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Circulaire du 4 octobre 2021 : Episode 2 - Le cadre des échanges d’informations entre l’administration fiscale et le parquet

Le 4 octobre 2021, la Direction des affaires criminelles et des grâces a adressé aux procureurs généraux et aux procureurs de la République une « circulaire relative à la lutte contre la fraude fiscale », publiée dès le 8 octobre 2021 au Bulletin officiel du ministère de la Justice. Un texte qui s’inscrit dans un contexte global de renforcement de la lutte contre la fraude fiscale.

La coopération entre l’administration fiscale et le parquet s’est considérablement renforcée depuis la quasi-disparition du « Verrou de Bercy », mesure phare de la loi du 23 octobre 2018. Cette réforme a ainsi redéfini les modalités de saisine du parquet par l’administration fiscale prévues à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales :

  • ­avant son entrée en vigueur, le déclenchement des poursuites pénales était laissé à la discrétion de l’administration fiscale, qui déposait une plainte après avis conforme de la Commission des infractions fiscales.
  • ­depuis la loi du 23 octobre 2018, l’administration fiscale a l’obligation de dénoncer au parquet les faits découverts à l’occasion de contrôles fiscaux ayant donné lieu à des rappels d’impôts supérieurs à 100 000 € (ou 50 000 € s’agissant de contribuables soumis à des obligations déclaratives spécifiques, tels les députés, sénateurs, membres du gouvernement et certains responsables publics), et assortis des majorations fiscales les plus importantes, allant de 40 % à 100 %. En dehors de ces cas de dénonciation obligatoire, l’administration fiscale a, comme auparavant, la possibilité de saisir le parquet d’une plainte soumise à l’avis préalable de la Commission des infractions fiscales. Néanmoins, cet avis n’est plus requis lorsqu’il existe une présomption caractérisée de fraude fiscale ainsi qu’un risque de dépérissement des preuves.

Depuis l’entrée en vigueur de ce nouveau dispositif, le nombre total de dossiers transmis par l’administration fiscale aux parquets a considérablement augmenté, passant de 823 dossiers en 2018, à 1 678 dossiers en 2019, puis à 1 272 dossiers en 2020.

L’accroissement de ce contentieux pénal a incité les rédacteurs de la circulaire du 4 octobre 2021 à faciliter davantage les échanges d’informations entre l’administration fiscale, le procureur de la République et les enquêteurs afin d’assurer un meilleur traitement de ces nouveaux dossiers dont les parquets sont saisis.

Une intensification des échanges entre le parquet et l’administration fiscale

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 octobre 2018 qui prévoyait la levée du secret fiscal à l’égard du procureur de la République (LPF, art. L. 142 A), la circulaire du 7 mars 2019 a envisagé la mise en place d’un « nouvel espace de dialogue » entre les agents de l’administration fiscale et les magistrats du parquet.

La circulaire du 4 octobre 2021 est venue préciser de façon concrète la mise en œuvre de cette mesure.

En premier lieu, la circulaire recommande la mise en place de « rencontres opérationnelles régulières » avec l’administration fiscale, qui constitueraient « une aide précieuse à la direction de l’enquête ». La circulaire présente ces rencontres comme l’occasion d’échanger sur l’avancement des procédures suivies par l’administration fiscale, sur la sensibilité particulière de certains dossiers ou encore sur l’intention de l’administration fiscale de se constituer, à terme, partie civile dans la procédure.

Si la volonté de dynamiser le traitement des dossiers est louable, le cadre juridique de ces rencontres opérationnelles reste indéfini. En effet, le « cadre juridique » de ces « discussions » entre l’autorité judiciaire et l’administration fiscale devrait être précisé dans une « fiche FOCUS » qui, selon la circulaire, doit être prochainement diffusée par la Chancellerie. En l’état, il est impossible de savoir quelles informations ont effectivement été échangées lors de ces réunions, ou qui y a participé. Le premier point pourrait poser, à terme, des difficultés s’agissant de la garantie des droits de la défense. Le second pourrait en soulever s’agissant du respect du secret fiscal. En effet, aux termes de l’article L. 142 A du livre des procédures fiscales celui-ci n’est levé qu’à l’égard du seul procureur de la République. À l’inverse, les officiers de police ne peuvent par exemple avoir accès aux informations couvertes par le secret fiscal que lorsque la loi le permet, et notamment lorsqu’ils agissent dans le cadre de réquisitions du procureur. En l’état, les dispositions de la circulaire ne précisant pas de façon explicite que seul le procureur de la République participera à ces réunions avec l’administration fiscale, il conviendra d’être attentif à ce que la « fiche FOCUS » à venir le confirme.

En second lieu, la circulaire prévoit la communication d’informations complémentaires par l’administration fiscale lors de la transmission des dossiers de dénonciation obligatoire au procureur de la République.

Jusqu’alors, les dossiers de dénonciation obligatoire contenaient (i) une lettre de dénonciation, (ii) la proposition de rectification adressée au contribuable, et (iii) la réponse de l’administration fiscale aux observations du contribuable. La circulaire prévoit désormais que ces observations seront également transmises au parquet. Ce dernier disposera ainsi d’une vision globale et contradictoire permettant une meilleure appréciation du dossier, qui prendra en compte les arguments opposés par la défense à l’administration fiscale.

Dans cette même optique, s’agissant des dossiers présentant une circonstance particulière ou révélant une fraude fiscale grave ou complexe, la circulaire recommande la communication par l’administration fiscale d’une « fiche d’accompagnement » synthétisant les éléments du dossier et apportant des compléments d’information, afin de permettre au parquet de mieux apprécier les éléments matériel et intentionnel des infractions commises. Sans faire de mauvais esprit, l’on peut légitimement s’interroger sur l’objectivité de l’administration fiscale au moment de la rédaction de cette fiche alors qu’elle aura enclenché des procédures de notification de redressement de plusieurs dizaines ou centaines de millions d’euros.

Une meilleure capacité de traitement de l’information par le parquet et les enquêteurs

La circulaire du 4 octobre 2021 a également pour objet d’apporter aux enquêteurs une méthodologie pour le traitement des informations transmises par l’administration fiscale et de renforcer leurs compétences techniques.

À cet égard, les annexes de la circulaire comprennent une série d’outils pédagogiques à destination des procureurs et enquêteurs afin qu’ils puissent exploiter au mieux le contenu des dossiers de dénonciation obligatoire.

L’annexe 1.1 de la circulaire est une « Fiche d’aide à la lecture de la lettre de dénonciation » qui cible 5 informations essentielles à extraire de la lettre de dénonciation afin de commencer un travail de qualification pénale des faits, à savoir (i) le type de contrôle effectué par l’administration fiscale, (ii) la nature des impôts ou taxes objets de la dénonciation, (iii) la période comptable durant laquelle les manquements fiscaux ont été constatés, (iv) le procédé de fraude employé (défaut ou minoration de déclaration) et (v) l’existence d’antécédents fiscaux défavorables.

L’annexe 1.2 de la circulaire est une « Trame commentée d’un exemple de proposition de rectification », conçue comme un guide pratique qui attire l’attention des procureurs et enquêteurs sur les informations utiles à la caractérisation de l’élément matériel de la fraude fiscale (notamment dans la section dédiée au calcul du montant de l’impôt éludé), ainsi que de son élément moral (en particulier dans la section relative à l’abus de droit ou aux manœuvres frauduleuses). L’identification de ces éléments permettra au procureur de définir les orientations de l’enquête en ciblant les actes d’investigation et les demandes d’informations complémentaires adressées à l’administration fiscale. Il faut espérer que ce guide pratique à disposition du parquet ne devienne pas, par facilité, une trame du réquisitoire définitif lorsque l’on connait la charge de travail des procureurs.
Par ailleurs, la circulaire rappelle l’importance du rôle joué, au sein de chaque parquet, par le magistrat désigné comme « référent fraude fiscale » (institué par la circ. du 7 mars 2019). La circulaire du 4 octobre 2021 ajoute que ce magistrat, qui bénéficie d’une formation spécifique à ce type de contentieux, doit se charger à son tour de former les officiers de police judiciaire et de les sensibiliser quant à « la nécessité d’un traitement réactif et efficace des procédures ».

Une réactivité accrue attendue de la part des parquets

Depuis la loi du 23 octobre 2018, le cadre de la saisine du parquet dans les dossiers de fraude fiscale a été profondément redéfini. Toutefois, que le parquet soit saisi dans le cadre de l’obligation de dénonciation qui pèse désormais sur l’administration fiscale, ou dans le cadre d’une plainte déposée par celle-ci, il demeure que ce dernier ne peut pas s’autosaisir en matière de fraude fiscale (ce qui n’est pas le cas en matière de blanchiment de fraude fiscale).

Néanmoins, une fois le parquet saisi, le principe d’appréciation de l’opportunité des poursuites trouve pleinement à s’appliquer de sorte qu’il appartient à ce dernier d’envisager la mise en mouvement de l’action publique au cas par cas.

Dans cette optique, la circulaire du 4 octobre 2021 prévoit des échanges avec le parquet sur les dossiers en amont de leur transmission par l’administration fiscale, puis au cours de l’enquête. La circulaire fournit en outre au parquet un certain nombre d’outils afin de permettre à ce dernier de mieux interpréter les dossiers qui lui sont transmis par l’administration fiscale et donc (i) d’y déceler plus facilement les premiers éléments utiles à la caractérisation de l’infraction et (ii) de mieux définir les actes d’enquête qu’il convient encore de réaliser avant d’envisager un renvoi devant une juridiction répressive ou la mise en œuvre d’un instrument de justice pénale négociée.

Il apparaît ainsi clairement que le but poursuivi par la circulaire est dans un premier temps de favoriser l’ouverture systématique d’enquêtes par le parquet puis, dans un second temps, de limiter au maximum le nombre de décisions de classement sans suite. Ce qui laisse augurer d’une augmentation croissante de ce contentieux pénal. Les contribuables, et en particulier les entreprises, auront donc intérêt à développer une maîtrise robuste de la « compliance fiscale » pour s’éviter à elles, leurs dirigeant.e.s, collaboratrices et collaborateurs les affres d’une procédure pénale et sa kyrielle de risques dont le risque d’image et réputationnel.