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Compétence dans l’Union : assurances et cession de créances d’indemnisation

Par un arrêt du 21 octobre 2021, la Cour de justice de l’Union européenne précise sa jurisprudence relative à l’article 13, § 2, du règlement Bruxelles I bis, dans l’hypothèse où un assureur est assigné par une société à laquelle la victime d’un accident de la circulation a cédé sa créance d’indemnisation.

Le règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale prévoit une règle de compétence en matière délictuelle ou quasi-délictuelle. Il énonce ainsi, par son article 7, point 2, qu’en cette matière, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un État membre autre que celui de son domicile, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

Il édicte par ailleurs des règles de compétence en matière d’assurances, notamment celles suivantes :

- Article 10 : En matière d’assurances, la compétence est déterminée par la section 3 du chapitre II du règlement, sans préjudice de l’article 6 et de l’article 7, point 5 ;
- Article 11 : « 1. L’assureur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait : a) devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile ; b) dans un autre État membre, en cas d’actions intentées par le preneur d’assurance, l’assuré ou un bénéficiaire, devant la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile ; ou c) s’il s’agit d’un co-assureur, devant la juridiction d’un État membre saisie de l’action formée contre l’apériteur de la coassurance. 2. Lorsque l’assureur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, il est considéré pour les contestations relatives à leur exploitation comme ayant son domicile sur le territoire de cet État membre ».
- Article 12 : « L’assureur peut, en outre, être attrait devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit s’il s’agit d’assurance de responsabilité ou d’assurance portant sur des immeubles. Il en est de même si l’assurance porte à la fois sur des immeubles et des meubles couverts par une même police et atteints par le même sinistre ».
- Article 13 : « 1. En matière d’assurance de responsabilité, l’assureur peut également être appelé devant la juridiction saisie de l’action de la victime contre l’assuré, si la loi de cette juridiction le permet. 2. Les articles 10, 11 et 12 sont applicables en cas d’action directe intentée par la personne lésée contre l’assureur, lorsque l’action directe est possible. 3. Si la loi relative à cette action directe prévoit la mise en cause du preneur d’assurance ou de l’assuré, la même juridiction sera aussi compétente à leur égard ».

Dans l’affaire jugée le 21 octobre 2021, il s’agissait de déterminer la portée de ces dispositions dans deux espèces dans lesquelles une société d’assurance danoise avait été assignée en Pologne à la suite d’accidents de la circulation routière dans lesquels ses assurés avaient été déclarés responsables. La particularité de ces espèces tenait au fait que les instances avaient été engagées par des sociétés cessionnaires du droit à indemnisation des victimes. Il existait néanmoins une différence entre les deux espèces : dans l’une d’elle, la société cessionnaire agissait dans le cadre d’une activité habituelle d’achat de créances d’indemnisation, alors que dans l’autre, la société cessionnaire avait une activité principale de réparation et de location de véhicules et agissait de façon accessoire en tant que cessionnaire d’une créance d’indemnisation, suite à une cession de créance conclue en contrepartie des services effectués au profit du client.

Éligibilité d’une société, cessionnaire occasionnel d’une créance d’indemnisation, au bénéfice de l’article 13, § 2

La première question préjudicielle visait à déterminer, en substance, si un cessionnaire de ce second type pouvait ou non se prévaloir des règles de compétence propres à la matière des assurances – et en particulier de l’article 13, § 2 - prévues par le règlement, qui ont été avant tout conçues pour atténuer le déséquilibre existant entre les parties, l’assuré étant traditionnellement perçu, dans la perspective européenne, comme une partie faible (considérant 18 du règlement).

L’objet de cet article 13, § 2, a déjà été cerné par la Cour de justice (sur ce, H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd., LGDJ, 2018, n° 294), qui a jugé que le renvoi opéré par cet article a pour objet d’ajouter à la liste des demandeurs contenue à l’article 11, § 1 , b), les personnes ayant subi un dommage, sans que le cercle de ces personnes soit restreint à celles l’ayant subi directement (CJUE 20 juill. 2017, aff. C-340/16, MMA IARD, pt 33, D. 2017. 1606 ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; Procédures 2017. Comm. 238, obs. C. Nourissat ; Europe 2017. 390, obs. L. Idot ; 20 mai 2021, aff. C‑913/19, CNP, pt 38, Dalloz actualité, 1er juin 2021, obs. F. Mélin ; D. 2021. 1036 ; ibid. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ). Cette perspective a été appliquée aux héritiers de la victime d’un accident de la circulation routière (CJCE 17 sept. 2009, aff. C‑347/08, VorarlbergerGebietskrankenkasse, pt 44, RTD eur. 2010. 421, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard ; Procédures 2009. Comm. 387, obs. C. Nourissat ; Europe 2009. Comm. 387, obs. L. Idot), de même qu’à un employeur ayant maintenu la rémunération d’un salarié pendant la durée d’une incapacité de travail consécutive à un accident et qui était de ce fait subrogé dans ses droits (CJUE 20 juil. 2017, aff. C‑340/16, MMA IARD, préc.).

La Cour de justice a toutefois également jugé que l’application des règles de compétence propres à la matière des assurances ne doit pas être étendue à des personnes pour lesquelles la protection que ces règles assurent ne se justifie pas (CJUE 20 mai 2021, préc., pt 39). Elle a énoncé à ce sujet qu’aucune protection spéciale ne se justifie dans les rapports entre des professionnels du secteur des assurances, dont aucun d’entre eux ne peut être présumé se trouver en position de faiblesse par rapport à l’autre (CJUE 31 janv. 2018, aff. C‑106/17, Hofsoe, pt 42, Dalloz actualité, 12 févr. 2018, obs. F. Mélin ; D. 2018. 247 ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2018. 609, note S. Corneloup ; Procédures 2018. Comm. 108, obs. C. Nourissat). Prolongeant cette approche, l’arrêt du 21 octobre 2021 énonce que l’article 13, § 2 « doit être interprété en ce sens qu’il ne peut pas être invoqué par une société qui, en contrepartie de services qu’elle fournit à la victime directe d’un accident de la circulation routière en lien avec le dommage résultant de cet accident, a acquis de celle-ci la créance d’indemnités d’assurance, aux fins d’en réclamer le paiement auprès de l’assureur de l’auteur dudit accident, sans cependant exercer une activité professionnelle dans le domaine du recouvrement de telles créances ».

Si ce principe semble avoir une portée générale, l’arrêt prend toutefois soin de souligner que l’activité de la société cessionnaire s’insérait dans un schéma particulier et indique qu’il est habituel en Pologne que des réparateurs et loueurs de véhicules réclament une indemnisation directement à l’assureur de l’auteur du dommage, à la place de la personne lésée dont ils rachètent la créance, en contrepartie des services qu’ils fournissent (arrêt, pt 37). Or, ce faisant, ceux-ci développent des liens étroits avec le secteur des assurances, ce qui ne permet pas de les considérer comme des parties faibles qu’il importe de protéger (arrêt, pt 38). Et il importe peu que le professionnel considéré exerce son activité dans le cadre d’une petite structure, avec des ressources financières limitées, ou que cette activité de recouvrement de créances soit accessoire (arrêt, pt, 41).

Éligibilité du cessionnaire professionnel de créances d’indemnisation au bénéfice de l’article 7, § 2

Avec la seconde question préjudicielle, il s’agissait de déterminer si l’article 7, point 2, du règlement est susceptible d’être invoqué par un professionnel qui a acquis, en vertu d’un contrat de cession, la créance de la victime d’un accident de la circulation routière, dans le but d’intenter, devant les juridictions de l’État membre du lieu où le fait dommageable s’est produit, une action délictuelle ou quasi-délictuelle contre l’assureur de l’auteur de cet accident, qui a son siège social sur le territoire d’un État membre différent.

L’arrêt du 21 octobre 2021 apporte une réponse positive à cette interrogation, ce qui n’est pas surprenant. Il a en effet déjà été jugé que si les articles 10 et suivants, concernant la matière des assurances, du règlement ne sont pas applicables lorsqu’aucune des parties n’est en position de faiblesse par rapport à l’autre partie, la demande est susceptible de relever de l’article 7, point 2, même s’il s’agit d’un litige en matière d’assurances, pour autant que les conditions que pose cette disposition pour son application sont réunies (CJUE 20 mai 2021, préc., pt 46).