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Commission d’office d’un avocat par un magistrat : épilogue

L’obligation pour l’avocat commis d’office de faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le président de la cour d’assises, en application de l’article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, est conforme à la Constitution.

par Hugues Diazle 7 juin 2018

Le Conseil constitutionnel a donc finalement rejeté, le 4 mai 2018, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par la défense de Me Frank Berton dans le cadre du contentieux disciplinaire ouvert à son encontre, après qu’il ait refusé, à l’occasion d’un procès d’assises tumultueux, d’être commis d’office par la présidente pour la défense de l’accusé : les garanties d’impartialité inhérentes à la tenue d’un procès équitable n’étant pas réunies selon l’avocat, il avait alors refusé de se soumettre à l’injonction de la présidente, puis avait décidé de quitter le prétoire (V. not., Dalloz actualité, 19 févr. 2018, art. L. Dargent isset(node/189216) ? node/189216 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189216 ; ibid. 17 avr. 2018 art. M. Babonneau isset(node/190279) ? node/190279 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190279).

Il faut dès à présent préciser que, par application des articles 274 et 317 du code de procédure pénale, lorsque l’accusé n’est pas défendu, le président de la cour d’assises est tenu de lui commettre d’office un défenseur. Ces dispositions doivent être lues à la lumière de l’article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, au terme duquel « l’avocat régulièrement commis d’office par le bâtonnier ou par le président de la cour d’assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le bâtonnier ou par le président » : de jurisprudence constante, la Cour de cassation juge que cet article confère au président de la cour d’assises une compétence exclusive pour admettre ou refuser les motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par l’avocat qu’il a commis d’office (Civ. 1re, 9 févr. 1988, n° 86-17.786 ; Crim. 24 juin 2015, n° 14-84.221, Dalloz actualité, 9 juill. 2015, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2016. 38, obs. J.-B. Perrier ). De plus, le fait pour un avocat de refuser son ministère caractérise une faute professionnelle susceptible de poursuite et de sanction disciplinaire (Civ. 1re, 15 nov. 1989, n° 88-11.413, D. 1991. 300 ; 2 mars 1994, n° 92-15.363, D. 1995. 165 , obs. A. Brunois ). Indiquons enfin que le président peut commettre d’office y compris l’un des conseils de l’accusé et alors même que ces derniers avaient préalablement souhaité se retirer de la défense de leur client (Crim. 19 févr. 1986, Bull. crim. n° 68 ; D. 1986. IR 234) : ce fut précisément le cas de Me Berton qui était poursuivi, en conséquence, devant le conseil régional de discipline des avocats de la cour d’appel de Douai.

La défense de Me Berton soulevait alors une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 9 susvisé, laquelle était transmise à la Cour de cassation, puis jugée sérieuse et renvoyée devant le Conseil constitutionnel (Crim. 7 févr. 2018, n° 17-90.025, Dalloz actualité, 19 févr. 2018, art. L. Dargent isset(node/189216) ? node/189216 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189216).

Les requérants, soutenus par de nombreuses parties intervenantes, contestaient le pouvoir discrétionnaire reconnu au président de la cour d’assises et qui, selon eux, était contraire aux droits de la défense, à l’indépendance de l’avocat, au droit à un recours juridictionnel effectif et au principe d’impartialité de la juridiction. Dans la mesure où ces griefs portaient exclusivement sur la compétence du président de la cour d’assises (et non sur celle du bâtonnier prévue par le même texte), le Conseil constitutionnel décidait de restreindre le champ de la QPC aux mots « ou par le président de la cour d’assises » figurant à l’article 9. Le Conseil écartait finalement les critiques formulées en affirmant que les dispositions contestées, « qui mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, ne méconnaissent pas les exigences qui résultent de la garantie des droits prévue à l’article 16 de la Déclaration de 1789 ».

Pour ce qui concerne les droits de la défense, le Conseil déclare que le pouvoir du président de la cour d’assises vise précisément à garantir l’exercice des droits de la défense de la personne accusée lorsque celle-ci n’a pas de défenseur. En outre, par application du dernier alinéa de l’article 274 du code de procédure pénale, l’accusé peut, à tout moment, choisir son propre avocat, ce qui rend non avenue la désignation par commission d’office. Pour le Conseil, les dispositions contestées se rattachent également à l’article 309 du code de procédure pénale qui confie au président la police de l’audience et la direction des débats : ce pouvoir lui permet « d’apprécier si, compte tenu de l’état d’avancement des débats, de la connaissance du procès par l’avocat commis d’office et des motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués, il y a lieu, au nom des droits de la défense, de commettre d’office un autre avocat au risque de prolonger le procès ». En l’autorisant ainsi à « écarter des demandes qui lui paraîtraient infondées, [les dispositions contestées] mettent en œuvre l’objectif de bonne administration de la justice ainsi que les exigences qui s’attachent au respect des droits de la défense » (§ 7).

Pour ce qui concerne la question de l’indépendance, l’avocat commis d’office, à l’égal de tout autre avocat choisi par l’accusé, demeure libre dans l’exercice de son ministère : pour le Conseil, son indépendance est donc manifestement préservée (§ 8). Sur ce point, le grief formulé présentait probablement une imperfection marquante : en effet, certains intervenants semblaient affirmer que l’avocat commis d’office, qui se verrait contraint d’assurer un ministère auquel il souhaiterait renoncer, ne serait plus en mesure d’offrir au justiciable une défense pleine et effective. Or, était essentiellement contesté le pouvoir discrétionnaire du président de la cour d’assises et non pas celui du bâtonnier : en d’autres termes, en demandant à ce que seul le bâtonnier puisse juger de la « clause de conscience » de l’avocat, les requérants semblaient accepter, de manière asymétrique, qu’un avocat commis d’office puisse être contraint de se maintenir dans une défense, sans qu’il ne soit alors argué d’une atteinte à son indépendance. Aussi, plus que l’indépendance de l’avocat commis d’office, il s’agissait certainement là de chercher à affirmer, de manière plus générale, l’indépendance du barreau (V. en ce sens, Le droit en débats, 16 nov. 2017, art. H. Delarue et F. Saint-Pierre).

Les requérants, qui refusaient que le président de la cour d’assises devienne le juge de la conscience de l’avocat, faisait également valoir que le secret professionnel, pouvait, dans certaines circonstances, s’opposer à la révélation des motifs d’excuse ou d’empêchement. Sur ce point, le Conseil se montre étonnamment péremptoire lorsqu’il affirme simplement que « les obligations [du] serment [de l’avocat] lui interdisent de révéler au président de la cour d’assises, au titre d’un motif d’excuse ou d’empêchement, un élément susceptible de nuire à la défense de l’accusé » (§ 8). Le commentaire qui accompagne la décision précise que « contrairement à l’argument développé dans les observations de certaines des parties, l’effet des dispositions contestées n’est pas, le cas échéant, de conduire à la révélation au juge d’un élément à charge pour l’accusé, afin que l’avocat puisse être relevé de sa commission d’office, mais seulement l’impossibilité pratique pour ce dernier de faire valoir, dans ce cas, le motif d’empêchement justifiant qu’il cesse d’assurer la défense de son client ». Une telle analyse peine à convaincre : le Conseil semblerait alors accepter que le dispositif législatif puisse être, en certaines hypothèses, privé de toute portée – comment l’avocat pourrait-il espérer se justifier auprès du président lorsqu’il ne lui est pas permis de lui exposer ses motifs d’excuse ou d’empêchement ?

Plutôt qu’une opposition frontale entre deux visions antagonistes – à savoir, d’une part, la défiance de l’avocat envers un président avec lequel il peut entretenir, dans une telle configuration, des relations conflictuelles et, d’autre part, la défiance de la juridiction face à un comportement qui pourrait être utilisé par la défense et/ou l’accusé à des fins dilatoires – une autre voie était peut-être envisageable : organiser une compétence concurrente pour que l’avocat puisse, lorsque ses motifs d’excuse ou d’empêchement relèvent précisément du secret professionnel, également s’adresser à son bâtonnier. La coexistence de ces deux compétences, selon des règles qu’il conviendrait naturellement de préciser, aurait peut-être pu conduire ici à une raisonnable et saine conciliation. Notons d’ailleurs qu’un tel mécanisme semble théoriquement compatible avec la lettre de l’article 9, abstraction faite de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Pour ce qui concerne l’impartialité, le Conseil indique que « le pouvoir conféré au président de la cour d’assises d’apprécier, compte tenu du rôle qui est le sien dans la conduite du procès, les motifs d’excuse ou d’empêchement de l’avocat qu’il a commis d’office ne met pas en cause son impartialité » (§ 10). Une nouvelle fois, le commentaire accompagnant la décision peine à emporter l’adhésion lorsqu’il affirme que « le principe d’impartialité des juridictions n’interdit pas, en l’absence de conflits d’intérêts, qu’un même juge prenne plusieurs décisions successives à l’égard de la même personne ». Les requérants critiquaient précisément le fait que le président soit chargé à la fois de conduire les débats, de désigner l’avocat et de connaître, le cas échéant, de ses motifs d’excuse ou d’empêchement : en définitive, ce magistrat se trouve alors placé dans cette situation paradoxale où il devient l’arbitre de sa propre décision.

L’argument semblait d’autant plus convaincant qu’il s’accompagnait, en l’espèce, d’un autre constat : aucun recours n’est prévu contre le refus du président. Sur ce point, la Conseil affirme que « si le refus du président de la cour d’assises de faire droit aux motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par l’avocat commis d’office n’est pas susceptible de recours, la régularité de ce refus peut être contestée par l’accusé, en cassation de son procès, et par l’avocat, à l’occasion de l’éventuelle procédure disciplinaire ouverte contre son refus de déférer à la décision du président de la cour d’assises » (§ 9). Là encore, certaines imperfections semblent émerger : comment contester utilement, devant la Cour de cassation, une décision discrétionnaire et non motivée – le cas échéant et dans certaines hypothèses, lorsqu’il n’est pas même permis d’expliquer les motifs d’excuse ou d’empêchement ? Lorsque seul est contesté le refus devant la juridiction disciplinaire, et que cette contestation est jugée bien fondée, peut-on alors se satisfaire du seul constat, a posteriori, de ce que les droits de la défense ont-été à tort compromis (si l’avocat peut alors légitimement échapper à une sanction, quid du justiciable) ?

En dernière analyse, le Conseil constitutionnel s’appuie ici principalement sur l’objectif de valeur constitutionnel de bonne administration de la justice : la volonté sous-jacente semble clairement de proscrire tout comportement dilatoire. Or, si autrefois le départ de l’avocat obstruait le déroulement du procès d’assises, la Cour de cassation, dans sa jurisprudence récente, considère que les débats peuvent se poursuivre lorsque l’absence du défenseur ne résulte pas du fait de la cour (V. Le droit en débats, préc. ; Crim. 24 juin 2015, n° 14-84.221, Procédures 2015, n° 272, note Chavent-Leclère ; Dr. pénal 2015, n° 116, note Maron et Haas ; Crim. 29 mars 2017, n° 15-86.300, AJ pénal 2017. 294, obs. J.-B. Thierry ).

Peut-être victime indirecte de sa médiatisation et d’un soutien (trop) massif des avocats (perçu par certains observateurs comme un réflexe « corporatiste » proche du « lobbying »), il est en tout cas regrettable que cette QPC n’ait pas permis d’apaiser les relations entre avocats et magistrats lorsque celles-ci deviennent conflictuelles.