Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Comment instruire et juger une demande « en la forme des référés » ?

Nul n’ignore que l’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 et le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 ont précisé le régime et le champ d’application de la procédure accélérée au fond. Mais l’article 17 de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 continue de préciser que le président du tribunal statue « en la forme des référés ». Au terme d’une interprétation téléologique, la Cour de cassation est d’avis que, malgré l’emploi de cette formule erronée, la demande doit être instruite et jugée selon la procédure accélérée au fond.

Légiférer est un art difficile ! Telle pourrait être la morale de l’avis rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 14 septembre 2022.

Il n’y a pas si longtemps les textes regorgeaient de demandes qui devaient être instruites et jugées « en la forme des référés ». La formule, maintes fois critiquée, était trompeuse et ce fût une bonne chose que l’article 38 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice autorise le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures nécessaires pour modifier les dispositions régissant les procédures en la forme des référés devant les juridictions judiciaires aux fins de les unifier et d’harmoniser le traitement des procédures au fond à bref délai (Y. Strickler, De la forme des référés à la procédure accélérée au fond, JCP 2019. 928). L’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 et le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 entreprirent donc de préciser le régime et le champ d’application de cette procédure accélérée au fond : ils tentèrent d’inventorier l’ensemble des textes mentionnant qu’une demande devait être jugée et instruite en la forme des référés pour préciser si elle devrait l’être désormais selon la procédure de référé, la procédure sur requête, la procédure de droit commun ou la procédure accélérée au fond.

Ce recensement des textes qui prescrivaient d’instruire et de juger une demande en la forme des référés était fastidieux et, inévitablement, exposait au risque d’un oubli (Y. Strickler, Les procédures rapides (procédure accélérée au fond, procédures d’urgence), Procédures 2020. Étude 7, n° 5). C’est précisément ce qui est arrivé à l’article 17 de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi : ce texte indique que toutes les demandes formées en application de l’ordonnance devaient être soumises au président du tribunal civil ou du tribunal de commerce « statuant en la forme des référés ». Certes, comme l’a relevé la Cour de cassation dans l’avis commenté, l’article 28 de l’ordonnance n° 2019-738 prévoit de manière générale que le président du tribunal judiciaire devra désormais connaître selon la procédure accélérée au fond des litiges attribués par conventions internationales ; mais l’ordonnance de 1945 n’est pas une convention internationale. Il y avait bel et bien un oubli qu’il fallait combler.

La Cour de cassation aurait pu rendre un avis un brin provocateur. On sait, en effet, que le président du tribunal judiciaire n’a en principe vocation à statuer selon la procédure accélérée au fond que dans les cas prévus par la loi ou le règlement (COJ, art. L. 213-2 ; v. égal., C. pr. civ., art. 481-1). Sauf en matière d’indivision (Civ. 1re, 15 févr. 2012, n° 10-21.457 P, Dalloz actualité, 21 mars 2012, obs. S. Prigent ; D. 2012. 553 ; 20 mai 2009, nos 07-21.679, Larrivière (Epx) c/ Foncia Chablais (Sté), D. 2009. 1536 ; ibid. 2058, chron. P. Chauvin, N. Auroy et C. Creton et 08-10.413), c’était d’ailleurs en suivant scrupuleusement les textes que la Cour de cassation avait pu identifier les demandes qui devaient être instruites en la forme des référés (M. Foulon et Y. Strickler, Les référés en la forme, Dalloz, 2013, n° 11.14). Parce que l’article 17 de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 ne prévoit pas expressément le recours à la procédure accélérée au fond, la Cour de cassation aurait pu décider qu’il convenait de lui appliquer la procédure de droit commun (comp., Civ. 1re, 15 févr. 2012, n° 10-21.457 P, Dalloz actualité, 12 mars 2012, obs. S. Prigent).

Une telle lecture aurait cependant occulté l’intention du législateur et la Cour de cassation a justement préféré recourir à une interprétation téléologique (v. déjà, Civ. 2e, avis, 8 juill. 2022, n° 15008 P, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly ; Légipresse 2014. 396 et les obs. ; ibid. 556, comm. X. Salvat et B. Ader ). Lorsqu’une demande fondée sur l’application de l’ordonnance n° 45-770, le président du tribunal judiciaire décide « au fond », expression un peu vague qui paraît toutefois exclure qu’il statue selon la procédure de référé ou la procédure sur requête qui ne conduisent qu’au prononcé de décisions provisoires. Il fallait alors déterminer si la demande devait être instruite selon la procédure de droit commun ou selon la procédure accélérée au fond. Pour ce faire, la Cour de cassation a, dans l’avis commenté, opéré un rapprochement. D’un côté, l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 avait, d’après ses motifs, pour finalité de permettre « par une procédure aussi rapide et peu coûteuse que possible, aux propriétaires dépossédés de rentrer légalement en possession de leurs biens, droits ou intérêts ». De l’autre, dans le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019, il était indiqué que le texte tendait à « préserver la philosophie de la procédure « en la forme des référés » dans les matières dans lesquelles il est indispensable de pouvoir disposer d’une voie procédurale permettant d’obtenir un jugement au fond dans des délais rapides ». De ce rapprochement, la Cour de cassation a en déduit que le président du tribunal judiciaire statue selon la procédure accélérée au fond prévue à l’article 481-1 du code de procédure civile lorsqu’il connaît de demandes formées en application de l’article 17 de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945. La solution est tout à fait conforme à l’intention du législateur et l’oubli est finalement sans conséquences dommageables…