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CJUE : le distributeur d’énergie Enedis est un producteur d’électricité

Le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité doit être considéré comme un producteur au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985, dès lors qu’il modifie le niveau de tension de l’électricité en vue de sa distribution au client final.

En vigueur en droit français depuis 1998, la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux n’a pas fini d’interroger quant à son interprétation. La qualité de producteur est une nouvelle fois au cœur de l’actualité.

La notion de producteur en débat

Les articles 1245 et suivants du code civil prévoient une canalisation de la responsabilité vers le producteur ou les personnes assimilées à celui-ci. Les fournisseurs ne sont responsables qu’à titre subsidiaire, dans le cas où le producteur n’est pas identifié. Si ce principe de subsidiarité de la responsabilité du fournisseur ne figurait pas dans le code civil initialement (CJCE 25 avr. 2002, aff. C-52/00 et C-183/00, Comm. c. France, D. 2002. 2462 , note C. Larroumet ; ibid. 1670, obs. C. Rondey ; ibid. 2935, obs. J.-P. Pizzio ; ibid. 2003. 1299, chron. N. Jonquet, A.-C. Maillols et F. Vialla ; RTD civ. 2002. 523, obs. P. Jourdain ; ibid. 868, obs. J. Raynard ; RTD com. 2002. 585, obs. M. Luby ; RDC 2003. 107, obs. P. Brun ; 14 mars 2006, aff. C-177/04, Commission des Communautés européennes c/ France, AJDA 2006. 1153, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert ; D. 2006. 1334 ; ibid. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RTD civ. 2006. 265, obs. P. Remy-Corlay ; ibid. 335, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2006. 515, obs. M. Luby ; JCP 2006. I. 166, obs. P. Stoffel-Munck), il se trouve désormais à l’article 1245-6.

Pour autant, la distinction entre producteur, fournisseur ou simple distributeur accomplissant une prestation de service n’est parfois pas aisée à opérer, ce qu’illustre parfaitement le litige à l’origine d’une question préjudicielle posée à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par la Cour de cassation (Com. 10 nov. 2021, n° 20-17.368).

En l’espèce, à la suite d’un incident d’alimentation sur un réseau électrique survenu le 1er janvier 2015, la société CAVPI a déclaré à son assureur un sinistre sur plusieurs appareils électriques. L’expert mandaté par l’assureur a conclu que les dommages subis par ces appareils électriques, évalués à 14 178 €, trouvaient leur origine dans une surtension après un incident d’alimentation. L’assureur a indemnisé en partie la société victime et a demandé un remboursement à la société Enedis, laquelle n’a pas donné suite à la demande. L’assureur et la victime l’ont assignée en paiement de diverses sommes sur le fondement de la responsabilité contractuelle et des articles 1231-1, anciennement 1147, du code civil, et L. 121- 12 du code des assurances.

De son côté, la société Enedis soutenait que les seules règles de la responsabilité du fait des produits défectueux étaient applicables, l’action en responsabilité était alors prescrite.

Le 28 mars 2018, le tribunal de commerce saisi de ces demandes les a déclarées recevables, écartant les règles propres à la responsabilité du fait des produits défectueux, mais les a rejetées sur le fond. Saisie d’un appel, la cour d’appel de Versailles a infirmé ce jugement. Elle a considéré, d’une part, que l’électricité produite par Électricité de France SA n’était pas un produit fini puisqu’elle était sous haute tension donc impropre à la consommation et, d’autre part, qu’Enedis, qui procédait à la transformation de l’électricité pour la distribuer au consommateur, était le fabricant du produit fini destiné à être distribué au consommateur. Cette transformation faisait donc d’Enedis un producteur au sens de la législation européenne relative à la responsabilité des produits défectueux dont les règles devaient s’appliquer. Elle a donc jugé l’action en responsabilité prescrite.

La qualité de producteur de la société Enedis au sens de la directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux : une question inédite

La divergence entre les juridictions du fond portait sur la notion de producteur puisque, si pour la première Enedis n’était pas producteur, en revanche, elle l’était pour la seconde.

La Cour de cassation a donc été saisie d’un pourvoi formé par la victime et son assureur qui posait la question inédite de la qualité de la société Enedis, gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité.

Dans son avis, l’avocat général de la Cour de cassation, estimait que le fait de qualifier la société Enedis de producteur d’électricité était « contraire à la réalité des rapports contractuels et économiques qu’entretiennent les différents acteurs du secteur » puisque, d’une part, le gestionnaire d’un réseau de distribution ne saurait produire de l’électricité à partir d’une matière première qu’il n’a pas achetée et que, d’autre part, ce gestionnaire ne vend pas de l’électricité puisque le consommateur l’achète auprès du fournisseur. Il soutenait également que la qualité de distributeur d’Enedis qui s’évince des dispositions du code de l’énergie et des directives sur le marché intérieur de l’électricité l’empêchait de revêtir la qualité de producteur.

Le conseiller rapporteur exprimait également ses doutes quant à la position de la Cour fédérale allemande qui, dans un cas similaire, a jugé que le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité devait être qualifié de producteur en ce qu’il modifiait de manière significative de l’électricité, en transformant le niveau de tension de celle-ci aux fins de son utilisation par le consommateur final...

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