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Chronique de jurisprudence de la CEDH : variations européennes sur l’usage de la force publique (Première partie)

La Cour européenne des droits de l’homme avait commencé l’année 2024 au petit trot avec seulement une petite cinquantaine d’arrêts et décisions exclusivement de chambres rendus en janvier et février. En 2025, elle est partie au galop puisqu’au cours des deux premiers mois elle en a produit presque le double. Même si elle ne compte aucun arrêt de grande chambre, la première série bimestrielle de l’année est particulièrement riche. Certaines affaires françaises relatives au devoir conjugal ou au décès de l’opposant à la construction du barrage de Sivens Rémi Fraisse marqueront probablement l’année. D’autres, venues d’ailleurs, se détacheront sans doute aussi : le premier arrêt pilote environnemental ; les arrêts stigmatisant les cas les plus sordides de viols et d’abus sexuels ; celui admettant la condamnation de syndicalistes pour entrave méchante à la circulation routière ; celui dénonçant la violation des droits d’opposants russes à la guerre d’Ukraine ou la décision écartant l’ouverture d’un nouveau débat sur l’indépendance de la Catalogne. 

Affaires françaises

À quatre arrêts et une décision de chambres s’ajoute un fort contingent de décisions et d’arrêts de comités

Arrêts et décisions de chambres

1 - Le manquement au devoir conjugal ne peut plus justifier le prononcé du divorce aux torts exclusifs

Même s’il a déjà été maintes fois commenté et s’il le sera encore ailleurs, il faut accorder la première place de la série à l’arrêt H. W. c/ France du 23 janvier 2025 (n° 13805/21, D. 2025. 372 , note J. Mattiussi ; AJ fam. 2025. 102, obs. M. Saulier ) consacrant une solution dont l’énoncé eût fait tomber de leur chaise la majorité des civilistes français il y a seulement vingt-cinq ans.

En l’espèce, l’épouse avait cessé d’avoir des relations intimes avec son conjoint qui, au lieu de demander à titre principal le divorce pour altération définitive du lien conjugal, avait exhibé l’article 242 du code civil qui admet toujours le divorce pour faute lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendent intolérables le maintien de la vie commune. On sait que, à certaines conditions fixées par la jurisprudence, cet article d’un autre temps permet encore de considérer le refus de se soumettre au devoir conjugal, qui est un des devoirs du mariage, comme une faute justifiant le prononcé du divorce aux torts exclusifs de la réfractaire. C’est ce que la Cour d’appel de Versailles, approuvée par la Cour de cassation avait admis. L’épouse, qui souhaitait divorcer mais dans de plus modernes conditions, a saisi la Cour européenne des droits de l’homme pour faire juger que le divorce prononcé à ses torts exclusifs parce qu’elle s’était soustraite au devoir conjugal avait constitué une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est bien ce qu’une chambre a décidé à l’unanimité de ses sept juges. Pour y parvenir, elle a opposé à l’argumentation du gouvernement français des démentis particulièrement cinglants. Elle constate en effet que le devoir conjugal, tel qu’il est énoncé dans l’ordre juridique interne et qu’il a été réaffirmé dans la présente affaire ne prend nullement en considération le consentement aux relations sexuelles, alors même que celui-ci constitue une limite fondamentale à l’exercice de la liberté sexuelle d’autrui. Rappelant que tout acte sexuel non consenti est constitutif d’une forme de violence sexuelle, elle constate encore plus rudement que l’obligation de se soumettre au devoir conjugal ne garantit pas le libre consentement aux relations sexuelles au sein du couple et en déduit que l’existence même d’une telle obligation matrimoniale est à la fois contraire à la liberté sexuelle, au droit de disposer de son corps et à l’obligation positive de prévention qui pèse sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles et qu’elle s’inscrit à rebours des avancées opérées en matière pénale ainsi que des engagements internationaux pris par la France pour lutter contre toute forme de violence domestique. L’arrêt H. W renoue donc avec l’esprit de l’arrêt Mazurek du 1er février 2000 relatif au statut successoral discriminatoire de l’enfant adultérin pour faire remarquer à l’Europe entière à quel point le droit civil français est réticent à se débarrasser de certains archaïsmes.

2 - Variations européennes sur l’usage de la force publique

En deux mois, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu deux arrêts qui portent une appréciation contrastée sur l’utilisation par les forces de l’ordre de moyens susceptibles de provoquer la mort.

Le 16 janvier 2025, dans l’affaire Ghaoui (n° 41208/21, Dalloz actualité, 17 févr. 2025, obs. B. Nicaud), elle s’est prononcée sur la requête d’un trafiquant de drogue devenu paraplégique à la suite du tir d’un policier en état de légitime défense d’autrui face à la voiture avec laquelle il allait heurter un autre un policier en tentant d’échapper à un contrôle. Pour refuser d’admettre qu’il avait été victime d’une atteinte au volet matériel de l’article 2 de la Convention qui consacre le droit à la vie que le tir aurait pu lui faire perdre, la Cour retient des considérations particulièrement conciliantes à l’égard des forces de l’ordre. Elle a en effet rappelé, d’une part qu’elle ne saurait imposer l’usage de moyens neutralisants avant de se servir d’armes à feu et, d’autre part, que même s’il est souhaitable que de tels moyens soient répandus si l’on veut limiter progressivement le recours aux méthodes susceptibles d’entraîner la mort, établir une telle obligation de principe, sans tenir compte...

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