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Chronique d’arbitrage : variations autour de la compétence

La faveur à l’arbitrage d’un ordre juridique à l’arbitrage se mesure en grande partie à travers sa perception des questions de compétence. Depuis des décennies, les règles matérielles du droit de l’arbitrage international ont constitué le fer de lance de la politique jurisprudentielle française au soutien de l’efficacité de l’arbitrage. Toutefois, il ne faut pas s’y tromper : à elles seules, elles sont insuffisantes pour qualifier de favorable une législation nationale.

À l’occasion de cette nouvelle chronique, nous ferons le point sur la jurisprudence récente particulièrement fournie en matière de contrôle de la compétence. On y verra que les aspects méthodologiques sont centraux dans la rectitude de l’appréciation de la compétence. Si aucun arrêt ne se dégage, la multiplication des décisions offre l’opportunité de s’intéresser à cette question. Il convient d’ores et déjà de signaler les arrêts BZ Grains (Paris, 4 avr. 2023, n° 22/07777), Jan de Nul (Paris, 4 avr. 2023, n° 22/00408), Uruguay (Paris, 21 févr. 2023, n° 20/13899) ou encore arrêt Etrak c/ Libye (Paris, 14 mars 2023, n° 21/06118). Il faut encore ajouter les très nombreux arrêts de la Cour de cassation, là aussi en matière de compétence (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 22-14.449, Egide et Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 22-14.708, Lentilles vertes du Val de Loire), mais aussi à propos de la mission de l’arbitre (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 21-21.148, Ferrovial Agroman, D. 2023. 738 ), de l’ordre public international (Civ. 1re, 17 mai 2023, n° 21-24.106, Monster Energy), de la responsabilité de l’institution (Civ. 1re, 22 mars 2023, n° 21-16.238, Kraydon) ou encore des voies de recours contre l’ordonnance d’exequatur (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 21-50.053, Fiorilla, D. 2023. 739 ).

La compétence

Le contrôle de la compétence arbitrale est, en matière internationale, réalisé à l’aune de règles matérielles. La solution est connue de tous, pourtant elle suscite encore des interrogations originales. Néanmoins, la principale difficulté dans la période récente réside dans le périmètre du contrôle : quelles sont les questions qui relèvent de la catégorie « compétence » et peuvent, par conséquent, être contrôlées par le juge de l’annulation ? Enfin, nous dirons un bref mot de l’arbitrabilité du litige.

Les règles de référence

L’arrêt Dalico constitue de façon incontestable le cœur des règles matérielles françaises (Civ. 1re, 20 déc. 1993, n° 91-16.828, Rev. crit. DIP 1994. 663, note P. Mayer ; RTD com. 1994. 254, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin  ; Rev. arb. 1994. 116, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1994. 432, note E. Gaillard ; v. à ce sujet, J. Jourdan-Marques, Faut-il consolider Dalico ? Réflexion sur les règles matérielles relatives à la compétence arbitrale, Rev. arb. 2021. 1049). Il énonce, dans une formule qui demeure presque inchangée depuis trente ans, qu’« en vertu d’une règle matérielle du droit international de l’arbitrage, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence et que son existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique ». Sa double dimension doit être conservée à l’esprit. D’une part, l’arrêt rappelle le principe de l’indépendance de la clause compromissoire par rapport au contrat principal, que l’on doit aux décisions Gosset et Hecht. D’autre part, il pose le principe que le choix de l’arbitrage doit être examiné à l’aune de la volonté des parties. Ces deux piliers ont fini par inspirer le droit interne de l’arbitrage. D’un côté, l’article 1447 du code de procédure civile énonce que « la convention d’arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte. Elle n’est pas affectée par l’inefficacité de celui-ci ». De l’autre, l’article 2061 du code civil dispose que « la clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose ». Anciennes et solides, ces solutions continuent pourtant d’être mal comprises.

L’indépendance matérielle de la clause

L’indépendance matérielle de la clause se résume de façon simple par l’idée que la clause compromissoire est indépendante du contrat dans lequel elle figure et que la disparition de l’un n’affecte pas la survie de l’autre. La connaissance et la compréhension de cette solution constituent le b.a.-ba d’un enseignement en droit de l’arbitrage.

Pourtant, une partie des conséquences de l’indépendance matérielle de la clause est passée sous silence. Dans l’esprit commun, l’indépendance se matérialise à l’occasion de la disparition : si le contrat disparaît, ce n’est pas le cas de la clause (et vice-versa). Mais l’indépendance va plus loin. Elle signifie aussi que la formation de la clause ne dépend pas de celle du contrat (et vice-versa) : la clause peut lier les parties sans que le contrat soit formé et le contrat peut lier les parties sans que la clause s’applique. De même, la soumission d’une action à la clause ne dit rien de la nature du lien unissant les parties à l’arbitrage. Par exemple, l’extension de la clause compromissoire à une société-mère ne soumet pas automatiquement l’action au régime de la responsabilité contractuelle (sur cette question, J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, Rev. arb. 2019. 687, nos 59 s.).

Deux arrêts du 13 avril 2023 illustrent la problématique relative à la dissociation entre la formation de la clause et celle du contrat et révèlent la difficulté intellectuelle à accepter cette démarche.

Le premier est rendu à l’occasion d’une affaire Egide (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 22-14.449). Le contrat dans lequel figure la clause compromissoire est assorti de diverses conditions suspensives, dont certaines ne se sont pas réalisées. Pour la cour d’appel, la caducité du contrat touche la clause compromissoire. Il y a d’ailleurs de sérieux arguments en droit des contrats pour soutenir cette solution, en particulier quand on se rappelle que le régime issu de la réforme du droit des obligations (qui n’est pas applicable en l’espèce) prévoit à son article 1304-6, alinéa 3, du code civil qu’« en cas de défaillance de la condition suspensive, l’obligation est réputée n’avoir jamais existé ». Néanmoins, cette considération est insuffisante pour faire tomber la clause. La Cour énonce froidement que « la convention d’arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte et n’est pas affectée par la caducité de celui-ci ».

Le deuxième est rendu dans l’affaire Lentilles vertes du Val de Loire (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 22-14.708). Le tribunal arbitral s’est déclaré compétent pour connaître du litige. Les parties, qui sont en relation commerciale depuis huit ans et ont conclu treize contrats pendant la période contenant systématiquement des clauses compromissoires, se trouvent en désaccord sur la conclusion d’un nouveau contrat. Le débat, sur le fond du droit, porte sur la rencontre d’une offre et d’une acceptation. Il y a donc deux questions distinctes : celle de l’applicabilité de la clause compromissoire et celle de la formation du contrat. La rigueur doit conduire à examiner d’abord l’applicabilité de la clause, notamment au regard de la relation d’affaires existante entre les parties. Une fois la question résolue, positivement ou négativement, l’examen de la formation du contrat peut être réalisé, soit par l’arbitre (en cas de réponse positive) soit par le juge (en cas de réponse négative). Tel n’a pas été le raisonnement mené par la cour d’appel (Paris, 11 janv. 2022, n° 19/17131, Dalloz actualité, 16 mars 2023, obs. J. Jourdan-Marques). Pour trancher la question de la compétence des arbitres, elle s’intéresse à la formation du contrat. Elle annule la sentence arbitrale après avoir constaté que le contrat n’a pas été conclu. L’arrêt est cassé. Au double visa des articles 1443 et 1447 du code de procédure civile, la Cour de cassation censure la décision d’appel en retenant qu’« en faisant dépendre l’existence de la clause compromissoire de la seule formation du contrat principal litigieux sans rechercher, indépendamment de la formation de celui-ci, si la société Établissement Trescarte, qui avait exécuté antérieurement plusieurs contrats conclus par écrits entre les mêmes parties selon un modèle-type stipulant une clause compromissoire avec une référence aux règles et usages pour le commerce des légumes secs (RUEGS), n’avait pas consenti à soumettre leur différend à un tribunal arbitral ».

Ces deux décisions sont des illustrations très précieuses de la méthodologie à appliquer pour examiner le consentement à l’arbitrage. Il est indispensable de faire abstraction du contrat pour s’intéresser uniquement à la clause. Pour n’en donner qu’un exemple, il est tout à fait possible qu’à l’occasion de pourparlers, les parties ne se mettent jamais d’accord sur la chose ou sur le prix, mais ne discutent jamais l’insertion d’une clause compromissoire pour régir leur relation contractuelle. Il est alors possible de caractériser le consentement à l’arbitrage quand bien même le contrat n’a pas été formé. Pour autant, il ne faut pas en conclure que le consentement à l’arbitrage est toujours acquis. Si, par exemple, pendant toute la négociation du contrat, les parties s’opposent sur le choix du recours à l’arbitrage, la volonté des parties peut devenir difficile à caractériser. En somme, l’indépendance matérielle de la clause ne signifie pas la validité systématique de la clause. Il reste indispensable de rechercher un accord des parties sur la clause, indépendamment de la formation du contrat.

La recherche de la volonté des parties

La recherche de la volonté des parties est le passage obligé de tout examen de la compétence du tribunal arbitral. Si le plus souvent cette étape ne soulève aucune difficulté, de nombreuses situations peuvent se révéler plus délicates. La jurisprudence récente nous en offre d’intéressantes illustrations. D’une part, il n’est pas rare que le consentement à la clause soit discuté ; d’autre part, il arrive que la rédaction de la clause laisse apparaître une incertitude sur la volonté des parties. Les incertitudes sont ainsi liées tantôt à l’acceptation de la clause, tantôt à la rédaction de la clause.

Les incertitudes liées à l’acceptation de la clause

La question de l’acceptation des clauses par référence, qui a fait l’objet d’une fameuse jurisprudence Bomar Oil (Civ. 1re, 9 nov. 1993, n° 91-15.194, Rev. arb. 1994. 108, note C. Kessedjian ; JDI 1994. 690, note E. Loquin), est une question classique du droit de l’arbitrage (X. Boucobza, La clause compromissoire par référence en matière d’arbitrage international, Rev. arb. 1998. 495 ; B. Oppetit, La clause d’arbitrage par référence, Rev. arb. 1990. 551). Un arrêt Transgourmet en offre une illustration intéressante (Paris, 18 avr. 2023, n° 22/00415). La clause compromissoire figure dans le « pavé de signature » d’une partie au contrat. En l’espèce, le contrat a été proposé par courriel par une partie et accepté sans réserve dans les mêmes formes par le cocontractant. Pour la cour d’appel, cet échange suffit à « cristalliser le consentement de Transgourmet à l’offre d’arbitrage énoncée dans le courriel du 25 septembre 2018 ». Une fois de plus, cette solution révèle le libéralisme du droit français quant à la caractérisation de la volonté des parties : il faut, mais il suffit, d’une connaissance et d’une acceptation de la clause. La connaissance résulte de la mention dans l’adresse email et l’acceptation se déduit de l’absence de réserve. La vigilance est de mise pour ceux qui souhaitent échapper à l’arbitrage à l’occasion de la signature d’un contrat.

Les incertitudes liées à la rédaction de la clause

La portée de la clause ne se limite pas à l’acte qui la contient. Si la solution est classique, elle suscite un contentieux récurent de la part de parties qui cherchent à lui échapper. Dans une affaire MBI, la clause compromissoire figure dans un contrat de conseil et de consultation portant sur de la représentation juridique. Toutefois, les conditions de rémunération à propos d’une opération spécifique sont négociées à l’occasion de courriers postérieurs. La question est donc de savoir si le litige portant sur cette rémunération relève de la clause. La formulation très large de la clause compromissoire a permis au tribunal arbitral de retenir sa compétence, solution confirmée par la Cour d’appel de Paris. Le pourvoi est rejeté (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 18-11.290, MBI), la Cour retenant que la cour d’appel a exactement déduit que « le litige en cause était lié à l’inexécution, non seulement de l’accord particulier du 12 juillet 2011, mais aussi de la convention du 1er janvier 2011, qui contenait la clause compromissoire, de sorte que le tribunal arbitral était compétent ».

Cette illustration est en réalité assez simple, la clause ne présentant pas de difficulté particulière et la seule question étant en définitive de s’interroger sur sa faculté à régir l’action soumise au tribunal arbitral. En revanche, il n’est pas rare que la volonté des parties soit beaucoup moins saisissable. On se heurte alors à une limite des règles matérielles, qui laisse le juge livré à lui-même en lui interdisant de se référer aux directives du droit interne pour trancher la question de la compétence. Cette difficulté est d’ailleurs au cœur de la thèse de Monsieur Lilian Larribère, qui révèle que la neutralité prônée par la solution Dalico est artificielle et que le juge est influencé par ses solutions internes (L. Larribère, La réglementation de la convention d’arbitrage international. Étude critique et comparative en droits français et américain, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », préf. S. Bollée, 2023, nos 224 s.).

Loin de renier cette logique, mais afin de clarifier la question, la Cour d’appel de Paris vient de consacrer deux nouvelles règles matérielles, ou plutôt deux sous-règles matérielles, dans des arrêts BZ Grains (Paris, 4 avr. 2023, n° 22/07777) et Jan de Nul (Paris, 4 avr. 2023, n° 22/00408). Après avoir rappelé la règle issue de l’arrêt Dalico, la cour énonce que « la volonté réelle des parties [doit être recherchée] à la lumière :

  • du principe d’interprétation de bonne foi, qui implique de ne pas permettre à l’une d’elles de se soustraire à des engagements librement consentis, et
  • du principe de l’effet utile, selon lequel lorsque les parties insèrent une clause d’arbitrage dans leur contrat, il y a lieu de présumer que leur intention a été d’établir un mécanisme efficace pour le règlement des litiges visés par la clause compromissoire ».

Elle ajoute, dans le premier, que ces principes sont utilisables « en cas de difficulté relative à la clause compromissoire » et, dans le second, « en présence d’une clause d’arbitrage ambiguë ou imprécise ». L’effet utile et la bonne foi sont loin d’être des notions inconnues du droit de l’arbitrage. On a pu apercevoir le premier à diverses occasions, tant sur des questions de compétence (Paris, 20 oct. 2020, n° 18/07943, Flashbird, Rev. arb. 2021. 187, note P. Cavalieros ; 5 déc. 2017, n° 15/24961, Accor Afrique, Rev. arb. 2018. 624, note J. Barbet) que sur l’interprétation des règlements d’arbitrage (Paris, 26 janv. 2021, n° 19/10666, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. Doctr. 696, obs. P. Giraud). Le second se trouve utilisé au soutien du principe d’engagement des sociétés à l’arbitrage (Civ. 1re, 8 juill. 2009, n° 08-16.025, Soerni, D. 2009. 1957 , obs. X. Delpech ; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2959, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2009. 779, note F. Jault-Seseke ; Rev. arb. 2009. 529, note D. Cohen ; D. 2009. 2384, obs. L. d’Avout ; JCP 2009. I. 462, § 5, obs. J. Ortscheidt ; Cah. arb. 2010. 97, note F.-X. Train) ou encore en présence de traités d’investissement par le truchement de l’article 31 de la Convention de Vienne. Reste que, ainsi formulés et accolés, les deux principes accèdent au rang de règle matérielle, ce qui est une nouveauté. À dire vrai, on trouve un précédent improbable à cette rédaction, qui semble avoir été reprise presque mot pour mot par la cour d’appel, dans un jugement du Tribunal de commerce de Bayonne du 25 mars 2013 (n° 2012001302) ! S’il n’y a pas de décision antérieure, on pourra dire que la source de ces nouvelles règles matérielles est basque.

L’intérêt de cette consécration est double. D’une part, elle est un guide utile pour les arbitres, qui peuvent s’y référer en cas de doute sur la solution à retenir. D’autre part, elle est tout aussi utile pour le juge de l’annulation. Par exemple, dans une affaire récente, la solution de la cour d’appel a pu être critiquée pour son appréciation très restrictive de la volonté des parties qui l’a conduit à écarter la compétence arbitrale en privant la clause de tout effet utile (Paris, 7 févr. 2023, n° 20/08604, HSO 31, Dalloz actualité, 14 mars 2023, obs. J. Jourdan-Marques).

D’ailleurs, l’examen des circonstances d’espèce dans les arrêts Jan de Nul et BZ Grains est très révélatrice du fait que la consécration de ces sous-règles matérielles n’est pas simplement esthétique. Dans le premier, la clause compromissoire vise la « Chambre Internationale de Commerce ». Or, comme le constate la cour, « aucune institution connue ne port[e] cette dénomination précise ». L’obstacle est néanmoins facilement surmonté. La cour énonce que « la détermination du lieu de l’arbitrage à Paris, siège de ladite chambre, confirme le choix des parties en faveur de l’application de ce règlement, la seule interversion des termes “commerce” et “international” dans son intitulé, qui procède d’une maladresse rédactionnelle, n’étant pas de nature à remettre en cause leur volonté manifeste de placer la procédure arbitrale sous l’égide de ce règlement ». La référence au siège de l’arbitrage est assez maladroite et est déconnectée du choix de l’institution. Pour le reste, la motivation est convaincante. La volonté des parties de se soumettre à l’arbitrage et, plus précisément, à un arbitrage institutionnel est manifeste. Dès lors, tant le principe de bonne foi que celui de l’effet utile invitent à restituer à corriger la maladresse rédactionnelle des parties et à confirmer le choix d’un arbitrage régi par la Chambre de commerce internationale.

Le raisonnement retenu dans l’arrêt BZ Grains est encore plus marquant. Le contrat conclu entre les parties renvoie aux conditions Incograin 13 et aux conditions Synacompex 2000, qui contiennent chacune une clause compromissoire distincte, renvoyant à des institutions concurrentes. Pour le demandeur à l’annulation, cette contrariété annihile la volonté des parties de recourir à l’arbitrage. La réponse est très ferme : l’inclusion de deux clauses, quand bien même elles sont contradictoires, « ne peut que confirmer la volonté des parties de soumettre leurs litiges à l’arbitrage ». Autrement dit, on ne se focalise pas sur la contradiction, mais bien au contraire sur les points communs. Or si deux clauses prévoient le recours à l’arbitrage, personne ne peut affirmer que la volonté des parties est de ne pas y recourir, quand bien même les modalités de ce choix peuvent se contredire. En conséquence, « la volonté de soumettre les litiges à un arbitrage est dès lors établie ».

Reste à concilier les deux clauses et à privilégier l’une sur l’autre. C’est ce que fait la cour, en soulignant qu’« il résulte clairement de la mention dans le contrat des deux conditions “Incograin 13” et “Synacomex 2000” que les deux clauses sont séparées par un tiret et qu’il ne peut en être tiré qu’elles seraient cumulatives, l’effet utile attaché à de telles clauses justifiant au contraire de considérer que les parties sont convenues de les rattacher à la nature du litige, selon qu’il relève de la filière céréale ou du transport maritime, une telle appréciation ne pouvant être déterminée à l’avance, mais résultant du pouvoir de l’arbitre, en application du principe compétence-compétence, d’apprécier sa compétence au regard de la nature du litige ». C’est donc par le champ d’application matériel des clauses que la difficulté est résolue. Elle en conclut « qu’en dépit de l’ambiguïté créée par le fait que les conditions du contrat contiennent par incorporation deux clauses compromissoires renvoyant chacune à des institutions arbitrales différentes, cela ne constitue pas pour autant une situation “pathologique” ».

Mais là n’est pas le plus intéressant. S’il y a une discussion sur le champ d’application matériel d’une clause, le juge de l’annulation doit vérifier si l’action entre bien dans ce champ. Il n’y a pas lieu de retenir une solution différente en présence de deux clauses au champ d’application distinct. Dès lors, la cour doit s’assurer que le litige soumis à l’arbitre relève de la clause mise en œuvre. Ce n’est pourtant pas du tout l’attitude observée. La cour estime que « le juge de l’annulation n’étant pas le juge de la révision de la sentence, il ne lui appartient pas d’infirmer ou de confirmer les motifs de la sentence sur l’appréciation qu’a faite le tribunal arbitral de la nature du litige ». À notre estime, c’est une erreur, mais une erreur inspirante. En effet, l’appréciation de la nature du litige, lorsqu’elle est déterminante de la compétence du tribunal arbitral, relève bien du juge de l’annulation. Cette qualification de l’action au stade de la compétence n’est pas identique à celle qui sera réalisée en aval pour trancher le fond du litige (sur cette question, J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, préc., nos 59 s.). Cette dissociation des qualifications est une conséquence de l’indépendance de la clause compromissoire (sur le sujet, v. supra). Or si la qualification substantielle échappe au juge de l’annulation, la qualification sur la compétence entre bien dans ses prérogatives. Ceci étant, rien n’interdit de laisser, sur cette question, une marge de manœuvre à l’arbitre. C’est en cela que l’arrêt peut devenir source d’inspiration. En faisant le choix de confier à l’arbitre une sorte d’appréciation souveraine sur la qualification des faits, le juge de l’annulation passe d’une analyse « en droit et en fait » à une analyse exclusivement « en droit ». À tout dire, c’est une analyse qui ne nous déplaît pas forcément. Reste à savoir si elle n’est pas le fruit d’une erreur et si elle survivra à un éventuel pourvoi.

Le périmètre du contrôle

Si la question des règles applicables pour réaliser le contrôle est importante, une autre question l’est au moins tout autant : il s’agit de savoir quel est le périmètre du contrôle. Autrement dit, qu’est-ce que le juge examine quand il contrôle la compétence de l’arbitre ? Plus le périmètre est large, plus le juge étatique empiète sur les prérogatives de l’arbitre et plus son contrôle s’apparente à une révision au fond. A l’inverse, plus le périmètre est restreint, moins les parties bénéficient d’un contrôle étatique a posteriori. La tendance actuelle est à la restriction de ce périmètre, tant en matière commerciale qu’en matière d’investissement. C’est une dynamique heureuse, qu’il convient d’accompagner. Reste que les questions soulevées sont très complexes, tant en matière commerciale qu’en matière d’investissement.

Le périmètre du contrôle en matière d’arbitrage commercial

Le périmètre du contrôle de la compétence en matière d’arbitrage commercial est stabilisé et se réduit à trois principales questions : le litige est-il arbitrable ? La convention d’arbitrage est-elle valable ? Le litige entre-t-il dans le champ d’application de la convention d’arbitrage ? Pourtant, on trouve encore de nombreuses tentatives – sans doute un peu désespérées – d’obtenir un élargissement de ce périmètre en faisant passer pour de la compétence des questions qui n’en sont pas.

C’est d’abord la distinction entre compétence et recevabilité qui se trouve régulièrement au cœur de la discussion. Il est d’ailleurs vrai qu’il n’est pas toujours évident de dissocier les deux et on connaît les débats qui peuvent exister à travers le monde autour de cette question. En cette matière, les prérogatives du juge français sont réduites au minimum et se résument à la question de savoir si les parties ont entendu soumettre la résolution de leur litige à un arbitre. Dès lors, la question...

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