffit pas à faire échec au recours. Voilà une solution bien loin du formalisme que l’on a pu connaître il y a encore quelques mois en jurisprudence.
La solution est toute différente dans une seconde affaire EARL de la Bellevue (Paris, 25 mars 2025, n° 24/00775). La déclaration de recours précise tendre à l’infirmation de la sentence arbitrale, là où les conclusions s’articulent autour d’une demande d’annulation à titre principal et une demande d’infirmation à titre subsidiaire. Malgré la nature interne de la sentence, le recours est déclaré irrecevable. Après avoir rappelé que l’article 1489 du code de procédure civile ne prévoit l’appel qu’en présence d’une volonté des parties en ce sens, laquelle fait défaut au cas d’espèce, la cour constate que la déclaration de recours révèle la volonté d’obtenir l’infirmation de la sentence.
La contradiction entre les décisions n’est qu’apparente. Ce qui importe, c’est la déclaration de recours, indépendamment de la rédaction des conclusions. Si la première est suffisamment ambigüe (à défaut d’être claire) pour ne pas exclure le recours en annulation, alors elle peut être sauvée. En revanche, si elle ne vise que l’infirmation ou la réformation, elle est en conséquence vouée à l’échec.
Pour finir, il faut remarquer que, dans ces deux...
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