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Compétence dans l’Union et concession commerciale : nouvelles précisions

Par un arrêt du 8 mars 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se penche sur un contrat de concession commerciale conclu entre une société portugaise et une société belge et fournit une nouvelle illustration de sa jurisprudence concernant les clauses attributives de compétence et la détermination du tribunal compétent en matière contractuelle.

par François Mélinle 19 mars 2018

Les circonstances du litige

Une société ayant son siège au Portugal et une société localisée en Belgique conclurent un contrat, qui ne fut pas matérialisé par un écrit, de concession commerciale dont l’objet était la promotion et la distribution en Espagne de produits. Ces deux sociétés ne possédaient pas de succursale ou d’établissement dans cet État.

Le contrat fut exécuté pendant quelques mois puis la société belge mit fin aux relations contractuelles. La société portugaise l’assigna alors devant un juge au Portugal, afin d’obtenir réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi.

La société belge souleva une exception d’incompétence, en faisant valoir, d’une part, que les produits concernés avaient été chargés en Belgique et que la société portugaise s’était occupée du transport et, d’autre part, que les conditions générales auxquelles étaient soumises les ventes de ces produits contenaient une clause attributive de juridiction aux tribunaux de la ville belge de Courtrai. Elle ajouta que le contrat de concession commerciale impliquait l’exécution d’une prestation de services en Espagne, cet État devant donc être considéré comme le lieu d’exécution des obligations contractuelles.

Dans ce cadre, il s’agissait de déterminer si la compétence revenait aux juridictions portugaises, belges ou espagnoles, et ce en application des dispositions du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Le juge saisi posa alors pas moins de treize questions préjudicielles à la CJUE. Leur lecture laisse toutefois penser que le juge portugais a sans doute voulu se décharger sur la CJUE de recherches qu’il aurait pu aisément effectuer lui-même quant à la détermination des principes de compétence en l’espèce.

La clause attributive de juridiction

La première difficulté consistait à apprécier la validité de la clause attributive invoquée par la société belge, étant rappelé que l’article 25 du règlement dispose, notamment, que, si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes.

Pour bien appréhender cette difficulté, il est utile de rappeler trois éléments, qui sont acquis en cette matière. D’abord, une convention attributive de juridiction peut être conclue par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, selon l’article 25, § 1, a). Ensuite, le juge saisi a l’obligation d’examiner si la clause attributive de juridiction a effectivement fait l’objet d’un consentement entre les parties, qui doit se manifester d’une manière claire et précise (CJUE 28 juin 2017, aff. C-436/16, pt 34, D. 2017. 1370 ; ibid. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD com. 2017. 739, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; Rev. UE 2017. 570, chron. A. Cudennec, N. Boillet, O. Curtil, C. De Cet-Bertin, G. Guéguen-Hallouët et M. Taillens ). Enfin, dans l’hypothèse d’un contrat écrit, lorsqu’une clause attributive de juridiction est stipulée dans des conditions générales, une telle clause est licite dans le cas où, dans le texte même du contrat signé par les deux parties, un renvoi exprès est fait à des conditions générales comportant cette clause (CJUE 7 juill. 2016, aff. C-222/15, pt 39, Dalloz actualité, 8 sept. 2016, obs. F. Mélin ; RTD com. 2017. 234, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ).

En l’espèce, en l’absence d’un contrat écrit, les conditions générales contenant la clause attributive de juridiction concernée n’avaient été mentionnées que dans les factures émises par la société belge. Dès lors, la CJUE considère que sous réserve des vérifications qu’il incombera à la juridiction nationale d’effectuer, une telle clause ne satisfait pas aux exigences de l’article 25, § 1, a). La Cour de justice réserve toutefois l’hypothèse où il apparaîtrait que la clause aurait été conclue sous une forme conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ou sous une forme conforme à un usage dont les parties avaient ou étaient censées avoir connaissance, puisque l’article 25, § 1, b) et c), admet également qu’une clause soit conclue sous ces formes.

La position qui est ainsi retenue par la CJUE se situe dans la ligne de sa jurisprudence habituelle. Elle peut qu’être approuvée, même si on peut s’étonner qu’une question préjudicielle ait pu lui être adressée à ce sujet, alors qu’il n’y avait manifestement aucun problème réel de mise en œuvre de l’article 25 du règlement.

La qualification du contrat

La seconde difficulté concernait l’interprétation de l’article 7 qui dispose qu’en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande et que, sauf convention contraire, ce lieu est, pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées, et pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis.

Au regard de ces principes, il s’agissait de déterminer quelle juridiction était compétente pour connaître d’une demande indemnitaire relative à la résiliation d’un contrat de concession commerciale, conclu entre deux sociétés établies et opérant chacune dans un État membre différent, pour la commercialisation de produits sur le marché national d’un troisième État membre, sur le territoire duquel aucune de ces sociétés ne disposait de succursale ou d’établissement.

Cette interrogation supposait que soit réglé un problème de qualification : le contrat litigieux de concession commerciale constituait-il un contrat de vente de marchandises ou un contrat de fourniture de services au sens de cet article 7 ?

Ce problème de qualification est classique. La Cour de justice a ainsi déjà eu l’occasion de préciser qu’un contrat dont l’obligation caractéristique est la livraison d’un bien doit être qualifié de vente de marchandises (CJUE 14 juill. 2016, aff. C-196/15, pt 34, Dalloz actualité, 1er spet. 2016, obs. F. Mélin ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2017. 881, obs. D. Ferrier ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ Contrat 2016. 442, obs. I. Luc ; Rev. crit. DIP 2016. 703, note F.-X. Licari ; RTD civ. 2016. 814, obs. L. Usunier ; ibid. 837, obs. H. Barbier ; RTD com. 2017. 231, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ) et qu’en ce qui concerne les contrats de fourniture de services, la notion de « services » implique, pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération (CJUE 15 juin 2017, aff. C-249/16, pt 35, Dalloz actualité, 22 juin 2017, obs. F. Mélin ; ibid. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD com. 2017. 743, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ). La CJUE a par ailleurs jugé qu’aux fins de la détermination de la compétence judiciaire, un contrat de concession exclusive ou quasi exclusive relève, en principe, de la notion de contrat de fourniture de services (CJUE 19 déc. 2013, aff. C-9/12, pts 27, 28 et 41, Dalloz actualité, 20 janv. 2014, obs. F. Mélin ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; AJCA 2014. 28 , note G. Parleani ; Rev. crit. DIP 2014. 660, note D. Bureau ; RTD civ. 2014. 848, obs. L. Usunier ; RTD com. 2014. 443, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; ibid. 457, obs. P. Delebecque ), cette définition étant d’ailleurs discutée par les meilleurs auteurs (M.-E. Ancel, P. Deumier et M. Laazouzi, Droit des contrats internationaux, Sirey, 2017, n° 143).

Dans cette perspective, le contrat litigieux pouvait sans doute, selon la CJUE, être qualifié de contrat de fournitures de services, sous réserve des circonstances d’espèce (arrêt, pt 42). Mais une fois cette qualification retenue, le problème se déplaçait : quel était le lieu d’exécution de l’obligation caractéristique, alors que le contrat avait été conclu entre une société belge et une autre société portugaise en vue de la commercialisation de produits sur le marché espagnol, sans qu’aucune de ces sociétés ne dispose de succursale ou d’établissement sur le territoire espagnol ?

En cas de pluralité de lieux d’exécution de l’obligation caractéristique d’un contrat de fourniture de services, il faut entendre par lieu d’exécution de celle-ci le lieu qui assure le lien de rattachement le plus étroit entre ce contrat et la juridiction compétente, ce lien de rattachement le plus étroit se vérifiant, en règle générale, au lieu de fourniture principale des services (CJUE 11 mars 2010, aff. C-19/09, pts 33 et 34, D. 2010. 834 ; ibid. 2323, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2011. 1374, obs. F. Jault-Seseke ; RTD com. 2010. 451, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; RTD eur. 2010. 421, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard ). On sait également que la juridiction compétente pour connaître des demandes fondées sur un contrat de fourniture de services, en cas de fourniture de services dans plusieurs États membres, est celle de l’État membre où se trouve le lieu de la fourniture principale des services, tel qu’il découle des dispositions du contrat ainsi que, à défaut de telles dispositions, de l’exécution effective de ce contrat et, en cas d’impossibilité de le déterminer sur cette base, celui du domicile du prestataire (CJUE 11 mars 2010, préc., pt 43).

La Cour de justice précise que cette approche doit également s’appliquer en l’espèce (arrêt, pt 46), ce qui la conduit à énoncer que la juridiction compétente, en vertu de l’article 7, pour connaître d’une demande indemnitaire relative à la résiliation d’un contrat de concession commerciale, conclu entre deux sociétés établies et opérant dans deux États membres différents, pour la commercialisation de produits sur le marché national d’un troisième État membre, sur le territoire duquel aucune de ces sociétés ne dispose de succursale ou d’établissement, est celle de l’État membre où se trouve le lieu de la fourniture principale des services, tel qu’il découle des dispositions du contrat ainsi que, à défaut de telles dispositions, de l’exécution effective de ce contrat et, en cas d’impossibilité de le déterminer sur cette base, celui du domicile du prestataire.

Cette approche ne surprend pas, dès lors qu’elle s’inscrit dans le cadre de la jurisprudence désormais bien établie de la CJUE. Son objectif est à l’évidence de permettre le recours à des critères de rattachement assurant une prévisibilité suffisante des solutions.