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Clauses de conciliation préalable « à toute instance » : où l’« inclusivité » se révèle piégeuse…

Il résulte de l’article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du code civil, et de l’article 122 du code de procédure civile que la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent. Bien que la clause ait été respectée avant la saisine d’un juge des référés, l’absence de mise en œuvre de la procédure de conciliation préalablement à l’instance au fond constitue une fin de non-recevoir.

Parmi les arrêts publiés rendus le 12 septembre 2024 par la deuxième chambre civile, l’un d’eux concerne une nouvelle fois la question des clauses de conciliation préalable obligatoire. L’arrêt statue sur la portée de la clause, sans être très clair sur la question posée et donc la réponse apportée : s’agissait-il de savoir si le demandeur doit, à nouveau, respecter la clause avant de saisir le juge du fond alors qu’il a saisi le juge des référés postérieurement à l’échec d’une tentative de conciliation ou de déterminer si la clause doit à nouveau être respectée lorsque l’objet de la demande n’est pas identique entre deux instances… mais alors lesquelles ?

Un fonds de commerce de pharmacie est cédé. L’acte de cession comporte une clause « prévoyant que toutes les contestations relatives à l’interprétation et l’exécution de la convention devaient, préalablement à toute instance, être soumises à des conciliateurs ».

Un différend survient, apparemment lié à un refus administratif de regroupement des officines de pharmacie et ses conséquences sur le sort de la cession intervenue antérieurement (que le pourvoi évoque). Les cédants mettent en œuvre une procédure de conciliation, sans succès. Ils saisissent donc, en référé, le président d’un tribunal de commerce de demandes tendant à voir condamner la société cessionnaire à exécuter ses obligations contractuelles. En appel (qui l’a interjeté ?), une cour d’appel rejette les demandes.

Par la suite, les cédants assignent la cessionnaire devant un tribunal de commerce « à fin de la voir condamner à leur payer diverses sommes principalement à titre de dommages et intérêts en réparation de ses manquements contractuels ».

Le tribunal de commerce accueille partiellement leurs demandes par un jugement dont la société cessionnaire relève appel.

La cour d’appel infirme le jugement : elle déclare les cédants irrecevables en leurs demandes indemnitaires ainsi qu’en paiement du stock et du matériel à l’encontre de la cessionnaire : la tentative de conciliation mise en œuvre avant le litige en référé avait des fondements, un contexte, des prétentions et des enjeux différents par rapport à l’instance au fond, de sorte qu’elle ne constituait pas la tentative de conciliation préalable à celle-ci.

Les cédants se pourvoient en cassation invoquant une violation des articles 1134, devenu 1103, du code civil et 122 du code de procédure civile : pour l’essentiel, selon eux, il y avait identité de la contestation en référé comme au fond ; la clause avait donc été suffisamment respectée avant la procédure au provisoire.

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

Il résulte de l’article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du code civil, et de l’article 122 du code de procédure civile que la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent.

La cour d’appel a eu raison de déclarer irrecevables les prétentions au fond des cédants :

  • le contrat de cession de fonds de commerce comportait une clause prévoyant que toutes les contestations relatives à l’interprétation et l’exécution de la convention devaient, préalablement à toute instance, être soumises à des conciliateurs ;
  • la cessionnaire soulevait la fin de non-recevoir tirée de l’absence de mise en œuvre de cette procédure de conciliation préalablement à l’instance au fond ;
  • les cédants lui soumettaient un différend né de l’exécution du contrat de cession.

L’arrêt du 12 septembre 2024 s’inscrit dans la construction jurisprudentielle des clauses de conciliation préalable obligatoire. Par petites touches non dénouées de flou – voire de divergences –, la Cour de cassation est amenée à préciser le régime de ces clauses, dont elle a affirmé, dès l’arrêt Saint-Valentin du 14 février 2003, qu’il s’agit d’une fin de non-recevoir. Pour autant, il est assez difficile de déterminer en quoi consiste l’apport du dernier arrêt en date.

Fin de non-recevoir d’ordre privé

La Cour de cassation a posé en principe que le recours à un processus amiable, obligatoire et préalable, prévu par le contrat, s’impose au juge lorsqu’il est opposé par une partie à la demande en justice de l’autre, et qu’il constitue une fin de non-recevoir – et non pas une exception dilatoire qui aurait constitué une cause de suspension de l’instance, pendant que les parties cherchent à s’accorder (Cass. ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423 P, D. 2003. 1386, et les obs. , note P. Ancel et M. Cottin ; ibid. 2480, obs. T. Clay ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 349, obs. R. Perrot ; v. aussi, Com. 17 juin 2003, n° 99-16.001 P, Godonier c/ Groupement d’intérêt économique La Cité des antiquaires, D. 2003. 2480 , obs. T. Clay ; RTD civ. 2004. 136, obs. R. Perrot ). La Cour de cassation considère qu’une telle ingérence dans le droit d’accès au juge est justifiée, ne portant pas une atteinte disproportionnée à ce droit d’accès au juge ni ne méconnaissent les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention (Civ. 3e, 7 mars 2024, n° 21-22.372).

Dès 2003, la nature de la fin de non-recevoir a été précisée : elle n’est pas d’ordre public, mais d’ordre privé : le juge ne doit, ni même ne peut, la relever d’office. Les parties, elles, peuvent la soulever en tout état de cause, y compris en appel (Com. 22 févr. 2005, n° 02-11.519, RTD civ. 2005. 450, obs. R. Perrot ), de sorte que la clause devient une « arme entre les mains du défendeur condamné en première instance » (P. Théry, RTD civ. 2015. 187 ). Par ailleurs, après avoir jugé l’inverse (Civ. 2e, 16 déc. 2010, n° 09-71.575, Dalloz actualité, 18 janv. 2011, obs. C. Tahri ; D. 2011. 172 ; RTD civ. 2011. 170, obs. R. Perrot ), la Cour de cassation affirme régulièrement, depuis 2014 (Cass., ch. mixte, 12 déc. 2014, n° 13-19.684, Dalloz actualité, 6 janv. 2015, obs. M. Kebir ; D. 2015. 298, obs. C. de presse , note C. Boillot ; ibid. 287, obs. N. Fricero ; RDI 2015. 177, obs. K. De la Asuncion Planes ; AJCA 2015. 128, obs. K. de la Asuncion Planes ; D. avocats 2015. 122, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2015. 131, obs. H. Barbier ; ibid. 187, obs. P. Théry ), que la situation tirée du défaut de mise en œuvre d’une clause contractuelle instituant une procédure obligatoire et préalable à toute saisine d’un juge n’est pas susceptible d’être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d’instance (Civ. 3e, 6 oct. 2016, n° 15-17.989, Dalloz actualité, 4 nov. 2016, obs. M. Ghiglino ; D. 2016. 2071 ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; ibid. 422, obs. N. Fricero ; AJ contrat 2016. 545, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2017. 146, obs. H. Barbier ; 16 nov. 2017, n° 16-24.642, Dalloz actualité, 29 nov. 2017, obs. M. Kebir ; D. 2018. 451 , note K. Mehtiyeva ; RDI 2018. 110, obs. P. Malinvaud ; Com. 30 mai 2018, n° 16-26.403, Dalloz actualité, 20 juin 2018, obs. M. Kebir ; D. 2018. 1212 ; AJ contrat 2018. 338, obs. N. Dissaux ; RTD civ. 2018. 642, obs. H. Barbier ).

L’arrêt du 12 septembre 2024 rappelle une fois de plus que la fin de non-recevoir est d’ordre privé : or, ici, les défendeurs l’ont invoquée devant le juge du fond, de sorte que le juge était obligé de déclarer la demande irrecevable… si tant est que la clause prévue au contrat de cession ait bien institué un préalable à l’action au fond.

Fin de non-recevoir « inclusive »

L’arrêt met en scène une situation qui semble inédite. Un contrat comporte une clause de conciliation assez précise puisque « prévoyant que toutes les contestations relatives à l’interprétation et l’exécution de la convention devaient, préalablement à toute instance, être soumises à des conciliateurs ». Or, une première demande est soumise à un juge des référés qui est précédée d’une tentative de conciliation dépourvue de succès. L’issue de l’instance en référé n’est pas favorable aux demandeurs. Ils saisissent alors le juge du fond de demandes similaires, qui entrent dans le champ d’application de la clause… sans la respecter.

Fallait-il à nouveau rencontrer un conciliateur, alors qu’une tentative de conciliation avait eu lieu et avait échoué ? Souvent il est admis que « MARD sur MARD ne vaut », ou, plus exactement qu’il n’est pas nécessaire de multiplier les tentatives d’accord lorsqu’une telle tentative a prouvé que cela ne servait à tien. Dans d’autres cas, l’adage est écarté : ainsi devant le tribunal judiciaire, en procédure orale ordinaire, qui doit cependant être précédée d’une tentative de...

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