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Comment les procureurs s’emparent avec précaution de Twitter

Près d’un procureur sur quatre est présent sur le réseau social Twitter. Si les chefs de parquet ayant un compte sont toujours minoritaires, la tendance s’accélère.

par Gabriel Thierryle 29 juin 2021

L’appel de la Chancellerie n’a pas été vain. En demandant à ses procureurs de développer « davantage le recours aux moyens modernes de communication », dans une circulaire du 1er octobre, Éric Dupond-Moretti a donné un coup de fouet aux comptes Twitter du ministère public. S’ils ne sont qu’une grosse quarantaine, essentiellement sous la dénomination de leur juridiction, à être présents sur le réseau social, la tendance s’accélère, avec 23 comptes créés depuis octobre 2020.

Douze procureurs et procureurs généraux ont ainsi déjà rejoint en 2021 Twitter. L’année d’avant, ils étaient treize. Les derniers comptes ? Le procureur général de Poitiers, la procureure d’Albertville ou encore celui d’Orléans, qui a déjà écrit douze tweets. L’un de ses derniers messages signale la mise en œuvre d’une nouvelle convention avec la police, la gendarmerie et l’association d’aide aux victimes du Loiret pour améliorer le traitement judiciaire des violences conjugales.

Certes, sur les 200 parquets et parquets généraux que compte l’Hexagone, la présence des procureurs reste modeste sur ce réseau social qui rassemble, selon Mediamétrie, 4,8 millions d’utilisateurs en France par jour. Mais elle traduit néanmoins une évolution significative dans la communication des magistrats du parquet. Car pendant longtemps, les juridictions ont boudé ce réseau social créé il y a quinze ans.

Si les comptes les plus anciens datent des années 2012 et 2013, il faudra vraiment attendre 2016 pour voir des premiers parquets s’investir sur le réseau social. Avec aujourd’hui toujours de grands absents, comme le procureur de Paris Rémy Heitz. Contrairement à son prédécesseur, François Molins, devenu le procureur général près la Cour de cassation, le magistrat n’a pas ouvert de compte pour son poste.

Communication trop désuète

L’ouverture de comptes Twitter par les chefs de parquet doit donner un coup de neuf à la communication du ministère public. Et leur permettre de suivre la cadence de leurs services d’enquête, la police et la gendarmerie, qui utilisent désormais beaucoup le réseau social pour communiquer.

« Au ministère, la communication des parquets est jugée trop désuète, analyse le secrétaire général de l’USM, Ludovic Friat. Mais nous avons parfois l’impression d’une sorte de compétition institutionnelle dans la communication, avec parfois une course à l’échalote entre la police, la gendarmerie et les maires. Ce n’est pas neutre que le parquet communique beaucoup. Car il va le faire en déclinant localement la politique gouvernementale, en communiquant sur ses actions concrètes, ce qui est de sa responsabilité. C’est aussi une façon de dire que ce n’est pas un angle mort présidentiel. »

L’utilisation de Twitter par les procureurs doit être facilitée par l’arrivée des « sucres rapides », ces contractuels recrutés pour mettre de l’huile dans les rouages de la justice. Ainsi, les chefs de cabinet embauchés peuvent avoir dans leurs missions des tâches liées à la communication. Précurseur sur le réseau, avec une inscription en 2013, le procureur de Grenoble Éric Vaillant n’a toutefois pas encore sous-traité cette tâche à son chef de cabinet.

« Je consacre environ 2h30 à 3h par jour aux réseaux sociaux, compte ce magistrat partisan d’une justice incarnée. Twitter me permet de m’informer sur les sujets qui m’intéressent, comme par exemple l’actualité judiciaire ou les nouveautés mises en place par ses collègues dans d’autres juridictions ». Lecteur, ce procureur est également acteur avec des tweets qui signalent des articles de presse reprenant des communiqués du parquet et des articles sur le fonctionnement de la justice.

Autre inscrit de longue date, mais rédacteur de tweets depuis peu, Julien Wattebled, le procureur de Niort, consacre environ dix minutes par jour à l’écriture de ses messages. « Twitter, c’est simple, on le fait depuis son téléphone et cela nous oblige à être concis », explique-t-il. Le magistrat communique sur le réseau social sur des affaires pénales importantes, mais aussi pour mieux faire connaître la justice, par exemple en postant un message le 24 décembre, pour souligner la présence sept jours sur sept de magistrats.

« Cela permet également de rappeler que la justice, ce n’est pas que l’audience, mais aussi la prévention ou le champ partenarial, et ainsi de valoriser ce travail », signale-t-il. C’est également, note Ludovic Friat, « une manière pour certains procureurs de montrer qu’ils sont bons élèves par rapport à la Chancellerie ». « Nous sommes dans un monde de communication, ce n’est toutefois pas anormal », ajoute-t-il aussitôt.

Crainte du dérapage

Mais sur Twitter, un réseau social où les conversations peuvent être tout aussi bien graves, espiègles ou consternantes, le dérapage n’est jamais loin. « Je tourne mon doigt sept fois sur le clavier avant de tweeter, mais il m’arrive de faire des erreurs », confesse Éric Vaillant, qui a ainsi annulé récemment un « like » d’une vieille une de Hara-Kiri, un souvenir d’enfance, qui aurait pu être mal interprété.

« Sur Twitter, on parle au nom de notre juridiction, et on représente l’institution judiciaire, je ne vais donc pas faire de l’humour sur le dos de personnes, ou introduire un risque procédural, détaille Julien Wattebled. Nous ferions de l’humour si nous étions dans une course au nombre de followers. Mais ce n’est pas le but et c’est ce qui fait que je n’exprime pas sur le réseau social d’avis personnel. »

Une ligne visiblement partagée par les procureurs présents sur Twitter. Ce qui explique sans doute pourquoi le compte de François Molins, le plus suivi des procureurs français, a été dépassé en nombre de followers par un compte anonyme, « Sir Yes Sir », la procureure d’une juridiction parodique. Créé il y a moins d’un an, le compte mêle humour potache, considérations sur le quotidien des magistrats du parquet et instants d’audience, une manière de vulgariser et de mieux faire comprendre la justice.

Une retenue qui s’explique aisément après plusieurs dérapages célèbres. Un magistrat du parquet, connu sur Twitter sous le pseudo de Proc Gascogne avait été sanctionné en 2014 d’un déplacement d’office pour des tweets lors d’une session d’assises. Le conseil supérieur de la magistrature avait alors mis un cadre à l’usage des réseaux sociaux, « à l’évidence incompatible avec les devoirs de l’état de magistrat » pendant ou à l’occasion d’une audience.

Autre affaire, moins médiatisée, qui montre que l’exercice du tweet est toujours un art délicat, celle d’un ancien procureur d’un parquet de Nouvelle-Aquitaine. Le magistrat avait, rapporte la presse locale, ouvert un compte à son arrivée, sur lequel « il communiquait très librement, quitte à choquer ». Un compte Twitter finalement fermé par le magistrat durant son passage éclair – un an – dans sa juridiction.