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La CJUE précise la notion de communication au public pour les plateformes en ligne

Dans un arrêt attendu, la Cour de justice de l’Union européenne précise que les exploitants de plateformes de partage de contenus en ligne telles que Youtube n’effectuent eux-mêmes pas de communication au public, à moins de contribuer de façon délibérée à donner au public accès à des contenus illicites.

par Ophélie Wangle 8 juillet 2021

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu, le 22 juin dernier, un arrêt attendu dans les affaires jointes C-682/18 et C-683/18. La CJUE avait été saisie par la Cour fédérale de justice allemande qui demandait son avis dans le cadre deux affaires, opposant respectivement un producteur de musique à la plateforme Youtube et l’éditeur scientifique Elsevier à la société Cyando et sa plateforme d’hébergement Uploaded.

Dans ces deux affaires, les titulaires de droits d’auteur (le producteur et l’éditeur) souhaitaient mettre en cause la responsabilité de Youtube et d’Uploaded suite au partage illégal de certaines de leurs œuvres sur ces plateformes en ligne. La CJUE devait donc décider si les exploitants de plateformes en ligne telles que Youtube et Uploaded, sur lesquelles des contenus contrefaisants peuvent être partagés par les utilisateurs, sont responsables de la communication au public de ces contenus.

La communication au public retenue seulement en cas d’intervention délibérée

Dans un premier temps, la Cour devait déterminer si les plateformes en ligne avaient effectué un acte de communication au public au sens de l’article 3 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001.

La CJUE rappelle d’abord que, pour pouvoir considérer qu’un exploitant de plateforme effectue un acte de communication au public, il faut  qu’il joue un rôle incontournable dans la mise à disposition des contenus illicites (v. CJUE 14 juin 2017, Stichting Brein, aff. C-610/15, D. 2017. 1248 ; ibid. 2390, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; JAC 2017, n° 50, p. 10, obs. E. Scaramozzino ; RTD com. 2017. 900, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2017. 864, obs. E. Treppoz ; RIDA juill. 2017. 126, obs. P. Sirinelli et A. Bensamoun ; CCE 2017, n° 70, note C. Caron ; Propr. intell. 2017, n° 65, p. 62, obs. C. Bernault ; LEPI 9/2017, p. 2, obs. A. Lucas ; JCP E 2018, n° 1406, obs. Zollinger). En l’occurrence, ce critère est bien rempli par les plateformes en cause puisqu’en leur absence, « le libre partage sur Internet de ces contenus s’avérerait impossible ou, à tout le moins, plus complexe » (§ 77).

Cependant, le seul critère du rôle incontournable de la plateforme ne suffit pas à établir l’existence d’un acte de communication. Il faut également que l’intervention de l’exploitant de plateforme revête un caractère délibéré. Ce caractère délibéré peut se déduire de différents éléments de faits énumérés par la Cour : le fait de s’abstenir de mettre en œuvre les mesures techniques appropriées pour contrer les violations au droit d’auteur, le fait de participer à la sélection de contenus illicites communiqués au public, le fait de fournir des outils spécifiquement destinés au partage de tels contenus ou d’inciter les utilisateurs à communiquer illégalement des œuvres protégées.

La Cour précise également que le seul fait, pour l’exploitant, de savoir que sa plateforme peut être utilisée pour partager des contenus illicites n’est pas suffisant à établir une intervention délibérée. En revanche, il en irait autrement si l’exploitant de plateforme, prévenu d’une violation au droit d’auteur par un titulaire de droit, s’abstenait de prendre promptement les mesures nécessaires à rendre le contenu illicite inaccessible.

Enfin, la Cour note que le caractère délibéré de l’intervention ne peut se déduire du but lucratif de la plateforme. Elle refuse donc explicitement de considérer que sa précédente décision « GS Media » (CJUE, 8 sept. 2016, aff. C-160/15, D. 2016. 1905 , note F. Pollaud-Dulian ; ibid. 2141, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2017. 697, édito. M. Vivant ; Dalloz IP/IT 2016. 543, obs. P. Sirinelli ; JAC 2016, n° 39, p. 6, obs. E. Scaramozzino ; RTD eur. 2017. 864, obs. E. Treppoz ; RIDA janv. 2017, p. 413, obs. P. Sirinelli, A. Bensamoun et J.-A. Benazeraf ; CCE 2016, n° 78, obs. C. Caron ; ibid. 2017. Étude 4, note S. Dormont ; RLDI déc. 2016. 8, note G. Busseuil ; LEPI 11/2016, p. 1, note C. Bernault) – dans laquelle elle avait précisé que le placement de liens hypertextes qui donnent accès à des contenus illicites est un acte de communication lorsqu’il est effectué dans un but lucratif – puisse donner lieu à une présomption générale.

La CJUE laisse le soin à la juridiction nationale de déterminer, au vu des éléments de chaque espèce, si les interventions de Youtube et de Cyando peuvent être considérées comme délibérées et si, en conséquence, ces sociétés ont effectué un acte de communication au public. 

Une exonération de responsabilité à des conditions restrictives

Dans un second temps, la CJUE s’intéressait à la question de savoir si l’exploitant d’une plateforme en ligne bénéficie de l’exonération de responsabilité mise en place par l’article 14 la directive 200/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique.

La Cour considère, en ligne avec sa jurisprudence antérieure (v. not., CJUE 23 mars 2010, Google France et Google, aff. C-236/08 à C-238/08, D. 2010. 885, obs. C. Manara ; ibid. 1966, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; ibid. 2011. 908, obs. S. Durrande ; Légipresse 2010. 158, comm. C. Maréchal ; RTD eur. 2010. 939, chron. E. Treppoz ; CCE 2010. Étude 12, par Bonet ; ibid. n° 70, note Caron ; Propr. ind. 2010. Comm. n° 38, note A. Folliard-Monguiral ; 12 juill. 2011, aff. C-324/09, L’Oréal (Sté) c/ eBay International (Sté), D. 2011. 1965, obs. C. Manara ; ibid. 2054, point de vue P.-Y. Gautier ; ibid. 2363, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli ; Légipresse 2011. 463 et les obs. ; ibid. 465 et les obs. ; RTD eur. 2011. 847, obs. E. Treppoz ; Gaz. Pal. 26/27 oct. 2011, p. 19, note L. Marino; CCE 2011, n° 99, note C. Caron) que cette exonération ne peut être applicable qu’aux prestataires intermédiaires, qui jouent un rôle purement technique, automatique et passif dans la transmission de l’information. Cela exclut toute connaissance ou contrôle de l’information stockée ou transmise. Ainsi, si jamais la juridiction de renvoi constatait que les exploitants des plateformes en cause effectuaient un acte de communication au sens de la directive 2001/29/CE, ceux-ci ne pourraient pas se prévaloir de l’exonération de responsabilité prévue par la directive sur le commerce électronique.

Pour bénéficier de l’exemption, l’exploitant d’une plateforme en ligne ne doit pas jouer de rôle actif et ne doit pas avoir une connaissance effective des contenus partagés. Ce rôle actif, précise la Cour, ne doit se déduire ni de la mise en place de mesures techniques visant à empêcher les atteintes au droit d’auteur, ni de l’existence d’un système d’indexation automatisée des contenus téléversés sur la plateforme.

En revanche, la Cour note que l’exploitant d’une plateforme en ligne ne peut se prévaloir de l’exemption s’il a eu connaissance d’actes illicites concrets commis par ses utilisateurs sans agir pour les endiguer. Cette connaissance peut notamment advenir par le biais d’une notification contenant « suffisamment d’éléments pour permettre à l’exploitant de cette plateforme de s’assurer, sans examen juridique approfondi, du caractère illicite de cette communication et de la compatibilité d’un éventuel retrait de ce contenu avec la liberté d’expression » (§ 116). 

Des conséquences indirectes sur l’interprétation de la directive DAMUN

Il peut être intéressant de noter que la décision de la Cour de justice, contrairement aux conclusions de l’avocat général (CJUE, concl. 16 juill. 2020, §§ 249 s.), se garde d’interpréter la nouvelle directive (UE) 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (dite « DAMUN », v. Dalloz IP/IT 2019. 288, art. P. Sirinelli ; Légipresse 2019. 530, art. C. Alleaume ; RTD com. 2021. 77, obs. F. Pollaud-Dulian ).

La CJUE ne prend donc pas clairement position sur la question de savoir si l’article 17 de cette nouvelle directive constitue un nouveau régime qui vient modifier la législation existante, et notamment la notion de communication au public, ou si, comme le laisse entendre le considérant 64 de la directive, il n’offre que des précisions d’interprétation qui pourraient s’appliquer aux affaires en cours de manière rétroactive.

Il n’en reste pas moins que la Cour précise que « les questions posées dans les présentes affaires portent sur la directive sur le droit d’auteur, sur la directive sur le commerce électronique ainsi que sur la directive relative au respect des droits, applicables à l’époque des faits au principal » et que « les interprétations fournies par la Cour en réponse à ces questions ne concernent pas le régime, entré en application postérieurement à cette époque, qui a été institué par l’article 17 de la directive (UE) 2019/790 » (§ 59), ce qui peut laisser penser que l’hypothèse d’un nouveau régime instauré par l’article 17 de la nouvelle directive serait à retenir.