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Compétence pour ordonner une mesure d’instruction à l’occasion d’une action de groupe en matière de santé

Lorsqu’une action de groupe en matière de santé est introduite au fond et qu’est désigné un juge de la mise en état, celui-ci est compétent, dans la première phase de l’action de groupe, pour ordonner une mesure d’instruction. À ce stade, celle-ci doit cependant être limitée aux points techniques de nature à éclairer le juge du fond sur les questions relatives à la mise en cause de la responsabilité du défendeur, à la définition des critères de rattachement permettant aux usagers de rejoindre l’action de groupe et aux dommages susceptibles d’être réparés.

Voici un arrêt complexe qui a néanmoins le mérite d’éclairer le fonctionnement technique de l’action de groupe « à la française », en particulier l’action de groupe en matière de santé. Retraçons d’emblée le fil de l’affaire pour mieux appréhender l’apport de l’arrêt.

Une association d’aide aux victimes assigne devant un tribunal de grande instance deux sociétés, Bayer et Delpharm Lille, respectivement exploitante et fabricante d’une spécialité pharmaceutique. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et l’ONIAM sont également mises en cause. C’est une action de groupe en matière de santé qui est ainsi engagée.

Le 29 avril 2021, le juge de la mise en état (JME) désigné se déclare incompétent au profit du tribunal pour statuer sur certaines fins de non-recevoir opposées par diverses parties défenderesses. Dans le même temps et surtout, il ordonne une expertise.

L’expert est chargé d’examiner l’ensemble des dossiers et documents médicaux des personnes représentées par l’association demanderesse, notamment pour : décrire leur état de santé antérieurement et postérieurement à la prise du médicament litigieux ; dire si elles étaient déjà atteintes de la pathologie dont elles souffraient avant la prise dudit médicament ; fournir un avis sur le caractère éventuellement identique ou similaire des pathologies, séquelles, effets indésirables et troubles présentés par ces personnes ; et, si une différence doit être relevée entre les personnes ayant pris le médicament et celles ayant pris un équivalent générique, l’expliquer.

Une société défenderesse saisit le premier président de la cour d’appel afin d’être autorisée à relever appel immédiat de l’ordonnance du JME, conformément aux articles 150 et 272 du code de procédure civile. Le premier président repousse la demande d’autorisation. En substance, il estime que le JME n’a fait qu’user du pouvoir général d’ordonner une mesure d’instruction qu’il tire de l’article 771, devenu 789, du code de procédure civile ; laquelle mesure d’instruction avait d’ailleurs bien pour objet d’éclairer la juridiction saisie au fond sur des éléments circonscrits, dans les limites de la compétence du juge du fond saisi de l’action de groupe.

Pourvoi est formé à l’encontre de l’ordonnance du premier président. Seul le pourvoi-nullité est admis en ce cas, c’est-à-dire le pourvoi fondé sur l’excès de pouvoir. De fait, la société requérante reproche au premier président d’avoir consacré, par sa décision, l’excès de pouvoir commis par le JME ayant ordonné la mesure d’expertise détaillée.

Tout d’abord, la société requérante estime que seul le tribunal saisi au fond pouvait ordonner une telle expertise : le JME aurait empiété sur son pouvoir. En ce sens, il est vrai que l’article L. 1143-3 du code de la santé publique précise qu’il appartient au tribunal judiciaire saisi de l’action de groupe, dans la même décision, de constater la recevabilité de l’action, de statuer sur la responsabilité du défendeur et d’ordonner le cas échéant toute mesure d’instruction, y compris une expertise médicale. Ce texte tiendrait donc en échec l’article 771, devenu 789, du code de procédure civile qui fonde la compétence générale du JME pour ordonner des mesures d’instruction.

Ensuite, la société requérante considère qu’il n’appartient pas au JME de s’intéresser à la pertinence des cas individuels exposés dans l’assignation et à la question de la représentativité de ces cas. Or, de l’avis de la société requérante, l’expertise ordonnée avait pour but de déterminer la pertinence des cas individuels exposés, voire de déterminer le groupe des usagers du système de santé concernés par l’action, usagers qui pourraient à terme s’y joindre en vue d’obtenir une indemnisation. Si on lit correctement cette branche du moyen, il n’appartiendrait qu’au tribunal judiciaire saisi au fond de connaître de la pertinence des cas individuels exposés et de leur éventuelle représentativité, après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d’instruction.

Le pourvoi interroge ainsi la Cour de cassation sur la limite des pouvoirs d’instruction du JME au cas d’introduction d’une action de groupe en matière de santé. En creux, la question est de savoir ce qui relève exactement du « domaine...

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