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Comment la police reprend en main la sécurité du nouveau palais de justice de Paris

La sécurité du palais de justice des Batignolles ne sera plus assurée par des gendarmes mais par des policiers. La Préfecture de police de Paris vient de finaliser son organisation.

par Gabriel Thierryle 21 novembre 2017

Dans l’agenda du préfet de police de Paris, il y a une date qui est scrutée avec attention. En juin 2018, le nouveau palais de justice des Batignolles doit ouvrir ses portes. Le nouvel écrin de la justice parisienne, dont la construction a débuté en mars 2014, est très attendu. Avec ses 38 étages et ses 90 salles d’audiences, l’édifice construit en bordure du périphérique se veut avant tout, comme l’expliquent ces concepteurs, un « bâtiment fonctionnel » qui devra faire oublier le charme de l’ancien palais, planté au cœur de l’Île de la Cité.

La Préfecture de police de Paris est très attentive à ce chantier car elle va récupérer à l’occasion du déménagement une nouvelle mission, jusqu’ici assurée par les gendarmes. Dans le nouvel édifice, ce seront désormais des gardiens de la paix qui seront chargés de la police des audiences, des escortes et de la sûreté des locaux, en plus de la garde du dépôt, déjà sous la responsabilité de la police dans l’ancien palais de justice. Filtrage des accès, vidéosurveillance ou encore plots de mobilier urbain doivent faciliter cette mission sensible.

Le 7 novembre dernier, la police a mis discrètement le point final à l’architecture du nouveau service policier chargé de toutes ces missions, présentée en comité technique interdépartemental. Son nom ? La nouvelle compagnie de la garde du tribunal de grande instance de Paris (CGTGI). Elle sera rattachée à la sous-direction de la protection des institutions, et donc à la direction de l’ordre public et de la circulation. Dans le détail, la compagnie sera divisée en trois sections, escortes, police des audiences et sûreté.

385 policiers

En tout, la Préfecture de police a prévu d’affecter à cette nouvelle compagnie pas moins de 385 policiers, qui s’ajouteront aux effectifs de la compagnie de garde du dépôt, estimée à environ 200 personnels. Ces gardiens de la paix seront enfin secondés, pour le filtrage des entrées, par des agents de sécurité privée chargés de la fouille des sacs et du contrôle d’accès. « Un appel d’offres est en cours », précise le ministère de la Justice, qui espère attribuer ce marché en mars 2018.

Jusqu’ici, trois escadrons de gendarmerie mobile étaient affectés à la sécurité du palais de justice, soit environ 240 militaires. « La gendarmerie a très volontiers libéré cette tâche », observe Frédéric Le Louette, le président de GendXXI, une association de militaires. Pour le commandement, ne plus assurer cette mission, c’est récupérer l’usage de gendarmes supplémentaires pour du maintien de l’ordre – environ un escadron, les deux autres restant mobilisés pour la sécurité de la cour d’appel et de la Cour de cassation. Les militaires du rang, eux, ne devraient pas regretter ces longues gardes de dix à douze heures peu motivantes.

« Le départ de la gendarmerie est logique : on aligne le fonctionnement du tribunal de grande instance de Paris sur celui des autres tribunaux de banlieue, comme Bobigny ou Créteil », relève Nicolas Til, délégué syndical d’Unsa-Police à Paris. Pourtant, le transfert de mission a déjà fait couler beaucoup d’encre. Car il n’avait pas été anticipé par les architectes, peu au fait d’une subtilité entre policiers et gendarmes : si les second prennent leur poste en tenue, ce n’est pas le cas des premiers, qui ont besoin d’un vestiaire, avait relevé l’an passé le Canard Enchaîné. De même, le faible nombre de places de parking disponibles autour des Batignolles inquiètent les syndicats.

Une tâche « indue » ?

Surtout, « nous avons du mal à comprendre pourquoi la police récupère cette mission », remarque Yvan Assioma, responsable du syndicat Alliance police Paris. « Nous voulons au contraire recentrer le policier sur son cœur de métier : notre job devrait s’arrêter à l’interpellation et à la mise à disposition du délinquant », ajoute-t-il. Pour ce syndicaliste, c’est l’administration pénitentiaire qui aurait été la mieux à même de remplir cette mission.

La police des audiences ne fait pas rêver du côté des gendarmes ni des policiers. Du coup, la préfecture de police manie la carotte – selon les syndicats, des possibilités d’avancement pour les futurs personnels d’encadrement – et le sifflet. Elle va recruter d’office dans les rangs des policiers fraîchement diplômés. « Les gardiens de la paix ne se battent pas pour intégrer ce nouveau service, résume Yvan Assioma. Ce n’est pas inintéressant, mais les jeunes policiers sortis d’école préfèrent souvent intégrer un commissariat ou faire de la lutte contre la délinquance. Si l’on veut attirer des personnels dans ce nouveau service, il faudra d’autres moyens, comme des cycles horaires plus intéressants ou un avancement plus rapide, car sinon il y aura un turn-over énorme. »

Pour le moment, le préfet de police de Paris a obtenu un contingent de 250 policiers sur les 1 290 « bleus » de la 245e promotion de gardiens de la paix, attendus pour le mois de décembre. Les organisations syndicales ont sorti la calculette : au printemps, il n’y aura pas assez de policiers pour remplir la nouvelle mission. « La police se rend compte que leur estimation des besoins n’était pas dans les clous, souligne Frédéric Le Louette. Ils n’ont pas demandé assez d’effectifs supplémentaires au départ. » Deux pistes se dessinent pour faire face au manque d’effectifs : d’une part, la montée en puissance progressive du nouveau palais devrait permettre au nouveau service de prendre ses marques. D’autre part, le préfet de police pourra toujours faire appel à des renforts extérieurs – certainement des gendarmes mobiles rompus à cette mission – en attendant la prochaine promotion de gardiens de la paix…