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Code d’accès d’un téléphone : une convention de déchiffrement ?

Le code de déverrouillage d’un téléphone portable peut constituer une convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie lorsque ce téléphone est équipé d’un moyen de cryptologie et le refus de le remettre sur réquisition du policier est constitutif du délit de l’article 434-15-2 du code pénal.

par Sébastien Fucinile 20 octobre 2020

Par un arrêt du 13 octobre 2020 rendu sur pourvoi dans le seul intérêt de la loi du procureur général près la Cour de cassation, à l’encontre d’un arrêt de la cour d’appel de Paris du 16 avril 2019 (Dalloz actualité, 3 oct. 2019, obs. W. Azoulay ; AJ pénal 2019. 439, note P. de Combles de Nayves ), la chambre criminelle s’est prononcée sur la possibilité d’appliquer au refus de communiquer aux enquêteurs le code d’accès d’un téléphone portable le délit de refus de remise d’une convention de déchiffrement d’un moyen de cryptologie, prévu par l’article 434-15-2 du code pénal. L’arrêt y répond en deux temps. Tout d’abord, il s’intéresse à la condition préalable du délit, à savoir l’existence de réquisitions émanant de l’autorité judiciaire, en affirmant que « la réquisition délivrée par un officier de police judiciaire agissant en vertu des articles 60-1, 77-1-1 et 99-3 du code de procédure pénale, dans leur rédaction applicable au litige, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, entre dans les prévisions » du délit. Ensuite, l’arrêt répond à la principale question posée que « le code de déverrouillage d’un téléphone portable peut constituer [une convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie] lorsque ledit téléphone est équipé d’un moyen de cryptologie ». Ces deux affirmations sont nouvelles et permettent de mieux comprendre le champ d’application du délit prévu par l’article 434-15-2 du code pénal, bien que l’argumentation retenue ne soit pas exempte de critiques.

La condition préalable : l’exigence de réquisitions de l’autorité judiciaire et son application à la demande de l’officier de police judiciaire

Tout d’abord, le délit de refus de remettre une convention de déchiffrement suppose à titre préalable des réquisitions délivrées par les « autorités judiciaires » en vue de la remise d’une telle convention, lorsque le moyen de cryptologie est « susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit ». La répression prévue par ce texte ne saurait exister en l’absence de réquisitions en vue de l’obtention de la convention de déchiffrement. Le Conseil constitutionnel a récemment eu l’occasion de préciser que l’article 434-15-2 du code pénal est conforme à la Constitution, notamment du point de vue du droit de ne pas s’accuser, du droit au respect de la vie privée et du secret des correspondances (Cons. const. 30 mars 2018, n° 2018-696 QPC, Dalloz actualité, 19 avr. 2018, obs. D. Goetz ; D. 2018. 723, et les obs. ; AJ pénal 2018. 257, obs. M. Lacaze ; Dalloz IP/IT 2018. 514, obs. M. Quéméner ; Constitutions 2018. 192, décis. ; Procédures 2018, n° 5, obs. A.-S. Chavent-Leclère). Pour se prononcer ainsi, le Conseil constitutionnel a mis en avant le fait que la réquisition doit nécessairement émaner de l’autorité judiciaire et qu’elles « n’ont pas pour objet d’obtenir des aveux de sa part et n’emportent ni reconnaissance ni présomption de culpabilité ». Sur ces mêmes motifs, la chambre criminelle a récemment déclaré conventionnel l’article 434-15-2 (Crim. 10 déc. 2019, n° 18-86.878, D. 2019. 2410 ; AJ pénal 2020. 33, obs. I. Bello ; Dalloz IP/IT 2020. 193, obs. M. Quéméner ; Lexbase pénal 2020, n° 23, obs. W. Azoulay). Encore faut-il savoir ce que signifie la notion d’autorité judiciaire mentionnée à l’article 434-15-2 du code pénal, ce qui n’a pas été précisé par le Conseil constitutionnel. Au sens constitutionnel, l’autorité judiciaire renvoie aux magistrats du parquet et aux magistrats du siège, comme cela ressort des articles 64 et suivants de la Constitution. Il devrait en résulter que seules les réquisitions émanant du procureur de la République ou d’un juge pourraient conduire à l’application de l’article 434-15-2. Ainsi en est-il des réquisitions émanant du procureur de la République durant l’enquête de flagrance (C. pr. pén., art. 60-1) ou l’enquête préliminaire (C. pr. pén., art. 77-1-1) ou émanant du juge d’instruction durant l’information judiciaire (C. pr. pén., art. 99-3). Cependant, durant l’enquête de flagrance, les réquisitions peuvent également émaner de l’officier de police judiciaire, voire, sous le contrôle de ce dernier, de l’agent de police judiciaire (C. pr. pén., art. 60-1).

On aurait donc pu penser que l’article 434-15-2 n’était pas applicable en cas de réquisitions émanant d’un officier ou d’un agent de police judiciaire. La chambre criminelle n’a pas été de cet avis : dans l’arrêt qui lui était déféré, la cour d’appel avait estimé que la demande faite par un fonctionnaire de police ne constituait pas une réquisition émanant d’une autorité judiciaire. La chambre criminelle critique cet argument en affirmant que la réquisition émanant d’un officier de police judiciaire, notamment sur le fondement de l’article 60-1, « sous le contrôle de l’autorité judiciaire, entre dans les prévisions de l’article 434-15-2 du code pénal ». Si cela n’est pas critiquable s’agissant de l’enquête préliminaire, où l’officier de police judiciaire doit nécessairement obtenir l’autorisation du procureur de la République, ni de l’information judiciaire, où le policier doit être commis par le juge, il en va autrement de l’enquête de flagrance. Certes, l’enquête est sous le contrôle du procureur de la République (C. pr. pén., art. 53, al. 2), mais la réquisition délivrée par l’officier de police judiciaire durant l’enquête de flagrance ne suppose aucun contrôle préalable du procureur de la République. En ce sens, il apparaît difficile d’affirmer que la réquisition est délivrée par l’autorité judiciaire. Au contraire, c’est un cas où l’application de l’article 434-15-2 devrait être écartée si l’on s’en tient à l’interprétation stricte de l’article 434-15-2. En effet, lorsque le législateur a envisagé de dispenser l’officier de police judiciaire d’obtenir l’autorisation du procureur de la République pour délivrer des réquisitions en enquête préliminaire, le Conseil constitutionnel s’y est opposé, en relevant que « ces réquisitions pouvant porter sur toute information relative à la vie privée et être adressées à toutes personnes sans autorisation du procureur de la République, dans le cadre de l’enquête préliminaire, le législateur a méconnu l’exigence de direction et de contrôle de l’autorité judiciaire sur la police judiciaire » (Cons. const. 21 mars 2019, n° 2019-778 DC, § 175, AJDA 2019. 663 ; D. 2019. 910, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2020. 1324, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2019. 172, obs. V. Avena-Robardet ; Constitutions 2019. 40, chron. P. Bachschmidt ). Il ne faut pas oublier qu’en toute hypothèse, le refus de répondre à une réquisition pour délivrer une information intéressant l’enquête est un délit puni de 3 750 € d’amende (C. pr. pén., art. 60-1, al. 2).

La chambre criminelle a cependant affirmé qu’en l’espèce, il ne s’agissait pas d’une réquisition dans la mesure où il n’y avait qu’une « simple demande formulée au cours d’une audition, sans avertissement que le refus d’y déférer est susceptible de constituer une infraction pénale ». Le code de procédure pénale ne dit rien sur les formes des réquisitions et la Cour de cassation n’a jamais vraiment précisé les formes qu’elles devaient revêtir, sauf à préciser que l’autorisation du procureur de la République en enquête préliminaire n’est soumise à aucune forme particulière (Crim. 23 mai 2006, n° 06-83.241, Dalloz actualité, 5 juill. 2006, obs. C. Girault ; D. 2006. 2836 , note J. Pradel ; AJ pénal 2006. 367, obs. C. Girault ; RSC 2006. 853, obs. R. Finielz ; 1er févr. 2011, n° 10-83.523, Dalloz jurisprudence). Il apparaît cependant nécessaire que la personne à qui les réquisitions sont faites comprenne qu’elle est tenue de répondre aux réquisitions et que son refus est constitutif d’une infraction pénale. En ce sens, la demande de communication du code au cours d’une audition de garde à vue, sans ces informations, ne pouvait être constitutive d’une réquisition.

L’élément matériel : la caractérisation du refus de remettre une convention de déchiffrement au refus de fournir le code de déverrouillage d’un téléphone

Ensuite, la chambre criminelle a cassé l’arrêt d’appel qui avait dénié au « code de déverrouillage d’un téléphone portable d’usage courant » la qualification de convention secrète d’un moyen de cryptologie. La Cour de cassation a reproché à la cour d’appel de s’être fondée sur « la notion inopérante de téléphone d’usage courant ». Pour autant, elle ne dit pas que le code de déverrouillage d’un téléphone portable constitue une convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie. Elle rappelle tout d’abord la définition de la convention secrète d’un moyen de cryptologie telle qu’elle résulte de l’article 29 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004. Elle précise ainsi que « la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie contribue à la mise au clair des données qui ont été préalablement transformées, par tout matériel ou logiciel, dans le but de garantir la sécurité de leur stockage, et d’assurer ainsi notamment leur confidentialité ». De cette définition, la chambre criminelle en déduit que « le code de déverrouillage d’un téléphone portable peut constituer une telle convention lorsque ledit téléphone est équipé d’un moyen de cryptologie ».

Cette position semble plus équilibrée que celle de la cour d’appel. Sa référence à la notion de « téléphone d’usage courant » était critiquable et critiquée (v. P. de Combles de Nayves, art. préc.). Elle semble également plus équilibrée que celle que la chambre criminelle a elle-même eu un an auparavant : elle estimait alors, sans s’en expliquer, que le seul fait de refuser de remettre le code de déverrouillage d’un téléphone dont il y a des raisons de penser qu’il est en lien avec les infractions reprochées est constitutif du délit de l’article 434-15-2 (Crim. 10 déc. 2019, préc.). L’arrêt commenté laisse cependant subsister des doutes sur le champ d’application de ce délit, dès lors qu’il dépend de la question de savoir si le téléphone est équipé ou non d’un moyen de cryptologie, ce qui laisse planer le doute, comme l’arrêt de la cour d’appel, sur les téléphones auxquels cette jurisprudence peut s’appliquer.

On peut cependant s’interroger sur cette appréciation de convention de déchiffrement d’un moyen de cryptologie, et plus particulièrement sur celle de « moyen de cryptologie ». Le recours à un moyen de cryptologie est utilisé pour préparer ou commettre un crime ou un délit ou pour en faciliter la préparation ou la commission constitue une circonstance aggravante générale (C. pén., art. 132-79). Est-ce à dire que, dès lors qu’un téléphone doté d’un moyen de cryptologie, comme peuvent l’être les smartphones, est utilisé, cette circonstance aggravante doit s’appliquer ? La pertinence et le champ d’application de cette circonstance aggravante, comme du délit de l’article 434-15-2, interrogent, et ce d’autant plus que, depuis leur création par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, ils n’ont fondé que très peu de décisions de condamnation : la Cour de cassation n’a jamais rendu un seul arrêt évoquant l’article 132-79 et le premier relatif à l’article 434-15-2 est celui ayant renvoyé une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel (Crim. 10 janv. 2018, n° 17-90.019, Dalloz jurisprudence) et, quelque temps plus tard, celui ayant appliqué l’article 434-15-2 au code de déverrouillage d’un téléphone (Crim. 10 déc. 2019, préc.). Autrement dit, les seules applications connues du délit de refus de remettre une convention de déchiffrement sont relatives au refus de fournir le code d’un téléphone portable, ce qui n’était probablement pas l’intention du législateur.