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Circulaire du 4 octobre 2021 de lutte contre la fraude fiscale : Episode 1 - Présentation générale

Le 4 octobre 2021, la Direction des affaires criminelles et des grâces a adressé aux procureurs généraux et aux procureurs de la République une « circulaire relative à la lutte contre la fraude fiscale », publiée dès le 8 octobre 2021 au Bulletin officiel du ministère de la Justice. Un texte qui s’inscrit dans un contexte global de renforcement de la lutte contre la fraude fiscale.

La circulaire du 4 octobre 2021 a été émise le lendemain de la sortie du dossier Pandora Papers, révélé dans le cadre d’articles de presse publiés le 3 octobre 2021 (v. not., Pandora Papers : plongée mondiale dans les secrets de la finance offshore, Le Monde, 3 oct. 2021). Comme les Lux Leaks et les Panama Papers avant eux, les Pandora Papers sont le fruit du travail du Consortium international de journalistes d’investigations (ICIJ). L’ICIJ a dans ce cadre révélé les pratiques d’évitement d’impôts utilisés par de nombreuses personnalités publiques, dont 35 dirigeants de gouvernements et plus de 330 hommes et femmes politiques.

S’inscrivant dans l’objectif d’un renforcement de la lutte contre la fraude fiscale, cette circulaire a conduit le ministère de la Justice à préciser le régime issu de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale, par des directives opérationnelles.

Contexte global

Dès les premières lignes de son préambule, la circulaire du 4 octobre 2021 pointe la fraude fiscale comme une « atteinte grave au pacte social » en ce qu’elle engendre « une inégalité de fait devant l’impôt ».

Se soustraire au paiement de l’impôt est ainsi présenté comme une atteinte aux intérêts de la collectivité des contribuables et donc à l’intérêt général, et non plus seulement une atteinte aux intérêts budgétaires de l’État.

Cette nouvelle perspective exprime clairement l’ambition du gouvernement de renforcer la répression pénale, concomitamment aux procédures fiscales, et donc de valoriser l’office du juge pénal, et ainsi ne pas laisser la seule administration fiscale avoir la main sur les procédures menées contre les présumés fraudeurs. En ce sens, la circulaire du 4 octobre 2021 s’inscrit dans le prolongement naturel de la loi du 23 octobre 2018, en ce qu’elle érige la lutte contre la fraude fiscale en « enjeu majeur pour l’autorité judiciaire ».

Le durcissement de la répression pénale de ce type d’infraction peut notamment être interprété comme une réponse politique aux reproches d’inertie des pouvoirs publics face à l’évitement fiscal de certains, à l’heure où les mouvements sociaux de 2018 à 2020 dénonçaient la pression fiscale sur les contribuables aux revenus les plus modestes, et ce au bénéfice des plus fortunés selon la majorité des commentateurs.

Si la pénalisation de la fraude fiscale n’est pas nouvelle, la volonté politique de mobiliser de nouveaux moyens pour mettre en œuvre cette réponse pénale l’est quant à elle. Outre le contexte national, cette démarche poursuit une dynamique impulsée à plus grande échelle.

À l’échelon international, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) adopte une approche concrète et opérationnelle dans sa mission d’harmonisation des politiques de poursuite et de répression des infractions fiscales. Dans cette logique, elle a d’abord publié, le 30 novembre 2020, un guide pratique de diagnostic des États s’agissant de leur capacité d’enquête et de répression des délits à caractère fiscal (OCDE [2020], Le Modèle de maturité en matière d’enquêtes sur les délits fiscaux, Paris) ; elle a ensuite publié, le 17 juin 2021, un rapport actualisé présentant une série de dix mécanismes juridiques, institutionnels, administratifs et opérationnels essentiels à la mise en place d’un système efficace de lutte contre les délits fiscaux (OCDE [2021], Lutte contre la délinquance fiscale : les dix principes mondiaux, 2e éd., Paris. Actualisant une 1re édition du rapport publiée le 8 nov. 2017). Parmi les autres recommandations concrètes de l’OCDE certaines ont pu viser en particulier la répression des conseils et intermédiaires fiscaux en tant que facilitateurs dans la commission des infractions fiscales (OCDE [2021], En finir avec les montages financiers abusifs : réprimer les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc, Paris).

À l’échelon européen, l’entrée en fonction le 1er juin 2021 du Parquet européen marque un tournant dans la coopération entre les États membres pour la poursuite et la répression d’infractions fiscales et financières constituant une « atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne ». Cette nouvelle institution, certes dotée de compétences propres, contribue à l’élaboration d’un espace commun de justice pénale entre les États membres. À cet égard, il est probable que la collaboration des Parquets européen et nationaux se révèle en pratique utile à la détection et à la répression des fraudes fiscales transfrontalières.

La circulaire du 4 octobre 2021 s’inscrit donc dans ce mouvement d’une poursuite plus efficace et une répression plus ferme des infractions fiscales, en mettant à la disposition des Parquets de nouveaux moyens, méthodes et dispositifs opérationnels.

Le régime issu de la loi du 23 octobre 2018, complétée par la circulaire du 7 mars 2019

La loi du 23 octobre 2018

Le régime actuel de la lutte contre la fraude fiscale est, au niveau national, en grande partie issu de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale, qui poursuit les objectifs suivants : « mieux détecter, appréhender, et sanctionner la fraude » (Loi préc., Exposés des motifs).

Les principales innovations de cette loi étaient les suivantes :

S’agissant de la détection et de l’appréhension de la fraude, la loi du 23 octobre 2018 prévoyait :

  • la création d’un service placé sous l’autorité du ministre chargé du budget, chargé d’effectuer des enquêtes judiciaires (il s’agira du service d’enquêtes judiciaire des finances créé par le décr. n° 2019-460 du 16 mai 2019), qui intervient concurremment avec la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, (BNRDF - décr. n° 2010-1318 du 4 nov. 2010) ;
  • la levée du secret fiscal jusqu’alors opposable au procureur de la République ;
  • la suppression du « Verrou de Bercy » : dans un certain nombre de cas, l’administration fiscale a désormais l’obligation de dénoncer les faits au Parquet. En outre, en cas de « présomption caractérisée de fraude fiscale », l’administration fiscale peut désormais dénoncer les faits sans solliciter l’avis de la Commission des infractions fiscales. Dans tous les autres cas, l’avis de la CIF demeure nécessaire ;
  • l’extension de la CRPC et de la CJIP à la fraude fiscale.

S’agissant de la répression de la fraude fiscale, la loi prévoyait également :

  • une aggravation des peines encourues ;
  • le prononcé automatique de peines complémentaires ;
  • la création d’une amende fiscale pour les professionnels ayant facilité la réalisation de la fraude.

Ces nouvelles dispositions, qui ont profondément remanié le régime français de la lutte contre la fraude fiscale, ont été explicitées par une première circulaire émise le 7 mars 2019.

La circulaire du 7 mars 2019

La première partie de la circulaire CPAE1832503C du 7 mars 2019 relative à la réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale et au renforcement de la coopération entre l’administration fiscale et la Justice en matière de lutte contre la fraude fiscale, a pour seul objet de préciser les dispositions de la loi du 23 octobre 2018 relatives à l’engagement des poursuites pénales pour fraude fiscale, i.e. à la disparition du « Verrou de Bercy ».

La seconde partie de la circulaire est quant à elle consacrée au « renforcement de la coopération et de la coordination entre l’administration fiscale et la Justice ».

Dans ce cadre, la circulaire rappelle les dispositions des articles L. 101 et L. 82 C du livre des procédures fiscales qui prévoient la transmission d’informations et de dossiers par l’autorité judiciaire à l’administration fiscale, et insiste sur la nécessité de procéder rapidement et de façon systématique à de telles transmissions.

Réciproquement, la circulaire rappelle les cas dans lesquels l’administration fiscale doit dénoncer des faits au Parquet sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, cette dénonciation devant également se faire rapidement et de façon systématique.

Afin d’assurer l’efficacité de ces échanges, la circulaire comprend des directives relatives au suivi des suites apportées aux informations transmises par l’administration fiscale à l’autorité judiciaire. À cet effet, elle prévoit la création d’un comité de suivi des échanges et d’un référent fraude fiscale au sein des Parquets.

Les instructions concrètes contenues dans la circulaire du 7 mars 2019 s’inscrivaient ainsi dans un périmètre limité, ce qui a conduit la Chancellerie à les compléter par la circulaire du 4 octobre 2021.

La circulaire du 4 octobre 2021 : un renforcement opérationnel de la lutte contre la fraude fiscale

La circulaire du 4 octobre 2021 comprend ainsi, pour chaque étape de la chaîne pénale, des instructions concrètes et opérationnelles. Ces instructions vont clairement dans le sens d’une plus grande sévérité dans la lutte contre la fraude fiscale.

Cette circulaire comprend trois axes principaux.

Des instructions liminaires relatives à la répartition des attributions respectives des juridictions non spécialisées et spécialisées

Aux termes de ces instructions, les procureurs sont incités à être davantage réactifs dans le traitement des signalements, dénonciations obligatoires et plaintes transmises par l’administration fiscale ainsi que dans le traitement des signalements TRACFIN.

Surtout, il leur est demandé d’envisager de les diriger, selon le cas, vers une des juridictions spécialisées : JIRS (Juridictions interrégionales spécialisées), JUNALCO (Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée) et PNF (Parquet national financier). Dans cette optique, la première partie de la circulaire rappelle les champs d’intervention de ces trois juridictions spécialisées. Le PNF est d’ailleurs spécifiquement encouragé à envisager la mise en cause de la responsabilité pénale des intermédiaires institutionnels et conseils juridiques. À titre de précision, les juridictions spécialisées n’avaient pas été évoquées par la circulaire du 7 mars 2019, omission qui pouvait nuire à l’efficacité de la procédure pénale (NB : la JUNALCO n’existait pas encore lors de la parution de la circulaire du 7 mars 2019, puisqu’elle a été créée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, mise en place au début de l’année 2020).

Au début de la chaine pénale : les stratégies d’enquête dans le domaine de la fraude fiscale

La circulaire vient préciser l’action des Parquets tant en amont de l’enquête pénale, i.e. au stade des échanges avec l’administration et de l’ouverture de l’enquête, qu’au cours de son déroulement. Tout comme celle du 7 mars 2019, la circulaire du 4 octobre 2021 encourage une coopération renforcée, et des échanges d’informations, entre l’administration fiscale et l’autorité judiciaire, notamment dans le cadre de rencontres opérationnelles régulières.

Par ailleurs, la circulaire contient surtout de nombreuses directives visant à renforcer une meilleure poursuite des infractions par les Parquets.

Ainsi, lors de la « naissance du dossier », il est demandé :

  • à l’administration fiscale de compléter le contenu de ses dénonciations obligatoires, qui doivent désormais inclure la réponse du contribuable à la proposition de rectification définitive ;
  • aux magistrats de procéder à une évaluation préalable des dossiers, et de fixer des directives précises aux enquêteurs, au moyen d’un soit-transmis détaillé et uniformisé.

En outre, la circulaire comprend des annexes telles qu’un guide de lecture des dossiers de dénonciation obligatoire et des modèles de soit-transmis, visant à éclairer très concrètement les procureurs sur l’application de ces directives.

Enfin, dans l’optique de renforcer l’analyse des dossiers par les Parquets, le recours au détachement d’assistants spécialisés de l’administration fiscale au sein des juridictions spécialisées est encouragé, notamment en vue d’étendre les investigations à d’autres impôts ou à d’autres infractions.

Au bout de la chaine pénale : la détermination des modes de poursuite de la fraude fiscale

Alors que la circulaire du 7 mars 2019 n’évoquait pas les dispositions de la loi du 24 octobre 2018 relatives à la CRPC et à la CJIP, la circulaire du 4 octobre 2021 encourage le recours à ces deux procédures notamment, s’agissant de la CJIP, pour les dossiers à forts enjeux financiers. La portée de cette instruction ne devra pas être sous-estimée, et il conviendra de s’interroger sur ses potentielles conséquences quant au nombre de dossiers pouvant être appréhendés dans ce cadre, ainsi que sur le montant des amendes susceptibles d’être infligées.

En cas de poursuites devant les juridictions répressives, la circulaire encourage les Parquets à requérir systématiquement, en plus des peines principales encourues, la prononciation des peines complémentaires (affichage et diffusion de la décision et inéligibilité).