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Comment le ministère de la justice espère rebondir sur le dossier des écoutes judiciaires

La Place Vendôme va donner un coup de neuf aux écoutes judiciaires. Ce projet sensible est attendu après les déboires enregistrés par la première version de la plateforme nationale des interceptions judiciaires.

par Gabriel Thierryle 21 novembre 2018

Le ministère de la justice se prépare à tourner la page de la laborieuse mise en place de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ). La Place Vendôme finalise son esquisse technique du futur outil dédié aux écoutes judiciaires, la PNIJ NG (nouvelle génération). Un ou plusieurs appels d’offres devraient être lancés d’ici 2019 ou 2020. Avec ce projet, le ministère de la justice va reprendre à zéro la conception de ce logiciel sensible. Ce dernier est destiné à remplacer, dans les six ans à venir, l’actuelle plateforme conçue par l’industriel Thales.

À la place d’une plateforme trop rigide, le ministère imagine désormais des briques modulables en fonction des besoins. « Ce n’est pas un constat d’échec : les technologies évoluent », explique Damien Martinelli, directeur de l’Agence nationale des techniques d’enquêtes numériques judiciaires (ANTENJ), l’agence du ministère de la justice en charge de ce dossier. « Aujourd’hui, les solutions globales n’existent pas, nous voulons au contraire concevoir un outil plus souple et plus évolutif », ajoute-t-il.

Ce nouveau marché devrait également être l’occasion de déléguer moins de fonctionnalités au privé. Ainsi, l’hébergement des données devrait revenir dans le giron de l’État, ce qui pourrait constituer une source non négligeable d’économies, et mettre fin aux inquiétudes liées à la privatisation de cette prestation. « Nous avions d’emblée critiqué les risques liés à une telle centralisation d’informations sensibles chez une entreprise privée », rappelle le secrétaire national du Syndicat de la magistrature, Vincent Charmoillaux.

Fiasco

Après le fiasco du lancement de la première version de la PNIJ, étrillée dans un rapport de la Cour des comptes publié en avril 2016, le ministère de la justice se sait très attendu sur ce dossier. Annoncée en 2006, attribuée à Thales en 2010, la PNIJ n’est devenue que tardivement opérationnelle. Le nouvel outil, pour un coût final de 150 millions d’euros environ, a été plombé par de nombreux problèmes d’ergonomie et de bugs qui ont suscité l’exaspération des enquêteurs. « La PNIJ alourdit notre charge de travail, relève David Alberto, conseiller technique du syndicat d’officiers de police Synergie. Les difficultés d’accès à distance nous obligent par exemple à affecter une personne au bureau pour gérer les écoutes. Nous arrivons bien à juguler les problèmes techniques mais c’est au détriment de nos capacités d’action. »

Autres manques dénoncés : la gestion des écoutes pour la 4G, désormais effective, ou encore l’accès aux géolocalisations, attendues seulement pour l’année prochaine. « C’est un scandale d’État au regard du coût financier et de ce que l’outil a pu apporter aux enquêteurs », résume Christophe Rouget, secrétaire général adjoint du syndicat de police SCSI-CFDT. « La PNIJ a été mise en place de façon précipitée, relève de son côté Jacky Coulon, secrétaire national de l’USM. Par exemple, les magistrats se sont retrouvés face à l’outil sans aucune formation. »

La montée en puissance de l’ANTENJ

Les enquêteurs et les magistrats consultés par Dalloz soulignent cependant de nettes avancées depuis la création de l’ANTENJ, en avril 2017. Dotée de davantage de personnels que l’ancienne délégation aux interceptions judiciaires, elle doit encore monter en puissance. Les moyens supplémentaires ont d’ores et déjà permis un meilleur suivi de ce projet complexe. Réunions mensuelles, rencontres avec les utilisateurs ou visites sur le terrain se succèdent désormais pour traquer les problèmes. « Nous avions insuffisamment remonté et organisé l’expression du besoin », admet Damien Martinelli.

Bon an mal an, la plateforme d’interceptions judiciaires a trouvé aujourd’hui son régime de croisière, avec environ 11 000 interceptions judiciaires simultanées et 900 000 communications interceptées par semaine. Les déboires rencontrés ne doivent pas faire oublier qu’elle a bien permis de simplifier, par exemple, la réquisition de factures détaillées, la traçabilité des interceptions ou le suivi d’un dossier par les magistrats. L’équation, déjà bien complexe, n’a pas été facilitée par l’explosion du nombre d’opérateurs de télécommunications et d’applications de messageries. Autant de difficultés à surmonter pour le futur chantier à venir.