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Article
Clause garantissant le risque d’invalidité de l’emprunteur : interpréter n’est pas réécrire
Clause garantissant le risque d’invalidité de l’emprunteur : interpréter n’est pas réécrire
La Cour de cassation casse et annule pour dénaturation et violation de l’article 1134 ancien du code civil une décision des juges du fond qui avait condamné l’assureur de l’emprunteur à prendre en charge, après la mise à la retraite anticipée de l’assuré pour incapacité, les échéances du prêt garanti alors que le contrat prévoyait la cessation de ces versements en cas de mise à la retraite de l’assuré « quelle qu’en soit la cause ».
par Julien Delayen, Membre du CEPRISCA, Enseignant-chercheur, UPJVle 11 janvier 2023
Si le contentieux de l’interprétation est toujours aussi vif en droit des assurances c’est que, aujourd’hui encore, « la convention la plus souvent jugée équivoque est incontestablement le contrat d’assurance » (M.-H. Maleville, Pratique de l’interprétation des contrats. Étude jurisprudentielle, PU Rouen n° 164, 1991, n° 30, p. 30 ; adde M.-H. Malleville-Costedoat, Un bilan décennal de l’interprétation et de la rédaction des contrats d’assurance, in Mélanges Jean Bigot, LGDJ, 2010, p. 265 s.). Il en est particulièrement ainsi pour « l’un des problèmes [d’interprétation] les plus irritants qui soient, celui des garanties octroyées à l’occasion d’un emprunt » (Lamy Droit des assurances, n° 588) et plus précisément s’agissant de l’application de la clause garantissant le risque d’incapacité ou d’invalidité de l’emprunteur consécutivement à la survenance d’un accident ou d’une maladie. En la matière, plus encore qu’en droit commun, la tentation est grande pour les juges du fond « de refaire le contrat en équité, sous couleur de l’interpréter » (J. Carbonnier, Droit civil, vol. II, Les biens. Les obligations, PUF, coll. « Quadrige », 2004, p. 2171, n° 1059). C’est qu’ils disposent d’une large marge de manœuvre dès lors que « l’interprétation rendue nécessaire par l’obscurité d’un texte échappe [en principe] à tout contrôle de la Cour de cassation » (Civ. 1re, 22 oct. 1974, Bull. civ. I, n° 271) en application du principe énoncé depuis l’arrêt Lubert du 8 février 1808, selon lequel l’interprétation d’un contrat relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
La Cour de cassation reste, malgré tout, vigilante. Elle prononce ainsi la cassation des décisions des juges du fond à la fois quand l’interprétation de la convention retenue par ces derniers l’a dénaturée (c’est-à-dire l’a « altérée dans son essence », J. Carbonnier, op. cit., p. 2172) mais aussi « quand les juges ont refusé d’appliquer une telle disposition, car, par là, ils ont violé l’article 1134 » (ibid.). Ces deux aspects des limites apportées à la liberté d’interprétation des juges du fond trouvent une parfaite illustration dans l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 15 décembre 2022 (n° 19-25.339).
En l’espèce, une fonctionnaire a adhéré à deux contrats d’assurance de groupe afin de couvrir les échéances de deux prêts bancaires souscrits les 23 juillet 2002 et 27 juin 2003, notamment en cas de survenance d’une incapacité de travail. Elle est placée en arrêt de travail le 1er mars 2004, avant d’être reconnue comme étant définitivement inapte à l’exercice de ses fonctions et placée, de ce fait, en retraite anticipée à compter du 1er mars 2009 à l’âge de cinquante ans. L’assureur prend donc en charge les mensualités des contrats de prêt bancaire à compter du 1er mars 2004. Cependant, ce dernier notifie en 2013 sa décision de mettre fin à cette prise en charge à compter du 1er mars 2009, date de la mise en retraite anticipée de l’assurée. Cette dernière introduit une action contre l’assureur et la banque afin d’obtenir le maintien de la garantie et la prise en charge des échéances des prêts.
La cour d’appel condamne l’assureur à poursuivre sa prise en charge des échéances des deux prêts jusqu’à la date des soixante ans de l’assurée, âge auquel elle aurait théoriquement dû partir en retraite. Les juges aboutissent à cette conclusion en désactivant, dans un premier temps, l’effet de la clause qui prévoyait que la garantie n’interviendrait qu’à « la date de [la] préretraite ou de [la] retraite [de l’assurée] quelle qu’en soit la cause y compris pour inaptitude au travail ». Ils considèrent en effet que cette clause entre en contradiction avec une clause relative aux modalités de mise en œuvre de la garantie et que cette contradiction nécessite de retenir l’interprétation la plus favorable à l’assurée, c’est-à-dire le maintien de la prestation due par l’assureur jusqu’aux soixante ans de l’assurée. Ils...
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Auteur(s) : Louis Perdrix; Céline Vivien