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Comment muscler la confiscation des biens des délinquants ?

Un rapport parlementaire, publié par Dalloz actualité, fait le point sur les saisies et confiscations des biens par la justice. Si leur nombre a augmenté ces dernières années, les députés proposent différentes pistes pour aller plus loin.

par Pierre Januelle 26 novembre 2019

En 2010, dans l’objectif de frapper les délinquants au portefeuille, une loi a refondé le système de saisie et de confiscation en matière pénale et a créé l’AGRASC (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués). Dix ans plus tard, pour faire le bilan, le gouvernement a missionné deux députés : Jean-Luc Warsmann, ancien président de la commission des lois qui fut à l’origine de la loi de 2010 et Laurent Saint-Martin, qui sera le prochain rapporteur général du budget. Après avoir mené 144 auditions, ils font 34 propositions.

Plus de saisies et de confiscations mais trop concentrées

La mission note tout d’abord un changement de culture avec une augmentation importante des avoirs saisis. Près de 60 000 mesures de confiscation ont été prononcées par les tribunaux correctionnels en 2017 et 9 % des condamnations prononcées par les tribunaux correctionnels étaient assorties d’une confiscation.

Année 2013 2014 2015 2016 2017 2018
Mesures de confiscation 48 781 50 431 59 092 60 709 61 213  /
Avoirs criminels saisis (police et gendarmerie), en million d’euros 357 592 583 521 540 645

Toutefois, les saisies restent concentrées sur les dossiers économiques et financiers (entre 60 et 70 % des saisies) et restent trop rares dans la délinquance de moyenne intensité. La coopération internationale fonctionne aussi de manière trop aléatoire : à eux seuls, cinq pays (Espagne, Belgique, Portugal, Allemagne et Roumanie) totalisent plus de la moitié des demandes adressées par la France (262 échanges sur 503).

Muscler l’AGRASC

Pour les députés, les différents organes concourant à l’identification des avoirs criminels travaillent trop souvent en silo, chacun ayant sa propre doctrine. La mission recommande une politique plus offensive et plus cohérente. Pour cela, il faut renforcer l’AGRASC et la déconcentrer en créant seize agences en région, auprès de chaque cour d’appel. L’AGRASC regrouperait un nombre important de missions et, en tant qu’unique bureau de recouvrement des avoirs, assurerait une meilleure coordination avec les services d’investigation. Cela nécessiterait un investissement de 8 millions d’euros.

Les parlementaires souhaitent créer un centre de ressources à l’AGRASC, qui centraliserait, pour toute la chaîne pénale, les informations sur un bien saisi ou confisqué. Cela faciliterait aussi la réalisation de statistiques fiables, qui manquent cruellement. Par ailleurs, les députés veulent simplifier les modes de financement de l’AGRASC ainsi que les différents fonds de concours actuellement alimentés par l’argent des confiscations.

La mission a aussi constaté que l’organisation actuelle des juridictions ne permettait pas de gérer les saisies de manière efficace. Actuellement, les biens saisis en vue de leur confiscation ont le même statut que les scellés à visée probatoire. Cela entraîne des frais de garde importants, notamment pour les véhicules (22,5 millions d’euros en 2018). D’autant que 70 % des véhicules sont ensuite considérés comme invendables. Les députés préconisent que les magistrats statuent sur le sort des biens saisis dans les trois mois.

Systématiser les enquêtes patrimoniales pour plus de confiscations

La mission regrette le faible nombre d’enquêtes patrimoniales, qui permettent d’établir le patrimoine d’un délinquant. Ces enquêtes sont perçues comme des charges supplémentaires par des enquêteurs déjà sous tension, d’autant que différentes lourdeurs procédurales et matérielles sont parfois décourageantes. Par exemple : les réquisitions bancaires prennent encore six mois et les enquêteurs doivent ressaisir manuellement les informations envoyées en format PDF par les banques.

Le rapport fait, après d’autres, le constat des difficultés à recruter des officiers de police judiciaire et de « la perte générale d’intérêt pour les fonctions d’investigation, et plus particulièrement pour les enquêtes économiques et financières ». Pour favoriser les enquêtes, Saint-Martin et Warsmann souhaitent l’instauration d’une prime corrélée au taux d’enquêtes patrimoniales réalisées. Parallèlement, ils recommandent d’élargir l’accès à divers fichiers (FICOBA, FICOVI), d’automatiser la consultation des fichiers patrimoniaux et de faciliter les réquisitions.

La mission préconise aussi l’instauration d’une procédure d’enquête post-sentencielle pour certaines infractions : le but est de permettre aux policiers et gendarmes d’identifier le patrimoine du condamné après sa condamnation, en utilisant des pouvoirs spéciaux d’enquête.

Les députés souhaitent aussi étendre le champ d’application de la peine complémentaire de confiscation (C. pén., art. 131-21) aux délits de vol, d’abus de confiance et de faiblesse et de travail dissimulé, et élargir les cas de confiscation obligatoire d’un bien en relation directe avec une infraction. Au-delà, pour Laurent Saint Martin et Jean-Luc Warsmann, la peine de confiscation, plus visible et efficace, devrait devenir une peine principale et plus seulement complémentaire.