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Article
Chronique de jurisprudence de la CEDH : du refus au malade incurable d’une aide médicale à mourir
Chronique de jurisprudence de la CEDH : du refus au malade incurable d’une aide médicale à mourir
Comme d’habitude, la période mai/juin qui n’est entrecoupée par aucune période de vacances a fourni en 2024 un fort contingent d’arrêts et de décisions. Pour être abondante, la récolte n’est pas des plus spectaculaires malgré une stigmatisation de plus en plus accentuée de la Russie ou un surprenant refus du droit à l’aide médicale à mourir. On n’y relève, en effet, que deux arrêts de Grande chambre et les arrêts et décisions concernant la France y sont relativement discrets.
Les affaires françaises
Il faut commencer par préciser qu’il n’y a pas à signaler, cette fois, d’arrêts de comités concernant la France dont la présentation avait été inaugurée dans la précédente chronique (J.-P. Marguénaud, Dalloz actualité, 22 mai 2024). Quant aux chambres, elles n’ont rendu qu’un arrêt et trois décisions d’irrecevabilité dans des affaires touchant la sécurisation de la COP 21, l’immunité d’un chef d’État étranger, un magistrat frustré de ne pas connaître les raisons pour lesquelles le Conseil supérieur de la magistrature n’avait pas retenu de faute disciplinaire contre lui, et les interceptions de communications téléphoniques de journalistes enquêtant sur le financement de la campagne d’un ancien président de la République. Pour faire moins piètre mesure, on ajoutera le rejet, le 21 mai, d’une demande de mesure provisoire de suspension des travaux de stockage souterrain de déchets dangereux dans l’affaire Alsace-Nature (n° 11833/24) et l’arrêt SCI Le Château du Francport du 13 juin (n° 3269/18, AJDA 2024. 1246 ) rendu dans une affaire déjà rencontrée sur le fond dans la chronique juillet-août 2022 qui a accordé sur le fondement de l’article 41 une satisfaction équitable de deux millions d’euros à la propriétaire d’un château saisi et dégradé au cours d’une procédure pénale.
1. La sécurisation de la COP 21 pendant l’état d’urgence
La 21e conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques qui devait déboucher sur le célèbre Accord de Paris s’est tenue au Bourget du 30 novembre au 12 décembre 2015, quelques semaines à peine après les terribles attentats terroristes du 13 novembre 2015 qui venaient d’endeuiller la capitale et sa périphérie et qui devaient pousser le président de la République à déclarer l’état d’urgence en application de la loi du 3 avril 1955 et le gouvernement à faire valoir le droit de dérogation aux obligations prévues par la Convention européenne des droits de l’homme admis par son article 15. Pour maintenir la COP 21 dans ce contexte d’extrême tension terroriste, il avait fallu, bien entendu, adopter des mesures drastiques. L’une d’entre elles s’était traduite par l’assignation à résidence, jusqu’à la fin des travaux de la conférence avec obligation de se présenter trois fois par jour à heures fixes aux services de police, deux frères connus pour être des militants dont on pouvait craindre qu’ils ne s’associent à des débordements d’activistes regroupés en black block déterminés à empêcher par la violence la réunion de la COP 21. S’estimant victimes de violations de leur droit à la liberté et de leur droit de circuler librement, ils ne sont pas restés inactifs. Ainsi ont-ils obtenu un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 16 mai portant leur nom Domenjoud (n° 34749/16, AJDA 2024. 1045 ) qui ne répond que partiellement à leurs attentes. Les deux frères se sont heurtés à un commun rappel de la jurisprudence interprétative de l’article 5 suivant laquelle il protège seulement contre les privations de liberté à l’exclusion des restrictions laissant la possibilité de mener une vie sociale et d’entretenir des relations avec l’extérieur qu’ils avaient dû subir pendant une courte période. L’arrêt est surtout intéressant pour le contrôle qu’il exerce sur l’application de l’article 15. Il précise, de manière inédite, qu’il est applicable pour autoriser des dérogations à un article qui ne figure pas directement dans le corps de la Cour européenne, l’article 2 du Protocole n° 4 consacrant le droit à la liberté de circulation. Il a également admis que l’existence d’un danger public menaçant la vie de la nation à laquelle sont subordonnées les dérogations permises par l’article 15 ne faisait pas débat en l’espèce. Il semble surtout avoir entrepris de réduire un peu l’ampleur de la marge d’appréciation accordée à l’État en la matière. Il y parvient en regardant d’un peu plus près l’obligation faite à l’État par le § 3 de l’article 15 de tenir pleinement informé le secrétaire général du Conseil de l’Europe des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Comme le gouvernement français avait indiqué que l’état d’urgence avait été déclaré pour empêcher la perpétration de nouveaux actes terroristes, l’arrêt Domenjoud a estimé que, pour ne pas priver d’effet utile l’obligation d’informer le Secrétaire général du Conseil de l’Europe, seules les mesures présentant un lien suffisamment fort avec la finalité poursuivie lors de la dérogation sont susceptibles d’être couvertes par celle-ci. On ne peut que constater un contraste entre l’ample marge d’appréciation et le lien suffisamment fort. En tout cas, cette exigence a justifié une réponse différente à chacun des deux frères : un constat de non violation de l’article 2 du Protocole n° 4 pour l’un, un constat de violation pour l’autre parce que l’assignation à résidence qui lui avait été imposée ne s’inscrivait pas assez strictement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme pour être couverte par la dérogation de l’article 15.
2. Le refus d’instruire une plainte avec constitution de partie civile contre le président égyptien
À l’occasion d’une visite officielle en France du Maréchal Al-Sissi qui venait d’être élu à la présidence de la République d’Égypte en 2014, un ressortissant égyptien qui se plaignait d’avoir été gravement blessé par un tir émanant d’un officier de l’armée égyptienne employée à réprimer les manifestations sous son autorité, avait déposé contre lui une plainte avec constitution de partie civile pour actes de torture et barbarie. Or, les juridictions françaises lui avaient opposé un refus d’informer. Il a contesté cette décision devant la Cour européenne des droits de l’homme au regard de l’article 3 qui porte interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants et de l’article 6, § 1er, qui consacre le droit à un procès équitable. Les deux parties de sa requête ont été déclarée irrecevables par une décision du 23 mai (n° 13303/21). S’agissant de la première partie, la Cour a estimé qu’il n’existait aucune circonstance propre de nature à créer un lien juridictionnel extraterritorial imposant aux autorités françaises une obligation procédurale d’enquêter elles-mêmes sur des allégations d’actes de torture s’étant déroulés en Égypte et précisé que, s’il est vrai que les juridictions françaises bénéficient dans certains cas d’une compétence universelle leur permettant de juger l’auteur d’une infraction quelles que soient sa nationalité, celle de sa victime et où que soit situé le lieu de commission, à la double condition qu’il se trouve sur le territoire français et que cela intervienne en application de certaines conventions internationales, l’existence d’une telle compétence universelle des juridictions françaises en matière pénale ne saurait constituer, par elle-même, une circonstance propre de nature à créer un lien juridictionnel permettant de s’écarter du principe de juridiction territoriale tel que consacré par la Convention. Quant à la seconde partie de la requête relative à l’article 6, § 1er, elle a été balayée par un renvoi au but légitime de protection des relations diplomatiques et du respect, en l’occurrence proportionné, de la règle de droit international coutumier de l’immunité du chef d’État en exercice qui vise à protéger ce dernier des mesures de souveraineté étrangère, afin de pouvoir exercer ses fonctions sans entrave.
3. L’histoire du magistrat qui voulait comprendre pourquoi aucune sanction disciplinaire ne lui avait été infligée
Le justiciable ordinaire se plaint généralement de l’insuffisance de la motivation d’une décision qui lui donne tort et ne demande pas son reste si elle lui donne raison. Il en va apparemment autrement quand le justiciable est lui-même magistrat. C’est du moins ce que donne à entendre la décision Amar du 23 mai (n° 4028/23, AJDA 2024. 1085 ).
En l’espèce, le vice-procureur du Parquet général financier, chargé de travailler sur plusieurs procédures visant l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, avait bénéficié d’un avis du Conseil supérieur de la magistrature dont devait tenir compte la Première ministre qui l’avait saisie. Si selon cet avis salvateur, le magistrat avait bien manqué à ses obligations déontologiques de prudence, de loyauté et de délicatesse « dans l’affaire » des écoutes téléphoniques de l’ex-président plus connue sous le nom « d’affaire Paul Bismuth », il n’avait pas pour autant commis de faute disciplinaire, en sorte qu’il n’y avait pas lieu de lui appliquer de sanction. Dans un contexte rendu encore plus électrique par la situation de conflit d’intérêts survenue lorsque l’avocat de l’une des parties a été nommé ministre de la Justice, cette décision n’a pas eu l’heur de plaire au magistrat membre d’une institution souvent placée au cœur de polémiques. Il a donc saisi la Cour de Strasbourg pour faire valoir qu’un simple avis ne répondant pas à un certain nombre de ses moyens avait emporté violation de son droit à un procès équitable garanti par l’article 6, § 1er. Vexé, par ailleurs, de la mention de manquements à ses obligations déontologiques, il s’est également plaint d’atteintes à son droit au respect de la vie privée et de son droit à la liberté d’expression. Sa requête a été déclarée irrecevable à tous égards parce que, ayant échappé à toute forme de sanction, il ne pouvait prétendre à la qualité de victime au sens de la Convention.
La décision Amar a certes le mérite de préciser que le droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6 de la Convention ne saurait être interprété comme garantissant le droit à une décision susceptible de recours en cas d’abandon des poursuites disciplinaires ou de constat, par les autorités compétentes, d’absence de faute disciplinaire. On pourrait aussi comprendre qu’elle transmet le message : la justice est déjà tellement difficile à rendre que l’on ne peut pas lui demander, en plus, de se pencher sur les états d’âme des parties qui gagnent.
4. L’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, pilier du principe de subsidiarité
Décidément, les affaires qui se sont développées dans le sillage de l’ancien président de la République Sarkozy n’en finissent pas d’occuper le devant de la scène. Cette fois, c’était la question du financement de sa campagne présidentielle de 2007 qui était au cœur de l’affaire Gernelle et S.A société d’exploitation de l’hebdomadaire Le Point du 16 mai (n° 18536/18). En l’espèce, un journaliste travaillant pour l’hebdomadaire avait contacté par téléphone l’attaché de presse de l’ancien président pour lui indiquer qu’il s’apprêtait à publier une interview compromettante d’un cousin du président Khadafi. Finalement le projet de publication fut abandonné, mais comme la ligne téléphonique de l’attachée de presse avait été placée sur écoute , de larges extraits de la conversation avait été reproduits par d’autres médias. C’est en tant que tiers à la procédure pénale dans le cadre de laquelle l’écoute de la conversation interceptée avait été ordonnée, que le directeur de la publication de l’hebdomadaire Le Point et la société qui l’édite ont directement saisi la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant une atteinte à leur droit à la liberté d’expression garant du secret des sources journalistiques et de l’article 8 qui protège aussi le droit au respect des correspondances. Leur requête a été déclaré irrecevable pour non épuisement des voies de recours internes. Au delà des particularités techniques de l’affaire tenant notamment à la nature de la réparation demandée, la Cour a en effet estimé qu’en s’abstenant d’exercer l’action fondée sur l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire qui permet de remédier à un éventuel dysfonctionnement du service public de la justice par voies d’indemnisation, les intéressés n’avaient pas fait le nécessaire pour permettre aux juridictions internes de jouer leur rôle fondamental dans le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention. Il s’agit là d’une éclairante application du principe général dûment rappelé suivant lequel le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme, ce principe étant inscrit au Préambule de la Convention depuis l’entrée en vigueur du Protocole n° 15.
Les affaires venues d’ailleurs
5. Le refus au malade incurable d’une aide médicale à...
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