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Chronique de droit des entreprises en difficultés : printemps 2024

Cet article dresse un panorama des principaux évènements du printemps 2024 en droit des entreprises en difficulté. Il présente essentiellement les jurisprudences les plus significatives rendues ces derniers mois, notamment en matière de sanctions et d’AGS.

par Georges Teboul, Avocat AMCOle 20 juin 2024

Généralités

La procédure de sortie de crise

Nous avons évoqué la prolongation de ce dispositif de sortie de crise lors de notre dernière revue d’actualité du 23 avril 2024. Nous signalons sur ce point un article de fond du substitut général Stephen Almaseanu, qui se trouvait au Tribunal de commerce de Paris jusqu’à une période récente. Il a fait le bilan de l’activité de ce tribunal depuis la loi du 31 mai 2021 en signalant que quarante-cinq demandes ont été déposées sur la période d’octobre 2021 à juin 2023, neuf demandes n’ayant pas eu d’issue favorable. Il cite aussi les cas où le tribunal a ouvert une procédure qui n’a pu aller à son terme et il évoque le fait que six échecs de ce type ont eu lieu sur les trente-six procédures qui ont été ouvertes sur la période concernée.

Il évoque aussi le nombre de salariés par entreprises concernées et il a tiré les enseignements de cette première période d’application en indiquant que les législateurs feraient bien de pérenniser cette procédure de redressement simplifiée. Nous partageons cette analyse car la diversité des outils disponibles est un atout important pour le praticien et pour les entreprises qui sont concernées (S. Almaseanu, Procédures de traitement de sortie de crise : bilan parisien avant l’acte 2, RPC nov.-déc. 2023, p. 12).

Les dispositions intéressant les syndicats de copropriété

Signalons d’abord la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 qui prévoit en son article 17 l’insaisissabilité des fonds déposés à la Caisse des dépôts et consignation par l’administrateur provisoire d’une copropriété. Il faut, en effet, rappeler que les copropriétés en difficulté bénéficient d’aides et de subventions versées aux administrateurs provisoires et cette insaisissabilité est donc logique. Cette mesure s’applique aux procédures d’exécution engagées après l’entrée en vigueur de la loi.

D’autres dispositions de cette loi intéressent les copropriétés en difficulté. Ainsi, l’article 18 prévoit un nouveau cas d’ouverture d’une procédure d’alerte permettant de désigner un mandataire ad hoc, à savoir le défaut d’approbation des comptes de la copropriété depuis au moins deux ans.

Signalons enfin que l’article 20 de la loi prévoit la mise en place d’un agrément des syndics dits « d’intérêt collectif ou d’intérêt général » qui assisteront les mandataires ad hoc ou les administrateurs judiciaires dans leur mission pour les copropriétés en difficulté (sur l’ensemble de ces dispositions, v. A. Fontin, Veille permanente, 11 et 18 avr. 2024).

Les conséquences de l’échec du dirigeant

Depuis plusieurs années, les textes évoquent la nécessité de favoriser le rebond d’un dirigeant qui n’est ni malhonnête ni incompétent. Un groupe de travail a été créé sous l’égide de Me Hélène Bourbouloux pour formuler des recommandations d’ordre culturel et sociologique pour dédramatiser le regard de la société sur l’échec et des propositions plus techniques pour favoriser le rebond (Minefi, communiqué n° 1794, 23 avr. 2024 ; JCP E, 2 mai 2024, n° 18). Les recommandations devaient être adressées à la Chancellerie avant le 16 juin prochain. Cette initiative est bienvenue. Soulignons à cet égard que depuis César Birotteau, la « faillite » n’est plus une honte et de nombreux dirigeants l’ont démontré en menant des affaires au succès après avoir rencontré des échecs. Le regard que pose notre société sur eux est en général celui de l’oubli des échecs car nous vivons une époque où la mémoire fait défaut. L’image d’opprobre n’est donc plus attachée à celle de l’échec d’un dirigeant. Chacun sait à présent qu’il existe de nombreuses causes des difficultés, des crises économiques, la conjoncture et que le dirigeant peut échouer sans avoir commis aucune faute.

En revanche et sur un plan technique, le rebond est plus difficile à cause de la notation Banque de France qui est affectée par l’échec même si des progrès ont été faits à cet égard. Les banques restent frileuses devant le dirigeant qui a échoué mais il lui est possible de plaider sa cause. Les fournisseurs et les clients échaudés rechigneront à une nouvelle expérience, ce qui est logique. En pratique, le dirigeant doit savoir se faire oublier ou s’orienter vers d’autres activités. Il faut donc faciliter la formation et le reclassement dans des activités nouvelles. De nombreuses initiatives ont été prises à cet égard, notamment par les chambres de commerce mais celles-ci doivent être encore encouragées.

La prise de risque s’accompagne en général par la demande de nombreuses garanties pour les banques. Il sera bien difficile de contourner cet obstacle culturel qui reste encore très fort chez nous. L’évolution montre cependant une pente plutôt favorable. Gageons que ce groupe de travail formulera des idées intéressantes et utiles.

Le sort des créances

La créance déclarée par le débiteur

Un arrêt important est intervenu sur le sujet irritant de la créance déclarée par le débiteur pour le compte de son créancier, idée qui n’en finit plus de créer des difficultés (Com. 27 mars 2024, n° 22-21.016 FS-B, Dalloz actualité, 5 avr. 2024, obs. B. Ferrari ; D. 2024. 637 ; ibid. 1154, chron. C. Bellino, T. Boutié et C. Lefeuvre ; Rev. sociétés 2024. 404, obs. F. Reille ). En l’espèce, le débiteur avait omis une créance sur la liste remise au mandataire dans le délai légal. Cependant, il en avait tenu informé le liquidateur dans le délai de déclaration de créance. Considérant que cette somme était inférieure au montant de sa créance, le créancier a demandé un relevé de forclusion pour déclarer le montant supplémentaire. Rappelons que l’article L. 622-24, alinéa 3, du code de commerce a instauré une présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier. Le débiteur est, en effet, tenu, dans sa déclaration de cessation des paiements, de déclarer d’une manière détaillée son passif et de fournir une liste de ses dettes à son mandataire judiciaire.

S’il n’est pas étonnant que le débiteur déclare le montant de ses dettes, la conséquence de la présomption de déclaration pour compte du créancier est curieuse et n’en finit plus de susciter des questions. Cela pose notamment la question des pièces justificatives qu’il convient de joindre à une déclaration de créance, ce que ne fait évidemment pas le débiteur … En l’espèce, une sauvegarde avait été ouverte et le créancier avait estimé que le montant déclaré par le débiteur était insuffisant, ce qui avait motivé sa requête en relevé de forclusion, ce dont il a été débouté en première instance.

La cour d’appel a considéré que le créancier n’avait pas mentionné la créance dans la liste transmise dans le délai de huit jours prévu par l’article R. 622-55 du code de commerce. En outre, les juges d’appel ont considéré que la liste complémentaire transmise par le débiteur avait été transmise plus de deux mois après le jugement d’ouverture, de sorte que le relevé de forclusion était permis au créancier… Cet arrêt d’appel a été cassé car le débiteur soutenait qu’il avait bien accompli cette déclaration de créance dans le délai requis, par sa liste complémentaire qui avait bien été adressée moins de deux mois après la date de publication du jugement d’ouverture. Cette solution paraît logique. De surcroît, le créancier devait démontrer que la défaillance n’est pas due à son fait. Il n’avait pu en justifier.

Il fallait, en effet, se référer à la lettre de l’article L. 622-24 et considérer que le débiteur avait bien porté cette créance à la connaissance du mandataire judiciaire et cela dans le délai prévu pour la déclaration de créance. De surcroît, le créancier n’avait pas réagi dans le délai légal. Selon Benjamin Ferrari (obs. préc.), la solution pour le créancier consisterait à pouvoir déclarer sa créance si le plan est résolu avec l’ouverture d’une nouvelle procédure (Com. 30 janv. 2019, n° 17-31.060 F-P+B, Dalloz actualité, 7 mars 2019 obs. X. Delpech ; D. 2019. 253 ; Rev. sociétés 2019. 214, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2019. 482, obs. A. Martin-Serf ; ibid. 499, obs. H. Poujade ). Il faut tout de même relever que ce mécanisme est bien curieux car chacun devrait en principe faire son travail et assumer les conséquences de ses abstentions : le débiteur doit porter son passif à la connaissance du tribunal d’une manière sincère et conforme à sa comptabilité qui doit être régulière et complète ; de son côté, le créancier doit déclarer sa créance accompagnée des pièces justificatives dans le délai requis. Cette confusion des genres n’en finit plus de provoquer des difficultés et il serait bon que le législateur puisse enfin s’en aviser.

La contestation des créances

Une décision récente a tracé la frontière entre les pouvoirs du juge-commissaire et celui du juge compétent pour trancher le fond d’une contestation (Com. 6 mars 2024, n° 22-22.939 F-B, Dalloz actualité, 14 mars 2024, obs. B. Ferrari ; Rev. sociétés 2024. 407, obs. L. Caroline Henry ; RCJPP 2024. 52, chron. P. Roussel Galle et F. Reille ; Gaz. Pal. 19 mars 2024, p. 30). En l’espèce, le juge-commissaire avait constaté une contestation sérieuse et avait sursis à statuer sur le sort de la créance. La cour d’appel aurait dû se borner à statuer sur la contestation concernant la prescription de la créance. S’il n’y a pas d’instance en cours, le juge-commissaire peut décider seul de l’admission ou du rejet des créances déclarées. Cependant, si le juge-commissaire s’est déclaré incompétent, le juge compétent régulièrement saisi doit se limiter à l’examen de cette contestation.

Les pouvoirs du juge-commissaire ont fait l’objet d’une abondante jurisprudence (v. not., Com. 12 avr. 2005, n° 03-17.207, sur les limites de son pouvoir ; v. aussi, Com. 9 juin 2022 n° 20-22.650, Dalloz actualité, 29 juin 2022, obs. B. Ferrari ; D. 2022. 1149 ; RTD com. 2022. 857, obs. A. Martin-Serf ; 27 oct. 2022, n° 21-15.026 F-B, Dalloz actualité, 24 nov. 2022, obs. B. Ferrari ; 4 oct. 2023, n° 22-14.040 ; v. aussi, Com. 19 déc. 2018 nos 17-5.883 et 17-26.501, Dalloz actualité, 16 janv. 2019, obs. X. Delpech).

Un commentateur de cet arrêt (B. Ferrari, obs. préc.) regrette le choix du terme « décision d’incompétence ». Or, selon lui, les décisions d’incompétence sont « définitives » et cela ne permettrait donc pas au juge-commissaire de retrouver par la suite son office pour admettre ou rejeter une créance. Nous rejoignons son avis sur le fait que cette matière est beaucoup trop complexe et qu’elle gagnerait grandement à être simplifiée. Toutefois, il faut signaler que cet arrêt est intervenu dans le cadre de l’ancienne rédaction de l’article L. 624-2 du code de commerce.

Le sort des créances postérieures

En l’espèce, des créances étaient nées après l’adoption d’un plan de redressement. Dès lors que la période d’observation avait pris fin, elles ne pouvaient être assorties du privilège de l’article L. 622-17 du code de commerce en cas d’ouverture d’une nouvelle procédure collective ouverte après la résolution du plan.

Pendant l’exécution du plan, des cessions de créances professionnelles avaient eu lieu et un cautionnement bancaire avait été consenti. La banque avait donc déclaré ses créances à titre privilégié sur le fondement de l’article L. 622-17, ce que contestait le liquidateur judiciaire sur le privilège. La Cour de cassation a rendu un arrêt de censure de l’arrêt d’appel et la banque a donc été privée de tout privilège (Com. 6 mars 2024, n° 22-23.993, F-B, Dalloz actualité, 19 mars 2024, obs. A. Cerati ; D. 2024. 476 ; v. aussi, Dalloz actualité, 4 avr. 2024, obs. M.-L. Coquelet, qui considère que l’éviction de l’article L. 622-13 et la différence de traitement entre les créanciers financiers et créanciers ordinaires se justifient, compte tenu de l’objectif de sécuriser les opérations sur les instruments financiers pour favoriser la stabilité du système financier. Le créancier financier a donc le pouvoir de se dégager unilatéralement d’une relation contractuelle dont le dénouement est compromis par l’ouverture de la procédure collective, ce qui paraît, pour la Cour de cassation, conforme à l’intérêt général ; v. Veille permanente, 2 avr. 2024, obs. M. Dizel).

La créance de l’affactureur

Des conflits surviennent fréquemment entre l’affactureur qui est subrogé dans les droits du créancier qui lui a cédé sa créance, et le propriétaire fournisseur qui bénéficie d’une clause de réserve de propriété. En l’espèce, il s’agissait d’une affaire complexe car le fournisseur était titulaire d’une créance de prix de revente de logiciels.

Il existait une mise à disposition d’une copie de logiciel par téléchargement dans le cadre d’un contrat de licence d’utilisation. Il a été jugé que cette copie avait fait l’objet d’un transfert de propriété, de sorte que le contrat était une vente. Dès lors, l’affactureur subrogé ne peut contester le droit de propriété du fournisseur qui bénéficie de la clause de réserve de propriété, ce qui a été récemment jugé (Com. 6 mars 2024, 3 arrêts, nos 22-23.657, 22-22.651 et 22-18.818 FS-B, Dalloz actualité, 26 mars 2024, obs. D. Boustani-Aufan ; D. 2024. 477 ).

Rappelons que la revendication de la créance du prix est autorisée par l’article L. 624-18 du code de commerce. Si le prix ou la partie de prix n’a pas encore été payé par le sous-acquéreur à la date du jugement d’ouverture, la revendication est permise. En outre, l’article R. 624-16 précise que les sommes payées par le sous-acquéreur postérieurement à l’ouverture de la procédure collective doivent être versées par le débiteur ou l’administrateur entre les mains du mandataire judiciaire qui les remet au créancier revendiquant à concurrence de sa créance. La question avait déjà été évoquée (Com. 9 déc. 2020, n° 19-16.542, D. 2021. 4 ; Rev. sociétés 2021. 208, obs. F. Reille ; RTD com. 2021. 435, obs. A. Martin-Serf ; BJE mars 2021, n° 118nO, p. 37, note J. Vallansan).

Il avait été jugé en outre par la Cour de justice de l’Union européenne que la mise à disposition d’une copie d’un logiciel informatique par téléchargement avec la conclusion d’un contrat de licence d’utilisation visant à rendre la copie utilisable par les clients de manière permanente et moyennant le paiement d’un prix permettant au titulaire du droit d’auteur d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire implique le transfert du droit de propriété de cette copie (CJUE...

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