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Chronique de droit des entreprises en difficulté : vers une nouvelle directive d’harmonisation et d’uniformisation du droit de l’insolvabilité

Après avoir présenté les dernières réglementations susceptibles d’avoir des incidences sur le droit des entreprises en difficulté, quelques statistiques récentes en matière de procédures collectives, la future directive en préparation du droit de l’insolvabilité, puis les recommandations de l’IFPPC sur l’entrepreneur individuel en difficulté, cet article dresse le panorama des arrêts les plus importants rendus par la Cour de cassation en droit des entreprises en difficulté au cours de ces dernières semaines.

par Georges Teboul, Avocat AMCOle 13 février 2023

Les dernières réglementations

Le droit de gage des organismes de sécurité sociale sur les patrimoines professionnels et personnels des entrepreneurs individuels

Les dettes de l’entrepreneur ont un caractère professionnel à l’égard des organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales (C. com., art. L. 526-22) et en principe ces organismes ne peuvent donc poursuivre le recouvrement que sur le patrimoine professionnel. Cependant, ce droit de gage peut être étendu au patrimoine personnel si des manœuvres frauduleuses ou une inobservation grave et répétée des prescriptions légales sont reprochées alignant ainsi ce dispositif sur la matière fiscale (CSS, art. L. 133-4-7).

Les seuils ont été précisés par un récent décret (décr. n° 2022-1618, 22 déc. 2022, JO 24 déc.). Ces manœuvres et inobservations doivent avoir été constatées soit : au moins deux des quatre dernières échéances semestrielles ; au moins deux des huit dernières échéances trimestrielles ; au moins six des vingt-quatre dernières échéances mensuelles. Il n’est pas tenu compte des échéances couvertes par un plan d’apurement ou un échéancier de paiement conclu et respecté depuis plus de trois mois.

Lorsqu’un plan d’apurement ou un échéancier a été conclu, un seuil d’au moins quatre échéances de paiement est prévu. Le décret prévoit aussi les conséquences du non-respect des échéances et des conditions de dépôt des déclarations.

La prolongation des prêts garantis par l’État (PGE)

Le feuilleton des PGE se poursuit avec une nouvelle prolongation jusqu’au 31 décembre 2023 en application de la loi de finances rectificative pour 2022 (L. n° 2022-1726 du 30 déc. 2022, JO 31 déc., art. 147). Le plan de résilience économique et social concerne la trésorerie des entreprises affectée par le conflit en Ukraine pour les entreprises fortement pénalisées par ce conflit, le PGE « résilient » couvrant jusqu’à 15 % du chiffre d’affaires annuel moyen des trois dernières années. En application de ce dispositif, a donc été décalée la date limite pour contracter de nouveaux PGE.

Les statistiques à fin 2022

Statistiques du tribunal de commerce de Paris

À l’occasion de la rentrée solennelle du tribunal de commerce de Paris, le président Netter a donné des chiffres intéressants. Le nombre de procédures collectives a évidemment diminué entre 2019 et 2020 mais il remonte en 2022. Ainsi, 3 557 procédures collectives avaient été ouvertes en 2017, 3 442 en 2018, 3 355 en 2019 avec une baisse notable à 2 455 procédures en 2020 puis 2 076 procédures en 2021. En 2022, 2 809 procédures collectives ont été ouvertes à Paris. S’agissant des ordonnances de juges-commissaires, qui ont atteint un nombre de 26 184 en 2017, elles ont diminué en 2020 à 17 362 ordonnances, puis à 14 436 ordonnances en 2022. Pour les procédures collectives, un nombre infime de recours a été enregistré, soit 0,8 % en 2019 avec un taux d’infirmation de 0,3 %. Ce taux est resté négligeable en 2022, soit 1,5 % de recours et 1 % d’infirmation.

En ce qui concerne la prévention, elles ont représenté un total de 260 procédures en 2015 puis 303 en 2016, 276 en 2017, 249 en 2018 et 281 en 2019. Puis en 2021, on passe à 313 procédures de prévention et 404 en 2022. En 2022, 38 410 salariés ont été concernés et un total de passif de 3 654 millions a été traité en 2022. En 2022, il y a eu 129 mandats ad hoc et 275 conciliations.

Sur les procédures collectives, 70 sauvegardes ont été ouvertes en 2022 (contre 44 en 2020 et 40 en 2021). 337 redressements judiciaires ont été ouverts en 2022 au lieu de 398 en 2019 avant la crise. Le nombre était tombé à 197 en 2021. Les liquidations judiciaires représentent un total de 2 402 procédures en 2022 au lieu de 2 913 procédures en 2019 et 1 843 procédures en 2021.

En 2022, 529 502 entreprises ont été inscrites au registre du commerce et il y a eu 31 120 inscriptions de privilèges, nantissements et publicités. Les privilèges du Trésor public ont chuté, passant à 873 inscriptions en 2022 au lieu de 2 321 en 2019. Les privilèges de la Sécurité sociale inscrits en 2022 s’élèvent à 953, au lieu de 23 325 en 2019 et 34 770 en 2018.

Statistiques de l’Observatoire consulaire des entreprises en difficulté

L’Observatoire consulaire des entreprises en difficulté a revu les chiffres établis au 1er décembre 2022. Sur une période d’un an, la progression du nombre de procédures collectives a été de 46 % en France et de 32 % pour l’Île-de-France sur la même période. Cependant, en Île-de-France et au 1er décembre 2022, le niveau est resté de 25 % inférieur à celui de fin 2019. En Île-de-France, on constate un rebond du nombre des procédures amiables et judiciaires, sans atteindre le niveau de 2019. Tout ceci s’explique par le contexte de la crise énergétique, de reprise de l’inflation et de la persistance de la crise covid.

La directive européenne en cours de préparation

Nous savons que, dans le prolongement de la dernière directive sur l’insolvabilité, à savoir la directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019, qui a fait l’objet d’une transposition en France par l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, notre droit a été modifié, essentiellement pour les grandes entreprises. Cela, par la création d’un nouveau mode d’organisation des créanciers et des détenteurs de capital en classes « de parties affectées » appelées à voter sur le projet de plan de restructuration et sur la possibilité pour le tribunal d’arrêter un plan en dépit du vote négatif d’une ou plusieurs classes, en respectant certains critères.

En outre, les dispositions de détection et de prévention des difficultés ont été renforcées en favorisant le droit à une seconde chance des entrepreneurs individuels. Les droits des créanciers titulaires de sûretés en cas d’ouverture d’une procédure préventive ou collective ont été modifiés. Le privilège de sauvegarde et de redressement judiciaire a été pérennisé, cette ordonnance étant entrée en vigueur le 1er octobre 2021 sans être pourtant applicable aux procédures en cours.

Le 7 décembre 2022, une nouvelle proposition de directive n° 3 a été dévoilée en poursuivant le travail d’harmonisation et d’uniformisation du droit de l’insolvabilité des états membres.

Trois axes ont été tracés : favoriser la récupération des créances, garantir l’efficacité des procédures d’insolvabilité ainsi qu’une répartition prévisible et équitable de la valeur. On voit ici que la notion de préservation de l’entreprise n’apparaît pas prioritaire, ce qui peut paraître curieux en période de crise, et cela après les nombreux efforts qui ont été déployés par le gouvernement pour protéger notre tissu économique « quoi qu’il en coûte »…

Le droit communautaire revient ici sur une vieille antienne qui consiste à favoriser le créancier et à lui permettre de récupérer le mieux possible ses créances, l’intérêt de l’entreprise étant, semble-t-il, considéré comme secondaire. On constate donc une divergence d’appréciation par rapport à notre droit positif, pourtant satisfaisant. Prenons-en plusieurs exemples.

Si des préférences ont été accordées à un créancier, la nullité pourrait être demandée si l’acte a été conclu dans un délai de trois mois à partir de la demande d’ouverture ou après le dépôt de la demande d’ouverture. Nous savons qu’en l’état, les nullités de la période suspecte peuvent concerner des actes commis pendant cette période qui peut remonter jusqu’à dix-huit mois avant l’ouverture de la procédure. Il semble que les dispositions nationales plus sévères pourront s’appliquer. Cependant, cette proposition a l’inconvénient de dissocier le point de départ de la période suspecte de l’état de cessation des paiements du débiteur, ce qui correspondrait à un objectif de « lisibilité et de sécurité juridique ». Or le fait de soutenir que la période suspecte est justement connectée à la date de cessation des paiements présente l’avantage de paraître plus lisible.

Il serait en outre prévu que la connaissance par le créancier du fait que le débiteur n’aurait pas été en mesure de payer ses dettes serait présumée lorsque les personnes ont été liées au débiteur. Ces solutions sont bien connues du droit positif français et il ne devrait pas y avoir de difficulté car la connaissance d’un état de cessation des paiements fait justement partie des critères qui sont actuellement appliqués.

En ce qui concerne les actes conclus sans contrepartie, la nullité pourrait être demandée dans un délai d’un an avant l’introduction de la demande d’ouverture. Là encore, le régime des nullités de la période suspecte pour les actes à titre gratuit existe déjà dans notre droit positif mais sans cette limitation de délai. Il conviendra donc d’harmoniser. Il est vrai qu’il ne faut pas maintenir une période trop longue d’incertitude, ce qui crée une insécurité juridique.

Au titre des actes préjudiciables commis intentionnellement au détriment des créanciers, notre arsenal juridique français permet de réprimer ce type d’acte. Il serait prévu de demander leur nullité pour une période allant jusqu’à quatre ans avant la demande d’ouverture de la procédure, ce qui paraît beaucoup trop long et constitue à l’évidence une cause d’insécurité juridique. Il existe, en effet, d’autres outils qui permettent de remettre en cause ce type d’actes et il ne serait pas normal qu’un délai plus long que celui de la prescription pénale soit...

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