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La communication forcée de pièces à l’aune du RGPD : proportionnalité et effectivité obligent

Est immédiatement recevable l’appel ou le pourvoi à l’encontre d’une décision statuant sur une demande de communication forcée de pièces contenant des données à caractère personnel de tiers entrant dans le champ d’application du RGPD, sans que l’ouverture de ces recours soit restreinte à l’excès de pouvoir. La Cour de cassation redit par ailleurs la marche à suivre par le juge saisi d’une demande de communication forcée de telles pièces.

En procédure civile, il est commun de solliciter la production ou communication forcée de pièces de la part de l’autre partie, lesquelles pièces peuvent contenir des données à caractère personnel de tiers à l’instance. Le droit des données à caractère personnel, RGPD en tête, interfère alors avec les solutions usuelles et bouleverse non seulement l’office du juge, en l’astreignant à l’observance d’une stricte proportionnalité, mais aussi les voies de recours contre ses décisions, plus largement ouvertes en contemplation de l’impératif d’effectivité de la norme européenne. En somme, lorsque la communication forcée de pièces se trouve confrontée aux préventions du RGPD, proportionnalité et effectivité obligent. C’est la morale du présent arrêt, rendu pour l’essentiel dans la continuité de la jurisprudence antérieure (Civ. 2e, 3 oct. 2024, n° 21-20.979, Dalloz actualité, 21 oct. 2024, obs. L. van Gaver ; D. 2024. 1779 ; Dalloz IP/IT 2025. 116, obs. C. Millet-Ursin et M. Nevoux ; RTD civ. 2024. 965, obs. J. Klein ; cet arrêt de la 2e chambre civile fut rendu sur un avis conforme de la chambre sociale, Soc. 24 avr. 2024, n° 21-20.979).

De quoi était-il question en l’espèce ? Différentes entités introduisent une action de groupe à l’encontre d’une société, lui reprochant de pratiquer et d’avoir pratiqué une discrimination en raison du sexe envers ses salariées et anciennes salariées. Ils présentent huit cas individuels prétendument représentatifs.

Le juge de la mise en état (JME) d’un tribunal judiciaire enjoint à la société de communiquer aux demandeurs, dans les deux mois suivant la signification de son ordonnance, pour chacune des huit salariées concernées, la liste nominative de tous les salariés embauchés sur une même classification à plus ou moins deux ans par rapport à l’année d’embauche et, pour tous les salariés de ces listes nominatives : la date de naissance, le sexe, le niveau de qualification à l’embauche ; les dates de passage aux niveaux de classification supérieurs et les niveaux de classification ; le salaire brut mensuel de chaque année, en décomposant le salaire de base, les primes fixes et les éléments de rémunération variable de toute nature ; les bulletins de paie de décembre depuis leur date d’embauche.

La société succombante interjette immédiatement appel, lequel est déclaré irrecevable (Paris, 13 oct. 2022, n° 22/00797), précisément parce qu’il est jugé prématuré (on rappellera ici qu’en principe, les recours contre les ordonnances du JME obéissent à la logique de l’appel différé, i.e. l’appel en même temps que le jugement au fond, C. pr. civ., art. 795).

N’en démordant pas, la société forme immédiatement un pourvoi en cassation contre cet arrêt, pourvoi dont le contenu est et restera inconnu puisque la cassation sera prononcée sur moyen relevé d’office.

En premier lieu, c’est la recevabilité du pourvoi en cassation qui pose difficulté, pour une raison simple : c’est encore la logique du recours différé – du pourvoi différé en l’occurrence – qui est théoriquement à l’œuvre à l’égard des jugements avant dire droit rendus en dernier ressort (C. pr. civ., art. 606 à 608). Là encore, le pourvoi peut être jugé prématuré. Cela étant, l’interférence du droit européen conduira à une autre issue. En effet, le droit à un recours juridictionnel, l’objectif d’une protection juridictionnelle effective et le droit à un procès équitable, garantis par les articles 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, amènent la chambre sociale à décider plutôt que « l’atteinte éventuelle aux droits des tiers, concernés par une mesure de communication de leurs données personnelles à des parties à un litige, fondée sur les dispositions de l’article 789, 5°, du code de procédure civile, doit nécessairement faire l’objet d’un examen par le juge avant l’exécution de la mesure au regard des droits reconnus par le règlement n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 (RGPD), une telle atteinte ne pouvant plus, une fois les pièces communiquées, être utilement réparée par un contrôle postérieur » (§ 10). Sur ces motifs, le pourvoi immédiat est jugé recevable, même non pris de l’excès de pouvoir (§§ 11 et 12).

Se penchant en second lieu sur le fond, la chambre sociale commence par appliquer le même raisonnement à l’appel. Elle rappelle ainsi que, selon l’article 795 du code de procédure civile, les ordonnances du JME ne peuvent être frappées d’appel ou de pourvoi qu’avec le jugement sur le fond (logique de l’appel différé), sauf excès de pouvoir (possibilité d’appel immédiat) – tous principes de solution applicables à l’ordonnance accordant ou refusant une injonction de communication de pièces (§ 14). Cela étant, là encore, afin de garantir l’effectivité de l’application du droit de l’Union européenne et, plus précisément, du RGPD, la chambre sociale autorise à présent l’appel immédiat. Une décision...

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