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La compétence restreinte du juge de la levée du séquestre au cas d’atteinte au secret des affaires

La procédure prévue à l’article R. 153-1 du code de commerce a pour seul objet d’éviter, par une mesure de séquestre, que la communication ou la production d’une pièce, à l’occasion de l’exécution d’une mesure d’instruction in futurum, ne porte atteinte à un secret d’affaires. Elle n’a ni pour objet ni pour effet d’attribuer le contentieux de l’exécution de la mesure au juge qui statue sur la levée totale ou partielle du séquestre, saisi principalement à cette fin ou incidemment à une demande de rétractation ou de modification.

Voici un arrêt notable pour les praticiens du contentieux des affaires. Il a le mérite d’opérer une répartition relativement claire des compétences s’agissant des mesures d’instruction in futurum ordonnées sur requête lorsqu’un séquestre est décidé sur le fondement de l’article R. 153-1 du code de commerce, i.e. lorsqu’un secret d’affaires est menacé : le juge de la mainlevée n’est pas juge du contentieux de l’exécution de la mesure ordonnée.

Les faits sont d’une redoutable banalité. Un employé d’un équipementier automobile démissionne avant de rejoindre la concurrence. L’employeur initial, prétendant soupçonner quelques indiscrétions de sa part, obtient sur requête fondée sur l’article 145 du code de procédure civile la désignation d’un huissier chargé d’une mission particulièrement classique dans ce type de contentieux (se rendre au domicile de l’intéressé et collecter, en propre ou copie, divers éléments se trouvant dans un périmètre identifié). Sur quoi le requis, ainsi que le concurrent, forment de concert un référé-rétractation, repoussé par ordonnance. Celle-ci est confirmée sur appel, à ceci près que la cour d’appel restreint alors le périmètre de la mesure d’instruction et ordonne la mise sous séquestre des pièces collectées pour préserver d’éventuels secrets d’affaires du concurrent.

Le requérant saisit en référé le président du tribunal judiciaire pour obtenir la levée du séquestre et communication des éléments appréhendés. Le juge écarte d’abord un certain nombre de pièces et ordonne leur restitution, puis décide la levée du séquestre et la communication de l’ensemble des autres pièces issues de la mesure d’instruction. Le requis relève appel de l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté ses demandes visant à déclarer qu’un certain nombre de pièces maintenues au séquestre se trouvaient en dehors du périmètre de la mission confiée à l’huissier de justice – pièces dont il sollicitait en conséquence la restitution sous astreinte. La cour d’appel confirme l’ordonnance ; elle décide la levée du séquestre et la communication des éléments saisis sur le motif décisif suivant : « en l’absence de toute violation même alléguée de ce droit [fondamental au secret des affaires], le seul moyen soulevé par [le requis] devant la cour sur la régularité de la saisie au regard du périmètre de la mission confiée à l’expert est inopérant ». Pourvoi est formé par le requis.

Selon lui, le juge de la mainlevée se doit, avant de statuer sur la levée du séquestre, de vérifier la régularité de la saisie initiale. Or le demandeur à la cassation estime que la mesure d’instruction telle que réalisée était irrégulière au regard du périmètre de la mesure autorisée par l’ordonnance initiale telle qu’ultérieurement modifiée. Ce qui aurait dû conduire à refuser la mainlevée du séquestre en tout ou partie ou, du moins, à écarter diverses pièces sous séquestre et à ordonner leur restitution au requis.

Le juge de la levée du séquestre ordonné sur le fondement de l’article R. 153-1 du code de commerce est-il juge de la régularité de l’exécution de la mesure d’instruction réalisée ?

De première part, la chambre commerciale pose que « la procédure prévue à l’article R. 153-1 du code de commerce a pour seul objet d’éviter, par une mesure de séquestre provisoire, que la communication ou la production d’une pièce, à l’occasion de l’exécution d’une mesure d’instruction ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, ne porte atteinte à un secret des affaires » (§ 5).

De seconde part, elle énonce (ou déduit ?) que ladite procédure « n’a ni pour objet ni pour effet d’attribuer au juge qui, saisi en référé d’une demande de modification ou de rétractation de sa mesure, statue sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre, le contentieux de son exécution » (§ 6).

De sorte que le juge de la levée du séquestre n’est pas juge du contentieux de l’exécution de la mesure ordonnée et notamment de la question de savoir si l’huissier instrumentaire a excédé le périmètre de la mission. Le pourvoi est rejeté.

D’interprétation peu évidente, l’arrêt est néanmoins digne d’approbation en tant qu’il déduit de l’objet exclusif de la procédure prévue à l’article R. 153-1 du code de commerce le champ de compétence restreint du juge de la mainlevée. Reste néanmoins à déterminer quel juge connaît précisément du contentieux de l’exécution de la mesure.

La compétence restreinte du juge de la mainlevée

Les articles R. 153-1 et suivants du code de commerce, qui correspondent à la transposition réglementaire de la directive (UE) n° 2016/943 du 8 juin 2016 sur la protection des secrets d’affaires, suscitent quelques difficultés de procédure au voisinage des mesures d’instruction in futurum (v. réc., A. Constans et L. Terdjman, Mesures d’instruction et secret des affaires : une coordination des textes peu évidente, JCP E 2023. 1010 ; J.-Cl Procédures Formulaires, Mesures d’instruction in futurum, fasc. 10, par  O. Hocher ; v. égal., J.-C. Galloux, Le décret d’application de la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, RTD com. 2019. 80 ). La Cour de cassation prend progressivement ses marques et positionne prudemment sa jurisprudence avec le souci de la cohérence.

Tout d’abord, la chambre commerciale a indiqué que la procédure prévue n’est pas alternative, de telle sorte que ne peut lui être préféré le placement sous scellés (Com. 1er févr. 2023, n° 21-22.225, Dalloz actualité, 22 févr. 2023, obs. M. Barba ; D. 2023. 772 , note M. Dhenne ; Dalloz IP/IT 2023. 142, obs. Ekaterina Berezkina ; ibid. 523, obs. O. de Maison Rouge ; RTD com. 2023. 82, obs. J.-C. Galloux ; ibid. 323, obs. J. Passa ). Elle a ainsi canalisé les velléités procédurales des uns et des autres : lorsqu’un secret d’affaire est menacé et que le juge entend le préserver, il doit avoir recours à la mise sous séquestre qui permettra un tri et autres aménagements (cercle de confidentialité, caviardage, etc.).

Ensuite, la deuxième chambre civile s’est prononcée sur une question de compétence ou plus exactement de pouvoir juridictionnel : lorsque deux instances ont été engagées devant le même juge des référés, l’une en levée du séquestre, l’autre en rétractation de l’ordonnance sur requête, ce dernier juge ne peut...

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