Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Chronique de droit des entreprises en difficulté du 4e trimestre 2024

Après avoir présenté quelques statistiques en matière de défaillance d’entreprises, cet article dresse le panorama des arrêts les plus importants rendus par la Cour de cassation en droit des entreprises en difficulté au cours de la fin de l’année 2024. Le volet sanctions occupe une place de choix.

par Georges Teboul, Avocat AMCOle 29 janvier 2025

Quelques statistiques

Les chiffres du troisième trimestre 2024 sont connus et nous pouvons avoir une vision plus complète à présent. Nous avons déjà signalé que 63 741 défaillances avaient été enregistrées sur douze mois au 30 septembre 2024, selon la Banque de France, dont 1 151 sauvegardes, 14 047 redressements judiciaires. La tendance à l’augmentation déjà constatée est confirmée pour l’année 2024, soit environ 63 000 défaillances sur un an. Il faut cependant relever que 94 % des défaillances concernent des entreprises de moins de 10 salariés et 68 % des procédures sont des liquidations judiciaires directes. Depuis octobre 2021, il n’y a eu que 200 procédures de sortie de crise, mais les praticiens considèrent cependant que cet outil reste utile.

Rappelons, en ce qui concerne les prêts garantis par l’État (PGE), que plus de 800 000 ont été accordés pour un total d’environ 150 milliards d’euros jusqu’à juin 2022. La dernière échéance de remboursement devrait arriver en 2026 avec un taux de non-remboursement assez faible. Fin 2024, deux tiers des PGE devraient être remboursés. Il n’y a eu que 4 % d’entreprises qui ont rencontré des difficultés pour rembourser leur PGE, soit environ 30 000 entreprises, mais seulement 1 100 entreprises ont fait appel au médiateur du crédit pour une restructuration.

Pour ce qui est, enfin, des délais de paiement, le délai moyen de treize jours de retard a été enregistré au premier semestre 2024 selon le cabinet Altarès. Moins d’une entreprise sur deux paye ses fournisseurs dans le délai prévu. L’Espagne, l’Italie et le Portugal payent encore plus tard. Ces retards de paiement seraient responsables d’environ 25 % des défaillances des entreprises (M. Di Martino, note n° 179 du 29 oct. 2024, qui fait une bonne synthèse ; v. aussi, Veille permanente, 22 oct. 2024, qui pointe une augmentation des procédures collectives en hausse de 35 % entre 2022 et 2023).

La conciliation

La Cour de cassation a rendu un arrêt intéressant en matière de prévention : le débiteur est dispensé de déclarer son état de cessation des paiements pendant le cours de la conciliation, tant que la procédure existe. Mais lorsqu’elle est terminée, cette obligation reprend sa vigueur (Com. 20 nov. 2024, n° 23-12.297 FS-B, Dalloz actualité, 5 déc. 2024, obs. P. Cagnoli ; D. 2024. 2004 ; RCJPP 2024, n° 06, p. 47, chron. P. Roussel Galle et F. Reille ; RTD com. 2024. 997, obs. F. Macorig-Venier ). Selon le commentateur précité, la logique du raisonnement de la Cour de cassation semble « imparable » en référence à l’article L. 611-4 du code de commerce. Il considère que l’obligation de déclarer cet état formulée par l’article L. 631-4 n’existe qu’autant que le débiteur n’a pas, dans le délai de quarante-cinq jours, sollicité une conciliation. En l’espèce, l’état de cessation des paiements est intervenu pendant la conciliation. La Cour de cassation considère que le bilan doit être déposé sans délai si l’état de cessation des paiements est intervenu pendant la conciliation. Là encore, le choix de cette expression semble bienvenu à ce commentateur éminent.

Cependant, il importe de nuancer cette analyse en regard des considérations de la pratique. Plusieurs points doivent être à cet égard rappelés :

  • en premier lieu, la demande usuelle du conciliateur consiste à demander un stand still aux créanciers concernés, c’est-à-dire une suspension d’exigibilité pendant la durée de la conciliation. Cette formalité n’est pas anodine et elle permet de préserver un climat de sérénité indispensable à la négociation. Cela pourrait contredire la règle de principe fixée par l’arrêt, en réalité, il s’agit d’une commodité souhaitable ;
  • en outre, il importe que la demande de délai formulée contre le créancier récalcitrant soit faite pendant la durée de la conciliation pour favoriser la négociation et l’obtention d’un accord avec les autres créanciers. Là encore, il s’agit de traiter la question de la cessation des paiements pendant la conciliation et non à son issue. En effet, après l’échec de la conciliation, cette demande de délai ne pourra être évidemment traitée dans les mêmes conditions ;
  • enfin, il faut rappeler que dès qu’il constate l’échec de la négociation, le conciliateur doit demander qu’il soit mis fin à sa mission et le dirigeant doit assumer sa responsabilité car, dès lors, il doit déclarer son état de cessation des paiements. Pourrait-on considérer qu’il dispose d’un nouveau délai de quarante-cinq jours après la fin de la conciliation ? Cela pourrait être logique et pratique pour préparer ce dépôt de bilan. La Cour de cassation semble imposer un dépôt de bilan immédiat mais chacun sait qu’un dépôt de bilan doit être préparé pour éviter une casse supplémentaire. Cette question doit donc rester ouverte et sans recourir à Raymond Devos ou à Fernand Reynaud, la question de l’immédiateté reste posée. On peut cependant imaginer qu’il existe un laps de temps entre l’échec de la conciliation et la date du rapport du conciliateur. Après ce rapport, le président rend une ordonnance mettant fin à la mission du conciliateur et c’est dès lors, que l’obligation de dépôt de bilan prend son plein effet.

Il convient en outre de souligner que lorsqu’un stand still est accordé pendant la durée de la procédure, on peut imaginer qu’il existe un espoir d’accord pendant la durée de la conciliation qui a été ouverte. La question se pose cependant sur le mois supplémentaire qui peut être demandé par le conciliateur. Si l’échec de la conciliation est patent et indiscutable, ce mois supplémentaire ne sera pas demandé et la fin de la mission aura donc lieu à l’issue de la période initialement accordée.

Le dirigeant n’a de toute façon pas intérêt à trop attendre, car le temps d’inaction dégrade l’entreprise et accroît sa responsabilité personnelle, notamment lorsqu’il faudra apprécier le montant de l’aggravation du passif entre la date de cessation des paiements et l’ouverture de la procédure collective. Une obligation de célérité relève donc ici du bon sens.

Les créances

La procédure d’admission des créances. Une nouvelle décision fait le point sur les conséquences procédurales de l’ouverture d’une procédure collective (Com. 2 oct. 2024, n° 23-18.665 F-B, Dalloz actualité, 13 nov. 2024, obs. R. Laffly ; RCJPP 2024, n° 06, p. 20, obs. C. Simon ; Veille permanente, 29 oct. 2024, note J.-P. Rémery). Il faut rappeler que dans une instance en cours qui tend à une condamnation à payer une somme d’argent, le mandataire judiciaire doit être mis en cause pour que la reprise d’instance soit régulière. Il doit aussi être intimé en cas d’appel du créancier. À défaut, l’appel est irrecevable.

En l’espèce, c’est la société débitrice in bonis qui avait introduit l’instance en paiement et le défendeur avait formulé une demande reconventionnelle qui avait fait l’objet d’une déclaration de créance après l’ouverture de la procédure. En appel, le défendeur prétendument créancier, avait relevé appel de la décision ayant rejeté sa demande de fixation au passif de sa créance. La Cour de cassation a approuvé l’arrêt d’appel qui a déclaré sa demande irrecevable.

La note – intéressante – de Jean-Pierre Rémery sur cet arrêt fait le point sur la procédure de vérification du passif en présence d’une instance en cours, en citant notamment les articles L. 622-22 et R. 622-20 du code de commerce. Elle fait aussi le point sur la notion de l’indivisibilité de l’appel en matière de vérification du passif, le débiteur ayant le droit propre de discuter son passif, le créancier et le mandataire judiciaire ayant intérêt à suivre la procédure. L’idée est, en effet, que le passif doit être fixé sans contestation à l’égard de tous, ce qui suppose que la décision soit opposable à tous. Les parties concernées doivent donc être mises en cause. En outre, même après l’adoption du plan, le mandataire judiciaire doit être présent ès-qualités.

La contestation sérieuse d’une créance. Nous savons qu’en application de l’article R. 624-5 du code de commerce, le juge-commissaire qui constate l’existence d’une contestation sérieuse sur une créance invite la personne intéressée à saisir la juridiction compétente dans un délai d’un mois à compter de la notification ou de la réception de l’avis délivré, à peine de forclusion, sauf en cas d’appel, si cette voie de recours est ouverte.

La Cour de cassation a jugé qu’en cas de confirmation de l’ordonnance qui a invité l’une des parties à saisir la juridiction compétente, le délai d’un mois court à compter de la notification de l’arrêt. Le délai a donc couru deux fois et c’est le second délai qui est le bon (Com. 23 oct. 2024, n° 23-17.962 F-B, Dalloz actualité, 13 nov. 2024, obs. B. Ferrari ; D. 2024. 1861 ). Le commentateur indique qu’il est tiraillé entre deux visions opposées, considérant que l’arrêt de la Cour de cassation est pragmatique mais que le procédé utilisé lui paraît dangereux. Il considère que l’appel pourrait être utilisé ainsi à des fins dilatoires pour échapper au couperet de la forclusion du mois.

Cependant, dès lors que la Cour a fixé un nouveau délai d’un mois, la solution apparaît bien pragmatique. Il pourrait être envisagé que les cours d’appel, dans le dispositif de leurs arrêts, désignent quelle partie doit saisir le juge de la contestation sérieuse et sous quels délais à peine de la forclusion d’un mois, courant à compter de la signification du jugement. Ne serait-il pas temps de revoir le texte pour éviter une acrobatie ? Nous rejoignons donc l’avis de Benjamin Ferrari.

Cautionnement et procédure collective

Les effets d’une liquidation judiciaire sur la caution. En l’espèce, après la liquidation d’une société, la caution qui avait exécuté son engagement lors de la mise en redressement judiciaire a assigné en paiement les sous-cautions. Il a été considéré que la déclaration de créance à la procédure collective effectuée par la caution avait interrompu la prescription de son action contre la sous-caution jusqu’à la clôture de la procédure collective.

La cour d’appel avait déclaré l’action prescrite en relevant que plus de cinq ans s’étaient écoulés depuis le paiement par la caution auprès de la banque créancière. Or, il fallait tenir compte des causes d’interruption de la...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :